Skip to main content

Aïon Etudes sur la phénoménologie du Soi

(« Ce qu'il dit est fait » est une prérogative exclusivement divine. )

AVANT-PROPOS

A travers l'étude de symboles du Soi empruntés à la gnose et à l'alchimie chrétiennes, Jung étudie les rapports entre le Soi et la figure traditionnelle du Christ, qui symbolise une totalité réunissant en elle tous les caractères d'un archétype. Il tente de montrer que la doctrine selon laquelle le Mal est seulement l'atténuation du Bien (privatio boni) ne correspond, dans la mesure où elle exclut la force mauvaise, qu'à une moitié de l'archétype - l'autre moitié apparaissant dans le symbole de l'Antéchrist. . L'idée centrale est donc, que l'exclusion de la force mauvaise hors du Soi empirique a fait, et fait encore, des dégâts dans le mental individuel et collectif. L'étude approfondie du symbolisme des poissons, ou celui de l'astrologie comme système d'opposés, fait apparaître que le refoulement de cet aspect double - ou, dirions-nous, de la dualitude - porte la responsabilité d'un dualisme néfaste que la psychologie cherche - aujourd'hui encore.. à surmonter.

PRÉFACE

Le thème de cet ouvrage est l'idée d'ère (en grec, aïon : à la fois long espace de temps et éternité). Le but de ma recherche est de mettre en lumière, à l'aide des symboles chrétiens, gnostiques et alchimiques du Soi, la transformation de la situation psychique au cours de « l'ère chrétienne ». Dès l'origine, non seulement la tradition chrétienne est imprégnée des idées perses et juives du commencement et de la fin des temps, mais elle est également remplie du pressentiment d'une sorte de retournement énantiodromique des dominantes : . du dilemme Christ- Antéchrist. . l'ère des Poissons constitue le concomitant synchronistique de l'évolution de l'esprit au cours des deux millénaires chrétiens. Dans cet espace de temps, non seulement la figure de l' anthropos (le « fils de l'homme ») a été progressivement amplifiée sur le plan symbolique et, par là, reçue psychologiquement, mais elle a également entraîné avec elle des modifications de l'attitude humaine qui sont déjà anticipées dans les premiers textes chrétiens sous forme d'attente de l'Antéchrist. Etant donné en effet que

ces écrits placent l'apparition de l'Antéchrist à la fin des temps, on est autorisé à parler d'une « ère chrétienne » .. qu'elle se terminera par la parousie.

. l'image archétypique de la totalité, qui apparaît si fréquemment dans les productions de l'inconscient, a ses antécédents dans l'histoire. Ceux-ci ont été identifiés de bonne heure à la figure du Christ . rapport entre la figure traditionnelle du Christ et les symboles naturels du Soi . risque.. responsabilité .. je semble réduire le symbole Christ à une image psychique de totalité. . jamais perdre de vue que je ne rédige pas des professions de foi .. je présente des réflexion sur la manière dont certaines réalités peuvent être captées par la conscience moderne, réalités que je juge dignes d'être saisies et qui courent manifestement le danger d'être englouties dans l'abîme de l'incompréhension et de l'oubli, réalités enfin dont l'intelligence instituerait un remède puissant à la désorientation de notre vision du monde, par la lumière qu'elles projettent sur nos arrière-plans et nos bases psychiques.

. innombrables conversations avec .. des êtres qui étaient menacés, dans la confusion et le déracinement de notre société, de perdre tout contact avec le sens de l'évolution de l'esprit en Europe et, par suite, de sombrer dans cet état de suggestibilité qui constitue le fondement et la cause des psychoses de masse de notre époque.

J'écris en médecin sous l'impulsion de le responsabilité médicale et non comme tenant d'une doctrine.

1 LE MOI

. instauration de concepts nouveaux. L'un d'eux est celui du Soi. On entend par là un facteur qui ne prend pas la place de celui qui a toujours été désigné du nom de moi, mais qui embrasse celui-ci en tant que concept supérieur. Il faut entendre par « moi » l'élément complexe auquel se rapportent tous les contenus conscients. Il forme en quelque sorte le centre du champ de la conscience . le moi est le sujet de tous les actes conscients personnels. La relation d'un contenu psychique avec le moi constitue le critère de la conscience, car un contenu ne peut être conscient s'il n'est pas représenté au sujet.

Cette définition décrit et délimite l'extension du sujet. Sans doute, on ne peut théoriquement assigner de limites au champ de  conscience, car il est susceptible d'une extension indéfinie. Empiriquement toutefois, il a toujours pour frontière le domaine de l'inconnu. Ce dernier est formé de tout ce que l'on ne sait pas, et .. de ce qui n'est pas en relation avec le moi comme centre du champ de conscience. L'inconnu se divise en deux groupes d'objets : d'une part, les faits extérieurs susceptibles d'expérience sensible, d'autre part, les objets d'expérience immédiate, intérieurs. Le premier groupe représente l'inconnu de l'univers ambiant, le second, l'inconnu de l'univers intérieur. C'est ce dernier domaine que nous appelons l'inconscient.

Le moi en tant que contenu de la conscience .. est .. un facteur complexe .. Il repose empiriquement sur deux fondements apparemment distincts, l'un somatique, l'autre psychique. La base somatique est déduite de la totalité des perceptions endosomatiques qui, à leur tour, sont déjà de nature psychique et reliées au moi, et, par suite, conscientes. P.15 Elles reposent sur des stimuli endosomatiques qui ne franchissent que partiellement le seuil de la conscience. Une proportion considérable entre elles ont une activité inconsciente. Elles peuvent à l'occasion .. se changer en perceptions. Il ne fait toutefois aucun doute qu'une grande part des stimuli endosomatiques n'a aucune possibilité de devenir consciente et qu'elle est de nature élémentaire, au point qu'il n'y a aucune raison de lui prêter une nature psychique, à moins de professer l'opinion philosophique selon laquelle tous les phénomènes vitaux sont nécessairement psychiques. . L'objection .. est qu'elle (cette hypothèse) élargit outre mesure le concept de psyché et qu'elle interprète ainsi le phénomène vital dans un sens qui n'est pas absolument corroboré par les faits. Des concepts trop larges se révèlent généralement être des instruments inadaptés, parce que trop vagues et trop nébuleux. .. j'ai suggéré de réserver le concept de psychisme à la sphère où l'on peut prouver qu'une volonté peut encore modifier le phénomène réflexe, c'est-à-dire instinctif. ..

Le fondement somatique du moi est formé, comme on l'a montré, de facteurs conscients et inconscients. Il en va de même de la base psychique : le moi repose d'une part sur l'ensemble du champ de la conscience et d'autre part sur l'intégralité des contenus inconscients. Ces derniers sont rangés en trois groupes : en premier lieu, ceux qui sont temporairement subliminaux, c'est-à-dire reproductibles à volonté (mémoire), ensuite, ceux qui ne sont pas reproductibles à volonté, et enfin ceux qui ne sont absolument pas susceptibles de conscience. Le deuxième groupe peut être déduit de l'apparition d'irruption spontannées de contenus subliminaux dans la conscience. Le troisième groupe est hypothétique et constitue une déduction logique des faits qui sont à la base du deuxième. Il se compose en effet des contenus qui n'ont pas encore fait irruption dans la conscience ou qui ne le feront jamais.

. le moi repose sur l'ensemble du champ de la conscience, je n'entends pas qu'il en serait formé. Si c'était le cas, on ne pourrait absolument pas le distinguer du champ de la conscience. Le moi est seulement le point de référence de ce dernier et a pour base et pour limite le facteur somatique.

En dépit du caractère relativement inconnu et inconscient de ses fondements, le moi est un facteur de conscience privilégié. Il est une acquisition de l'existence individuelle. Il résulte, semble-t-il, du choc du facteur somatique et de l'environnement et, une fois établi comme sujet, il se développe à partir d'autres chocs avec l'environnement aussi bien qu'avec le monde intérieur .

Malgré l'ampleur sans limites de ses fondements, le moi n'est jamais plus et jamais moins que le conscient dans son ensemble. En tant que facteur de conscience, le moi pourrait, au moins théoriquement, être décrit de façon complète. Toutefois, cela ne fournirait jamais qu'une image de la personnalité consciente, dépourvue de tous les traits inconnus, et donc inconscients, que comprend le sujet. Le tableau d'ensemble de la personnalité doit pourtant inclure ceux-ci. Une description totale de la personnalité est, en fait, absolument impossible, même théoriquement, car elle ne peut pas saisir la partie inconsciente. Ainsi que l'expérience le montre suffisamment, celle-ci n'est nullement insignifiante : au contraire, des qualités tout à fait capitales sont souvent inconscientes et ne peuvent souvent être observées que par l'entourage ; plus d'une fois même, elles doivent être laborieusement mises au jour grâce à une aide extérieure.

Le phénomène d'ensemble de la personnalité ne coïncide manifestement pas avec le moi, c'est-à-dire avec la personnalité consciente, mais il constitue une grandeur qui doit être distinguée du moi. Une telle nécessité ne se fait naturellement sentir qu'à une psychologie qui se confronte avec le fait de l'inconscient.. Même dans le domaine juridique, il est important de savoir si certains faits psychiques sont ou ne sont pas conscients, en vue, par exemple, de l'établissement de la responsabilité.

C'est pourquoi j'ai suggéré de désigner du nom de Soi la personnalité globale existante bien que non entièrement saisissable. Le moi est par définition subordonné au Soi et se trouve à son P.17 égard dans la relation de la partie au tout. A l'intérieur du champ de conscience il possède, comme on dit, le libre arbitre. . j'entends par là le fait psychologique bien connu de ce qu'on nomme «libre décision », c'est-à-dire le sentiment subjectif de la liberté. Mais, tout comme notre libre arbitre se heurte aux nécessités de l'environnement, il trouve ses limites au-delà du champ de conscience dans le monde intérieur subjectif, c'est-à-dire là où il entre en conflit avec les faits du Soi. De même que les circonstances extérieures nous heurtent et nous limitent, le Soi se comporte à l'égard du moi comme une donnée objective à laquelle la liberté de notre vouloir ne peut pas changer grand-chose. C'est même un fait bien connu que non seulement le moi ne peut rien contre le Soi, mais que même il est parfois assimilé par des composantes de la personnalité inconscientes comprises dans le processus d'évolution et qu'il est modifié par elles à un degré élevé. 

. tenir compte de l'individualité qui s'attache au moi en tant que propriété essentielle. Bien que les nombreux éléments composant ce facteur complexe soient en eux-mêmes partout identiques, ils varient cependant à l'infini en ce qui concerne leur clarté, leur tonalité émotionnelle et leur extension. Le résultat de leur réunion, qui est le moi, est par suite, autant une unicité individuelle qui demeure identique à elle-même dans une mesure déterminée. Cette stabilité est relative étant donné que, dans certains cas, des transformations profondes de la personnalité peuvent intervenir. De telles modifications ne sont nullement toujours pathologiques, mais elles peuvent faire partie de l'évolution et entrent par suite dans le champ de la normalité.

En tant que point de référence du champ de conscience, le moi est le sujet de toutes les réalisations d'adaptation dans la mesure où celles-ci sont accomplies par la volonté. Le moi joue par suite un rôle rempli de signification dans l'économie psychique. Sa position est en cela si importante que le préjugé suivant lequel le moi serait le centre de la personnalité ou que le champ de conscience serait la psyché elle-même n'est pas dépourvu de bonnes raisons. . c'est seulement la psychologie récente, depuis la fin du XIXè siècle qui a découvert, à l'aide de sa méthode inductive, les fondements de la conscience, et démontré empiriquement l'existence d'une psyché extra-consciente. Par cette découverte elle a relativisé la position du moi qui était jusque-là absolue : tout en conservant sa propriété de centre de la personnalité, il est devenu problématique. Il forme une partie de la personnalité, mais il n'en est pas la totalité. Il est, comme je l'ai dit, tout à fait impossible de déterminer l'importance de son rôle, en d'autres termes, de décider dans quelle mesure il est libre ou dépendant de la psyché extra-consciente. Nous pouvons seulement dire que sa liberté est limitée et que sa dépendance est souvent démontrée d'une manière décisive. Selon mon expérience, il est bon de ne pas sous-estimer sa dépendance par rapport à l'inconscient. Un tel langage ne doit naturellement pas être tenu à ceux qui exagèrent déjà l'importance de l'inconscient. On trouvera un critère de la juste mesure dans les conséquences psychiques d'une appréciation incorrecte .

Partant du point de vue de la psychologie du conscient, nous avons divisé l'inconscient en trois parties. Si nous adoptons, par contre, le point de vue de la psychologie de la personnalité, nous obtiendrons une division bipartite : à savoir une psyché extra- consciente dont les contenus sont caractérisés comme personnels, et une psyché extra-consciente aux contenus impersonnels, c'est-à-dire collectifs. Le premier groupe comprend des contenus qui constituent des parties intégrantes de la personnalité et pourraient donc aussi bien être conscients ; le second est en quelque sorte une condition ou base de la psyché, partout présente et largement identique à elle-même. . la similitude générale des phénomènes psychiques chez tous les individus a pour base une régularité également générale et donc impersonnelle, tout comme l'instinct qui se manifeste dans l'individu n'est qu'une apparition partielle d'un fondement instinctuel général. P.19

II L'OMBRE

Les contenus de l'inconscient personnel sont des acquisitions de la vie individuelle, tandis que ceux de l'inconscient collectif sont des archétypes qui ont une existence permanente et a priori. . relation de ces derniers avec les instincts. Les archétypes caractérisés avec la plus grande précision sur le plan empirique sont ceux qui influencent, voire perturbent le moi le plus souvent et le plus intensément, à savoir l'ombre, l'anima et l'animus. L'ombre est la figure la plus facilement accessible à l'expérience, car sa nature se laisse déduire dans une large mesure des contenus de l'inconscient personnel. Seuls font exception à cette règle les cas assez rares où les qualités positives de la personnalité sont refoulées et où, en conséquence, le moi joue un rôle essentiellement négatif, c'est-à-dire néfaste.

L'ombre est un problème moral qui défie l'ensemble de la personnalité du moi, car nul ne peut réaliser 1'ombre sans un déploiement considérable de fermeté morale. Cette réalisation consiste à reconnaître l'existence réelle des aspects obscurs de la personnalité. Cet acte est le fondement indispensable de tout mode de connaissance de soi et, par suite, se heurte, en règle générale, à une résistance considérable. Si la connaissance de soi constitue une mesure psychothérapique, elle signifie souvent un travail pénible qui peut s'étendre sur de longues années.

Un examen plus précis des aspects obscurs ou inférieurs formant 1'ombre révèle que ceux-ci ont une nature émotionnelle, et donc une certaine autonomie, et qu'ils revêtent, en conséquence, une forme d'obsession ou, mieux, de possession. En effet, l'émotion n'est pas une activité, mais un événement qui assaille l'individu. Les affects naissent généralement en des points de moindre adaptation et révèlent simultanément la raison de cette faiblesse, à savoir une certaine infériorité et l'existence d'un niveau plus bas de la personnalité. Sur ce plan  profond où les émotions ne sont qu'à peine ou même nullement contrôlées, on se comporte plus ou moins à la manière d'un primitif qui est non seulement la victime passive de ses affects, mais qui manifeste en outre une remarquable inaptitude au jugement moral.

Tandis que 1'ombre se laisse ranger jusqu'à un certain point, moyennant du discernement et de la bonne volonté, dans la personnalité consciente, il existe toutefois, comme le montre certains traits qui opposent une résistance acharnée au contrôle moral et s'avèrent pratiquement ininftuençables. Ces résistances sont généralement liées à des projections qui ne sont pas reconnues en tant que telles et dont l'identification représente une tâche morale dépassant la mesure habituelle. Tandis que les traits spécifiques de 1'ombre peuvent être admis sans trop de peine comme étant des propriétés de la personnalité, le discernement aussi bien que la volonté font ici défaut, car la cause de l'émotion semble indubitablement située chez le partenaire. L'observateur objectif peut fort bien discerner de façon tout aussi évidente qu'il s'agit là de projections. Toutefois il y a peu d'espoir que celles-ci soient perçues comme telles par le sujet. Il faut bien se convaincre que l'on pourrait à l'occasion avoir tort de vouloir détacher de l'objet les projections de tonalité émotionnelle.

Supposons un individu chez lequel il n'y a aucune tendance à discerner les projections. Le facteur qui élabore la projection a alors le champ libre et peut réaliser son objectif, si tant est qu'il en ait un : provoquer l'état caractéristique résultant de son activité. Comme on le sait, ce n'est pas le sujet conscient qui projette, mais l'inconscient. On découvre donc la projection, mais on ne la crée pas. Le résultat des projections est un isolement du sujet face à l'environnement, puisque la relation avec celui-ci n'est pas authentique, mais seulement illusoire. Les projections transforment le monde environnant dans le visage propre de leur auteur, visage qui toutefois demeure inconnu de lui. Elles mènent donc en dernier lieu à un état autoérotique ou autistique dans lequel on rêve un monde dont toutefois la réalité reste inaccessible. P.21

Le « sentiment d'incomplétude » qui en résulte et celui, encore plus fâcheux, de stérilité sont en revanche interprétés, par projection, comme une malveillance de l'entourage, et ce cercle vicieux renforce l'isolement. Plus les projections interposées entre le sujet et son environnement sont nombreuses, plus il devient difficile au moi de percer à jour ses illusions. . « Jamais je ne pourrai m'avouer que j'ai gaspillé les vingt-cinq meilleures années de ma vie. »

Il est souvent tragique de voir à quel point d'évidence un homme gâche sa propre vie et celle des autres sans pouvoir, pour rien au monde, discerner dans quelle mesure toute la tragédie vient de lui-même et se trouve sans cesse alimentée et entretenue par lui-même. Sans doute sa conscience n'y est-elle pour rien, car elle se lamente et maudit un monde perfide qui se retire à une distance de plus en plus lointaine. C'est bien davantage un facteur inconscient qui tisse en lui les illusions voilant le monde et le voilant à lui-même. Et l'ouvrage tend vers la forme d'un cocon dans lequel le sujet est finalement enfermé.

On serait tenté d'admettre que ces projections qui ne se laissent délier qu'avec grande difficulté ou pas du tout appartiennent également au domaine de 1'ombre, c'est-à-dire au côté négatif de la personnalité individuelle. Mais cette hypothèse est, d'un certain point de vue, insoutenable, puisque les symboles qui surgissent alors renvoient non pas au même sexe, mais au sexe opposé, à la femme chez l'homme, et vice versa. Ce n'est donc plus 1'ombre du même sexe qui est la source des projections, mais le sexe opposé. On rencontre ici l'animus de la femme et l'anima de l'homme, deux archétypes se répondant l'un à l'autre, dont l'autonomie et la nature inconsciente expliquent l'opiniâtreté de leurs projections.

L'ombre n'en est certes pas moins un thème connu de la mythologie, mais, dans la mesure où elle représente d'abord et en premier lieu l'inconscient personnel, et où ses couleurs sont, par suite, facilement capables de conscience, c'est précisément par son aptitude à se laisser plus aisément discerner et réaliser qu'elle se différencie de l'animus et de l'anima, lesquels sont nettement plus éloignés de la conscience et ne sont donc, dans les circonstances habituelles, que rarement, sinon jamais perçus. L'ombre peut être pénétrée sans difficulté par une certaine autocritique en tant qu'elle est de nature personnelle. Mais là où elle est en question comme archétype, on rencontre les mêmes difficultés qu'avec l'animus et l'anima ; en d'autres termes, il appartient au domaine du possible de reconnaître le mal relatif de notre nature, tandis qu'avoir un regard direct sur le mal absolu représente une expérience aussi rare que bouleversante. P.23

III LA SYZYGIE : ANIMA ET ANIMUS

Quel est donc ce facteur de projection ? L'Orient le nomme « la fileuse » (.. « l'âme animale ». Un proverbe dit : « La fileuse met en mouvement »  J'ai défini l'anima comme une personnification de l'inconscient.) ou Maya, la danseuse génératrice d'illusion. .. ce qui enveloppe, ce qui enlace et engloutit fait sans aucun doute référence à la mère  (Ici et dans ce qui suit, « mère » est entendu, non au sens propre, mais comme symbole de tout ce qui agit en tant que « mère ».), c'est-à-dire à la relation du fils avec la mère réelle, avec l'imago de celle-ci en lui et avec la femme qui deviendra sa mère. Son éros est passif comme celui d'un enfant : il espère être capté, absorbé, enveloppé et englouti. Il cherche en quelque sorte le cercle magique de la mère, protecteur et nourricier, l'état de nourrisson allégé de tout souci, dans lequel le monde qui l'entoure vient à lui et va jusqu'à lui imposer son bonheur. Rien d'étonnant, par suite, si le monde réel s'évanouit loin de lui.

Si l'on dramatise cet état, comme le fait généralement l'inconscient, on voit sur la scène psychologique un homme vivant à rebours, cherchant son enfance et sa mère et fuyant le monde méchant et froid qui ne veut absolument pas le comprendre. Il n'est pas rare de voir auprès du jeune fils une mère qui ne semble pas se soucier le moins du monde de laisser son fils devenir un homme et qui n'a de cesse, tout en se sacrifiant, de ne rien négliger de tout ce qui pourrait l'empêcher de devenir adulte et de se marier. Ainsi se manifestent le complot secret entre la mère et le fils et la façon dont l'un et l'autre s'induisent à tricher avec la vie. .

Il faut prendre au sérieux la nostalgie inassouvie du fils envers la vie et le monde. Il aimerait toucher la réalité, embrasser la terre et féconder le champ du monde. Mais il n'a que des élans impatients, car le souvenir secret du fait que le monde et le bonheur peuvent également être reçus en présent - à savoir, de la mère - paralyse aussi bien son dynamisme que sa persévérance. La part de monde qui ne manque pas de venir à sa rencontre de temps à autre, comme pour tout homme, n'est jamais tout à fait la bonne, car elle ne se donne pas, elle n'est pas complaisante, elle se montre revêche, veut être conquise et ne se soumet qu'à la force. Elle exige la virilité de l'homme, son ardeur, et avant tout son courage, sa détermination qui peut pousser l'être à se jeter tout entier. Pour cela, il aurait besoin d'un éros infidèle, capable d'oublier la mère et de se blesser lui-même en abandon- nant la première bien-aimée de son existence. En prévision de ce risque grave, sa mère lui a soigneusement enseigné les vertus de fidélité, de dévouement et de loyauté, afin de le préserver de la menaçante percée morale liée à l'aventure de la vie. . C'est que dans cette relation se réalise l'archétype aussi antique que sacré des noces de la mère et du fils. Qu'a donc finalement à offrir la réalité banale avec ses bureaux d'état civil, ses salaires mensuels, ses loyers, etc., qui puisse faire contrepoids aux frissons mystiques de la hiérogamie, à la femme constellée que poursuit le dragon et aux pieuses équivoques qui enveloppent de leur trame les noces de l' Agneau ?

A ce degré du mythe qui restitue au mieux l'essence de l'inconscient collectif, la mère est à la fois vieille et jeune, Déméter et Perséphone, et le fils est à la fois l'époux et le nourrisson endormi ; état de plénitude indescriptible, avec lequel naturellement ne peuvent, et de loin, rivaliser les imperfections de la vie réelle, les efforts et les fatigues de l'adaptation, ainsi que la souffrance des multiples déceptions devant la réalité.

Dans le cas du fils, le facteur qui engendre la projection est identique à l'imago maternelle, c'est pourquoi celle-ci est tenue pour la mère réelle. La projection ne peut être dénouée que s'il accepte de voir que, dans sa sphère psychique, il existe une imago de la mère, et non pas seulement de celle-ci, mais aussi de la fille, P.25 de la soeur et de la bien-aimée, de la divinité céleste et de la Baubo chthonienne, image intemporelle, universellement présente, et que toute mère et toute bien-aimée sont les porteuses et les réalisatrices de ce miroitement dangereux qui fait partie de ce qu'il y a de plus profond dans l'essence de l'homme. Elle appartient à homme, elle est la fidélité dont il doit savoir s'écarter pour l'amour de la vie ; elle est la compensation indispensable et nécessaire des risques, des efforts et des sacrifices qui, tous, aboutissent à des déceptions ; elle est la consolation face à toute l'amertume de la vie et, outre cela, elle est encore la grande séductrice entraînant, par les illusions qu'elle suscite, vers cette vie même et non seulement vers ses aspects raisonnables et utiles, mais aussi vers ses paradoxes et ses ambiguïtés redoutables où s'équilibrent le bien et le mal, le succès et l'échec, l'espérance et le désespoir. Etant son plus grand péril, elle exige de l'homme ce qu'il y a en lui de plus grand et, s'il est vraiment homme, elle l'obtient.

Cette image est « Notre-Dame l'Ame » . J'ai proposé le terme d'anima. L'élément empirique compris sous le concept d'anima est un contenu extrêmement dramatique de l'inconscient. Si on peut le décrire en langage rationnel, scientifique, on ne parvient pas, et de loin, à en exprimer la nature vivante. C'est pourquoi je préfère consciemment et délibérément la vision et le mode d'expression mythologiques .. leur objet .. est fait de processus vivants, psychiques .

Le facteur créant la projection est l'anima, c'est-à-dire l'inconscient représenté par l'anima. Là où elle apparaît, elle se présente comme personnifiée dans les rêves, les visions et les phantasmes, et atteste ainsi que le facteur qui est son fondement possède toutes les propriétés éminentes d'un être féminin. Elle n'est pas une invention du conscient, mais une production spontanée de l'inconscient ; elle n'est pas non plus une figure se substituant à la mère, mais tout se passe comme si les propriétés numineuses qui rendent l'imago de la mère si influente et si dangereuse provenaient de l'archétype collectif de l'anima qui, elle, s'incarne de nouveau en tout enfant mâle.

. de même que l'homme est compensé par le féminin, la femme l'est également par le masculin. .

De même que pour le fils le premier porteur du facteur de projection semble être la mère, ce rôle est joué, chez la fille, par le père. .

La femme est compensée par un élément masculin, c'est pourquoi son inconscient a pour ainsi dire des traits masculins. Cela implique, par rapport à l'homme, une différence considérable. J'ai qualifié d'animus cet état de fait concernant le facteur de projection chez la femme. Ce terme signifie intellect ou esprit. De même que l'anima correspond à l'éros maternel, de même l'animus est l'analogue du logos paternel. . J'utilise éros et logos comme de simples outils conceptuels pour décrire le fait que le conscient de la femme est plutôt caractérisé par la nature liante de l'éros que par la nature discriminatrice et cognitive du logos. L'éros, fonction de relation, est en général moins développé chez l'homme que le logos. P.27 Il constitue par contre, chez la femme, une expression de sa véritable nature, tandis que le logos signifie plus d'une fois chez elle un incident regrettable. Il suscite des malentendus et des interprétations fâcheuses au sein des familles et dans les cercles d' amis, car il consiste non pas en réflexions, mais en opinions. J'entends par ce terme des suppositions a priori affichant une prétention presque absolue à être prises pour la vérité. Des choses semblables peuvent, comme chacun sait, susciter l'irritation. L'animus adorant argumenter, c'est au cours de discussions ergoteuses qu'on peut le voir le plus facilement à l'oeuvre. Bien sûr, il arrive aussi que des hommes argumentent sur un mode très féminin, à savoir lorsqu'ils sont possédés par l'anima et, du coup, transformés en animus de leur anima. Il s'agit alors principalement chez eux de vanité personnelle et de susceptibilité ; mais chez les femmes, ce qui est en causec c'est la puissance de la vérité ou de la justice, ou de toute autre « -ité » et « -ice ». Le  « père » (= la somme des opinions transmises) joue un rôle important dans l'argumentation féminine. Si bienveillant et empressé que puisse être l'éros de la femme, une fois chevauchée par son animus elle ne se laissera ébranler par aucune logique au monde. Dans de nombreux cas l'homme a le sentiment (et il n'a pas tout à fait tort) que seuls la séduction, une raclée ou le viol auraient la force de conviction (Jung décompose le mot Überzeugung (conviction) en Über-« Zeugung ».  Le terme entre guillemets signifiant  « procréation », l'ensemble prend le sens de « procréation supérieure ». Il donne ainsi à entendre que la femme possédée par l'animus appellerait au fond d'elle-même pour retrouver son équilibre, une manifestation élémentaire de la virilité) nécessaire. Il ne voit pas que la situation hautement dramatique trouverait une fin à la fois banale et insipide s'il évacuait le champ de bataille et abandonnait la suite à une femme ou à sa femme. Mais il n'en vient que rarement, ou jamais, à cette idée, car aucun homme ne peut s'entretenir, fût-ce un court instant, avec un animus, sans devenir aussitôt la proie de son anima. Celui qui conserverait alors l'humour suffisant pour écouter objectivement la conversation serait stupéfait. Ce fait remarquable en apparence repose sur l'élément suivant : quand Animus et Anima se rencontrent, l'animus brandit l'épée de puissance, et l'anima crache le poison de sa duperie et de sa séduction. Mais l'issue n'en est pas forcément négative, car il y a également une grande vraisemblance pour que les deux s'éprennent l'un de l'autre (c'est un cas particulier du coup de foudre !). . le langage de l'amour. ramène les deux partenaires dans une situation collective, banale. Mais ils vivent dans l'illusion d'être reliés l'un à l'autre de la façon la plus individuelle.

D'un point de vue positif aussi bien que négatif, la relation anima-animus est toujours empreinte d'« animosité », c'est-à-dire émotionnelle et donc collective. Des affects abaissent le niveau de la relation et la rapprochent du fondement instinctif universel.

Tandis que chez l'homme le nuage d'« animosité » est essentiellement de l'ordre du sentiment et du ressentiment, il s'exprime chez la femme par des avis, des interprétations, des opinions, des insinuations et des constructions fausses qui ont tous comme objectif ou comme résultat de couper la relation entre deux êtres. La femme est, comme l'homme, enveloppée dans le réseau tissé par son démon familier et, tout comme la fille qui est seule à comprendre son père (c'est-à-dire qui a éternellement raison), elle est transportée au pays des brebis où elle se laisse paître par le berger de son âme, l'animus.

Tout comme l'anima, l'animus a lui aussi un aspect positif. Ce n'est pas seulement l'opinion rapportée qui s'exprime dans la figure du père, mais c'est tout autant ce que l'on appelle  « esprit », et en particulier les idées générales en matière de religion et de philosophie, et donc, l'attitude qui résulte de telles convictions. L'animus est donc également un psychopompe, un médiateur entre le conscient et l'inconscient, et une personnification de l'inconscient. De même que l'anima devient un éros du conscient par l'intégration, de même l'animus devient un logos, et tout comme la première confère ainsi au conscient masculin le lien et la relation, le second donne au conscient de la femme la réflexion, le raisonnement et la connaissance.  P.29

L'action de l'anima et de l'animus sur le moi est en principe la même. Il est difficile de l'éliminer car, en premier lieu, elle est extrêmement forte et remplit aussitôt la personnalité du moi d'un sentiment inébranlable de légitimité et de bon droit, et en second lieu sa cause est projetée, c'est-à-dire qu'elle apparaît dans une large mesure fondée sur des objets et des situations objectifs.  J'attribuerais volontiers les deux caractéristiques de cette action aux propriétés de l'archétype. Celui-ci existe à proiri. .. explique la présence .. souvent totalement irrationnelle, de certaines humeurs ou opinions. L'inflexibilité .. repose(r) sur le fait qu'un puissant effet suggestif émane de l'archétype. I1 fascine le conscient et le rend prisonnier par hypnose. Il n'est pas rare que le moi éprouve alors un léger sentiment de défaite morale et se comporte de façon d'autant plus défensive, obstinée et ergoteuse, ce qui crée un cercle vicieux et accroît son sentiment d'infériorité. Le sol se dérobe alors sous la relation humaine, car la mégalomanie aussi bien que le sentiment d'infériorité rendent impossible cette reconnaissance réciproque sans laquelle il n'existe pas d'échange. .

.. et l'on préfère se calomnier mutuellement (si ce n'est pire !) plutôt que de reconnaître la projection. Il semble très naturel que les hommes aient des humeurs irrationnelles et les femmes des opinions du même ordre. Cette situation repose sur un fondement instinctif et doit donc être telle qu'elle est .. de cette manière le jeu empédocléen du neïkos (la haine) et de la philia (l'amour) des éléments est assuré de toute éternité.

La nature est conservatrice et ne laisse pas facilement ses cercles se déformer. Animus et Anima appartiennent à une réserve naturelle qui défend son inviolabilité . C'est pourquoi il est tellement plus difficile de devenir conscient de ses projections d'animus et d'anima que de reconnaîtreses part d'ombre. .. il faut .. surmonter une certaine résistance morale telle que vanité, ambition, illusion, ressentiment etc., .. viennent s'ajouter encore des difficultés purement rationnelles .

Finalement, on a de sérieuses raisons de se demander si l'on n'empiète pas inconsidérément sur le domaine de la nature en rendant conscientes des choses qu'à la réflexion on aurait mieux fait de laisser en sommeil.

.

Si nous érigeons en quasi-exigence la tâche de dénouer les projections, parce que cela est plus sain et avantageux à tout point de vue, nous foulons une terre nouvelle. Chacun était jusqu'alors convaincu que la représentation « mon père », « ma mère », etc. n'était rien d'autre que l'image du père réel la plus fidèlement conforme à son modèle etc., si bien que, lorsque quelqu'un dit : « Mon père », il n'aurait à l'esprit absolument rien d' autre que ce que son père est en soi et pour soi dans la réalité. C'est effectivement ce qu'il veut dire, mais il s'en faut de beaucoup qu'une opinion entraîne une identité. . ( « Peux-tu reconnaître ton père ? Oui. Peux-tu reconnaître cet être voilé ? Non. Cet être voilé est ton père. Tu peux donc à la fois reconnaître et ne pas reconnaître ton père. » .. Diogène Laerce ..) . P.31

. la représentation d'une personne se compose en premier lieu de l'image que X reçoit de la personne réelle et, en second lieu, de l'autre image née du remaniement subjectif de la première, elle-même peut-être déjà très imparfaite. La représentation que X a de son père est une grandeur complexe dont le père réel n'est que partiellement responsable ; une partie d'une dimension indéterminée en incombe au fils, et cela dans la mesure où, chaque fois qu'il critique son père ou fait son é1oge, il se trouve inconsciemment face à lui-même et provoque ainsi des conséquences psychiques, comme celles qui se produisent chez ceux qui ont coutume de se rabaisser ou de se vanter eux-mêmes. Mais si X compare attentivement ses réactions à la réalité, il a alors une chance de remarquer que son attitude a quelque chose d'incorrect, à supposer qu'il n'ait pas vu depuis longtemps déjà, d'après le comportement de son père, qu'il se faisait une fausse idée de ce dernier. Les choses se passent généralement en sorte que X est persuadé d'avoir raison et, si quelqu'un a tort, ce ne peut être que l'autre. Si l' éros de X est faiblement développé, le caractère insatisfaisant de la relation lui est indifférent, ou bien il s'irrite contre l'inconséquence et les autres traits incompréhensibles du père qui ne se comporte jamais exactement selon l'image que X a de lui. C'est pourquoi X a toutes les raisons de se sentir blessé, incompris ou même trompé.

.  souhaitable dans un tel cas de dénouer des projections. .. il existe toujours des optimistes pour croir que l'on pourrait conduire le monde à un âge d'or, en se contentant de dire aux gens quel est le chemin. . il faut bien autre chose que le simple « dire » pour que quelqu'un perçoive la  défectuosité de son attitude .. il s'agit de plus que ce que le bon sens commun peut admettre.

. Mais tous les contenus de l'anima et de l'animus ne sont pas, et de loin, projetés. Beaucoup d'entre eux surgissent spontanément, dans les rêves .. et un plus grand nombre peuvent être rendus conscient par l' « imagination active». Il se révèle alors que des pensées, des sentiments et des affects que l'on n'aurait jamais crus possibles sont vivants en nous. .. Possibilité .. semble chimérique, car un individu normal « sait ce qu'il pense » .. naïveté de « l'individu normal » constitue bel et bien la règle. . De telles réflexions mènent à un nouveau monde d'expériences psychiques si l'on réussit également à les rendre réelles dans la pratique. Mais celui qui y parvient ne manquera pas d'être impressionné au plus profond de lui-même par tout ce que le moi ignore et a  ignoré. De nos jours, cet accroissement de connaissance est encore de la plus grande rareté. En règle générale, il doit même être payé d'avance par une névrose, si ce n'est par quelque chose de plus grave encore.

L'autonomie de l'inconscient collectif s'exprime dans les figures de l'animus et de l'anima. Ils en personnifient les contenus qui peuvent être intégrés à la conscience s'ils sont retirés de la projection. C'est dans cette mesure que les deux figures représentent des fonctions qui transmettent au conscient des contenus de l'inconscient collectif. Elles n'apparaissent ou ne se comportent comme telles qu'aussi longtemps que les tendances du conscient et de l'inconscient ne divergent pas trop. Mais s'il naît une tension, la fonction jusqu'alors inoffensive apparaît face au conscient sous une forme personnifiée et se comporte approximativement comme une dissociation systématique de la personnalité, soit une âme fragmentaire. Cette comparaison est toutefois considérablement boiteuse dans la mesure où rien de ce qui avait appartenu au moi ne s'en est détaché. . L'origine et la possibilité d'un tel comportement résident dans le fait que si les contenus de l'animus et de l'anima peuvent être intégrés, eux-mêmes ne peuvent pas l'être, car ce sont des archétypes et donc les pierres de fondement de la totalité psychique qui dépasse les limites du conscient et par suite ne peut jamais être l'objet de connaissance immédiate. Certes, les effets de l'animus et de l'anima peuvent être rendus conscients ; mais ils sont eux-mêmes des facteurs transcendants par rapport à la conscience, soustraits à l'opinion et à l'arbitraire.P.33 Ils restent donc autonomes, malgré l'intégration de leurs contenus, et, pour cette raison, on ne doit jamais les perdre de vue. Il y a là un point d'une extrême importance sur le plan thérapeutique, car c'est grâce à grâce à l'observation constante que l'inconscient reçoit le tribut qui garantit plus ou moins sa coopération. L'inconscient, on le sait, ne se laisse pas « liquider » une fois pour toutes. C'est même l'une des taches les plus considérables de l'hygiène psychique que d'accorder une certaine attention incessante aux symptômes des contenus et des processus inconscients, et cela parce que le conscient est toujours en danger de devenir unilatéral, de suivre des sentiers battus et de s'engouffrer dans des impasses. Mais la fonction complémentaire et compensatrice de l'inconscient veille à un certain degré à ce que puissent être évités ces dangers, particulièrement grands dans la névrose. Toutefois la compensation n'opère avec plein succès que dans des circonstances idéales, c'est-à-dire lorsque la vie est encore suffisamment simple et inconsciente pour pouvoir suivre sans hésitation ni scrupule le chemin tortueux de l'instinct. Mais, plus l'homme est civilisé, c'est-à-dire plus il est conscient et compliqué, moins il peut suivre son instinct. La complexité de ses conditions de vie et l'influence de son entourage sont si fortes qu'elles couvrent l'humble voix de la nature. Alors les opinions et les convictions, les théories et les tendances collectives prennent la place de cette dernière et soutiennent toutes les déviations du conscient. Dans de tels cas, il faut accorder délibérément de l'attention à l'inconscient afin que la compensation puisse opérer. .. importance que que l'on se présente les archétypes de l'inconscient non comme des fantasmes passagers et fugaces, mais comme des facteurs autonomes, constants .

Ainsi que le montre l'expérience pratique, ces deux archétypes sont dotés, à l'occasion, d'une fatalité opérant dans une mesure tragique. Ils sont par excellence le père et la mère de toutes les intrigues irrémédiables du destin, et, de longue date, universellement connus comme tels. C'est un couple divin (Cette expression n'entend pas fournir une définition psychologique. Et encore moins métaphysique. J'ai montré dans Dialectique du moi et de l'inconscient que la syzygie se compose de trois éléments, à savoir d'une part de la somme de féminité qui est propre à l'homme et de masculinité propre à la femme, ensuite de l'expérience que l'homme fait de la femme et vice versa, et enfin de l'image féminine et masculine archétypique. Le premier élément peut être intégré par le processus de réalisation de la conscience ; par contre le dernier ne le peut pas.), dont l'un des partenaires est caractérisé, grâce à sa nature de « logos » par le pneuma et le noûs, un peu à la manière de l' Hermès aux multiples chatoiements, et l'autre porte, grâce à sa nature d'« éros », les traits d'Aphrodite, d'Hélène (Séléné), de Perséphone et d'Hécate. Ce sont des puissances inconscientes, voire des dieux. leur pouvoir croît proportionnellement à leur degré d'inconscience. Celui qui ne les voit pas est entre leurs mains.  Dans le christianisme, la syzygie des dieux n'a pas disparu, ( « Dieu créa l'homme masculin et féminin. Le masculin est le Christ,le féminin l'Eglise ». Marie figure souvent à la place de l'Eglise dans l'iconographie. )

. l'intégration de 1'ombre , c'est-à-dire le fait de rendre conscient l'inconscient personnel, représente la première étape du processus analytique, sans laquelle une connaissance de l'anima et de l'animus est impossible. L'ombre ne peut être réalisée que dans la relation avec un vis-à-vis, et l'animus et l'anima par la relation avec le sexe opposé, car c'est seulement là que leurs projections sont opérantes. De cette dernière connaissance naît chez l'homme une triade qui est transcendante.. : le sujet masculin , le sujet féminin qui lui fait face, et l'anima transcendante. Chez la femme le processus est analogue, mais sur un mode inversé. Le quatrième qui manque à la triade pour réaliser une totalité est chez l'homme, l'archétype du vieux sage . chez la femme, c'est la mère chthonienne. Ceux-ci constituent une quaternité mi-immanente et mi-transcendante, à savoir cet archétype que j' ai qualifié de quaternion (ou mariage quaternaire). Ce dernier constitue un schéma du Soi aussi bien que des structures sociales primitives, c'est-à-dire celui du cross-cousin-marriage et des castes de mariage, ainsi que de la répartition par « quartiers » des cités primitives. Le Soi est d'autre part une image de Dieu dont elle ne se laisse pas différencier. L'esprit préchrétien le savait déjà, sinon un Clément d''Alexandrie n'aurait pas pu dire que celui qui se connaît lui-même connaît Dieu.

IV  LE SOI

. la question de savoir si le progrès de connaissance opéré grâce au retrait des projections impersonnelles, autrement dit, des contenus de l'inconscient collectif, exerce une influence spécifique sur la personnalité individuelle.  On pourrait en fait s'attendre à un effet considérable en tant que les contenus intégrés représentent des parties du Soi. Leur assimilation accroît non seulement la superficie du champ de conscience, mais aussi l'importance du moi, en particulier lorsque celui-ci, .. faisait face à l'inconscient dans une attitude dépourvue de critique. Dans ce cas, le moi est facilement submergé et s'identifie aux contenus assimilés. C'est ainsi .. qu'une conscience masculine passe sous l'influence de l'anima et devient même possédée par elle.

.. plus les contenus de l'inconscient assimilés au moi sont nombreux et remplis de sens, plus le moi s'approche du Soi, bien que cette approximation ne puisse jamais être achevée. Il en résulte inévitablement une inflation du moi (1 Cor., V,2 : .. vous vous êtes enflés et n'avez plus eu de chagrin ..) lorsqu'une ligne de démarcation critique n'est pas tracée entre le moi et les figures inconscientes. Cette discrimination ne peut toutefois avoir de résultat pratique que si la critique réussit d'une part à doter le moi de limites raisonnables selon les normes humaines générales, et d'autre part à conférer une autonomie et une réalité relatives de nature psychique aux figures de l'inconscient, à savoir le Soi, l'anima et l'animus. Abolir celles-ci en les psychologisant est une opération infructueuse : elle ne fait que renforcer l'inflation du moi. On ne se débarrasse pas des faits en les déclarant irréels. Le facteur créant la projection possède une réalité indéniable. Celui qui le nie devient identique à lui, ce qui n'est pas seulement sujet à caution en soi, mais également dangereux pour la santé de l'individu. .. une inflalion peut mettre la vie en danger. Un escalier ou un parquet glissant est suffisant pour entraîner une chute mortelle.

Auprès du thème du casus ab alto (chute d'un endroit élevé) il existe d'autres facteurs tout aussi désagréables , d'ordre psychosomatique et psychique, conduisant à la réduction de « l'enflure ». On ne doit pas entendre sous ce terme un état de présomption consciente. L'individu n'en est généralement pas directement conscient et il ne peut, dans le meilleur des cas, en déduire l'existence que de symptômes indirects. Parmis ceux-ci figure l'opinion qu'a de nous notre entourage immédiat. L'inflation augmente en effet la tache aveugle dans l'oeil, et plus nous sommes assimilés par le facteur qui crée la projection, plus notre penchant à nous identifier à lui s'accroît. Un clair symptôme en est l'apparition de la répugnance à remarquer les réactions de l'entourage et à en tenir compte.

L'assimilation du moi par le Soi doit être tenue pour une catastrophe psychique. L'image de la totalité demeure alors dans l'inconscient. D'une part elle participe de la nature archaïque de l'inconscient, d'autre part, en tant qu'elle se trouve dans l'inconscient, elle se situe dans le continuum espace-temps psychiquement relatif qui caractérise ce dernier. Ces deux propriétés sont numineuses et exercent par suite une détermination sans limites sur la conscience du moi qui est distincte de l'inconscient et se trouve en outre dans un espace absolu et un temps absolu. Qu'il en soit ainsi constitue une nécessité vitale. Si donc le moi passe pour un certain temps sous le contrôle d'un facteur inconscient quelconque, son adaptation est troublée et la porte est ainsi ouverte à toutes sortes d'accidents.

L'ancrage du moi dans le monde conscient et le renforcement de la conscience par une adaptation aussi rigoureuse que possible sont de la plus grande importance. A cette fin des vertus comme l'attention, la délicatesse de conscience, la patience, etc. possèdent une grande valeur sur le plan moral ainsi que, sur le plan intellectuel, une observation exacte des symptômes de l'inconsciem et une autocritique objective.

Toutefois il arrive facilement que l'accent mis sur la personnalité individuelle et le monde conscient prenne de telles proportions que les figures de l'inconscient sont psychologisées et qu'ainsi le Soi est assimilé au moi. Bien que ce processus soit exactement l'inverse de celui qui vient d'être décrit, il produit un effet identique, à savoir l'inflation. Le monde conscient doit alors être abaissé au profit de la réalité de l'inconscient. Dans le premier cas, la réalité devait être défendue contre un état de rêve archaïque, « éternel » et « ubiquitaire » ; dans le second par contre, une sphère vitale doit être ménagée au rêve aux dépens du monde de la conscience. Dans le premier cas, la pratique de toutes les vertus possibles est recommandée ; dans le second, la prétention du moi ne peut être endiguée que par une défaite morale. Un tel passage est indispensable, car il est impossible de parvenir autrement à l'établissement d'un degré médian de modestie nécessaire pour le maintien d'un état d'équilibre. Il ne s'agit pas, contrairement à ce qu'on pourrait croire, d'un relâchement de la moralité en elle-même, mais d'une activité morale dans une autre direction. Ainsi celui qui n'est pas suffisamment consciencieux doit accomplir un effort moral pour satisfaire aux exigences de la situation.  Mais pour celui qui, grâce à ses efforts, est suffisamment enraciné dans le monde, ce n'est pas un mince résultat moral que d'infliger une défaite à ses vertus au point d'affaiblir à un certain point de vue sa relatiou au monde et de réduire ce qu'il avait obtenu dans le domaine de l'adaptation. .

Les vrais problèmes naissent en effet des collisions de devoirs. Quiconque est suffisamment humble ou accommodant peut former sa décision avec l'aide d'une autorité extérieure. Mais celui qui se fie aussi peu aux autres qu'à lui-même ne parviendrait jamais à une décision, si cette P.39 dernière ne se réalisait pas de la manière que la Common Law apelle act of God. L'Oxford Dictionary définit ce dernier concept « operation of uncontrollable natural forces » (Effet des forces naturelles incontrolables). Il y a dans tous ces cas une autorité inconsciente qui met fin au doute en créant un fait accompli  . On peut désigner cette instance comme la « volonté le Dieu » ou « l'opération de forces naturelles », bien que la manière dont elle est comprise ne soit pas psychologiquement indifférente. L'interprétation rationaliste de l'autorité intérieure comme « forces naturelles » est satisfaisante pour l'intellect moderne, mais elle offre l'inconvénient notable que la décision de l'instinct, victorieuse en apparence, lèse la conscience morale individuelle, si bien qu'on se persuade volontiers que l'affaire a été tranchée uniquement par une décision raisonnable de la volonté. L'homme civilisé nourrit une telle angoisse devant le crimen laesae majestatis humanae  (l'accusation de lèse-majesté humaine) qu'il préfère, chaque fois que c'est possible, une telle interprétation rétrospective des événements pour se dissimuler le sentiment d'avoir subi une défaite morale. Il met son orgueil à croire à sa maîtrise de lui-même et à la toute-puissance de sa volonté et à mépriser celui qui se laisse prendre par la pure nature.

Si, par contre, l'autorité intérieure est conçue comme une « volonté de Dieu » (ce qui implique que les « forces naturelles » sont des forces divines), cette attitude offre pour la conscience de soi l'avantage de faire apparaître la décision comme un acte d'obéissance et son résultat comme une situation divine. On pourra objecter .que non seulement elle est très accommodante, mais qu'elle recouvre le laxisme moral du manteau de la vertu. Ce reproche n'est toutefois jutifié que là où l'on cache sciemment de façon effective un bon plaisir égoïste derrière une hypocrite façade verbale. Cependant ces cas ne constituent nullement la règle, car les tendances instinc- uelles se situent la plupart du temps pour ou contre l'intérêt subjectif, avec ou sans l'accord d'une autorité extérieure. L'autorité intérieure n'a pas besoin d'être consultée d'abord, car elle est présente a priori dans la force des tendances qui luttent pour la décision. Dans ce combat l'être humain n'est pas seulement spectateur, mais il y participe plus ou moins « volontairement », et cherche à placer le poids de son sentiment moral de liberté dans la balance de la décision. La question demeure toutefois incertaine de savoir ce qu'il entre de motivation causale éventuellement inconsciente dans sa décision ressentie comme libre. Celle-ci peut fort bien être à la fois un « act of God » et une catastrophe naturelle. Cette question me paraît être sans réponse, car les racines du sentiment moral de liberté sont inconnues et cependant elles existent aussi sûrement que les instincts ressentis comme contraignants.

L'un dans l'autre, il n'est pas seulement plus avantageux, mais aussi plus « juste » d'expliquer les forces de la nature qui apparaissent en nous comme des « volontés de Dieu ». Nous nous trouvons ainsi en effet en accord avec l' habitus de notre vie psychique ancestrale, c'est-à-dire que nous fonctionnons alors comme l'homme a fonctionné partout et de tout temps. L'existence de l'habitus prouve que celui-ci est doté de vitalité, sinon tous ceux qui lui obéissent auraient péri depuis longtemps par suite de leur inadaptation. Mais si quelqu'un est en harmonie avec lui, il a une chance raisonnable de vie. ..

Les vérités psychologiques ne sont pas des assurances métaphysiques, mais bien plutôt des modes de pensée, de sentiment et d'action qui se révèlent à l'expérience comme appropriés et utiles.

Donc lorsque j'affirme que les impulsions que nous découvrons en nous doivent être entendues comme

«volontés de Dieu », je désire souligner qu'elles ne doivent pas être considérées comme des désirs ou des vouloirs arbitraires, mais comme des données absolues avec lesquelles on doit apprendre à traiter de façon convenable. La volonté ne peut les maîtriser que partiellement. Elle est peut-être capable de les étouffer, mais ce qui est étouffé réapparaît ailleurs et sous une forme modifiée, et, cette fois, chargé d'un ressentiment qui change pour nous en ennemi une pulsion inoffensive de la nature.  . que l'on entende le mot « Dieu », dans le sens où Diotime l'emploie lorsqu'elle déclare : « L'amour, cher  Socrate, est un grand daïmon ». P.41

Les termes grecs de daïmon et de daïmonion désignent une force qui s'approche de l'homme et le détermine de l'extérieur, comme la providence ou le destin. Toutefois la décision morale demeure du domaine de l'homme. Il doit pourtant savoir de quoi il décide et ce qu'il fait. Alors, s'il obéit, il ne suit pas seulement sa propre opinion et, s'il refuse, ce n'est pas seulement sa propre invention qu'il détruit.

Le point de vue purement biologique, scientifique, ne convient pas en psychologie dans la mesure où il est en général uniquement intellectuel. . le phénomène psychique n'est pas saisi en tant que totalité par l'intellect, car il n'est pas seulement formé de sens, mais aussi de valeur, et cette dernière repose sur l'intensité de la tonalité de sentiment concomitante. C'est pourquoi les deux fonctions dites  « rationnelles »  sont le minimum requis pour esquisser un schéma approximatif d'un contenu psychique.

.La valeur de sentiment représente un critère absolument essentiel dont la psychologie ne peut se passer, car c' est elle qui détermine dans une large mesure le rôle que doit jouer le contenu dans l'économie de la psyché. La valeur affective est en effet ce qui mesure l'intensité d'une représentation et l'intensité exprime à son tour la tension énergétique, le potentiel effectif de cette dernière. Ainsi l'ombre possède généralement une valeur de sentiment nettement négative ; par contre celle de l'anima et de l'animus est plutôt positive. Ils sont ressentis la plupart du temps comme fascinants ou numineux. Une atmosphère les enveloppe souvent, faite de sensibilité, d'intangibilité, de mystère, d'intimité dou1oureuse et même d'absolu. L'autonomie relative des deux figures s' exprime dans ces propriétés. Au point de vue de la hiérarchie affective, le comportement de l'animus et de l'anima à l'égard de l'ombre est assez analogue à celui de celle-ci par rapport à la conscience du moi. La tonalité affective essentielle revient apparemment à cette dernière. En tout cas, celle-ci parvient de façon au moins temporaire à refouler l'ombre au moyen d'une dépense considérable d'énergie. Mais si, pour une raison quelconque, l'inconscient prend le dessus, la valeur de l'ombre et des autres figures augmente proportionnellement et l'échelle de valeurs se trouve en quelque sorte inversée. Ce qui paraissait lointain et inconscient à la conscience vigile revêt en quelque sorte une forme menaçante, et la valeur affective augmente selon l'ordre ascendant : conscience du moi, ombre, anima, Soi. Ce renversement de la situation consciente se produit généralement dans le passage de la veille au sommeil : on voit alors apparaître la plupart du temps ce qui était inconscient durant le jour. Tout  « abaissement du niveau mental » occasionne un relatif renversement des valeurs.

Je parle ici de la tonalité de sentiment subjective qui est soumise au changement plus ou moins périodique décrit ici. Mais il existe également des valeurs objectives, reposant sur un consensus universel, comme par exemple les valeurs morales, esthétiques et religieuses, autrement dit les idéaux généralement reconnus, les idées collectives d' affectivité.  Les tonalités affectives subjectives (les « quantités de valeurs ») sont aisément reconnaissables grâce à la nature et au nombre des constellations ou symptômes pathologiques qu'elles provoquent. Les idéaux collectifs n'ont souvent pas de tonalité affective subjective, mais ils possèdent néanmoins leur valeur de sentiment. Celle-ci ne peut par suite être prouvée par des symptômes subjectifs, mais elle est déduite d'une part des attributs de valeurs attachés à de telles représentations collectives, et d' autre part, d'un symbolisme caractéristique, abstraction totalement faite de l'effet de suggestion.

Le problème a un aspect pratique, .. le cas .. d'une idée collective qui, bien qu'importante en elle-même, est représentée dans un rêve par un attribut secondaire, par suite du défaut de tonalité affective subjective : ainsi, par exemple, un dieu figuré par son attribut thériomorphe. P.43

Inversement l'idée de la tonalité affective qui lui convient proprement peut être absente de la conscience, et, par suite, elle doit être replacée dans son contexte archétypique - tâche dont se chargent en général les prophètes et les poètes. CF. Hölder1in qui dans son « Hymne à la Liberté » restaure dans son état originel l'idée de liberté devenue insipide par l'usage et l'abus fréquent qu'on en fait ..

.

Le premier cas, où l'idée collective est présentée dans le rêve par un aspect déprécié d'elle-même, est le plus fréquent : la « déesse » apparaît comme une chatte noire, et la divinité elle- même comme lapis exilis (pierre grêle). . Ces aspects « mythologiques » des choses sont toujours présents, même si, en l'occurrence, ils demeurent inconscients. Lorsque par exemple on est en train de se demander si l'on va peindre la porte du jardin en vert ou en blanc, même si l'on ne pense pas au fait que le vert est la couleur de l'espérance et de la vie, l'aspect symbolique du « vert » est déjà là en filigrane. Ainsi ce qui est de la plus haute importance pour la vie de l'inconscient se trouve à la dernière place dans l'échelle de valeurs du conscient et vice versa. La figure de 1'ombre appartient déjà au royaume des schémas sans substance, pour ne pas parler de l'animus et de l'anima qui n'apparaissent en général que comme projection sur des êtres humains. Quant au Soi, il est totalement sorti du domaine personnel ; s'il se présente, c'est seulement comme mythologème religieux, et ses symboles oscillent entre le plus haut et le plus bas. Quiconque s'identifie à la moitié diurne de son existence psychique tiendra par la suite ses rêves nocturnes pour nuls et non avenus, bien que la nuit soit aussi longue que le jour et que toute conscience se fonde manifestement sur l'inconscience, y soit enracinée et s'y éteigne chaque nuit. En outre la psychopathologie connaît avec une certitude suffisanté l'action de l'inconscient sur le conscient, et elle voue en conséquence à l'inconscient une attention qui semble souvent incompréhensible au profane. On sait en effet que ce qui le jour est petit est grand la nuit et inversement et, par suite, on sait aussi qu'auprès de ce qui est petit le jour se tient constamment la grandeur de la nuit, fût-elle invisible.

Ce savoir est la condition indispensable de toute intégration, ce qui veut dire qu'un contenu ne peut être intégré que lorsque son double aspect est devenu conscient, et qu'il n'est pas seulement saisi intellectuellement, mais compris également selon sa valeur de sentiment. Toutefois l'intellect et le sentiment sont difficiles à atteler ensemble, car ils s'opposent par définition. Celui qui s'identifie à un point de vue intellectuel voit le sentiment se dresser en face de lui en ennemi, sous les traits de l'anima, et, inversement, un animus intellectuel assaille avec violence le point de vue du sentiment. Quiconque veut par conséquent réussir le tour de force d'opérer une réalisation non seulement intellectuelle, mais, de plus, conforme à la valeur affective, doit, bon gré mal gré, se confronter avec l'animus ou l'anima, pour préparer une unification supérieure, une conjunctio oppositorum. Cette dernière constitue une condition indispensable de la totalité.

Bien que la « totalité » paraisse au premier abord n'être qu'un concept abstrait .. celui-ci est empirique dans la mesure où il est annoncé dans la psyché par des symboles spontanés ou autonomes. Ce sont les symboles de quaternité et les mandalas . Leur signification comme symboles d'unité et de totalité est largement confirmée tant sur le plan historique que dans l'histoire des symboles. . La totalité signifie donc un facteur objectif qui se place en P.45 face du sujet de façon indépendante, tout comme l'anima et l'animus et, de même que ces derniers occupent une place hiérarchiquement supérieure à celle de l'ombre, la totalité revendique une position et une valeur plus hautes que la syzygie. Cette dernière apparaît comme constituant au moins une pièce essentielle, si ce n'est même comme les deux moitiés de la totalité, à savoir le couple royal frère-soeur, et donc aussi comme cette tension d'opposés d'où naît l'enfant divin comme symbole de l'unité.

L'unité et la totalité se tiennent au plus haut degré de l'échelle de valeurs objective, car leurs symboles ne peuvent plus être distingués de l' imago Dei. Toutes les formulations concernant l'image de Dieu s'appliquent donc bel et bien aux symboles empiriques de la totalité. L'expérience montre que les mandalas individuels sont des symboles d'ordre, et que par suite ils apparaissent principalement chez les patients aux époques de désorientation ou de réorientation. Faisant office de cercles magiques, ils arrêtent et conjurent les forces déchaînées du monde obscur et décrivent ou créent un ordre qui change le chaos en cosmos.  Le mandala se présente d'abord au conscient comme un point imperceptible et il faut généralement un travail long et approfondi et l'intégration de nombreuses projections pour discerner d'une façon presque complète toute la portée du symbole. Cette vision intérieure pourrait certes être obtenue sans difficulté si elle était simplement intellectuelle, car les assertions universellement répandues sur Dieu en nous et au-dessus de nous, sur le Christ et le corps mystique, sur l'Atman personnel et supra- personnel sont des formulations que l'intellect philosophique maîtrise avec aisance. De là naît habituellement l'illusion que l'on est en possession de la chose. On n'a pourtant rien acquis d'autre que leur nom. ... accompagné du préjugé qu'il représente magiquement la chose et que pour cette raison il suffit d'énoncer le nom pour établir la chose. L'entendement a cependant eu .. quantités d'occasions de discerner la futilité d'un tel préjugé, ce qui n'empêche nullement qu'aujourd'hui encore une prise de possession intellectuelle soit regardée comme ayant une pleine valeur. C'est l'expérience psychologique qui montre .. que de « concevoir » intellectuellement un fait psychologique n'engendre rien de plus qu'un « concept » de celui-ci et que ce concept ne représente rien d'autre qu'un nom, un flatus vocis. De tels jetons peuvent toutefois être maniés sans peine. Ils passent aisément de main en main, car ils ne possèdent aucune substance. Ils sonnent plein, mais ils sont creux et, alors qu'ils désignent la tâche et l'obligation les plus lourdes, ils n'obligent à rien. Dans son domaine propre l'intellect est, certes, d'une indéniable utilité, mais il est un grand trompeur et un illusionniste dès qu'il en sort et qu'il cherche à manier la valeur.

. La fonction de valeur, qui n'est autre que le sentiment, est une partie intégrante de l'orientation de la conscience . Tout phénomène psychique comporte une qualité affective, à savoir la tonalité de sentiment. Celle-ci indique dans quelle mesure le sujet est affecté par le phénomène, combien celui-ci représente pour lui (si toutefois il parvient à la conscience). C'est par « l'affect » que le sujet se trouve impliqué et parvient à ressentir tout le poids de la réalité. ... Psychologiquement on ne possède rien tant qu'on n'en a pas fait l'expérience. Une vision intellectuelle représente par suite trop peu, car on ne connaît que les mots, mais on en ignore la substance de l'intérieur.

Il y a beaucoup plus d'êtres humains qu'on ne croirait à éprouver la crainte de l'inconscient. Ils ont déjà peur de leur propre ombre et, si l'on en arrive à l'anima et à l'animus, cela tourne à la panique. En fait, la syzygie représente les contenus psychiques qui font irruption dans le conscient lors d'une psychose .. Vaincre cette angoisse peut constituer à soi seul une réalisation morale P.47 d'une extraordinaire portée, et ce n'est pas l'unique condition qui doit être remplie sur la route d'une authentique expérience du Soi.

L'ombre, la syzygie et le Soi sont des facteurs psychiques dont on ne peut se faire une idée suffisante que par une expérience. il s'agit de faits, . Il ne s'agit pas d'un concept ; celui-ci .. n'a de signification .. que parce qu'il représente une somme d'expériences.

. ces figures rencontrent de la compréhension chez tous ceux qui possèdent quelque connaissance de la mythologie comparée. Ils reconnaissent sans difficulté dans « 1'ombre » l'adversaire, le représentant du monde chthonien obscur dont l'image revêt des traits universels. La syzygie est immédiatement reconnaissable comme modèle psychique de tous les couples divins. Le Soi enfin se révèle, grâce à ses attributs empiriques, comme l' eidos (l'idée) de toutes les images de totalité et d'unité que contiennent principalement tous les systèmes monothéistes et monistes. .

.. ce parallélisme. permet de mettre en relation les représentations dites métaphysiques qui ont perdu leur fondement empirique naturel avec un événement psychique universellement existant qui leur rend leur sens propre et originel. Ainsi le lien se trouve rétabli entre ces contenus projetés qui étaient formulés comme des données « métaphysiques » et le moi. Malheureusement, . l'existence de concepts métaphysiques et la croyance qu'on leur porte ne produisent nullement la présence de leur contenu ou de leur objet, bien que . un

« état de grâce » puisse ne pas être réputée impossible, mais non toutefois volontairement provoquée par le sujet. Les concepts métaphysiques ont un jour perdu leur capacité de rappeler et d'évoquer l'expérience originelle, et . se révèlent .. comme de véritables obstacles sur la voie d'un développement ultérieur. On s'agrippe à des possessions qui ont autrefois représenté de la richesse ..

. Le public .. ne réclame plus depuis longtemps d'entendre un « message », mais il voudrait qu'on lui en apprenne le sens. . Quel rapport désespérant y a-t-il entre le monde de telles idées et celui de tous les jours dont la science s'efforce d'embrasser la réalité sensible ? Ce sont au moins seize heures sur vingt-quatre que nous vivons exclusivement dans ce monde et nous passons de préférence les huit restantes dans un état d'inconscience. Où et comment peut-il se produire quelque chose qui rappellerait, même de très loin, des phénomènes comme les anges, les nourritures merveilleuses, les béatitudes, la résurrection des morts ? C'est pourquoi ce fut déjà une découverte que de vérifier qu'il se produisait, à l'intérieur de l'état inconscient de sommeil, des intervalles dénommés « songes » où l'on pouvait observer des scènes offrant une analogie non négligeable avec des thèmes mythiques. .

Dans la vie quotidienne de telles choses ne se produisent guère ; jusqu'en 1933 seuls pour ainsi dire des malades mentaux étaient trouvés en possession de fragments mythologiques vivants. P.49 Depuis .. le monde des héros et des monstres s'est répandu sur des nations entières comme un feu dévastateur, ce qui a fourni la preuve que, même au siècle de la raison et des lumières, le mythe et son univers propre n'ont rien perdu de leur vitalité. Si  aujourd'hui les idées métaphysiques n'exercent plus le même effet de fascination, . les symboles actuels n'expriment plus ce qui désormais émerge de l'inconscient et demande la parole,. C'est un véritable antimimon pneuma (esprit qui contrefait), un esprit menteur d'arrogance, d'hystérie, de confusion, d'amoralité criminelle et de fanatisme doctrinaire, un producteur de pacotille spirituelle, d'art falsifié, d'élucubrations philosophiques et de charlatanisme utopique tout juste bon à être administré en gros à l'homme de masse d'aujourd'hui. C'est ainsi qu'apparaît l'esprit post-chrétien.

V LE CHRIST, SYMBOLE DU SOI

Cela (l'Apocalypse) montre clairement comment l'anima christiana contient non seulement une connaissance de l'existence d'un adversaire, mais aussi une conscience de sa future « usurpation ».

Le Christ, . mythe encore vivant de notre civilisation. .. est notre héros civilisateur qui, indépendamment de son existence historique, incarne le mythe de l'homme primordial divin, 1'Adam mystique. C'est lui qui occupe le centre du mandala chrétien, il est le Seigneur du tétramorphe, du symbole des quatre évangélistes P.51 qui sont comme les quatre colonnes de son trône. Il est en nous et nous en lui. (cf. retraite à Fichermont) Son royaume est la perle précieuse, le trésor caché dans le champ, le petit grain de sénevé qui devient un grand arbre, la cité céleste. Tout comme le Christ est en nous, il en va de même de son royaume céleste (« Le royaume de Dieu est au-dedans de vous » ou « parmi vous » ; « Il ne vient pas avec des signes extérieurs » ; « I1 n'est pas de ce monde » ;  « Le royaume des cieux est au-dedans de vous et celui qui se connaît lui-même le trouvera. Connaissez-vous vous-mêmes etc. »)

Ces quelques indications bien connues doivent suffire à caractériser la place psychologique du Christ. Le Christ illustre l'archétype du Soi. Il représente une totalité de nature divine ou céleste, un homme glorifié, un Fils de Dieu sine macula peccati (non souillé par le péché). En tant qu'Adam secundus il constitue un homologue du premier Adam avant la chute, lorsque celui-ci possédait encore la ressemblance divine, dont Tertullien déclare : « Et il faut penser, à propos de cette image de Dieu dans l'homme, que l'esprit humain a les mêmes mouvements et les mêmes sentiments que Dieu, bien que non tels que Dieu [les a]. » Origène : l' imago Dei imprimée dans l' âme et non dans le corps est une image de l'image, « car mon âme n'est pas spécialement une image de Dieu, mais elle a reçu la ressemblance de l'image antérieure ». (C'est dans l'âme non dans le corps qu'est imprimé le caractère de l'image du créateur.) Le Christ par contre est la vraie imago Dei à la ressemblance de laquelle notre homme intérieur est été créé invisible, incorporel, incorruptible et immortel. L'image de Dieu en nous se manifeste par la prudence, la justice, la tempérance, la vertu, la sagesse et la discipline.

Saint Augustin . L'image divine ne se trouve pas dans le corps humain, mais dans l'anima rationalis dont la possession distingue l'homme de l'animal. . nous ne sommes faits à l'image de Dieu nulle part ailleurs que dans l'intelligence. (d'où ce qu'il en fait ?) « Mais là où l'homme se sait créé à l'image de Dieu, il reconnaît qu'il y a en lui quelque chose de plus que ce qui a été donné aux animaux . » . P. 53 l'image de Dieu est en quelque sorte identique à l'anima rationalis. Celle-ci représente l'homme supérieur, spirituel, l'homo caelestis de St Paul. Comme Adam avant la chute, le Christ incarne l'image de Dieu dont saint Augustin fait particulièrement ressortir la totalité. « Le Verbe, dit-il, a pris l'homme tout entier, comme plein, l'âme et le corps de l'homme. Et si l'on veut encore quelque chose de plus précis : parce qu'il possède l'âme, la chair et la bête.»

L'image de Dieu dans l'homme n'a pas été détruite par la chute, mais seulement blessée et corrompue (« déformée ») et elle est restaurée par la grâce divine. La portée de l'intégration est indiquée dans la descente aux enfers accomplie par l'âme du Christ, dont l'effet rédempteur comprend aussi les morts. L'homologue psychologique en est l'intégration de l'inconscient collectif qui constitue une partie indispensable de l'individuation. (enfers = inconscient collectif ?) .. « Notre fin doit donc être notre perfection, et notre perfection est le Christ », car il représente l'image parfaite de Dieu. .. il est également appelé « roi ». Son épouse (sponsa) est l'âme humaine qui, « d'une manière voilée et intérieure, adhère dans le secret spirituel au Verbe de Dieu, afin qu'ils soient deux en une seule chair », .. la perpétuation de ce hiérosgamos dans le dogme et le rituel de l'Eglise, .. dans l'alchimie en conjonction des opposés, .. , dans les noces chymiques .. la Pierre philosophale  .

L'image de Dieu dans l'homme, endommagée par le péché, peut être « réformée » par l'assistance de Dieu, selon Rom. XII, 2 : « Et ne vous dirigez pas selon ce monde, mais transformez-vous dans le renouvellement de votre esprit, afin que vous puissiez éprouver ce qu'est la volonté de Dieu.» Les images de totalité que l'inconscient produit au cours d'un processus d'individuation représentent de telles « réformations » d'un archétype existant a prioi (mandala). .. les symboles spontanés du Soi  (de la totalité) ne peuvent pas être distingués en pratique d'une image de Dieu. Malgré le « metamorphousthe » (transformez-vous), le «  renouvellement » (anakainôsis, reformatio) ne signifie pas un changement véritable, mais une restauration d'un état originel, une apokatastasis. Cela concorde rigoureusement avec la découverte empirique d'un archétype toujours existant de la totalité. Toutefois celui-ci peut fort bien disparaître du champ de vision du conscient, ou même ne jamais être perçu, jusqu'à ce que le conscient illuminé par la conversion le reconnaisse dans la figure du Christ. Cette « anamnèse » entraîne la restauration d'un état originel de relation avec l'image de Dieu. Elle signifie une intégration, un pont jeté sur 1a faille de la personnalité qui doit son existence aux instincts divers et allant dans des directions opposées. Cette faille ne se produit pas là où l'homme est encore légitimement inconscient de son être instinctuel, comme un animal, mais elle se révèle intolérable, c'est-à-dire nuisible, là où une inconscience artificielle, c'est-à-dire un refoulement , ne reflète plus l'instinct.

.. l'imago dei incarnée dans le Christ signifie incontestablement une totalité embrassant toutes choses et comprenant même le côté animal de l'être humain (pecus). Malgré tout, le symbole du Christ est privé de la totalité au sens moderne du terme, en tant qu'il n'inclut pas l'aspect nocturne des choses, mais qu'il le rejette expressément comme adversaire luciférien. Quoique l'exclusion de la puissance mauvaise fût parfaitement connue de la conscience chrétienne, tout ce qu'on P.55 y perdait était une ombre sans consistance, car, grâce à la doctrine de la privatio boni déjà professée par Origène, le mal se voyait conférer l'empreinte d'un simple moindre bien, ce qui lui ôtait toute substance. Selon l'enseignement de l'Eglise, le mal n'est qu'un « manque accidentel de perfection ». De cette proposition a pu naître l'opinion : Omne bonum a Deo, omne malum ab homine , .. l'élimination du diable dans certaines sectes protestantes.

. Il faut bien prendre le mal d'une façon un peu plus substantielle, quand on le rencontre au niveau de la psychologie empirique. .. les gnostiques, .. d'après eux, le Christ « a coupé son ombre de lui-même ». ( Irénée, .. rappelle la doctrine gnostique selon laquelle le Christ (comme Logos démiurge), au moment où il créait l'être de sa Mère, « la jeta hors du plérôme, c'est-à-dire la sépara de la connaissance ». En effet la création se produisit hors du plérôme, dans l'ombre et le vide. Selon la doctrine de Valentin .. le Christ n'est pas issu des éons du plérôme, mais de la mère située hors du plérôme. Elle l'a enfanté « avec une certaine ombre ». Mais lui, « parce qu'il est mâle », a coupé l'ombre de lui-même et il est retourné dans le plérôme tandis que sa mère « a été laissée en arrière dans l'ombre et vidée là de substance spirituelle » pour enfanter « les démiurges et le pantocrator du monde inférieur ». Quant à l'ombre qui plane sur le monde, elle est, comme nous le savons par les évangiles, le princeps hujus mundi, le prince de ce monde, le diable.) (et si le prince de ce monde était la déesse mère ..) .. reconaître sans difficulté dans l'Antéchrist la contrepartie ainsi coupée. L'Antéchrist se développe dans la légende comme un imitateur pervers de la vie du Christ. Il est un véritable antimimon pneûma, un esprit mauvais qui imite, qui suit en quelque sorte le Christ pas à pas, comme l'ombre suit le corps. (l'ombre qui suit le corps ne me paraît pas mauvaise en soi..)  Cet aspect complémentaire de la lumineuse figure du rédempteur, .. revêt .. une importance particulière.

Si nous discernons dans la figure du Christ un parallèle à la manifestation psychique du Soi, l'Antéchrist correspond à l'ombre du Soi, à la moitié obscure de la totalité humaine, sur laquelle on ne peut porter un jugement trop optimiste. Si loin qu'atteigne notre expérience, la lumière et l'ombre semblent être réparties d'une façon si égale dans la nature humaine que la totalité psychique apparaît, c'est le moins qu'on puisse dire, plutôt comme une lumière atténuée. Le concept psychologique du Soi qui, d'une part, est déduit de la connaissance de l'homme intégral et, d'autre part, se présente spontanément dans les productions de l'inconscient comme une quaternité archétypique aux liens faits d'antinomies internes, ne peut pas omettre l'ombre qui fait partie de la figre lumineuse et sans laquelle celle-ci est dépourvue de corps et donc d'humanité. La lumière et l'ombre forment dans le Soi empirique une unité paradoxale. Par contre, dans la vision chrétienne, l'archétype est scindé en deux moitiés désespérément irréconciliables, ce qui conduit finalement à un dualisme métaphysique, à une séparation définitive du royaume des cieux et du monde enflammé de la damnation.

.. le problème de l'Antéchrist .. La manifestation de l'Adversaire ne signifie sans doute rien d'autre que la contre-offensive du diable provoquée par l'incarnation de Dieu. Le diable acquiert dès le début du christianisme sa figure propre de contrepartie du Christ et donc de Dieu, alors que dans le Livre de Job il était encore un des fils de Dieu et un représentant de Yahvé. Psychologiquement .. : la figure dogmatique du Christ est si sublime et immaculée qu'elle obscurcit tout le reste ; elle est en fait devenue si unilatérale qu'elle exige à tout prix un complément psychique pour rétablir 1'équilibre. C'est cette opposition inévitable qui avait déjà conduit .. à la doctrine des deux fils de Dieu dont l'aîné s'appelle Satanaël. (« L'esprit Mercure ») La venue de l'Antéchrist n'est pas une simple diction prophétique, mais une loi psychologique inéluctable, dont l'existence, bien que consciemment inconnue de l'auteur des épitres johanniques, le conduisait à la certitude de l'énantiodromie à venir. C'est pourquoi il écrivait comme si la nécessité interne de cette transformation lui était devenue consciente, bien que, .. cette pensée ait dû lui apparaître comme une révélation divine. Dans la réalité, toute différenciation supérieure P.57 de l'image du Christ entraîne un renforcement correspondant du complément inconscient, faisant ainsi croître la tension entre le haut et le bas.

. L'idéal de spiritualité dirigé vers le haut était voué à s'entrechoquer avec la passion matérialiste visant à maîtriser la matière et à assujettir l'univers et totalement attachée à la terre. Ce changement devint manifeste à l'époque de la Renaissance. . renié alors, ce n'était pas l'esprit de l'Antiquité, mais celui du Moyen Age chrétien qui revêtit en se transformant d'étranges allures païennes : il échangea le but céleste contre un but terrestre et passa de la verticale du style gothique à l'horizontale de la découverte du globe et de la nature. Le développement suivant produit aujourd'hui une situation largement généralisée, .. antichristique . C'est comme si, avec la venue du Christ, des opposés auparavant latents avaient été manifestés ou qu'un pendule lancé avec force d'un côté opérait maintenant le mouvement complémentaire dans la direction opposée. L'arbre, dit-on, ne peut croître dans le ciel si ses racines n'atteignent pasl'enfer. Le double sens du mouvement réside dans la nature du pendule. Le Christ est sans tache ; pourtant, au début de sa vie publique a lieu sa rencontre avec Satan, l'Adversaire, qui représente le contrepoids de cette tension puissante .. De même que l'ombre à la lumière, son mysterium iniquitatis s'attache inséparablement au sol justitiae, tout comme un frère à un autre frère, .. Tous deux luttent pour le royaume, l'un pour celui du ciel, l'autre pour le principatus hujus mundi (empire de ce monde). On entend parler d'un royaume «de mille ans » et d'une «venue de l'Antéchrist», comme si un partage des mondes et des temps était intervenu entre les deux frères royaux. La rencontre avec Satan a dû être autre chose qu'un pur hasard : ce fut un maillon d'une chaîne.

.. nous souvenir des dieux antiques pour pouvoir apprécier de façon juste la valeur psychologique de l'archétype de l'anima-animus, le Christ est pour nous l'analogie la plus proche du Soi et de sa signification. Il s'agit bien entendu d'une valeur collective qui .. possède une réalité effective et existant en soi, et qui déploie ses effets, que le sujet en ait conscience ou non. Sans doute les attributs du Christ ( consubstantialité au Père, coéternité, filiation divine, parthénogénèse, crucifixion, Agneau immolé entre les opposés, Un partagé en un grand nombre, etc.) font reconnaître en lui, de façon incontestable, une incarnation du Soi. Toutefois, considéré du point de vue psychologique, il ne correspond qu'à l'une des moitiés de l'archétype. L'autre moitié se manifeste dans l' Antéchrist. Tous deux sont des symboles chrétiens qui ont le même sens que le Sauveur crucifié entre les deux larrons. Ce grand symbole veut dire que le développement et la différenciation de la conscience mènent toujours à une reconnaissance plus menaçante de l'opposition et ne représentent rien de moins que la crucifixion du moi, c'est-à-dire sa suspension torturante entre des opposés inséparables. Il ne peut toutefois s'agir là P.59 d'une extinction totale du moi, sinon le foyer de la conscience serait détruit, ce qui aurait pour conséquence une complète inconscience. L'abolition relative ne concerne que les décisions suprêmes et ultimes, lors des insolubles collisions de devoirs ; .. dans de tels cas, il existe un spectateur souffrant qui ne décide pas, mais doit se soumettre à une décision et se rendre sans conditions. Le génie de l'homme, ce qu'il y a en nous de supérieur et de plus vaste et dont nul ne connaît l'ampleur, prononce l'arrêt final. .. aspects psychologiques du processus d'individuation à la lumière de la tradition chrétienne, .. bien que l'image du Soi qu'est le Christ y soit dépourvue de l'ombre qui lui appartient.

La raison en est, .. la doctrine du Summum Bonum. Irénée déclare .. contre les gnostiques grecs que « la lumière de leur Père » doit être blâmée, car « elle n'a pu illuminer et remplir même ce qui était à l'intérieur d'elle-même (à savoir l'ombre et le vide) ». Il lui paraît lui paraît choquant .. que l'on puisse supposer, à l'intérieur du plérôme, un « vide sans forme et obscur ». Pour le chrétien, ni Dieu, ni le Christ ne pouvaient être un paradoxe ; ils devaient être univoques, et cela est encore valable aujourd'hui. .. on ne sait toujours pas apparemment .. que la hybris de l'intellect spéculatif avait déjà induit les Anciens à prétendre à une définition philosophique de Dieu par laquelle ils l'obligeaient en quelque sorte à être le Summum Bonum. Un théologien protestant .. « Dieu ne peut être que bon. » Pourtant Yahvé aurait déjà pu mieux l'instruire dans ce domaine, s'il n'est pas capable de discerner lui-même sa présomption intellectuelle à l'égard de la toute-puissance et de la liberté divines. L'usurpation du Summum Bonum .. n'en est pas moins le fondement et la cause de l'idée de la privatio boni qui nie la réalité du mal. .

Tatien .. « Omne bonum a Deo, omne malum ab homine », .. « Dieu n'a rien fait de mal ; c'est nous qui avons engendré toute injustice » .

Basile déclare : « . Le mal est une privation .. de bien. Ainsi le mal ne repose pas sur une existence propre .. mais il naît de la mutilation .. de l'âme. . « Car , si tout vient de Dieu, comment le mal peut-il venir du Bien ?». 

. « Il est tout à fait impie de déclarer que le mal a son origine en Dieu, car l'une des parties d'une opposition ne peut sortir de l'autre. En effet, la vie n'engendre pas la mort, l'obscurité n'est pas l'origine de la lumière, la maladie n'est pas ce qui crée la santé. Que le mal n'est pas une essence vivante et animée, mais une disposition ..opposée à la vertu, provenant de personnes légères .. par suite de P.61 leur défection à l'égard du bien. Chacun doit se considérer comme l'auteur du mal qui existe en lui. »

La loi naturelle qui veut qu'en disant « haut » on pose immédiatement l'image de « bas » est ici subrepticement changée en un enchaînement causal et ainsi poussée à l'absurde, car il est clair que l'obscurité n'engendre pas de lumière, ni la lumière d'obscurité. Toutefois l'idée de bien et de mal constitue les prémisses du jugement moral. C'est un couple d'opposés logiquement équivalents qui forme, en tant que tel, une condition sine qua non de tout acte de connaissance. . le bien et le mal, en tant que moitiés coexistantes d'un jugement moral, ne tirent pas leur origine l'un de l'autre, mais sont toujours également présents. Le mal est, comme le bien, une valeur humaine et nous sommes les auteurs des jugements de valeur, mais dans une mesure restreinte seulement les auteurs des états de faits soumis au jugement moral. Ces états de faits sont appelés « bons » par les uns et « mauvais » par les autres. C'est seulement dans les cas les plus importants qu'il existe un consensus à peu près général. Si, avec Basile, on considère l'homme comme l'auteur du mal, on déclare du même coup qu'il l'est aussi du bien. Toutefois l'homme est avant tout l'auteur d'un simple jugement ; par rapport au fait jugé, sa responsabilité n'est pas si facile à établir. Il faudrait pour cela définir clairement l'étendue du libre arbitre. .

. Lorsque par conséquent Basile affirme d'une part que le mal n'a pas de substance propre, mais qu'il provient d'une « mutilation de l'âme », et que, d'autre part, il est convaincu que le mal existe réellement, la réalité relative du mal se trouve fondée sur une réelle « mutilation » de l'âme qui doit avoir une cause également réelle. Si l'âme a été créée bonne à l'origine, elle a été réellement corrompue et cela est provenu d'une cause réelle, nême si celle-ci n'était autre que la négligence, l'indifférence et la frivolité, ce qui est le sens du mot rhathymia. Si quelque chose est ramené à un fait psychologique .. il n'est nullement pour autant réduit à zéro et donc aboli, mais transposé en une réalité psychique nettement plus facile à constater que, par exemple, la réalité du diable dogmatique qui, suivant les sources authentiques, n'a pas été inventée par l'homme, mais existait avant lui. Si, de son côté, le diable est tombé hors de Dieu par sa libre volonté, cela prouve d'une part que le mal existait dans le monde avant l'homme et que ce dernier n'en est pas le seul auteur, et d'autre part que le diable avait déjà une âme « mutilée » dont nous devons trouver une cause responsable.

. la réalité du mal fut niée de très bonne heure. .. en rapport .. avec la position de l'Eglise face au dualisme manichéen. .. Augustin .. « . Quant à celles qui sont dites mauvaises, ou bien elles sont des défauts des choses bonnes, qui ne peuvent exister absolument nulle part par elles-mêmes en dehors des choses bonnes . ce qui est mauvais par suite d'un défaut est évidemment bon par nature. Car le défaut est contre nature, puisqu'il nuit à la nature .

. « Le mal n'a pas de substance, car ce qui n'a pas Dieu pour auteur n'est pas ; ainsi le vice de la corruption n'est rien d'autre que le désir ou l'action d'une volonté désordonnée. » .. « Le fer n'est pas mauvais ; mais si quelqu'un utilise le fer pour un crime, c'est lui qui est mauvais. »

.. le mal n'a en lui-même aucune substance, aucune existence, car il n'est qu'une diminution du bien qui est seul à posséder une substance. Le mal est un vitium, un vice, un défaut, c'est-à-dire un mauvais usage des choses par suite d'une décision incorrecte de la volonté.. Thomas d'Aquin .. « L'une des parties d'un couple d'opposées est connue à partir de l'autre, .. C'est pourquoi 'Qu'est ce que le mal ?' doit être déduite de la nature du bien. .. le bien signifie tout ce qui est désirable. En conséquence, comme toute nature désire sa propre essence et sa propre perfection, il faut nécessairement dire que l'être et la perfection de toute créature ont la nature du bien (rationem boni). Par suite il ne peut se faire que le mal signifie un être, une forme ou une nature quelconque. C'est pourquoi il est nécessaire que le P.65 nom du mal signifie l'abscence du bien. »

. 'argumentation de la privatio boni demeure une pétition de principe euphémistique, que le mal soit regardé comme un moindre mal ou comme un effet de caractère fini et limité des choses créées. 1 a fausse conclusion découle nécessaire- 1 ment de la prémisse : Deus = Summum Bonum, parce qu'il est r impensable que le Bien parfait ait pu créer le mal. J a simplement créé le bien et le moindre bien ( q .

'est sans doute de cette tendance à nier la réalité du mal que i :'elle-ci est en contradiction avec la vérité qui veut que celui qui a lud est aussi responsable du froid ( 0 ::order à Augustin lue toutes les natures sont bonnes ; mais elles ne sont pas assez bonnes pour que leur malice ne soit égaleltlent évidente.

E qui s'est passé et se passe de nos jours dans les camps de :oncentration des Etats dictatoriaux ne peut pas être qualifié de « manque accidentel de perfection ». (

A psychologie ne sait pas ce que sont le bien et le mal en soi ; :lle les connaît seulement comme des jugements sur des relations ; 'en est ce qui, d'un certain point de vue, apparaît comme >nvenable, acceptable ou précieux ; mal en est la contrepartie. Uand ce que nous appelons bien est « réellement » bon Pour nous, 1 Y a aussi une malice et un mal qui sont également « réels » pour nous. On voit que la psychologie a affaire avec un jugement plus ou moins subjectif, c'est-à-dire avec une opposition psychique qui est inévitable dans une désignation des relations de valeur : es t bon ce qui n'est pas mauvais et mal ce qui n'est pas bon. Il y y a des :hoses qui d'un certain point de vue sont extrêmement mauvaises, c'est-à-dire dangereuses. Il y a auSSI des choses dans la nature humaine qui sont très dangereuses et, par suite, apparaissent comme mauvaises à celui qui est placé dans leur ligne de tir. P.67njoliver ce mal n'a pas de sens, car le seul motif en serait de pouvoir se bercer d'une fausse sécurité. L l nature humaine est capable d'une malice infinie, et les actes mauvais sont aussi réels que les bons, si loin que s'étende le domaine de l'expérience humaine, ce qui veut dire que I :âme formule involontairement le jpgement qui discrimine. S.t :y] »Ç..I'inc,.onscience ne cÇ.nnaît pas le bien el le mal.  l'intérIeur du domaine psychologique, on ne sait pas, .. : qui prédomine dans le monde, du mal ou du bien. On se contente d'espérer que c'est le bien, à savoir ce qui paraît nous convenir. NI .,ucune vision intuitive de la relativité et de la fragilité de notre jugement moral ne peut nous délivrer de ces défauts, et ceux qui s'imaginent être placés au-delà du bien et du mal sont généralement les pires tortionnaires de l'humanité, car e tordent dans le tourment et l'angoisse de leur propre fièvre.

1 est aujourd'hui, comme de tout temps, d'une grande importance que l'homme n'omette pas de voir le danger du mal qui uette en lui. Ce danger n'est malheureusement que trop réel, el c'est pourquoi la psychologie doit insister sur la réalité du mal et rejeter toute définition qui le regarderait comme insignifiant ou nême inexistant. 1 .t1trer dans la polémique que là où la métaphysique empiète sur l'expérience et donne de celle-ci une interprétation qui n'est pas justifiée empiriuement. Ma critique de la privatio boni n'est valable que dans l'étendue de l'expérience psychologique. D pétition de principe, d'où, comme on sait, il ne sort que ce qu'on y a mis. Les arguments de ce genre n'ont aucune force de conviction. Mais le fait qu'ils soient non seulement employés mais crus est pour moI quelque chose dont je ne puis me défaire aisément. Cela témoigne en effet d'une tendance à donner par principe la priorité au « bien », et cela, avec tous les moyens convenables et non convenables dont on dispose. Pal ar conséquent, lorsque la métaphysique chrétienne s'attache à la privatio boni, elle exprime la tendance à augmenter tou jours le bien et à diminuer le mal. La privatio boni ans le domaine de notre expérience, le blanc et le noir, la lumière et l'obscurité, le bien et le mal sont des opposés équivalents dont l'un les termes suppose toujours l'autre.

E fait élémentaire fut déjà justement apprécié dans les Homélies clémentines, collection d'écrits chrétiens gnostiques comF1 ,'auteur y comprend le bien et le mal comme la maIn droite et la main gauche de Dieu et f it voir la création en énéral comme formée de syzygies, de couples d'opposés. . :-Voitre51êil- ëonimè lumineux et placé à droite ( dexion ) et le mal comme obscur et placé à i gauche ( aristeron ) 49. Le côté gauche correspond également au féminin. Bez Irénée  Sophia 'fôünÏKos est appelée Sinistra ( G lément trouve cette manière de voir parfaitement compatible avec l'idée de l'unité de Dieu. Si l'on pose une image anthropomorphique de Dieu ( toute J est plus ou moins anthropomorphique) , on ne peut guère discuter la logique et le naturel de la thèse clémentine. E : .ouve que la réalité du mal ne conduit nullement à un dualisme manichéen et qu'elle ne met pas en danger l'image de Dieu. Bien au contraire, elle en ur~ IJ~ijé en la faisant passer au-delà de la distinction lourde de problèmes que j'on rencontre dans la vision yahviste et chrétienne. Yahvé, on le sait, n'est pas juste, et l'injustice n'est pas bonne. Le Dieu chrétien, par contre, est seulement bon. Il est incontestable que la théologie clémentine s'est efforcée de jeter un pont sur cette opposition d'une manière conforme aux faits psychologiques.

)ieu, dit-il, a établi deux royaumes (bt ?asileias) et deux ondes ( aionas ) et il a décidé de ilwer le cosmos présent au Malin (Ponerô), parce qu'il est petit et passe rapidement. Mais il a promis de réserver le monde à venir au Bon, parce qu'il est grand et éternel. » La structure de l'homme correspond à cette division : le corps provient du féminin qui a pour propriété l'émotion, P.69 (et le mortel) tandis que l'esprit vient du masculin auquel correspond l'élément rationel. (et l'esprit immortel) Clément  appelle le corps et l'esprit « les deux triades (..la triade féminine, c'est-à-dire somatique est formée de désir,colère , chagrin) ; la masculine de raisonnement, connaissance et crainte.) ».  'homme provient de « deux mélanges » G pâtes), Je féminin et Je mascuJin. C'e :'est pourquoi aussi deux chemins lui t proposés : celui de la loi et celui de l'absence de loi. En effet jeux royaumes ont été établis : « L'un est appelé ciel, et l'autre, celui de ceux qui gouvernent à présent la terre SI. » « L'un des deux fait violence (ekbiazetai) à l'autre. » « En 1 En outre, ces deux souverains sont les mains promptes » de Dieu par référence à )eutéronome, XXXII, 39 ( « Ego occidam et vivere fa ci am  » : « Je tuerai et je ferai vivre » ).1 1 tue de la main gauche et libère de la main droite. Ces deux principes « n'ont pas leur essence en dehors de Dieu, et il n'y a pas non plus d'autre principe originel («  Ils n'ont pas non plus été sortis (prOi Dieu comme des animaux ( r ils étaient en accord avec lui (homodoxoi). »

« De Dieu sont sortis les quatre éléments. . Il est le Père de toute substance, non de la connaissance qui suit le mélange (des éléments). Uand ils ont été mélangés de J' exteneur , te' :hoix est né d'eux comme un enfant 53. » :ela signifie que le mélange des éléments a donné naissance à des inégalités signifiant des incertitudes et, par suite, exigeant des décisions ou choix. Les quatre éléments forment la substance quadruple ( u corps :t aussi du mal (tl Cette substance, distinguée en genres, fut projetée par Dieu, mais elle fut ée hors d'elle-même selon la volonté du Créateur (tou )ur produire, comme résultat de la combinaison, le choix (f i se réjouit dans le mal.»

ette phrase doit signifier à peu près « ès ceci : la iubstance quadruple est éternelle ( ( t enfant de Dieu, mais la tendance au mal (à st venue xtérieurement du mélange voulu par Dieu (Ka iinsi le mal n'a été créé ni par Dieu, ni par quelqu'un d'autre, ni projeté hors de lui ni sorti de lui-même. .

.. 'est comme si, indépendamment ( e t sans la connaissan ce ?) de Dieu, le mélange des quatre éléments avait pris une mauvaise tournure, ce qu'il est toutefois difficile d'accorder avec le postulat clémentin des mains opposées de Dieu qui « se font violence » réciproquement. M an if este ment  Pierre, qui conduit le lialogue, a quelque mal à attribuer au Créateur la cause du mal.

Lément de Rome représente un christianisme de Pierre révélant me nette empreinte B gh Chur ch,  (rituelle) et trahit non seulement lar là, mais aussi par sa doctrine du double aspect de Dieu, un troit rapport avec l'Eglise judéo-chrétienne primitive. On trouvait ans cette dernière, au témoignage d'Epiphane, la pensée ébionite que Dieu a créé deux fils, dont l'aîné est Satan et le cadet, le hrist54. ( ichée, J time que, le bien et le mal Iyant la même origine, ils doivent être frères .

)ans l'Apocalypse -(] r L'Ascension d'Isai »e, vision des sept cieux où le prophète a été emporté 56. J mmaël exerce encore, manifestement, ne influence remarquable SUI e jiable se trouve dans le firmament, comme les archontes gnostiles, et, avec ses anges, il- correspond aux dieux et aux puissances Istrologiques. Etant donné que l'atténuation de J'éclat atteint Isqu'aux sphères supérieures, sa sphère se recoupe avec la sphère P.71divine de la Trinité dont la lumière pénètre à son tour jusqu'au ciel le plus bas. A nage qui représente une corrélation d'opposés, to Ion, c Homélies clémentines, appartiennent à l'ère pré manichéenne  où l'on l'avait pas encore à se défendre de la concurrence des Manichéens. '1 était encore possible de décrire une simple et juste position de yin-yang, image plus proche de la vérité que celle de la privatio boni et, en outre, ne portant nullement atteinte au monothéisme, :omme c'est le cas avec le yin-yang dont la réunion donne le Tao, aduit logiquement par « Dieu ». C comme si, seul, le dualisme manichéen avait fait prendre conscience aux Pères de l'Eglise du fait que, sans en être clairement conscients, ils avaient jusque-là bel et bien nourri la :royance à la substantialité du mal. Cette vision soudaine les a sans Joute conduits au dangereux anthropomorphisme consistant à admettre que ce que l'homme ne peut concilier est également inconciliable pour Dieu. Cette erreur avait pu être évitée par glise primitive en raison de sa plus grande inconscience.

Ins les cerclès gnostiques du Idaïsme syncrétiste, le problème de l'image yahviste de Dieu, posé epuis le Livre de Job, continua d'être discuté, e Ja d'autant plus que la réponse chrétienne à cette question, à savoir l'option univoque pour la bonté de Dieu 57, ne satisfaisait pas les Juifs :onservateurs. J ez les Juifs palestiniens qu'ait pris naissance la doctrine des deux fils de Dieu opposés. A perpétua jusqu'aux Bogomiles et aux Cathares ; dans  judaïsme, elle se continua dans la spéculation religieuse et trouva Ion expression durable dans les deux côtés de l'arbre kabbalistique :les séphirot, di

La parole : «  Que nul d'entre vous ne sorte de la )orte de sa maison jusqu'au matin «  (E = ::xode XII, 2259) veut dire ue, si le champ libre est laissé à l'Exterminateur, il ne distingue lus entre les bons et les méchants. Bien 1S : il commence par les justes60.à)

VI LE SIGNE DES POISSONS

La figure du Christ n'est pas si univoque qu'on voudrait le penser. .  l'Eglise primitive, le Christ se voit attribuer un ensemble de symboles, d'allegoriae qu'il a en commun avec le diable. Ainsi le lion, le serpent, la couleuvre, l'oiseau (diable = nocturna avis, oiseau nocturne), le corbeau (Christ = nycticorax, corbeau nocturne), l'aigle et le poisson. En outre , Lucifer, « l'étoile du matin »», désigne à la fois le Christ et le diable. Avec le serpent, le poisson est sans doute l'une des plus anciennes « allégories ». Aujourd'hui nous emploierions plutôt ici le terme de symbole . Je vois dans le symbole, non une figure allégorique ou sémiotique, mais, dans son propre sens, la désignation et la formulation les meilleures possibles d'un objet qui n'est pas entièrement connaissable. . le symbole du poisson possède une riche préhistoire en Asie Mineure. Cela débute avec le dieu-poisson babylonien Oannès et ses prêtres vêtus d'écailles de poisson, pour s'étendre jusqu'aux repas sacrificiels de poisson dans le culte phénicien de la déesse Dercéto-Atargatis, et aux obscurités de l'inscription d'Abercios. (« Partout j'avals un compagnon de voyage, car j'avais Paul assis dans le char. Partout la foi nous conduisait et partout elle plaçait devant moi un poisson tiré de la source, un poisson géant, pur, qu'une Vierge sainte a pris. Et la foi offrait ce poisson à manger des amis, avec du bon vin, boisson mélangée avec du pain. » ) On retrouve également le symbole, depuis le poisson-sauveur de Manou dans l'Inde la plus reculée jusqu'aux fêtes eucharistiques du poisson célébrées par les « chevaliers thraces » à l'époque romaine. . Rappelons . la régénération dans le bain baptisaml où les néophytes nagent comme des poissons.

. L'activation soudaine du symbole et son identification avec le Christ dès le début de l'Eglise doivent avoir une autre origine. La source astrologique semble avoir été relevée .. la venue du Messie est attendue dans le signe des Poissons. Isaac Abarbanel . expose que la maison des Poissons est celle de la justice et de la splendeur éclatante (domicile de Jupiter ). En l'année du monde 2365 (soit l'an 1396 A.C.N.) une grande conjonction de Saturne avec Jupiter a eu lieu en poisson. (La conjonction a eu lieu en réalité dans le Sagittaire. Les Conjunctiones magnae du trigone de l'eau (Cancer, Scorpion, Poisson) ont eu lieu de l'an 1800 à l'an 1600 et de l'an 1000 à l'an 800 av. J.-C.)  La conjonction s'était produite trois ans avant la naissance de Moïse. . Ces idées astrologiques s'éclairent si l'on se rappelle que Saturne est l'astre d'Israël et que Jupiter est le « roi » (de justice). Les Poissons, «domicile de Jupiter », regissent la Mésopotamie, la Bactrie, la mer Rouge et la Palestine. P.87

Kewan (Saturne) mentionné en Amos V, 26 comme « l'étoile de votre dieu ». Jacob de Sarug (mort en 521) déclare que les Israélites vénéraient Saturne. Les Sabéens l'appelaient « Dieu des Juifs ». Le sabbath est Saturday, samedi, le jour de Saturne.. Dans la mythologie médiévale, Saturne est le siège du diable. Saturne et Jaldabaoth, le démiurge et l'archonte suprême, ont en commun la figure du lion. Origène mentionne, à propos du diagramme de Celse, que Michel, en tant que premier ange du créateur, possède une « forme léonine ». II occupe manifestement la place de Jaldabaoth qui est identique à Saturne. Le démiurge des Naassènes est « un dieu igné, le quatrième par le nombre ». Dans l'enseignement d'Apelle, .. il y avait « un troisième dieu qui avait parlé à Moïse - il est de feu - et aussi un quatrième, l'auteur du mal ». .

Saturne est un astre « noir », (C'est pourquoi l'image de Saturne vénérée par les Sabéens devait être de p1omb ou de pierre noire.) dont la réputation est depuis longtemps d'être un « maléfique ». « Dragons, serpents, scorpions, vipères, renards, chats et souris, oiseaux nocturnes et autres engeances sournoises sont le lot de Saturne », dit Bouché-Leclercq.  De façon remarquable l'âne appartient également aux animaux saturniens ( .. un onos (âne) contenu dans Kronos. Mais l'analogie Saturne-âne a sans doute une base plus profonde qui est à chercher dans la nature de l'âne, « animal froid, -indocile, lent. ayant une longue vie ». .. Je trouve dans le Bestiaire de Ptolémée la description suivante de l'âne sauvage « Fuyard, timoré, stupide, indompté, libidineux, jaloux, gardant ses femelles. ») et pour cette raison, constituait une représentation thériomorphique du dieu des Juifs. .. l'âne est l'animal de Typhon. (Plultarque mentionne que la légende de la fuite de Typhon sur un âne et de la naissance de ses deux fils, Hiérosolymus et Judaeus, n'est pas égyptienne..) Dans les textes anciens toutefois, il est l'attribut du dieu-soleil et c'est seulement par la suite qu'il est devenu une figure du monde infernal (apep) et du mal (Seth).

D'après la tradition médiévale, la religion des Juifs doit avoir son origine dans une conjonction de Jupiter et de Saturne, celle de l'Islam en conjonction Jupiter - Vénus), le christianisme en conjonction Jupiter- Mercure,et, l'Antéchrist en conjonction Jupiter- Lune. (Albumasar : Liv.ll : Jupiter entre en conjonction avec Saturne, cela signifiera que la foi des citoyens en cet endroit est le judaïsme. Et si la lune entre en conjonction avec Saturne cela signifiera le doute, la révolution, le changement et la spoliation de la foi. Et cela à cause de la rapidité de la corruption de la lune et de la vitesse de son mouvement et la brièveté de son séjour dans le signe. Jérôme Cardan attribue la conjonction Mercure- Jupiter au christianisme, Mercure - Saturne au judaïsme, Mercure - Mars à l'islam et, selon lui, Mercure - Vénus caractérise l'idolatrie.) P.89

Par opposition à Saturne, Jupiter est un astre bénéfique. Dans la vision iranienne, Jupiter signifie la vie et Saturne la mort. La conjonction Jupiter - Saturne représente donc l'union d'extrêmes opposés.

VIII LA SIGNIFICATION HISTORIQUE DU POISSON

. l'allégorie du berger et de ses brebis joue, .. , un rôle presque plus important encore dans le monde chrétien d'images, et l'Hermès criophoros, le dieu protecteur des troupeaux, est devenu le modèle du « bon pasteur ». Orphée .. lui aussi servi à élaborer cette figure. .. poimên .. le berger a, comme le gigantesque poisson de l'inscription d'Abercios, un lien vraisemblable avec Attis . Le symbolisme du berger, du bélier et de l'agneau coïncide avec l'ère finissante du Bélier. Au premier siècle chrétien, les deux ères se chevauchent en quelque sorte, et deux des plus importantes divinités de cette époque, Attis et le Christ, sont caractérisées d'égale façon par le berger, le bélier et le poisson. . la nature du symbole, (du poisson) en particulier sa duplicité, autorise certaines questions psychologiques ..

Comme tout héros, le Christ a lui aussi une enfance menacée (massacre des Innocents à Bethléem, fuite en Egypte). L'interprétation astrologique .. chap.XII de l' Apocalypse : « Une femme enveloppée du soleil, la lune sous ses pieds et une couronne de douze étoiles sur sa tête. Elle est en travail d'enfant et poursuivie par un dragon. Elle mettra au monde un fils mâle, un pasteur qui « paîtra toutes les nations (païennes) avec une verge de fer » et qui est « enlevé vers Dieu ». Cette histoire fait écho à de nombreux thèmes apparentés de l'Orient et de l'Occident ; ainsi le thème de Léto-Python, d'Aphrodite et de son fils qui, poursuivis, sautèrent dans l'Euphrate et se transformèrent en poissons, celui d'Isis et d'Horus en Egypte. Les Grecs syriens identifiaient la Dercéto-Atargatis ainsi que son fils Ichthys à la constellation des Poissons.

La divinité-mère (la femme stellaire apocalyptique en est une) est en général parthenos, virgo, vierge. Le message de la Nuit de Noël : .. (la vierge a enfanté ; la lumière augmente) est païen. Parlant du « Corion  » d'Alexandrie, Epiphane raconte que les païens célébraient une grande fête la nuit de l'Epiphanie (5/6 janvier) : « Ils veillent là toute la nuit dans le chant et les jeux .. Aujourd'hui, à cette heure, Coré, c'est-à-dire la Vierge, a enfanté Aïon. » .

Le signe zodiacal de la Vierge porte soit des épis, soit un enfant. La femme de l'Apocalypse est mise en relation avec elle. Il s'agit, P.117 de la prophétie d'une naissance messianique de la fin des temps.

Comme l'auteur de l'Apocalypse doit être tenu pour chrétien, cette question se pose : à qui se rapporte la femme interprétée comme la mère du Messie .. ? Et qui est le fils de la femme, qui doit « paître les nations avec une verge de fer » ?

XXXP.119

.. la faiblesse de l'élément messianique consiste en une dissociation de celui-ci, qui va jusqu'à l'opposition. D'une part, ce développement correspond à l'idée présente avant le christianisme dans la littérature religieuse persane, de l'énantiodromie des grandes époques, à savoir de la détérioration du bien, comme il est dit dans Bahman Yast, 1,3 : « (Le quatrième âge de fer) est la souveraineté mauvaise des démons aux cheveux ébouriffés de la race de la colère. » D'autre part, la dissociation de la figure du Messie est l'expression d'une inquiétude intérieure devant le caractère de Yahvé, dont l'injustice et le caractère changeant devaient heurter depuis Job tout croyant quelque peu critique. (.. opposition entre la miséricorde et la justice dans l'être divin.) Job pose le problème sans équivoque, et le christianisme lui a donné une réponse tout aussi claire. La mystique juive par contre a suivi son propre chemin, et sa spéculation tourne autour de profondeurs que la pensée chrétienne s'est évertuée à grand effort à recouvrir. .. en Espagne un grand sage dont il était dit ne parvenait jamais à lire le psaume LXXXIX, car il le trouvait trop douloureux. Il  s'agit du texte suivant, qui fait allusion à David :

Je ne lui retirerai pas ma bonté

Et je ne trahirai pas ma fidélité,

Je ne violerai point mon alliance

Et je ne changerai pas ce qui est sorti de mes lèvres.

J'ai juré une fois par ma sainteté : Mentirai-je à David ?

Sa postérité subsistera toujours.

Son trône sera devant moi comme le soleil,

Comme la lune il aura une éternelle durée.

Le témoin qui est dans le ciel est fidèle.

Et pourtant tu as rejeté, tu as repoussé !

Tu t'es irrité contre ton oint !

Tu as dédaigné l'alliance avec ton serviteur,

Tu as abattu, profané sa couronne.

Tu as mis un terme à sa splendeur,

Et tu as jeté son trône à terre.

On retrouve ici le même problème que dans Job. En tant que valeur supérieure et dominante suprême de la hiérarchie spirituelle, P121 l'image de Dieu est en relation immédiate avec le Soi, c'est-à-dire identique à ce dernier, et tout ce qui arrive à l'une opère sur l'autre. Une incertitude sur la première implique une profonde inquiétude chez le second (le Soi). C'est pourquoi la question demeure en général ignorée en raison de son caractère pénible. Toutefois, cela ne signifie nullement qu'elle ne se soit pas posée dans l'inconscient ; au contraire, il y est même répondu, par exemple dans des opinions qui se propagent comme des épidémies, et des convictions telles que le matérialisme, l'athéisme et de semblables succédanés. Elles s'installent alors là où l'on attend en vain la réponse légitime. Les substituts refoulent les termes véritables du problème et rompent ainsi la continuité de la tradition historique qui est le signe caractéristique de toute civilisation. La conséquence en est le désarroi et la confusion. Le christianisme a insisté de son côté sur la bonté de Dieu en tant que père aimant et au moins tenté d'enlever au mal toute substance. La prophétie de l'Antéchrist dans le christianisme primitif et certaines idées de la théologie du judaïsme tardif auraient pu attirer l'attention sur le fait que la réponse chrétienne au problème de Job est encore dépourvue d'un second terme dont l'inquiétante réalité nous est mise devant les yeux de façon menaçante à travers la division en deux de notre monde : l'annulation de la personnalité humaine suit de près l'abolition de l'image de Dieu. L'athéisme matérialiste avec ses chimères utopiques constitue la religion de ces mouvements rationalistes qui remettent à la masse la liberté de la personnalité et, par là même, l'annihilent. Les représentants du christianisme se dépensent dans le maintien pur et simple du dépôt transmis, sans poursuivre la construction de leur maison pour la rendre plus vaste. Mais l'immobilité dans ce domaine contient à la longue la menace d'une issue mortelle.

.. le double visage du Christ apocalyptique repose sur des spéculations judéo-gnostiques .. L'étude intensive du problème du mal par les gnostiques offre un contraste des plus frappants avec la négation péremptoire de celui-ci par les Pères, et prouve que cette question est devenue actuelle dès le commencement du IIIème siècle. .. Valentin .. Christ était « né sous une certaine ombre » qu'il a ensuite « coupée de lui ». . Valentin a, comme d'autres gnostiques, approfondi l'étude de l'Evangile ; c'est pourquoi il ne me semble pas impossible qu'il ait compris l' « ombre » comme la loi yahviste sous laquelle Christ était né. L'Apocalypse et d'autres passages du Nouveau Testament ment pu l'inciter à une telle vision, abstraction faite des opinions plus ou moins contemporaines sur le démiurge ou la première ogdoade composée d'ombre et de lumière. Il n'est pas certain que le doute d'Origène quant au destin final du diable soit original ( de telle sorte que tout grand pêcheur et blasphémateur contre l'Esprit-Saint soit écarté du péché durant la totalité de ce siècle actuel et qu'il soit ensuite dans l'avenir traité je ne sais comment du début jusqu'à la fin (De oratione, 27), d'où est née l'opinion que le diable même serait un jour racheté ..); quoi qu'il en soit, il montre que la possibilité d'une réunification du diable avec Dieu fut de bonne heure un objet de discussion et qu'elle devait l'être, si la philosophie chrétienne ne voulait pas revenir à un dualisme. .. la théorie de la privatio boni ne fait nullement table rase de l'éternité de l'enfer et de la damnation. L'humanité de Dieu est aussi une expression du dualisme .. Si l'on met à part la signification religieuse du verdict en faveur d'une union totale des deux natures, ce dogme présente, soit dit en passant, un aspect psychologique digne d'attention : il exprime en effet ( en termes psychologiques) le fait que le Christ, puisqu'il correspond au moi en tant qu'homme, mais au Soi en tant que Dieu, est à la fois le moi et le Soi, donc la partie et le tout. Empiriquement, la conscience ne peut jamais saisir la totalité ; mais il est vraisemblable que la totalité « est inconsciemment présente dans le moi ». Cela correspondrait à un état de teleiôsis (perfection ou intégralité) aussi grande que possible.

.. le Christ fut reçu à travers le symbolisme du poisson dans un monde conceptuel apparemment P.123 étranger aux Evangiles, un monde à l'origine païen, qui était dans une certaine mesure imprégné de la croyance aux astres .. Le Christ se situe au début de l'ère des Poissons.  Il n'est nullement exclu qu'il y ait eu des chrétiens instruits qui connaissaient la «grande conjonction» de l'an 7  ( Jupiter conjoint Saturne en Poisson ) . Mais les Poissons sont un signe double.

Dans la nuit de Noël, lorsque vers minuit (selon l'ancienne chronologie ), le soleil passe dans le Capricorne, la Vierge se trouve sur l'horizon oriental, bientôt suivie du serpent qui est tenu par Ophiuchus (le Serpentaire). Cette coïncidence astrologique me semble digne d'être mentionnée, de même que l'idée selon laquelle les deux poissons sont mère et fils. Cette conception a même une signification tout à fait particulière dans la mesure où cette relation indique une unité originelle du Poisson. Il n'y avait en fait chez les Babyloniens de même qu'en Inde qu'un seul poisson. (A savoir le Piscis austrinus confondu avec les Pisces, dont l'étoile principale est Fomalhaut.) Plus tard manifestement cette mère mit au monde un fils, qui était aussi un poisson. L'homologue en est la Dercéto-Atargatis phénicienne qui mi-poisson elle-même, eut un fils du nom d'Ichthys. Il n'est pas impossible que « le signe du Prophète Jonas » .. repose sur une tradition plus ancienne d'une héroïque croisière nocturne et d'une victoire sur la mort, où le héros est englouti par le poisson ( dragon-baleine) pour ensuite renaître. Le nom du Sauveur : Joshua (« Jahwe est délivrance ») (Jehoshua, Jeshua, en grec Iêsous) est en relation avec le poisson ; Josué est le fils de Noûn. Noûn est un nom de poisson. Le Joshua fils de Noûn de la légende islamique de Khider est relié à un poisson destiné à être mangé, mais qui fut ramené à la vie par une goutte d'eau de la source de vie.

Les grandes mères mythologiques sont d'ordinaire dangereuses pour leurs fils. .. image de poisson sur une lampe du christianisme primitif, où l'un des poissons engloutit l'autre. Le nom de l'étoile principale dans le « poisson austral » Fom-al-haut ( fom-al-hoût), « bouche de poisson », pourrait bien être interprété dans ce sens, de même que le fait que toutes les formes possibles de la « concupiscence » dévorante sont en général attribuées aux poissons dans l'histoire des symboles : ils seraient ambitieux, libidineux, voraces, avares, lascifs, bref, une image de la vanité du monde et de la volupté terrestre. Ils doivent dans une large mesure ces propriétés négatives à leur relation avec la déesse-mère et déesse de l'amour Ishtar, Astarté, Atargatis et Aphrodite. Cette dernière, en tant que planète Vénus, a précisément son exaltation dans le signe des Poissons. Ils sont, dans la tradition astrologique, comme dans l'histoire des symboles, chargés depuis longtemps des propriétés citées, mais ils revendiquent également une significarticulière et élevée. Leur prétention se fonde, du moins en astrologie, sur le fait que le natif des Poissons aspire à être pêcheur ou marin, et, en tant que tel, à capturer des poissons ou à maîtriser la mer ; il y a là un écho de l'identité totémique primitive entre le chasseur et sa proie. Ainsi, Oannès, le héros civilisateur babylonien, est lui-même un poisson, et l'Ichthys chrétien est le pêcheur d'hommes par excellence ; dans l'histoire des symboles, il est même l'hameçon ou l'appât de la ligne de Dieu avec laquelle est capturé le Léviathan, conçu comme la mort et le diable. ( On peut voir à quel point les significations positive et négative sont reliées, à l'aide du thème de l'hameçon attribué à saint Cyprien (IIIème siècle) : .. De même que, si un poisson saisit l'hameçon entouré de nourriture, il n'emporte pas la nourriture avec l'hameçon, mais il est lui-même tiré. de la profondeur, ainsi celui qui possédait l'empire de la mort put, certes, ravir le corps de Jésus dans la mort, sans discerner qu'il contenait l'hameçon de la divinité, mais dès qu'il l'eut dévoré, il y demeura attaché pour toujours etc. .. Dans l'hameçon est montré un aliment de plaisir désirable, mais un crochet y est caché, qui est mangé  avec l'aliment. Ainsi, dans la concupiscence de la chair, le diable montre l'aliment du plaisir, mais l'aiguillon du péché s'y cache). Dans P.125 la tradition juive, il est une sorte de mets eucharistique réservé aux dévots dans une vie future. Après leur mort, ceux-ci revêtent une peau de poisson. Le Christ est, non seulement le pêcheur, mais aussi le poisson qui est mangé de façon « eucharistique ». . Nous rencontrons déjà le « poisson qui guérit » dans la légende de Tobie : l'ange Raphaël aide Tobie à capturer le poisson qui veut l'engloutir et lui apprend à confectionner un remède magique contre les mauvais esprits avec le cour et le foie et à guérir la cécité de son père avec la bile.

Saint Pierre Damien .. qualifie les moines de poissons .. Dans l'inscription de Pectorios .. les croyants sont appelés « ichthyos ouraniou theion genos » (la race divine du poisson céleste).

Le poisson de Manou est un sauveur, un sôter (.. Je t'ai sauvé..) identifié selon la légende à Vichnou comme petit poisson rouge. Celui-ci prie Manou de bien vouloir l'accueillir auprès de lui, car il craint d'être englouti par les monstres marins. Il croît alors, à la manière des contes, jusqu'à devenir énorme, et sauve finalement Manou du déluge.

Le douzième jour du premier mois de l'année hindoue, un poisson d'or est déposé dans une coquille remplie d'eau, et on l'invoque . chercheurs .. ont voulu faire dériver le poisson chrétien de l'Inde. L'influence indienne n'est pas impossible, puisqu'il existait déjà des relations avec les Indes antérieurement au Christ et qu'à l'époque du christianisme primitif une certaine influence spirituelle se fit sentir .. Toutefois il n'y a aucune raison sérieuse pour faire dériver le poisson de l'Inde, car le symbolisme occidental du poisson est à la fois si richement développé et si archaïque que l'on peut en toute quiétude le revendiquer comme autochtone.

Dans la mesure où les poissons représentent la mère et le fils, ils renferment aussi la tragédie mythique de la mort prématurée du fils et de sa résurrection. En tant que douzième constellation, ils signifient la fin de l'année astrologique en même temps qu'un nouveau commencement. Ce caractère coïncide avec la nature résolument définitive du christianisme et son attente de la fin du monde et du royaume de Dieu à venir. Les propriétés astrologiques du poisson contiennent donc des éléments tout à fait essentiels du mythe chrétien : la croix, la contradiction morale et la scission en Christ-Antéchrist, le fils de la Vierge, la tragédie classique mère-fils, les périls de la naissance, et enfin le sauveur et porteur du salut. Il n'est donc pas faux de relier l'appellation du Christ en tant que poisson au début de l'ère des Poissons qui lui est contemporain. Si ce rapport existait déjà dans l'Antiquité, il a dû demeurer une P.127 hypothèse tacite . dans l'interprétation astrologique, le Christ n'est en fait que l'un des poissons, tandis que le rôle de l'autre poisson incombe à l'Antéchrist. .

Le symbolisme païen du poisson occupe une place beaucoup plus importante. (Il faut en particulier considérer le culte de la colombe et du poisson dans les territoires syriens voisins. Le poisson y jouait aussi le rôle d'un mets « eucharistique » .. Le dieu principal des Philistins s'appelait Dagon, qui vient de Dag = poisson.) C'est le plus souvent le matériel juif qui pèse dans la balance .. Le « calice de bénédiction » juif était parfois décoré d'images de poissons, car les poissons passaient pour être la nourriture des âmes dans l'au-delâ. On en donnait au mort comme offrandes funéraires. Les poissons sont largement représentés sur les tombeaux. C'est là que se rencontre principalement le poisson chrétien. Les Israélites pieux qui vivent « dans l'eau de l'enseignement » sont comparés aux poissons.  . Le poisson a également une signification messianique. Selon l'Apocalypse de Baruch syrienne, le Léviathan sort de la mer lors de l'avènement du Messie. (Le Béhémoth se manifestera aussi en même temps que ce dernier et tous deux « seront alors donnés en mets à ceux qui restent » .. A l'imade du Léviathan s'élevant de la mer se rattache aussi la vision du livre d'Esdras, .. de l'homme qui vient au cour de la mer. ..) Il est bien « le très grand poisson » de l'inscription d'Abercios et correspond au « poisson de la source ». La source signifie la Héra babylonienne .. mais, sur le plan chrétien, elle représente Marie qui est invoquée comme source, pêgê . Mais il est dit de la source de Héra qu'elle contient l'« unique poisson » (monon ichthyn) qui soit saisi « l'hameçon de la divinité », et qui « nourrit le monde entier de sa propre chair ». Sur un vase béotien, la « mère des animaux » est représentée avec un poisson entre les jambes ou dans le corps, ce qui désigne probablement le poisson comme étant le fils. Quoique, dans le colloque cité, le mythe de Marie soit transféré sur Héra, le symbole du poisson ne correspond pourtant pas au symbole chrétien, car, selon ce dernier, le crucifié est l'hameçon ou l'appât avec lequel Dieu attrape le Léviathan. Celui-ci est dans le christianisme la mort ou le diable ( « le vieux serpent » ), et en aucun cas le Messie. Le pharmakon athanasias ( remède d'immortalité) est, dans la tradition juive, la chair du Léviathan, du « poisson messianique » .. Dans le Talmud du Sanhédrin .., il est dit que le Messie apparaît lorsque le malade aspire avec nostalgie au poisson qu'il ne peut trouver nulle part. Mais, comme on l'a dit plus haut, l'Apocalypse de Baruch mentionne aussi, auprès du Léviathan (Un passage de Moïse Maïmonide .. est important pour l'interprétation du Léviathan. .. « . per Leviathan complexum generalem omnium corporalium propietatum quae dispersae sunt in quolibet animali » . .. par Léviathan une représentation générale des propriétés corporelles dispersées en tout animal . .. cette pensée .. indique, à un certain point de vue, l'idée d'un archétype (complexus generalis) de « l'esprit de pesanteur ».), Béhémoth comme mets eucharistique. On oublie souvent de le P.129 remarquer. .. ces deux monstres préhistoriques de Yahvé paraissent constituer une paire d'opposés, puisque l'un est un animal nettement terrestre, mais l'autre est un animal marin. Comme nous l'avons vu, ce dernier est manifestement associé au Messie dans la tradition juive.

Non seulement dans le judaïsme, mais de façon générale dans l'ancien Orient, la naissance d'un homme supérieur fut longtemps identifiée au lever d'une étoile. Ainsi Balaam prédit (Nombres. XXIV, 17) : « Je le vois, mais non maintenant, je l'aperçois, mais non de près : une étoile sort de Jacob. »

L'espérance messianique est toujours liée à l'apparition d'une étoile. Selon le Zohar, le poisson qui engloutit Jonas dut mourir et, trois jours après sa mort, ressusciter et recracher Jonas. « Dans le poisson nous trouvons un moyen de guérison pour le monde entiers ». (.. Mat. XII, 39, et XVI, 4, où le Christ attire l'attention sur le miracle du poisson de Jonas comme signe des temps messianiques et préfiguration du destin du Christ.) .. le « poisson tout à fait grand et pur de la source » dont il est fait mention dans l'inscription d'Abercios n'est autre que le Léviathan qui, non seulement est le plus grand poisson, mais est aussi regardé comme « pur » .

IX L'AMBIVALENCE DU SYMBOLE DU POISSON

Selon l'Apocalypse de Baruch syrienne, l'époque qui précède la venue du Messie se divise en douze parties. Le Messie fera son apparition dans la douzième partie. Le nombre douze comme division du temps fait référence aux douze signes du zodiaque. Le douzième correspond à celui des Poissons. C'est alors aussi que le Léviathan monte de la mer. « Les deux puissants monstres marins que j'ai créés le cinquième jour de la création et que j'ai préservés jusqu'à ce temps (sous-entendu : de la fin du monde) deviendront alors un mets pour tous ceux qui resteront. » Comme il ne fait aucun doute que le Béhémoth n'est pas un animal marin, mais, dit un Midrasch, qu'« il paît sur mille montagnes » les deux « monstres marins » doivent donc se rapporter à une dualité du Léviathan. En fait, il se présente comme divisé selon le sexe, il en existe un masculin et un féminin. (Baba Batra.. Le léviathan féminin a déjà été tué par Dieu, embaumé et ainsi conservé pour la fin des temps. II en fut de même pour la Béhémoth féminine. Mais il avait castré les mâles, sinon ils se seraient multipliés et le monde aurait été détruit.) Isaïe (XXVII, 1) fait également allusion à une dualité du Léviathan : le Seigneur « frappera le Léviathan, le serpent fuyard, et le Léviathan, le serpent tortueux, sinueux, et tuera le monstre (Vulgate : cetum, baleine) qui est dans la mer ». Cette dualité suscita vraisemblablenent plus tard dans l'alchimie médiévale la représentation des deux serpents se combattant dont l'un est ailé et l'autre ne l'est pas. (Ils représentent le couple typique d'opposés. Cf. également le combat des dragons dans le Yi King, hexagramme 2, K'ouen, le réceptif, sixième trait) L'opposition indiquée se manifeste dans le Livre de Job où le Léviathan ne se rencontre qu'en un endroit, opposé à ce Béhémoth. Un poème .. décrit un combat de la fin des temps entre le Léviathan et Béhémoth, au cours duquel ils se blessent tous deux mortellement. Ils sont alors mis en pièces par Dieu et préparés comme aliment pour les hommes pieux. Cette représentation est liée .. à la coutume du repas de la Pâque, qui tombe au mois Adar (des Poissons). Malgré le redoublement du Léviathan dans les textes ultérieurs, il est toutefois très vraisemblable qu'il n'y eut à l'origine qu'un seul Léviathan auquel il est fait très tôt allusion, .. textes de Ras Shamra (env. 2000 av. J-C) ..

« Quand tu frapperas Ltn, le serpent brh,

Tu achèveras le serpent 'qltn,

Le puissant aux sept têtes. »

.. « Il est remarquable en effet, que les deux adjectifs brh et 'qltn sont ceux-là mêmes qui qualifient, dans Isaïe, 27,1, un serpent d'une espèce particulièrement dangereuse, que nous appelons Léviathan, en hébreu Liviatan. » De cette époque datent également des représentations d'un combat entre Baal et le serpent Ltn, ce qui mérite d'être mentionné dans la mesure où l'opposition existe ici encore entre Dieu et le monstre, et non seulement entre deux monstres, comme plus tard.

On voit par l'exemple du Léviathan comment le grand « poisson» se scinde peu à peu en un contraire, après avoir lui-même senté tout d'abord l'opposé du dieu suprême et donc d'une certaine manière son ombre, c'est-à-dire son côté néfaste. (On trouve peut-être un écho de ce développement psychologiue dans l'opinion de Maïmonide qui écrit : « Ce sur quoi Dieu s'exprime le plus de la façon la plus pénétrante est la description du Léviathan, car celui-ci réunit en lui les puissances (c.à d. capacités) corporelles qui ne se présentent que séparément chez les animaux, tandis que celui-ci marche, nage, et vole en même temps ». .. Léviathan est donc une sorte de suranimal, comme Yahvé est une sorte de surhomme.)

Par la scission du monstre en un nouvel opposé, l'opposition à Dieu passe à l'arrière-plan et le monstre se trouve donc maintenant en conflit avec lui-même ou avec un monstre correspondant ( comme par exemple Léviathan et Béhémoth ). Par ce développement, la divinité est déchargée de son conflit intérieur, et l'aspect de conflit apparaît désormais comme un couple ennemi de monstres-frères. Dans le développement juif ultérieur, le Léviathan qui, selon Isaïe, XXVII, est encore combattu par Yahvé, a, ..  tendance à devenir « pur » et « mets eucharistique », et, si l'on voulait en déduire le symbole de l'Ichthys, il en résulterait que le Christ aurait en réalité pris la place du Léviathan en tant que poisson, réduisant ainsi les animaux monstrueux de la tradition à de simples attributs du diable et de la mort.

Cette dissociation correspond au dédoublement de l'ombre, qui survient assez souvent dans les rêves, et où les moitiés sont caractérisées comme différentes, voire opposées. Ce cas se produit lorsque la personnalité consciente ( du moi) n'embrasse pas tous les contenus, c'est-à-dire les composants qu'elle pourrait renfermer. Une partie de la personnalité reste alors dissociée, se mêle à l'ombre normalement inconsciente et constitue avec celle-ci une personnalité double (souvent antagoniste). Si nous appliquons cette expérience de psychologie pratique au cas mythologique en question, il en résulte que le monstrueux antagoniste de Dieu se dédouble, parce que l'image de Dieu se manifeste comme incomplète dans la mesure où elle ne contient pas tout ce qu'elle devrait logiquement embrasser. Tandis que le Léviathan représente un être proche du poisson, c'est-à-dire primitif et à sang froid, et résidant dans les profondeurs de l'océan, le Béhémoth est un quadrupède à sang chaud (proche du taureau ?) qui habite dans les montagnes ( du moins selon l'interprétation ultérieure ). Face au Léviathan, il se comporte donc comme un être élevé, supérieur, vis-à-vis d'un être bas, inférieur, en quelque sorte comme, dans l'alchimie, le dragon ailé face au dragon sans ailes. Tous les oiseaux ( volucres ) sont des volatiles, c'est-à-dire des vapeurs et des gaz, synonymes d'esprit (pneuma).  De même que, chez saint Augustin, le Christ est le poisson .. « tiré de la profondeur », on voit au lVème Livre d'Esdras .. l' « Homme » venant tel un vent de la mer. Il est précédé de l'aigle et du lion, donc des symboles thériomorpbes qui sont caractérisés comme négatifs, tout comme dans Job où le Béhémoth suscite principalement la frayeur. P.133 Le poisson qui est « tiré de la profondeur » est en relation secrète avec le Léviathan : il est l'appât avec lequel le Léviathan est attiré et capturé. Ce poisson vient probablement d'un dédoublement du grand poisson et en représente le côté pneumatique. Si le Léviathan revêt un tel aspect, cela est dû au fait qu'il est, comme l'Ichthys, un mets eucharistique. Dans Job .. il apparaît que ce dédoublement figure un acte de passage à la conscience. II y est dit que Yahvé réprime le Rahab par son discernement (tebüna). Rahab, le monstre marin, est le pendant de Tiamat qui fut rempli par Mardouk de l'imhullu, le vent du nord, et qui fut fendu par lui. (En alchimie, la pénétration et la perforation .. sont proches du thème de la scission. Cf. f. aussi Job, 26,13 : « Sa main a percé le serpent fuyard. ») Tebüna vient de bin = séparer, fendre, distinguer, et signifie donc discrimination, trait qui représente par excellence la caractéristique du passage à la conscience. Dans ce sens, le Léviathan et tout spécialement le Béhémoth sont les étapes d'un développement vers la conscience, donc vers une assimilation à l'homme. Le poisson se transforme en un homme charnel en passant par les quadrupèdes à sang chaud, et, dans la mesure où le Messie signifie, dans le domaine chrétien, la seconde personne, la figure humaine détachée du poisson indique l'incarnation de Dieu. L'élément humain était par conséquent ce qui manquait auparavant à l'image divine.

Le rôle que joue le poisson dans la tradition juive a un certain apport avec le culte syro-phénicien du poisson d'Atargatis. Il y avait près de son temple des étangs de poissons sacrés que personne ne devait toucher. De même, des repas cultuels avaient lieu dans les temples . A Lycia, on vénérait le poisson divin Orphos ou Di-orphos, le fils de Mithra et de la « pierre sacrée » qui représente Cybèle. Il figure un cas particulier de ces dieux-poissons sémites .., tels que Oannès, le Noûn babylonien, Dagon ou Adonis, que les Grecs appelaient Ichthys. Les offrandes de poissons étaient faites en l'honneur de Tanit à Carthage et d'Ea et Nina à Babylone. En Egypte on rencontre également les traces d'un culte du poisson. Ainsi, il était interdit aux prêtres égyptiens de manger des poissons, car ceux-ci étaient impurs comme la mer typhonienne. « Ils s'abstiennent tous de poisson », dit Plutarque. . il était de coutume, le neuvième jour du premier mois, de manger un poisson rôti sur le seuil de la maison. .. cette coutume aurait ouvert la voie au poisson eucharistique chrétien.

L'ambivalence du comportement face au poisson reflète la double nature de celui-ci. D'un côté, il est impur et signe de haine, de l'autre, objet de culte religieux. Il semble même avoir symbolisé les âmes, comme il ressort d'un sarcophage de l'époque hellénistique tardive. La momie repose sur une civière en forme de lion. Sous la civière se trouvent les quatre canopes dont les couvercles correspondent aux quatre fils d'Horus : trois têtes thériomorphes et une tête humaine. C'est un poisson qui plane au-dessus de la momie, à la place de l'habituel oiseau des âmes. Comme il en ressort du dessin, il s'agit de l'oxyrhynchos, l'un des trois poissons généralement exécrés dont il était dit qu'ils avaient mangé le phallus d'Osiris démembré par Typhon. Ils appartiennent à Typhon qui est « l'élément passionnel de l'âme, le titanesque, le déraisonnable et l'irréfléchi ». Leur avidité fait encore des poissons, à la fin du Moyen Age, une allégorie des damnés. Il est donc d'autant plus remarquable que le poisson fasse figure de symbole égyptien des âmes. Mais la figure de Typhon-Seth manifeste la même ambivalene. Aux époques plus tardives, il est un dieu de la mort, de la destruction et du désert, l'adversaire perfide de son frère Osiris, mais, aux époques antérieures, il apparaît par contre comme étroitement lié à Horus ; c'est un ami et un auxiliaire des morts. P.135

Dans un texte des pyramides, avec Horus l'Ancien, il aide Osiris à atteindre le ciel. La voûte céleste se compose d'une dalle de fer qui est, par endroits, si proche des pics de montagne que l'on peut de là y accéder au moyen d'une échelle. La dalle repose aux quatre coins sur quatre colonnes correspondant aux points cardinaux. Dans les textes des pyramides, (texte de Pepi Ier) on célèbre l'échelle des deux jumeaux et, dans le texte d'Ounas, il est dit : « Ounas grimpe à l'échelle que son père Râ a faite pour lui et Horus et Seth saisissent la main d'Ounas et ils le conduisent dans la Touat. » (Cf. également la transfiguration du Christ en préseno de Moïse et d'Elie (Mat., XVII, 3) et les « sauveurs jumeaux » de la Pistis Sophia.)

D'autres textes montrent qu'il existe une opposition entre Hérou-our et Seth puisque le premier est un dieu du jour, tandis que le second est un dieu de la nuit. La forme hiéroglyphique du nom de Seth a comme déterminatif le signe de la pierre ou l'animal de Seth aux longues oreilles (non identifié). Il existe des reproductions sur lesquelles la tête de Hérou-our et celle de Seth apparaissent sur un unique et même corps, d'où l'on peut reconnaître l'identité des opposés qu'ils représentent tous deux. .. « Les attributs de Herou-our se modifièrent quelque peu lors des premières époques dynastiques, mais ils furent toujours à l'opposé de ceux de Seth, soit que nous regardons les deux divinités comme des personnifications de deux puissances de la nature, à savoir la lumière et l'obscurité, le jour et la nuit, le cosmos et le chaos, la vie et la mort, le bien et le mal . » (Sir Wallis Budge)

Le couple divin représente le contraire contenu (à l'état latent) dans Osiris, le dieu suprême, comme Béhémoth et Léviathan le font par rapport à Yahvé. Le sens en est que les opposés doivent se réunir en une réalisation commune lorsqu'il s'agit d'aider l'un à parvenir à la quaternité. Celle-ci est également représentée et personnifiée par les quatre fils d'Horus : Mestha, Hapi, Touarnoutef et Qebhsennouf, dont il est dit qu'ils sont « derrière la cuisse du ciel du Nord », c'est-à-dire de Seth dont le siège se trouve dans la constellation de la Grande Ourse. D'un côté les quatre fils d'Horus sont des ennemis de Seth, de l'autre ils lui sont étroitement liés. Ils constituent l'analogue des quatre colonnes du ciel qui portent la voûte céleste, la dalle carrée. Comme il n'est pas rare que trois des fils d'Horus aient des têtes d'animaux, alors qu'un seul est caractérisé par une tête d'homme, on doit attirer l'attention sur l'analogie avec les visions d'Ezéchiel dont les figures chérubiniques , comme on le sait, à l'origine des symboles des évangélistes .

En raison des étroites relations entre Israël et l'Egypte, le rapport des symboles n'est pas invraisemblable. Il est remarquable que la tradition arabe voie la région du pôle nord sous l'image d'un poisson. Kazwini dit : « Le pôle nord est visible. Autour (de lui) se tiennent les Benât na'sch (Littéralement : les « filles de la civière » , C est-a-dire probablement les pleureuses qui précèdent la civière du défunt ..) plus petites et les étoiles obscures, qui, prises ensemble, représentent l'image d'un poisson dont le centre se trouve au pôle nord ». En d'autres termes, le pôle nord, qui signifie dans la Haute-Egypte la région de Typhon ainsi que le lieu de résidence des quatre fils d'Horus, se trouve pour ainsi dire dans le corps d'un poisson. Selon la tradition babylonienne, Anou a son siège dans le ciel du nord ; de même, en tant que dieu suprême, Mardouk est le démiurge et le maître de la rotation du monde, donc le pôle nord, ainsi qu'il est dit de lui dans l'Enuma elish : « Celui qui fixe aux astres leur cours paîtra, tel un pasteur, tous les dieux ensemble. »

C'est au point nord de l'écliptique que se trouve le royaume de feu (purgatoire et voie vers le ciel d'Anou). . P.137 ..

Les représentations babyloniennes de la signification du point nord éclairent .. la raison pour laquelle la vision de Dieu d'Ezéchiel vient justement du nord, quoique cette région figure aussi l'origine de tout mal. Dans une conception primitive de Dieu, la coincidentia oppositorum est la norme, étant donné que la divinité est simplement acceptée de façon non réfléchie. Mais, au niveau d'une conscience réfléchie, la coïncidence des opposés devient un problème de premier ordre que l'on contourne dans la mesure du possible. C'est pourquoi dans le dogme chrétien, le problème de la place du diable est traité d'une façon très insuffisante. Lorsqu'il existe de telles lacunes dans les représentations collectives majeures qui sont les dominantes de notre orientation consciente, on peut compter en toute certitude sur l'existence d'un développement complémentaire, ou mieux compensatoire, dans l'inconscient. Nous rencontrons de telles conceptions compensatoires dans les spéculations alchimiques. .. restauration plus ou moins consciente de l'image primitive de Dieu. Cela va jusquà des paradoxes aussi choquants que l'idée du Dieu d'amour brûlant dans le feu de l'enfer .Jacob Boehme qui, influencé d'égale manière par l'alchimie et la kabbale , trace une image paradoxale de Dieu, dans laquelle le bon et le mauvais aspect appartiennent au même et unique être divin .

L'histoire antique nous montre une image duelle de la région du Nord : d'un côté le siège des dieux suprêmes, de l'autre celui de l'adversaire ; d'un côté les prières se dirigent vers le nord, de l'autre il y souffle un pneuma mauvais, l'aquilon, ..(.. le mauvais esprit ..), enfin, il est d'une part l'axe du monde, mais de l'autre, l'enfer. Bernard de Clairvaux interpelle Lucifer : « Et tu tends vers le nord dans un ordre inversé ? Plus tu te hâtes vers la hauteur, plus vite tu déclines vers la chute. » Cette place est le sous-entendu du « roy Aquilonaire » de Nostradamus. En même temps on voit, dans les paroles de Bernard, que l'idée de l'élévation de puissance suprême à laquelle aspire l'ambition de Lucifer est liée au nord. (Une propriété négative du vent du nord - « le vent du nord engourdit par le froid » =  « torpeur causée par l'esprit malin : il durcit les cours des méchants - étaye l'hypothèse de l'alchimie sur la naissance des coraux : « Le corail est une sorte de plante qui croît dans la mer et a des racines et des branches, et est humide de naissance. Mais lorsque souffle le vent du nord, elle se durcit et devient un corps rouge que le navigateur voit et sectionne sous l'eau ; mais lorsqu'elle en sort, elle devient une piene dont la couleur est rouge.) P.139

X LE POISSON DANS L'ALCHIMIE

1. LA MÉDUSE

.

Ce sont des Allegoriae qui constituent la source la plus ancienne du symbolisme alchimique du poisson. Nous devons donc situer le poisson alchimique assez tôt, à savoir avant le XIe siècle. (Je fais ici abstraction du poisson en tant que matériel technique. En tant que te1, il est naturellement déjà connu dans l'alchimie grecque. Je mentionnerai -en exemple la « Méthode du Salmanas »  pour  la production de la « perle ronde ». La colle de poisson était souvent utilisée comme agglutinant.) . ..apès avoir d'abord représenté la substance mystérieuse, il soit devenu, par  transformation de celle-ci, le symbole de la Pierre qui désigne, comme on sait, aussi bien la matière première (materia prima) que le produit final du processus ( lapis philosophorum, elixir vitae, aurum nostrum, infans, puer, filius philosophorum, Hermaphroditus, etc.).  . ce « fils » était mis en parallèle avec le Christ. Ainsi le poisson alchimique accède lui aussi, à la dignité de symbole du « Sauveur du monde » (Salvator mundi). De même que son père est Dieu, sa mère est la Sagesse de Dieu, à savoir le Mercure, en tant que « vierge ». Le « fils des philosophes », à savoir « du macrocosme », qui est la Pierre, ne signifie, d' après tous ses attributs et ses propriétés, rien d' autre que le Soi...  Le texte dans lequel se trouve la mention la plus ancienne du poisson dit : « Il y a dans la mer un poisson rond, qui n'a ni arêtes ni écailles, et il a en lui de la graisse, une force merveilleuse qui, si  poisson est cuit à feu doux jusqu'à ce que sa graisse et son humidité fondent totalement, est imbibée d'eau de mer jusqu'à ce qu'elle luise.» Ce  passage est repris dans un autre traité.. le piscis (poisson) est devenu un pisciculus (petit poisson) et lucescat (luise) est changé en candescat (brille). Les deux textes ont en commun la conclusion (ironique) de la recette : « Quand apparaît la citrinatas (xanthosis, couleur jaune), le collyre (collyriium) des philosophes naît alors. » S'il se  lavent les yeux avec, ils peuvent facilement comprendre les secrets de la philosophie.

Toutefois ce « poisson rond » n'est pas un poisson au sens moderne, mais un mollusque. P.141

Notre texte rapporte que le « poisson rond luit » (lucescit) s'il est réchauffé, c'est-à-dire, cuit, à feu doux, ce qui veut dire qu'une chaleur déjà présente en lui devient visible en tant que lumière. . l'étoile de mer (stella marina). On dit de ce poisson qu'il est chaud et brûlant, et que tout ce qu'il rencontre dans la mer brûle comme sous l'effet du feu. . L'animal, dit-il (Nicolas Caussin), a en lui une telle chaleur que non seulement il enflamme tout ce qu'il touche, mais qu'en outre, il apprête sur-le-champ sa nourriture. Il signifie donc « la force inextinguible de l'amour véritable ».

 « Ce poisson demeure toujours incandescent au milieu des eaux, et il échauffe et enflamme tout ce qu'il touche. »  Cette incandesence est un feu qui évoque le Saint-Esprit. L'auteur cite à ce sujet l'Ecclésiastique 48, I ( « Le prophète Elie surgit comme un un feu, et ses paroles étaient comme une torche ») et les langues de feu du prodige de la Pentecôte. Le miracle qui fait que le feu de l'étoile de mer ne s'éteint pas dans l'eau rappelle l' efficacité de la grâce divine qui enflamme de nouveau les coeurs noyés dans la mer des péchés . Le poisson signifie aussi, pour la même raison, la charité et l'amour divin, selon la parole du Cantique (VIII, 7) : « Les grandes eaux n'ont pu éteindre la charité et les fleuves ne la recouvriront pas. » Selon l'auteur (Picinellus), le poisson répand dès le début de sa vie un éclat autour de lui et désigne donc la religion, dont la lumière fait vivre les croyants.

Cpmme le montre la citation du Cantique des Cantiques, l'interprétation de la chaude étoile de mer autorise une relation avec « l'amour profane ». Picinellus dit même qu'elle (l'étoile) :onstitue de la façon la plus rigoureuse l'hiéroglyphe du coeur d'un amant dont la mer entière n'apaiserait pas l'ardeur, qu'il s'agisse d'amour divin ou d'amour profane. Ce poisson en effet, dit notre auteur avec inconséquence, brûle mais ne brille pas. P. 143

.. « Songe en outre à l'abime profond, aux ténèbres impénétrables, au feu privé d'éclat qui possède la force de brûler, mais qui est privé de lumière. » Il s'exclame : « Cette idée décrit le feu infernal ». C'est la « concupiscence », « l'étincelle de volupté »

Il est remarquable de voir la fréquence avec laquelle les symbolistes médiévaux donnent des interprétations diamétralement opposées d'un seul et même symbole sans paraître s'apercevoir de la grave et dangereuse possibilité que l'unicité du symbole apporte certaine garantie à l'unité des opposés. On voit par suite apparaître dans l'alchimie des conceptions selon lesquelles Dieu lui-même « brûle » dans le feu souterrain ou sous-marin. Ainsi la Gloria mundi déclare : « Prends le feu ou la chaux vive dont les philosophes disent qu'elle pousse sur les arbres (les coraux) et où Dieu lui-même brûle d'amour divin. De même, le Maître Naturel dit à propos de cet art du feu que le Mercure doit être dissous et fixé dans le feu indestructible, à savoir le feu vivant, dans lequel Dieu lui-même brûle, mais avec le soleil dans l'amour divin pour la consolatjon de tous les hommes. et sans ce feu, l'oeuvre ne pourra jamai être accomplie. Il en est de même du feu des philosophes que ceux-ci tiennent caché et enfermé sous clé. (cf. rêve chaufferie) Ce feu est aussi le feu le plus noble que Dieu ait créé sur terre ; il a en effet des milliers de vertus. Le Maître fait à ce sujet la réponse que Dieu lui a accordé une force et une efficacité si grandes que la divinité elle-même est mêlée à ce feu. Et ce feu purifie tant au purgatoire que dans les enfers. »  Le feu est « inextinguible ». Les phoilpsophs appellent ce feu le feu du Saint-Esprit.  « Il unit le Mercure au soleil « de telle sorte que tous trois deviennent une chose que personne ne séparera ». . ce feu unit ces trois choses : à savoir le corps, l'esprit et l'âme, c'est-à-dire le Soleil, le Mercure et l' Ame. » « Dans ce feu invisible est enfermé le mystère de l'art, de même que dans le Dieu en trois personnes, le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont véritablement contenus dans une seule essence. » Ce feu est en même temps « feu et eau » (ignis et simul aqua). Les philosophes l'ont appelé . « feu vivant », qui se mêle lui-même à « l' eau vivante »

Un autre traité dit de l'eau qu'elle est « occultation et domicile du trésor tout entier » (cf. rêve FR. V). En son centre en effet est « le feu de géhenne » qui contient « cette machine du monde dans son être » P.145

Le feu est causé et allumé par le primum mobile et par les influences des constellations. Il ne s'arrête jamais dans son mouvement universel .. et est constamment « allumé par les forces célestes »

C'est un feu « contre nature».. il soumet les corps à la torture, et il est lui-même le dragon qui dans sa fureur brûle comme le feu des enfers ».  L'esprit de vie régnant dans la nature, Phyton, a un double aspect : il en existe aussi une forme infernale, à savoir le feu infernal, à partir duquel est préparé un bain infernal. .

Selon Blaise de Vigénère, le feu n'a pas deux, mais quatre aspects : l'aspect intelligible qui est pure lumière, l'aspect céleste qui est chaleur et lumière, l'aspect élémentaire qui, appartenant au monde inférieur, est caractérisé par la lumière, la chaleur et l'ardeur et, finalement, l'aspect infernal qui s'oppose à l'aspect intelligible est privé de lumière et ne fait qu'être ardent et brûler. On voit réapparaître chez cet auteur la quaternité liée au feu depuis l'origine des temps, comme le montrent la représentation égyptienne de Typhon et des quatre fils d'Horus. .   (Les symboles quaternaires surgissant spontanément dans les rêves indiquent la totalité, c-à-d, le Soi. Le feu signifie la passion, l'affect, le désir et les pulsions émotionnelles de la nature humaine, et donc tout ce qui est compris sous le concept de libido. ..Si les alchimistes attribuent une nature quaternaire au feu, cela revient à dire que le Soi est la source de l'énergie.)

Dans le traité. de Philalèthe, la substance de l'arcane est qualifiée de chalybs (acier). Elle est, . la «minière de l'or », « la clé véritable de notre oeuvre sans laquelle le feu de lampe ne peut être allumé par aucun art ». « L'acier » est « avant tout un esprit très pur ». Il est « le feu infernal (Le feu infernal est identique au diable. A ce dernier est attribué, d'après l'autorité d'Artefius un corps extérieur constitué d'air et un corps intérieur formé de feu. ), secret. merveille du monde, assemblage des forces supérieures dans les inférieures. C'est pourquoi le Tout-Puissant l'a marqué d'un signe notable : sa nativité est annoncée à travers l'orient philosophique, dans l'horizon de son hémisphère. Les mages pleins de sagesse l'ont vu (au début) del'Ere et furent frappés de stupeur et reconnurent aussitôt que le Roi sérénissirne était né dans le monde. Quant à toi, lorsque tu auras aperçu son astre, suis-le jusqu'au berceau où tu verras un bel enfant, si tu te tiens éloigné de l'ordure ; honore l'enfant royal, ouvre ton trésor, offre le don de l'or ; ainsi il te donnera enfin chair et sang après la mort et le remède suprême de la terre..» 

.. L'acier, qui est en même temps le feu infernal, cette « clé de l' oeuvre », est attiré par l'aimant, c'est pourquoi, dit l'auteur, « notre aimant » est la véritable minière .. de l'acier. L'aimant a un centre secret qui se tourne « d'un désir archétypique » vers le pôle où la force de l'acier est accrue. Le centre abonde en sel.. ce par quoi est manifestement signifié le « sel de la sagesse » . P.147

« . Que celui qui navigue sur cette grande mer parvienne à l'une et l'autre Indes . qu'il dirige son cours à la vue de l'astre septentrional que notre aimant te montrera » . Dans ce texte, il est fait allusion au voyage mystique, à la peregrinatio. .. ce voyage conduit généralement aux quatre directions du ciel qui sont signifiées ici par les deux Indes et par orientation nord du compas. On obtient ainsi une croix, c'est-à-dire une quaternité qui appartient à la nature du pôle. Les quatre directions du ciel sont en effet issues de ce dernier, de même que la séparation des hémisphères.

J'aimerais citer dans ce contexte le rêve d'un étudiant de vingt ans qui tomba dans un certain désarroi lorsqu'il découvrit que la facuIté de philosophie à laquelle il s'était inscrit ne lui convenait pas pour des raisons inconnues au premier abord. Sa désorientation était considérable, car il ne savait pas quelle profession choisir au juste. Il fut alors aidé par un rêve lui montrant son but au sens le plus large :

Il rêva qu'il se promenait dans une forêt. Peu à peu celle-ci devenait de plus en plus isolée et sauvage, et finalement le rêveur se rendit compte qu'il se trouvait dans une forêt vierge. Les arbres étaient si grands et leur feuillage si dense qu'en bas, près du sol, c'était presque le crépuscule. Il n'y avait plus, depuis longtemps, ni chemin ni sentier, mais, poussé par une attente et une curiosité vagues, il poursuivit sa route et parvint bientôt à un étang circulaire de six à sept mètres de diamètre. C'était une source souterraine dont l'eau cristalline paraissait presque noire dans 1'ombre obscure des arbres. Dans l'eau, au centre de l'étang, flottait une figure luisant faiblement d'un éclat de nacre - une hydroméduse dont la surface supérieure avait près de cinquante centimètres de diamètre. Le rêveur s'éveilla là-dessus dans une violente émotion. Il décida sur-le-champ de se consacrer à l'étude des sciences naturelles. La conclusion qu'il tira du rêve était jute, sans aucun doute, mais elle n'épuise nullement le sens du symbole. Le rêve est de nature archétypique - c'est un « grand » rêve. La forêt qui s'obscurcit jusqu'à perdre toute clarté et tourne à la forêt vierge signifie le passage dans l' inconscient , l'étang rond avec la méduse représente un mandala à trois dimensions, donc le Soi, la totalité comme but qu'évoque l'appetitus archeticus : le point nord, qui fournit l'orientation au voyage sur  « l'océan du monde » (pelagus mundi). (Cf. Rêve de Catherine D. mars 99)

Pour en revenir à notre texte, j'aimerais, pour résumer, faire ressortir que « le feu infernal » (ignis infernalis), n' est rien d'autre que le « Dieu caché »  qui séjourne au pôle nord et se manifeste dans le magnétisme. Il a pour autre synonyme le Mercure dont le coeur se trouve au pôle et qui guide l'homme dans son dangereux voyage sur l'océan du monde. L'idée selon laquelle le point nord, qui donne l'impulsion à la machine du monde, comme on l'a mentionné ci-dessus, représente à la fois l'enfer et un système des forces supérieures dans le monde inférieur est bouleversante. . L'intérêt psychologique de l'affirmation réside dans la nature de l'image qui représente en effet la projection de la figure archétypique de l'ordre, du mandala, en d'autres termes, de l'image humaine de la totalité. P.149

Le centrage dans les enfers qui, en même temps, sont Dieu, repose sur l'expérience immédiate selon laquelle ce qu'il y a de plus élevé et de plus profond dans ce qui monte du fond de l'âme conduit la barque de notre conscience soit à l'échec, soit à bon port, avec ou sans notre intervention. L'expérience de ce centre est donc à bon droit numineuse.

Picinellus pressent que son étoile de mer, « ce poisson » . représente non seulement le Saint-Esprit, la « charité », la grâce ou la religion, mais aussi qulelque chose dans l'homme, à savoir sa langue, c'est-à-dire sa arole et sa capacité d'expression, sièges et témoins essentiels d'une vie spirituelle. Il pense à ce propos à une activité spirituelle instinctive et non réftéchie, ce que prouve sa citation de l'épître de Jacques (III, 6) : « Et la langue est un feu, un monde d'iniquité : la langue est formée dans nos membres, elle souille notre corps entier et enflamme la roue de notre nativité, enflammée elle-même par la géhenne ».( Le texte auquel est empruntée la citation ajoute : « Toutes les espèces de bêtes et d'oiseaux, de reptiles et d'animaux marins sont domptés et ont été domptés par la nature humaine ; mais la langue, aucun homme ne peut la dompter ; c'est un mal qu'on ne peut réprimer ; e1le est pleine d'un venin mortel ». Ce texte est à rapprocher de l'Ecclésiastique, 9, 18 : « L'homme beau parIeur est redouté dans sa cité ».  A l'inverse, la langue est une allégorie (ou un symbole ?) du Saint-Esprit : « Des langues dispersées semblables à du feu » (Actes, 11, 3).

Ainsi le mauvais « poisson » coïncide avec notre penchant indompté et apparemment indomptable qui, tel un petit feu, enflamme une grande forêt, souille le corps entier et met le feu à la  « roue de la nativité ». . La roue constitue .. une allégorie du cercle, de l'écoulement ou de la rotation de la vie. .. on entend .. un parallèle à la souillure du corps entier, c'est-à-dire une destruction de l'âme.

Depuis le Timée, on répète que l'âme est le cercle. En tant qu'anima mundi, elle pivote avec la roue des mondes dont le moyeu est le pôle. Par suite, c'est là que réside le coeur du Mercure qui est bien l'anima mundi. Elle est en réalité le moteur du ciel. A la roue de l'univers étoilé correspond l'horoscope. La signification essentielle de l'horoscope consiste en ce que, par la position des planètes et leurs relations (aspects) de même que par la répétition du zodiaque par rapport aux points cardinaux, il trace une image de la constitution psychique et aussi de la structure physique.  L'horoscope représente donc avant tout un système de la nature originelle et fondamentale du caractère et peut ainsi passer pour l'équivalent de la psyché individuelle. Priscillanus .. dit du Christ : « Lui seul a la puissance de nouer le lien des Pléiades et d'ouvrir les limites d'Orion ; puisqu'il connaît la transformation du ciel astral et qu'il détruit la roue de la naissance, il a vaincu le jour de notre naissance par la restauration du baptême. » .. « L'embrasement de la roue » exprime donc au figuré un soulèvement catas-trophique de tous les composants originels de la psyché, conflagratiion qui correspond à une panique ou à toute autre émotion sans frein et donc fatale. (Dans les rêves, le feu vient fréquemment dans ce sens.). La  nature totale de la catastrophe s'explique par la position centrale de la « langue », c'est-à-dire de l'élément diabolique dont la tendance destructrice caractérise toutes les âmes. L'étoile de mer représente le foyer d'où émane l'effet créateur ou destructeur. P.151

2. LE POISSON

.. Le poisson cinédien . est un « petit poisson rond ». Il a deux pierres dans la tête et une autre dans la troisième vertèbre caudale ou dans le noeud dorsal. Celle-ci est particulièrement forte et on l'utilise comme charme. Cette pierre cinédienne est devenue inconnue parce que très rare. On l'appelle aussi opsianus ( noire, obsidienne)  Elle appartient à Saturne. « Cette pierre est jumelée ou doublée ; elle est en réalité une pierre sombre et noire, tandis que l'autre est noire, (mais) «  transparente » et brillante comme un miroir. Elle est celle que beaucoup cherchent sans la connaître : elle est en effet la pierre de dragon.

. Que le poisson soit pour l'essentiel un mythologème, cela ressort clairement de ce qu'il contient la « pierre de dragon ». .. déjà connue de Pline ainsi que de l' alchimie médiévale où elle est appelée draconites, dracontias ou drachates . C'est une pierre précieuse que l'on acquiert en tranchant la tête du dragon endormi. Elle n'est en effet une pierre précieuse que si elle conserve en elle une partie de l'âme du dragon, à savoir la « haine de l'animal se sentant mourir »  Elle est de couleur blanche et constitue un puissant contrepoison. Chez nous, où il n'existe pas de dragons, on trouve à l'occasion de telles draconites dans la tête des vipères d'eau. P. 153

La pierre cinédienne possède une nature double. L'appartenance à Saturne peut éclairer ce dilemme. Saturne, astrologiquement 1'« étoile du soleil », passe pour noir dans sa signification alchimique ; il est ici même qualifié de sol niger et il a une double nature en tant que substance mystérieuse (« Le saint plomb des sages ») : extérieuremrnt, il est noir comme le plomb, mais à l'intérieur, il est blanc. . le p1omb des philosophes appelé plomb de l'air contiendrait la « splendide colombe blanche » qui est qualifiée de  « sel des métaux  ». . Cronos, c'est-à-dire Saturne, « est une puissance couleur d'eau qui détruit toutes choses ».

La double nature de la pierre cinédienne pourrait signifier, après examen de tous les éléments, une antithèse et en même temps une union des opposés, ce qui donne à la pierre philosophale sa gnification propre de « symbole unifiant » (cf le parallèle Pierre- Christ) et lui confère donc des forces magiques ou divines. .  Le charme signifie une contrainte qui s'impose à la conscience et à la volonté consciente de la victime. L'homme ensorcelé sent naître en lui une détermination qui lui est étrangère et qui s'avère plus puissante que son moi. Un effet analogue psychologiquement vérifiable apparaît seulement dans les contenus inconscients dont la puissance contraignante prouve justement leur appartenance ou leur dépendance par rapport à la totalité de l'homme, donc au Soi avec ses déterminations karmiques. ( Derrière cela nous pouvons comprendre par ex. des influences héréditaires, soit un reste de la vie des ancêtres, quoique cette image ne rende pas tout ce que signifie le « karma » indien.) .. Le symbole alchimique du poisson visait en définitive un archétype de l'ordre de grandeur du Soi. Nous ne nous étonnerons donc pas outre mesure en constatant que l' absence d'éclat extérieur constamment soulignée à propos du p1omb et de la pierre vaut aussi pour le Christ. .. « Il est vêtu de figures, il porte des symboles. Son trésor est caché et méprisable, mais là où il est ouvert, il est merveilleux à voir. »

Dans un traité du XVIIe siècle ce « poisson rond », cet être hybride, étrange, devient finalement un authentique vertébré, zoologiquement vérifiable, à savoir l'échénéis ou rémora. . P. 155

..  on trouve le poisson au centre de l'océan, si tant est toutefois qu'on puisse le trouver. Mais la mer est 1'« esprit du monde » (spiritus mundi). .. L' « esprit du monde » est quelque chose d'inhabituel dans l'alchimie de la première moitié du XVIIe siècle, car jusqu'alors on utilisait plutôt l'expression « âme du monde » (anima mundi). L'âme du monde ou, dans le cas présent, l'esprit du monde constitue une projection de l'inconscient, étant donné qu'il n'y a pas de méthode ou d'appareils capables de procurer une expérience objective. d'apporter une preuve de l'existence objective d'un univers animé. Cette idée n'est donc d'abord ni plus ni moins qu'une analogie de la présence de l'âme chez l'homme pensant et connaissant. L'« âme » et 1'« esprit », c'est-à-dire la psyché, sont en eux-mêmes et pour eux-mêmes totalement inconscients en tant que substances. Si donc la psyché est supposée quelque part, cela ne peut signifier d'abord rien d'autre qu'une projection de l'inconscient. . le mare nostrum de l'alchimie présente un symbole de l'inconscient en général, comme c'est également dans le symbolisme empirique des rêves.  Le poisson minuscule qui séjourne pourtant de façon significative au centre de la vaste mer a, malgré sa petitesse, la force de retenir de grands navires. . Nous pouvons donc étendre purement et simplement à l'échénéis l'interprétation du poisson rond comme symbole du Soi. P. 147

Ce symbole apparaît ici comme un « infiniment petit » dans la mer monstreuse de l'inconscient, tel l'homme sur « la mer du monde ».  La figure du poisson caractérise en l'occurrence le Soi comme contenu inconscient. (CF. rêve Fréeéric V. de mars 99) Il n'y aurait sans doute aucun espoir d'attraper cet être invisible si un « aimant des sages » n'existait pas dans le sujet conscient. Cet aimant est manifestement ce qu'un être peut communiquer à son élève, à savoir la theoria, qui est la seule possession réelle dont peut se défaire l'adepte. En effet, il faut toujours en premier lieu trouver la prima materia, ce à quoi lui sert le « secret ingénieux des sages ».

.. « La nature n'est pas améliorée si ce n'est dans sa propre nature », et .. . « Notre matière ne peut pas être parfaite autrement que dans sa propre (matière). » . La  « nature »  (Ce sont des substances et des états de substances. Cf. Démocrite) ne peut se parfaire que dans et par elle-même. La même idée s'exprime également dans l'exhortation réitérée d'autres traités, de ne rien mêler d'extérieur au contenu du vase hermétique, car la Pierre « possède en elle tout ce dont elle a besoin ». .

Qui donc est celui-là qui a tout ce dont il a besoin ? . Tout dépend nécessairement de tout. Par définition, seule la totalité absolue et ultime a tout et chaque chose en elle, et ni le besoin ni la contrainte ne l'attachent à quoi que ce soit d'extérieur. Il y a donc là sans aucun doute l'idée d'un Dieu absolu qui comprend en lui toute existence. Qui peut se tirer par sa propre queue du bourbier ? Qui peut s'améliorer lui-même dans un isolement sans relation ?  Même le saint anachorète qui habite à trois jours de route dans le désert non seulement doit manger et boire, mais se trouve en outre dans la dépendance la plus redoutable du Dieu présent sans relâche. (Qui d'entre nous séjournera auprès du feu dévorant ? Qui d'entre nous séjoumera auprès des embrasements perpétuels ? » Isaïe, XXXIII, 14.) Seul le tout absolu peut se renouveler et naître de lui-même.

. grâce à cet enseignement, l'un et le tout, le très-grand dans son apparition en tant que tout-petit, Dieu lui-même dans son feu éternel doit être pêché, tel un poisson dans la haute mer, intégré à l'homme après avoir été tiré de la profondeur, par un acte eucharistique d'intégration (appelé chez les Aztèques manducation du dieu), c'est-à-dire introduit dans son domaine.

Cet enseignement est « l'aimant » mystérieux et « ingénieux » par lequel le petit poisson rémora qui est « si petit par sa forme » et « si grand par sa puissance » iltraint au repos les orgueilleuses îrégates de la mer. P. 159

.Celle-ci (la rémora) devint par là le symbole d'un infiniment petit dans le vaste espace de l'inconscient, avec une signification fatidique. C'est le Soi, l'Atman, que l'on dit « plus petit que petit et plus grand que grand ! »

.. Ce thériomorphisme ne représente rien d'autre qu'une illustration du Soi inconscient qui se manifeste par des pulsions instinctuelles (« animaux »). Ces pulsions consistent d'une part en des mouvements que l'on peut tout simplement attribuer aux instincts connus, d'autre part en certitudes, convictions, contraintes, idiosyncrasies et phobies qui peuvent être contraires aux pulsions biologiques sans être forcément maladives. La manifestation de la totalité est nécessairement paradoxale, ce qu'illustrent de façon instructive deux poissons parallèlement opposés ou la coopération du poisson et de l'oiseau.  La matière mystérieuse, ses attributs le prouvent, évoque le Soi .

3. LE SYMBOLE CATHARE DU POISSON

L'emploi des poissons comme symboles du psychopompe et de la nature antithétique du Soi renvoie à une autre tradition. dans l'histoire des hérésies. . Jean  voulait apprendre du Seigneur quel était l'état de Satan avant sa :chute et il reçut cette réponse : « Il était dans une telle magnificence qu'il gouvernait les puissances du ciel. » Il voulut être semblable à Dieu et, dans ce but, descendit en traversant les éléments de l'air et de l'eau, et il découvrit que la terre était couverte d'eau. Tandis qu'il descendait sous la surface de la terre, « il trouva deux poissons étendus sur les eaux et ils étaient comme les boeufs attachés par un joug pour labourer toute la terre, sur  l'ordre du Père invisible, depuis l'occident jusqu'à l'orient. Et lorsqu'il fut descendu, il trouva des nuages suspendus qui couvraient l'étendue de la mer. Et, lorsqu'il fut descendu, il trouva, séparé, son «  ossop » qui est une sorte de feu. Les flammes l'empêchèrent de descendre davantage. Alors remonta et annonça aux anges qu'il voulait installer son trône sur les nuages et être semblable au Tout-Puissant. Il traita donc les anges comme l'intendant infidèle traita les débiteurs de son maître, sur quoi  il fut chassé du ciel avec eux par Dieu.( Ceci en contradiction avec l'Evangile, où le Seigneur loue son intendant infidèle pour sa prudence. ) Mais Dieu eut pitié de lui et lui permit, ainsi qu'à ses anges, d'agir à sa guise pendant sept jours. Satan employa ce délai à créer le monde et les hommes seIon le modèle décrit dans la Genèse. . La conviction selon laquelle le diable aurait créé le monde se retrouve dans différentes sectes. . P. 161

. On peut donc traduire « suum ossop » par  «ce qui lui est propre ». C'est naturellement le feu. (L'extérieur et l'apparence du « corpus Diaboli» sont l'air,.. mais son aspect caché est le feu).

La représentation des deux poissons qui reposent sur les eaux et la comparaison avec les boeufs en train de labourer est étrange.  l'interprétation donnée par saint Augustin des deux poissons du miracle de la multiplication des pains. Ils représentent ,pour lui la personne ou la puissance royale et la personne ou puissance sacerdotale qui survivent à la turbulence des masses populaires comme des poissons aux tempêtes de la mer. Ces deux puissances sont unies dans le Christ : il est roi et prêtre.

. L élément fondamental concernant la pensée de cette époque : les poissons étaient  conçus comme « puissances gouvernantes ». . On  ourrait y voir le symbole de deux « personnes » ou puissances différentes précédant la création du monde, à savoir, dans l'optique de cette hérésie, Satanaël, le fils aîné, et le Christ, le fils cadet de Dieu. 

On notera que Satan trouve les deux poissons avant la création  du monde, donc dans l'état primordial antérieur au monde, lorsque l'esprit de Dieu couvait encore les eaux obscures (Genèse, I, 2). Si c'était un unique poisson, on pourrait donc comprendre celui-ci comme une préfiguration du Sauveur à venir, c'est-à-dire comme le Christ préexistant de l'évangile de saint Jean, le Logos, qui était « au commencement auprès de Dieu ». Mais ce sont deux poissons reliés par une commissure (à savoir le joug des boeufs) que l'on ne peut associer qu'aux poissons du zodiaque. Dans l'horoscope, les signes du zodiaque jouent le rôle de conditions importantes qui modifient fondamentalement les influences des planètes contenues en eux, ou, sans planètes, prêtent aux maisons individuelles un caractère particulier. P. 163

Dans notre cas, les poissons caractériseraient donc l'ascendant, le moment de la naissance du monde. Or nous savons que les mythes cosmogoniques sont à la vérité des symboles de la naissance de la conscience. L'état antérieur au temps correspond donc à l'inconscient, c'est-à-dire alchimiquement parlant, au chaos, à la massa confusa ou nigredo, tandis que l'albedo, dealbatio ou blancheur, qui est de son côté comparée tantôt à la pleine lune, tantôt au lever du soleil, est produite par l'« oeuvre » que l' adepte compare à la création du monde. Elle signifie en même temps l'illumination, c'est-à-dire l'élargissement de la conscience qui marche la main dans la main avec « l'oeuvre ». Psychologiquement, les deux poissons que le diable trouve dans l'eau primordiale caractérisent le monde nouvellement naissant de la conscience.

La comparaison des deux poissons avec un joug de boeufs attelés à la charrue mérite une particulière attention. Les boeufs représentent la force motrice de la charrue. Les poissons signifient donc de la même manière les forces motrices du monde à venir, c'est-à-dire du futur état de conscience. La  charrue est depuis longtemps un signe de maîtrise de la terre : là où il laboure, l'homme a arraché un morceau de la terre à l'état originel et l'a rendu utilisable pour lui. Le sens est donc celui-ci : les poissons gouverneront ce monde et se le soumettront, puisqu'ils opèrent (aststrologiquement) à travers l'homme et forment son état de conscience. Il est remarquable que le labour commence non pas comme tout le reste, à l'est, mais à ouest.. L'oeuvre alchimique commence donc avec la descente dans l'obscurité (nigredo) ou inconscient. Le labour, c'est-à-dire la prise de possession de la terre, se produit sur orrdre du père. Dieu a donc non seulement prévu l'énantiodromie, . il l'a même décidée à l' avance. Les poissons sont ici, comme les boeufs, parallèles, c'est-à-dire dirigés vers le même but, quoique l'un soit le Christ et l'autre l'Antéchrist.

. avec le commencement du XIe siècle, c'est-à-dire, astrologiquement, au milieu de l'ère des Poissons, on voit partout des hérésies pousser comme des champignons, et, curieusement, c'est alors que l'adversaire du Christ, le second poisson, c'est-à-dire le diable, émerge dès le début comme démiurge. . cette idée est une sorte de renaissance gnostique, puisque le démiurge du gnosticisme passait pour un être inférieur, voire tout à fait mauvais, duquel tout mal provient. P.165

. dans l'alchimie. le symbole du poisson .. cf. Le symbole de Lambsprinck . signifie une revitalisation de l' archétype. Il représente deux poissons parallèles et opposés nageant dans la mer - in nostro mari - figure de l'aqua permanens ou matière de l'arcane. Ils sont qualifiés d'« esprit » et d'« âme », comme le cerf et la licorne, les deux lions, le chien et le loup ou les deux oiseaux luttant entre eux, et ils expriment ainsi la nature double du Mercure.

J'aimerais donner un exemple concret de la manière dont le symbole du poisson nait de façon autochtone à partir de l'inconscient. Il s'agit du cas d'une jeune femme qui avait depuis toujours des rêves extraordinairement vivants et plastiques. Elle était sous l'influence de la conception matérialiste du monde de son père dont le mariage n'est pas précisément heureux. Eile résistait à cet entourage néfaste en se construisant une vie intérieure intense, et cela depuis son plus jeune âge. Elle remplaça ses parents par deux arbres du jardin. Entre six et sept ans elle rêva que le Bon Dieu lui promettait un poisson d'or. . quelque temps avant d'entrer en psychothérapie  elle  rêva qu'elle se trouvait sur la rive de la Limmat et qu'elle abaissait le regard vers l'eau. « Un homme jette une pièce d'or dans le fleuve, l'eau devient alors transparente et on voit jusqu'au fond . ( Le fait que l'eau devienne transparente repose sur l'attention donnée à l'inconscient (valeur, or). C'est un sacrifice au génie de la source.)  Il y a là un récif de corail et une foule de poissons. Parmi eux, certains ont le ventre argenté et une échine dorée ». Pendant le traitement, elle eut le rêve suivant : « Je parviens à la rive d'un fleuve au large cours. Je ne vois d'abord pas grand-chose, seulement l'eau, la terre et des rochers. Je lance dans l'eau les feuilles contenant mes notes, avec le sentiment de restituer ainsi quelque chose au fleuve. Aussitôt je reçois une canne à pêche. Je m'installe avec elle sur un rocher et me mets à pêcher. Je ne vois d'abord que l'eau, la terre et les rochers. Soudain un gros poisson mord à l'hameçon. Son ventre est argenté et son dos est doré. Tandis que je le tire à terre, la campagne s'anime : les rochers se révèlent comme le plus ancien fondement de la terre, l'herbe et les fleurs croissent et le buisson s'élargit en forêt. Le vent se lève et met tout en mouvement. Je demeure assise dans une indicible tension, quoique parfaitement silencieuse. Puis j'entends soudain derrière moi, de côté la voix de M.X. (M.X. est un homme âgé qu'elle ne connaît que d'après une photo et par ouï-dire, mais qui est pour elle une autorité). Il dit doucement mais fermemement : «  Celui qui est patient dans le domaine le plus intérieur reçoit en partage le poisson, la nourriture de la prfondeur ». A ce moment, un cercle se trace autour de moi, touchant aussi partiellement l'eau. J'entends alors de nouveau la voix : «  Celui qui est courageux dans le second domaine peut obtenir une victoire ; c'est en effet là que règne le combat. » Là-dessus, un autre cercle se trace autour de moi, touchant cette fois la rive opposée. En même temps, le paysage se déploie, et la terre aux multiples aspects devient visible. Le soleil se lève à l'horizon. J'entends la voix comme parlant de loin : «  Le troisième et le quatrième domaines, élevés de la même manière, naissent des précédents. Mais le quatrième domaine » - ici la voix s'interrompt un instant, comme réfléchissant - « le quatrième domaine se relie au premier, il est à la fois le plus élevé et le plus profond ; car le plus élevé et le plus profond se rejoignent. Au fond, ils sont un » ».

. la rive du fleuve représente le seuil de l'inconscient. La pêche est un essai intuitif de « capturer » des contenus inconscients (poissons). L'argent et l'or du poisson symbolisent (en langage alchimique) le féminin et le masclin, donc l'aspect hermaphrodite du poisson, ce qui le représente comme une complexio oppositorum 109. Il opère une stimulation magique. (L'Ichthys (= Christus ou Attis) est la nourriture qui donne la vie immortelle). L'homme âgé est une personnification de l'archétype du vieux sage. Le poisson en tant que « mets merveilleux » nous est déjà connu. Il est le mets (eucharistique) des « parfaits ».  Le premier cercle qui touche l'eau illustre l'intégration (partielle) de l'inconscient. Le combat correspond au conflit des opposés, c'est-à-dire au conflit entre la conscience et l'ombre. Le second cercle touche la « rive opposée » où se produit en effet l'union des opposés.. Ainsi la substance mystérieuse s'appelle dans le « système mercuriel » hindou para-da, « conduisant à l'autre rive » et elle est, comme en Occident, le Mercure. Le quatrième domaine, souligné par un hiatus important, est l'un qui, s'associant aux trois autres, réunit tous les quatre en une unité. Les cercles donnent naturellement un mandala dans lequel la périphérie coincide paradoxalement avec le centre. On évoque ici l'antique image de Dieu : «  Dieu est un cercle dont le centre est partout, mais la circonférence nulle part. » Le thème de la coïncidence du premier avec le quatrième est déjà exprimé dans l'Axiome de Marie : « Du un vient le deux, du deux, le trois, et du trois vient le un comme quatrième ».

Ce rêve résume en un puissant raccourci tout le symbolisme du processus d'individuation et cela, chez une personne totalement ignorante de la littérature de ce domaine. De tels cas, . prouvent de la façon la plus immédiate l'existence d'un « savoir » inconscient portant sur le processus d'individuation et son symbolisme historique. P. 169

XI L'INTERPRETATION ALCHIMIQUE DU POISSON

XII PSYCHOLOGIE DU SYMBOLISME ALCHIMIQUE ET CHRETIEN

XIII SYMBOLES GNOSTIQUES DU SOI

1 . L'univers gnostique est toutefois en grande partie un phénomène de réception et il offre en conséquence le plus grand intérêt pour l'explication et la vérification des contenus qui furent constellés par l' annonce du Sauveur, par son apparition historique, ou encore par la synchronicité de l'archétype.

Dans l'Elenchos d'Hippolyte, l'attraction du fer et de l'aimant est citée à trois reprises.  dans la doctrine des Naassènes : les quatre fleuves du paradis correspondaient à l'oeil, l'oreille, l'odorat et la bouche.  La bouche d'où sort la prière et par laquelle pénètre la nourriture correspond au quatrième fleuve, l'Euphrate. La signification bien connue du « quatrième » explique d'une certaine manière la relation à l'homme « total », car le quatrième complète toujours une triade pour l'amener à la totalité.  « Cette eau (c'est-à-dire l'Euphrate), poursuit le texte, est celle qui se trouve au-dessus du firmament et dont le Sauveur déclarait : « Si tu savais qui est celui qui questionne, tu lui aurais demandé, et il t'aurait donné une eau vive et jaillissante à boire ». Toute créature (littéralement : nature) entre dans cette eau et se choisit ses propres substances, et, par cette eau, ce qui est propre à toute créature vient vers elle, plus encore que le fer vers la pierre herculéenne ».

. l'eau merveilleuse de l'Euphrate a le sens de l'eau de l'enseignement (aqua doctrinae) qui rend complète chaque créature en l'amenant à son individualité et donne sa totalité à l'homme en lui conférant dans une certaine mesure un pouvoir magnétique, celui d'attirer ce qui lui appartient et ce qui lui est propre, et de se l'intégrer. Cette théorie est celle de l'aimant qui permet l'intégration de la pierre aussi bien que de l'homme.

.Personne, est-il dit, ne peut être sauvé sans Ie fils : « Mais celui-ci est le serpent. Car de même qu'il a fait descendre d'en haut les signes paternels, il les ramène vers le haut après qu'ils ont été sortis du sommeil, en transférant de là jusqu'ici les signes paternels qui sont sortis en substance de ce qui est sans substance. C'est là, .. la parole : « Je suis la porte ». Mais il transfère (les signes) à ceux dont la paupière est fermée (Ceux qui sont ainsi désignés sont-ils ceux qui ferment les yeux au monde ? ). P.203

Dans ce passage, le cas est l'inverse du précédent : l' attraction magnétique ne provient pas de l'enseignement, de l'eau, mais du « Fils » symbolisé par le serpent -conformément à Jean, III, 14-. (Et de même que Moïse a élevé le serpent dans le désert, il faut que le fils de l'homme soit élevé.) Le Christ est l'aimant qui attire à lui ces parties ou substances d'origine divine en l'homme, (les figures paternels), les rassemble et les ravit jusqu'au lieu de l'origine céleste. Le serpent représente un équivalent du poisson. . la figure annoncée du Sauveur .  comme poisson, parce qu'il émergea des profondeurs inconnues ; comme serpent parce qu'il surgit secrètement de l'obscurité. Le poisson et le serpent sont en effet des symboles de choix pour décrire des mouvements ou des événements psychiques terrifiants ou salvateurs, qui jaillissent à l'improviste de l'inconscient, ce qui explique qu'ils soient si souvent exprimés par le thème des animaux secourables.. Chez les gnostiques, le serpent .. symbole populaire, . du génie local bienfaisant, Agathodaïmon, ainsi que du Noûs. Les deux symboles ont une valeur inestimable dans le domaine de l'interprétation naturelle, instinctive, de la figure du Christ. Des symboles thériomorphes sont très fréquents dans les rêves et autres manifestations de l'inconscient. Ils expriment le niveau auquel se trouve le contenu qu'ils décrivent, à savoir une inconscience aussi éloignée de la conscience humaine que l'est la psyché d'un animal. Ainsi .. vertébrés à sang chaud ou à sang froid, .. indiquent pour ainsi dire le niveau d'inconscience. . en psychopathologie, de tels contenus peuvent déclencher à tous les niveaux des symptômes qui correspondent aux fonctions physiologiques et sont localisés en conséquence. Il existe des symptômes de type nettement cérébro-spinal et sympathique. . Le serpent symbolise en réalité des contenus « à sang froid », inhumains, et des tendances de nature aussi bien abstraite et spirituelle qu'animale et concrète, en un mot : le non humain en l'homme.

.. la doctrine séthienne . offre de remarquables analogies avec la doctrine alchimique.. Elle représente. une théorie de la « combinaison et de la mixtion » : le rayon de lumière issu d'en haut se mêle aux eaux sombres de la profondeur sous la forme d'une minuscule étincelle. Les deux figures se détachent à la mort de l'être vivant ainsi qu'à la mort figurée qu'est l'expérience mystique. C'est la divisio et la separatio de ce qui était assemblé. La division ou la séparation servent en alchimie à extraire l'âme ou l'esprit de la prima materia. Le Mercure, auxiliaire de cette opération, apparaît armé de l'épée de la discrimination (il en est de même de l' adepte) (« Je ne suis pas venu apporter la paix, mais l'épée »). La séparation a pour conséquence que tout ce qui était auparavant mêlé à « autre chose » est désormais attiré en son chorion idion (son propre lieu) et pros ta oikeia (vers ce qui lui est apparenté, ce qui lui est propre), hos sideros (pros) Herakleion lithon (comme le fer vers la pierre herculéenne [1' aimant]). (De même dans les précédents passages sur l'aimant dans l'ELENCHOS l'électron et l'épervier de mer sont de nouveau cités, l'accent étant mis sur le centre de l'oiseau.) P.205

. L'attraction magnétique provient ici du logos. Celui-ci signifie la pensée ou le concept formulé et articulé, c' est-à-dire un contenu en même temps qu'un produit de la conscience. Le logos se rapproche de  « l'eau de l'enseignement », le premier ayant en l'occurence l'avantage de la personnalité autonome, tandis que la seconde représente un objet passif de l'activité humaine. Tout comme le logos est proche de la figure historique du Christ, l'aqua l'est également de l'eau magique utilisée dans le rite (ablution, aspersion, baptême). Nos trois exemples d'effet magnétique annoncent en même temps trois formes d'agents magnétiques :

1. L'agent est une substance passive, inanimée en elle-même, à savoir l'eau. Elle est puisée du fond de la source et mise dans des récipients, manipulée par des mains humaines et utilisée par l'homme en fonction de ses besoins. Elle signifie la claire doctrine, l'aqua doctrinae ou le verbe (logos) transmis aux autres aussi bien par la parole que par le rite.

2. L' agent est un être animé, autonome, le serpent. Il surgit spontanément ou on le découvre par surprise ; il fascine ; son regard est fixe et non relié à ce qu'il regarde ; son sang est froid et il ne connaît pas l'homme ; il rampe sur celui qui dort ; on le trouve dans la chaussure défaite ou dans la poche. Il exprime donc la peur de tout ce qui est inhumain en même temps que « la crainte révérentielle » devant l'être supérieur, soustrait à la sphère des hommes. Il est ce qu'il y a de plus bas, le diabJe, et ce qu'il y a de plus élevé, le Fils de Dieu, le Logos, le Noûs, Agathodaïmon. . Comme le poisson, il représente et personnifie ce qui est obscur et insondable, la profondeur de l'eau, la forêt, la nuit et la caverne. Lorsque la conscience primitive dit : « serpent », elle entend par là une expérience du non-humain. Le serpent ne signifie pas une allégorie ou une métaphore, mais sa propre forme est en elle-même le symbole.

3. L'agent est le Logos, c'est-à-dire d'une part une idée philosophique et une abstraction conceptuelle du FiIs de Dieu incarné et personnel et d'autre part, le dynamisme de la pensée et de la parole.

Ces trois symboles tendent manifestement à dépeindre l'essence inconnaissable du Dieu incarné. ils s'hypostasie dans une large mesure.

Ces trois symboles représentent des phénomènes de réception qui sont en eux-mêmes de nature numineuse et possèdent donc une relative autonomie.. Ces phénomènes prouvent non seulement l'efficacité de l'annonce, mais ils représentent également la condition indispensable pour que l'annonce puisse opérer ; en d'autres termes, il s'agit de modèles, conformes à la figure annoncée et reposant dans l'inconscient des hommes, qui sont éveillés par l'apparition du Christ et attirés comme par magnétisme. P.207

Ce processus révolutionne la psyché orientée vers le moi, car il place à côté de celui-ci, ou mieux, en face de lui, un autre but et centre, qui est caractérisé par une multiplicité de noms et de symboles : poisson, serpent, centre de l'épervier de mer, point, monade, croix, paradis, etc. Le mythe du démiurge ignorant qui se prend pour le dieu suprême dépeint la perplexité du moi qui ne peut plus se fermer à la connaissance de la toute-puissance. Les  « mille noms » de la pierre philosophale correspondent pour ainsi dire aux multiples appellations gnostiques de l'homme (anthropos) ; . il s'agit de l'homme plus grand, plus vaste, de cette totalité qui ne peut être décrite et qui consiste en la somme des processus psychiques conscients et inconscients. J'ai qualifié cette totalité objective de Soi par opposition à la subjectivité de la psyché du moi ; le Soi représente ainsi un homologue exact de l'idée d'anthropos.

2 Dans un cas de névrose, lorsque la thérapie tente de compenser l'attitude (à savoir la capacité d'adaptation) de la conscience par des contenus de l'inconscient, elle poursuit la formation d'um personnalité plus vaste et la création d'un centre de gravité de la personnalité qui ne coïncide pas nécessairement avec le moi, mais qui est bien plutôt capable d'en contrarier les tendances par un accroissement de connaissance. Le nouveau centre attire « comme un aimant », ce qui lui revient en propre,  les « signes paternels »,  à savoir tout ce qui appartient aux propriétés immuables et originelles du fondement individuel, ce qui est plus ancien que le moi et se comporte envers celui-ci comme le « makarios ouk ôn theos » (le bienheureux dieu non existant) des Basilidiens envers l'archonte de l'ogdoade, à savoir envers le démiurge et - paradoxalement - comme le fils de ce dernier envers son père, l'archonte. Le fils se révèle supérieur dans la mesure où il possède une connaissance du message d'en haut et peut en conséquence apprendre à son père qu'il n'est pas le dieu suprême. Cette contradiction apparente se résout si nous prenons en considération l'expérience psychologique qui en est la base : d'un côté le Soi apparaît a priori dans les productions de l'inconscient, à savoir dans les symboles bien connus du cercle et de la quaternité, qui peuvent se manifester dès les premiers rêves de l'enfance, c'est-à-dire longtemps avant toute possibilité de conscience et de compréhension ; de l'autre, il n'est qu'une confrontation patiente et laborieuse avec les contenus de l'inconscient et la synthèse consécutive des données conscientes et inconscientes conduisant à une « totalité », laquelle se sert à son tour des symboles du cercle et de la quaternité dans la description du Soi. Dans cette phase, on se rappelle et l'on comprend aussi les rêves initiaux de l'enfance. Les  alchimistes .ont . exprimé cet état de fait paradoxal à travers le serpent qui se mord la queue.

Le même savoir, quoique formulé différemment en fonction de l'époque, se retrouve également chez les gnostiques. Le concept d'inconscient ne leur est pas étranger. On lit : «  Depuis le commencement, l' Autopator contient en lui-même tout ce qui est lui-même dans l'inconscient (littéralement : dans l'inconnaissance) ». .. 

« le Père. qui est dépourvu de conscience et de substance, celui qui n'est ni masculin ni féminin. »  Le « Père » est donc lui-même non seulement inconscient et sans qualité d'être, mais aussi nirdvandva = sans dualité, c'est-à-dire sans qualité et par suite inconnaissable. Il y a là une description de l'état de l'inconscient.

Le texte valentinien confère à l'Autopator des propriétés plus positives : « Certains l'appelèrent l' Aeon sans âge, éternellement jeune, masculin-féminin, celui qui contient le tout en tous lieux et n'est lui-même contenu par rien. » P. 209

En lui existait l'ennoia (conscience) qui transmet (par grâce) « les trésors de la grandeur à ceux qui sont issus de la grandeur ». . la différenciation de la conscience résulte d'abord des syzygies et des tétrades successives qui symbolisent les processus de conjonction et de composition. L'ennoia doit être conçue ici comme une possibilité latente de conscience. . L'opposition conscient-inconscient connu-inconnu.

La faute à expier est de toute évidence l'agnoia ou l'agnosia, l'inconscience. Ce n'est pas seulement l'homme qui se trouve dans cet état, mais aussi, comme nous l'avons vu, du point de vue gnostique, l'anennoétos, le dieu dépourvu de conscience. Une conception chrétienne traditionnelle selon laquelle Dieu, de l'Ancien au Nouveau Testament, se serait transformé de Dieu de colère en Dieu d'amour coïncide dans un certain sens avec cette opinion. . L'idée que le dieu créateur de l'univers n'est pas conscient, mais que peut-être il rêve, se rencontre également dans la littérature de l'Inde .

La théologie de Maître Eckhart connaît une « divinité » dont on ne peut affirmer aucune propriété excepté celle de l'unité et de l'être, elle « devient » elle n'est pas encore le Seigneur de soi-même et elle représente une absolue coïncidence d'opposés : « Mais sa nature simple est informe de formes, sans devenir de devenir, sans être d'êtres » P. 211

Une conjonction des opposés est synonyme d'inconscience, si loin que puisse atteindre la logique humaine, car la conscience suppose une discrimination en même temps qu'une relation entre le sujet et l'objet. La  possibilité de conscience cesse là où il n'y a pas ou pas encore « un autre ». .. ...

Ce que la psychologie peut constater, c'est uniquement et simplement l'existence de symboles imagés dont l'interprétation n'est nullement fixée a priori. Ce que l'on peut établir avec quelque certitude à leur sujet est le fait que les symboles présentent un certain caractère de totalité et signifient donc probablement la  « totalité ». Ce sont généralement des symboles « unifiants », c'est-à-dire des conjonctions d'opposés de nature simple (dualité) ou double (quaternité), c'est-à-dire des quaternions. Ils naissent de la confrontation de la conscience avec l'inconscient et du désarroi qui en résulte et que les alchimistes qualifiaient de chaos ou de nigredo. Ce désordre s'exprime empiriquement par de l'inquiétude et un sentiment de désorientation. Le symbolisme du cercle et de la quaternité apparaît à ce moment comme un principe d'arrangement compensateur, qui représente comme accomplie l'union des opposés en conflit et fraye ainsi le chemin à un apaisement salutaire (« rédemption »). P. 213

La psychologie doit pour l'instant se borner à constater que le symbole de totalité signifie la totalité de l'individu.       . elle doit . souligner que le symbolisme de la totalité utilise des images ou des schémas qui expriment depuis longtemps et dans les religions les plus diverses le fondement de l'univers et de la divinité. Ainsi, le cercle est un symbole bien connu de Dieu, de même que la croix (dans un certain sens) et la quaternité en général (la vision d'Ezéchiel, le roi de gloire [rex gloriae] avec les quatre évangélistes, . la dualité (Tao, Hermaphrodite, Père-Mère, etc.) et enfin la figure humaine (enfant, fils, anthropos) et la personnalité individuelle : Christ et le Bouddha, pour ne citer que les thèmes les plus fondamentaux.

Dans l'expérience psychologique, toutes ces images s'avèrent êtres des expressions de la totalité unifiée de l'homme. Le fait que ce but et desideratum soit appelé « Dieu » prouve qu'il possède un caractère numineux ; et les expériences, rêves et visions de cet ordre sont de nature fascinante et impressionnante. .. Il n'est donc nullement étonnant que l'entendement naïf ne fasse aucune différence entre Dieu et l'image vécue. Partout donc où l'on rencontre des symboles désignant une totalité psychique, on trouve également la conception naïve selon laquelle c'est là une représentation de Dieu. S'il s'agit par exemple de l'une des présentations romanes relative-ment fréquentes du fils de Dieu en compagnie de trois anges à têtes à d'animaux et à d'un (quatrième) à tête d'homme, le plus simple serait de supposer que le fils de l'homme signifie l'homme ordinaire et que le problème - un contre trois - fait allusion au schéma bien connu de l'unique fonction différenciée et des trois indif-férenciées. Mais cette interprétation conforme à l'opinion courante dévaloriserait le symbole ; celui-ci signifie en effet la deuxième personne de la divinité dans son aspect universel, quadruple. Naturellement, la psychologie ne peut pas faire sienne cette interprétation ; elle ne peut que constater l'existence de cette affirmation, et la comparer au fait que les mêmes symboles, et en particulier le dilemme du un et du trois, se rencontrent fréquemment dans les produits spontanés de l'inconscient où ils se réfèrent à la totalité psychique de l'individu. Ils indiquent la présence d'un archétype de nature correspondante, dont le dérivé semble être la quatemité des fonctions d'orientation de la conscience. Dans la mesure où la totalité dépasse la conscience dans une proportion incertaine et indéfinissable, elle englobe toujours l'inconscient en elle, et donc l'ensemble des archétypes. Ces derniers sont des homologues complémentaires du « monde extérieur » et possèdent donc un caractère « cosmique ». De là s' expliquent leur numinosité et, par suite, leur « divinité ».

3 . j'aimerais citer certains symboles gnostiques du fondement de l'univers ou de « l'arcane », et . les synonymes qui signifient le « fondement du monde » : la psychologie entend sous ce concept une image de l'arrière-plan créateur inconscient de la conscience. . figure du démiurge. Les gnostiques ont un grand nombre de symboles pour décrire l'origine, le centre de l'être, le créateur ou la substance divine dans la créature. . toute nouvelle image représente simplement un autre aspect du mystère divin inhérent à toutes les créatures. Ma liste des symboles gnostiques équivaut à l'amplification d'une seule idée transcendantale qui est tellement vaste et obscure en elle-même qu'elle nécessite de multiples expressions diverses pour décrire sa multiplicité. P. 215

Chez les gnostiques d'Irénée, la Sophia forme le monde de l'ogdoade, qui représente une double quaternité. Elle descend dans l'eau sous la forme d'une colombe et engendre Saturne qui est identique à Yahvé. . Saturne est 1'« autre soleil », alchimiquement le soleil noir (sol niger ). Il est ici le primus anthropos. II crée le premier homme qui ne peut toutefois que ramper comme un ver. . Dans divers systèmes, la Sophia tient la place du protanthropos (premier homme ). Chez Théodore Bar Kuni, l'homme primordial consiste dans les cinq éléments (c'est-à-dire quatre + un ). Dans les Actes de Thomas, le dragon dit de lui-même : « Je suis le fils de celui qui a blessé et frappé les quatre frères qui se tenaient debout. »

L'image primordiale de la quaternité s'allie chez les gnostiques à la figure du démiurge, c'est-à-dire de l'anthropos. Il est d'une certaine manière la victime de son acte de création, puisqu'il est fait prisonnier de la physis dans laquelle il s'engloutit. L image de l'anima mundi - c'est-à-dire de l'homme primordial - exprime l'existence d'un centre transcendant par rapport à la conscience, que nous concevons comme symbole de totalité en raison de sa quaternité comme de sa rotondité. Nous ne pouvons donc que supposer prudemment qu'il s'agit d'une totalité psychique (par exemple conscient + inconscient), quoique l'histoire du symbole prouve qu'il fut toujours utilisé comme image de Dieu. . la psychologie n'est pas en mesure de poser des affirmatjons métaphysiques. Elle ne peut que constater que le symbolisme de la totalité psychique coïncide avec celui de l'image de Dieu, mais elle n'est jamais capable de prouver qu'une image de Dieu est Dieu lui-même ou que le Soi remplace Dieu.

Cette coïncidence apparaît avec la plus grande netteté dans la fête du Heb-Sed de l'ancienne Egypte.. :  « . Le roi sort d'un appartement appelé le sanctuaire, puis il monte et pénètre dans un pavillon ouvert des quatre côtés, avec quatre escaliers y conduisant. Portant les emblèmes d'Osiris, il prend place sur un trône et se tourne successivement vers les quatre points cardinaux. C'est une sorte de seconde intronisation. et parfois le roi agit en prêtre, en se faisant des offrandes à lui-même. Ce dernier acte peut être regardé comme le point culminant de la déification du roi. »

Toute royauté a ses racmes dans cette psychologie ; c'est pourquoi, pour l'individu anonyme, tout roi est également porteur du symbole du Soi. Tous ses insignes - couronne, manteau royal, sceptre, globe impérial, décorations (étoiles !), etc. - le caractérisant comme l'anthropos cosmique, qui non seulement crée le monde, mais est lui-même ce monde. Il est cet homo maximus que nous retrouvons dans les spéculations de Swedenborg. Mais c'est aussi l'objet de la tentative gnostique que de donner une forme claire et un vêtement conceptuel approprié à cet être qui est pressenti comme étant le fondement de la conscience, sa matrice et son principe d'arrangement. Il est, .. le point indivis, . le grain de sénevé qui devient le royaume de Dieu. P.217

Ce point est  « présent à l'intérieur du corps).  Mais les pneumatikoi, c'est-à-dire les spirituels (par opposition aux psychiques [psychikoi] et aux matériels [hylikoi]), le savent.  Il est la Parole de Dieu ( Sermo Dei) et la matrice des éons, des puissances, des intelligences, des dieux, des anges et esprits envoyés, de l'étant et du non-étant, du créé et de l'incréé, du compréhensible et de l'incompréhensible, des années, des lunes, des jours, des heures. ».  Ce point « qui n'existe nullement .. et ne se ompose de rien » devient une grandeur insaisissable. . (au) visage humain : les Naassènes .. l'appellent également Attin polymorphon  (l'Attis aux multiples formes), le fils de la mère mort prématurément, ou, comme le dit l'hymne citée par Hippolyte,..  « le bruit obscur de Rhéa ». L'hymne donne comme synonymes : Adonis, Osiris, Adam, Korybas, Pan, Bacchus et «  le berger des blanches étoiles). Cf. rêve de M. P. cathédrale; B. S. Pan

Les Naassènes eux-mêmes conçoivent leur instance divine centrale comme Naas (serpent) et expliquent celui-ci comme « substance humide » , en accord avec Thalès de Milet qui considère l'eau comme la substance primordiale. De même que toute vie dépend de celle-ci, elle dépend aussi du Naas (ophis) qui contient en lui, telle la corne du taureau unicorne, la beauté de toutes choses ». Il  « passe à travers tout, de même (que l'eau qui) jaillit de l'Eden et se scinde en quatre principes (archas) ». « Ils comparent » dit Hippolyte, « l'Eden au cerveau ». Trois des fleuves du paradis sont des fonctions sensitives (le Pison = la vue, le Gihon = l'ouïe, le Tigre = l'odorat) mais le quatrième, l'Euphrate, est la bouche « d'où sort la prière et par où pénètre la nourriture ». En tant que quatrième fonction, il reçoit, comme d'ordinaire, une double signification, à savoir, d'un côté, l'activité purement matérielle de la nutrition corporelle, et de l'autre, le fait qu'il « réjouit, nourrit et façonne l'homme spirituel , total (teleion) ». Le « quatrième » est un élément particulier, ambivalent, un daimonion. .. dans Daniel, III, 24 et s. où un quatrième personnage « ressemblant à un être céleste » se joint aux trois autres dans la fournaise.

Telle est aussi l'eau de l'Euphrate, (celle qui est au-dessus du firmament), dont le sôter (Sauveur) parle comme d'une eau vivante et qui possède cette propriété magnétique dont nous avons déjà parlé. Elle est « cette eau merveilleuse d'où l'olivier tire son huile, la vigne son vin, et chaque espèce, ce qui lui est propre ». Cet homme.. est méprisé dans le monde. » Il y a ici une allusion au teleios anthropos (l'homme complet) ; et même l'eau est cet homme, à savoir le Verbe envoyé par Dieu. « De l'eau vivante, nous, hommes spirituels, choisissons ce qui nous est propre.. » car toute créature qui plonge dans cette eau , y choisit la substance qui la caractérise et « de cette eau revient à chaque créature ce qui lui est propre ». L eau, c'est-à-dire ce Christ, représente une sorte de pamspermia, de sperme universel, matrice de toutes les possibilités, de laquelle le pneumatique sélectionne « suum ossop », ce qui lui est propre, ( Il s'agit ici de l'intégration du Soi qui est également signifié en termes semblables dans le document bogomile cité plus haut à propos du diable en tant que démiurge. Lui aussi trouve « ce qui lui est propre ») et qui vient alors à lui davantage encore que le fer à l'aimant ». IIs parviennent à leur nature pneumatique en franchissant  « la vraie porte » qui est « Jésus le bienheureux) et en accédant à la connaissance de leur propre totalité, qui est celle de 1'« homme complet ». Cet homme, que le monde ne vénère pas, est manifestement l'homme intérieur, spirituel, qui devient conscient chez ceux qui ont accès à la vie en passant par le Christ comme par une porte et qui sont illuminés par lui. Deux images se mêlent ici : celle de la « porte étroite » (.. car étroite est la porte et resserré le chemin qui mène à la vie.» )et celle de Jean, XIV, 6 (« Je suis la voie, la vérité, et la vie ; nul ne parvient au Père que par moi »). P. 219

Ces images représentent lanifestement un processus d'intégration tel que celui caractérisant l'individuation psychologique. D ans la formulation, le symbole de eau s'y mêle constamment au Christ, et celui-ci à l'esO anthr Iomme Intérieur. Cet la me semble être moins une confusion présentation psychologiquement correcte, puisque le Christ est en réalité d'un Côté « l'eau vivante » en tant que « Verbe », en même temps que, de l'autre, il est le symbole de l'homme intérieur, « total », à savoir du Soi.

Pour les Naassènes, le fondement du monde est l'homme primordial Adam. Ils considèrent la connaissance de celui-ci comme le principe de l'accomplissement (le principe de l'accomplissement est la connaissance de l'anthropos) en même temps que le pont menant à la connaissance de Dieu. Il est androgyne ; de lui procèdent « le père et la mère » ; se compose de trois parties, l'intellect, le psychique et le terrestre.  Ces « trois descendirent en même temps dans le seul homme Jésus », et « ces trois hommes parlaient selon leurs propres sagesses, chacun aux êtres qui correspondent à celles-ci » (c'est-à-dire l'intellect à l'intellect, etc.). Par cette théorie, Jésus est mis en relatin avec l'homme primordial (le Christ comme second Adam). Son âme est « tripartite et une » (c'est-à-dire une trinité). . Il est « la makaria physis (nature bienheureuse), à la fois cachée et manifeste, de tout ce qui est devenu et tout ce qui est (encore) en devenir » ; « le royaume des cieux, qu'il faut chercher à l'intérieur de l'homme et cela « chez les enfants de sept ans et plus » . les Naassènes placent la nature créatrice du tout dans les semences créarices. Il y a là pour un observateur superficiel l'amorce d'une « théorie sexuelle » de la substance psychique de base,.. Toutefois on ne doit pas omettre de voir qu'en réalité c'est l'inverse, puisque la puissance créatrice de l'homme n'est qu'un cas particulier de 1'« archegonos physis ton holon » ( « La nature primordiale de la totalité. ») car c'est pour eux ( les Naassènes) le Logos secret  et mystique » qui est, de façon caractéristique, mis en parallèle avec le phallus d'Osiris .. : « Et ils disent qu'Osiris est eau ». L'essence (ousia) de cette semence est en réalité l'origine de toutes choses ; mais elle ne participe pas de leur nature. C' est pourquoi ils disent : « Je deviens ce que je veux et je suis ce que je suis. » En effet celui qui meut toutes choses est lui-même immobile. . Un autre synonyme est l'Hermès cyllénien ithyphallique. « Ils disent en effet : Hermès est le Logos, l'interprète et le créateur (démiourgos) des choses nées, passées, présentes et à venir. » C'est pourquoi il est honoré en tant que phallus, car il a « une impulsion du bas vers le haut comme l'organe viril». P221

4 Ce n'est pas seulement un Logos gnostique, mais le Christ lui-même qui a été inclus dans un contexte de symbolisme sexuel. . le passage des Interrogationes majores . il est rapporté que le Christ aurait mené cette Marie sur une montagne où il aurait tiré de son propre flanc une femme avec laquelle il aurait eu un commerce sexuel : « Comme elle avait l'écoulement de sa semence, il lui indiqua qu'il fallait faire ainsi pour que nous vivions ». Il est compréhensible que . ce symbolisme cru blesse le sentiment moderne, .. l'esprit chrétien de l'époque (III-IVe siècles) ; et, il s'ajoutait encore à cela une équivoque concrète, comme ce fut le cas, selon toute apparence, dans certaines sectes, il  ne pouvait qu'être rejeté. Le texte lui-même montre qu'une réaction de ce type n'était nullement ignorée de l'auteur de ces Interrogationes. Il est dit en effet que Marie éprouva un tel choc qu'elle en tomba à terre. Le Christ lui dit : « Pourquoi doutes-tu, femme de peu de foi ? » Il y a là.. une allusion à Jean, III, 12 : « Si vous ne croyez pas ce que je vous dis des choses terrestres, comment croirez-vous ce que je vous dirai des choses célestes ? » Jean, VI, 53 : « Si vous ne mangez la chair du fils de l'homme et si vous ne buvez son sang, vous n'aurez pas la vie en vous.»

Ce symbolisme pourrait fort bien constituer à l'origine une expérience visionnaire, comme il en survient encore aujourd'hui assez fréquemment et sous une forme analogue au cours du traitement psychique. . L'image exprime un psychologème qu'il n'est pas facile de formuler rationnellement ; c'est pourquoi il doit avoir recours à un symbole évident, à la façon dont procède le rêve lorsqu'une pensée plus ou moins abstraite se manifeste au sein de 1'« abaissement du niveau mental » qui se produit durant le sommeil. De telles étrangetés choquantes, qui ne font certes pas défaut dans les rêves, constituent toujours des « comme si », exprimés avec une évidente clarté qui ne redoute ni les bouffonneries ni les obscénités. Ils ne produisent en aucun cas de l'indécence, car ils ne la tiennent absolument pas pour réelle. Ils balbutient en essayant d'exprimer le sens pressenti qui capte l'intérêt du rêveur. (Je ne peux pas me défaire de l'impression que les rêves tournent occasionnellement à la bouffonnerie. Cet aspect a dû inciter Freud à l'hypothèse singulière selon laquelle les rêves dissimulent et déforment pour des raisons « morales ». Cette opinion s'oppose toutefois au fait qu'ils font aussi souvent tout le contraire, c'est pourquoi je me range plutôt à la conception alchimique selon laquelle le Mercure (le Noûs inconscient) pratiquerait la plaisanterie.) . mystère céleste, . parce que le sens en est encore caché à la conscience. La méthode moderne d'analyse et d'interprétation des rêves suit cette règle heuristique (Cela ne vaut pas pour la méthode « psychanalytique » de Freud qui détruit le contenu manifeste du rêve comme pure « façade », car la psychopathologie de l'hystérie lui fait supposer des désirs incompatibles comme thèmes oniriques. Que le rêve tout comme la conscience repose sur un fondement instinctif, cela n'a rien à voir ni avec le sens des figures oniriques, ni avec les contenus de la conscience, car, dans les deux cas, l'essentiel est ce que la psyché a fait de la pulsion instinctive. Ce n'est pas le fait que le Parthénon ait été construit en pierre pour satisfaire 1'ambition des Athéniens qui est remarquable, mais qu'il soit le Parthénon lui-même.) Si nous appliquons à cette vision, il en résulte ceci :

-La montagne signifie l'ascension, en particulier l'ascension mystique (= spirituelle) jusqu'au sommet, c'est-à-dire jusqu'au voisinage de l'esprit et aux lieux de la révélation.

-L'importance centrale de la figure du Christ à cette époque est largement démontrée. Cette figure représente dans la sphère du gnosticisme chrétien une explication de Dieu en tant qu'Archanthropos (Homme primordial = Adam), et donc, de façon générale, la quintessence de l'homme : « homme et fils de l'homme ». Il est l'homme intérieur auquel mène la voie de la connaissance de soi, « le royaume des cieux à l'intérieur de l'homme». En tant qu'anthropos, il correspond à l'archétype que l'expérience montre comme étant le plus important et, en tant que « juge des vivants et des morts » et « roi de gloire », au principe d'arrangement spécifique de l'inconscient, la quaternité, c'est-à-dire le « cercle carré » (circulus quadratus) du Soi. Cette constatation n'implique aucune violence à l'égard des faits ; ma conception repose bien plutôt sur l'expénence que les structures de mandaIa ont le sens et la fonction d'un centre inconscient de la personnalité. La quaternité du Christ que nous avons à considérer à propos de notre vision est prouvée par le symbole de la croix, les représentations du « roi de gloire » et du Christ comme figurant l'année.

-La création de la femme à partir de son flanc montre qu'il est compris comme second Adam. Le fait qu'il engendre la femme signifie qu'il joue le rôle du démiurge de la Genèse (Cela correspond à sa nature de Logos et de seconde personne de la Trinité). P.223

De même que dans diverses traditions Adam est androgyne avant la création d'Eve, de même le Christ démontre ici d'une façon sectaculaire son androgynat. (Les trois significations différentes du Christ sont ici combinées. De telles contaminations sont caractéristiques non seulement de la pensée gnostique, mais aussi du monde inconscient de l'imagination.)

Le premier homme (l'homme primordial) est en général hermaphrodite ; ainsi, dans la tradition védique, il engendre aussi sa moitié féminine avec laquelle il s'unit. Dans l'allégorie chrétienne, la femme prenant naissance du flanc du Christ signifie l'Eglise comme épouse de l' Agneau.

Le dédoublement de l'homme primordial en homme et femme exprime un acte de passage à la conscience. Un contraire est engendré, qui fait naître une possibilité de conscience. Pour Marie, la spectatrice du miracle, la vision signifie la manifestation, c'est-à-dire la projection, d'un processus inconscient qui se produit en elle. Le processus de scission représenté dans la vision laisse donc supposer qu'il compense un état unitaire de la conscience. Cette « unité » concerne en premier lieu la figure du dieu devenu homme et de l'anthropos .  le vir unus, « l'homme un ».  . « Je suis à la fois homme et femme. » Ce psychoIogème constitue encore de nos jours la conception de l'androgynat du Christ, « virgo de virgine » (vierge né d'une vierge), où il s'agit d'avantage d'une « opinion commune » (sententia communis) que d'une « conclusion » théologique. L'iconographie médiévale connaît des représentations du Christ avec des seins, ce qui correspond au Cantique, I, 1 : « Car tes mamelles sont meilleures que le vin » .  Chez Mechthilde de Magdebourgme, l'âme remarque, lorsque le Seigneur l'embrasse, que, contre toute attente, il n'a pas de barbe. . Mechthilde eut en effet une vision analogue, . mais sous une forme inversée : elle  vit sur une « montagne rocheuse » sur laquelle siégeait la Bienheureuse Vierge dans l'attente de la naissance de son fils divin. Lorsque celui-ci fut né, elle l'enlaça et 1'embrassa à trois reprises. . « Par une inspiration divine, elle connut combien le fils est le centre (medulla, la moelle) du coeur paternel ». Le centre est « fortifiant, salutaire, et ce qu'il y a de plus suave » ; « la force et la plus grande douceur » de Dieu nous sont données par son fils, « le sauveur et le consolateur le plus fort, le plus doux ». « Mais la moelle de l'âme est cet élément très doux» . Il ressort avec évidence de ce texte que Mechthilde inclut dans le concept de medulla à la fois le coeur du père, le fils et l'homme intérieur. D'un point de vue psychologique, ce dulcissimum correspond au Soi qui ne peut pas être différencié de 1'« image de Dieu ». .. P. 225

-Revenons à la vision des Interrogationes. La création de la femme est suivie de l'accouplement. Le hiérosgamos sur la montagne est un thème de prédilection, (Par exemple, le hiérosgamos de Zeus et de Héra...) de même que, dans les vieilles gravures, l'hermaphrodite alchimique séjourne volontiers sur les hauteurs. Les alchimistes parlent également d'un Adam qui porte toujours en lui son Eve. Leur conjonction est un acte incestueux, non plus accompli par le père et la fille, mais, en accord avec les transformations des temps, par le frère et la soeur ou la mère et le fils ; dans l' ancienne Egypte, l'homologue est le mythologème d' Amon comme Ka-mutef (époux de sa mère), ou celui de Nout, la « mère de son père et la fille de son fils ». L'idée de l'auto-accouplement revient fréquemment dans la description des créateurs du monde : le dieu se scinde en quelque sorte en sa moitié masculine et sa moitié féminine, (Dans la représentation égyptienne, Dieu est « père et mère », et « il se crée et s'enfante lui-même » ..) où il se féconde lui-même .

5 .. Hermès est un exorciste des morts (Psychagôgos), un guide des êmes (Psychopompos) et un créateur des âmes (Psychôn aitios). Mais les âmes furent , « descendues, de l'homme supérieur bienheureux, homme primordial, Adam, sous forme d'argile, afin qu'elles servent au démiurge de cette création, 1'Esaldaios, le dieu igné, le quatrième en nombre». Escaldaios correspond à Jaldabaoth, l'archonte suprême, ainsi qu'à Satume. Le « quatrième » se rapporte à la quatrième personne qui s'oppose à la Trinité, le diable. Le nom de Jaldabaoth signifie « enfant du chaos », et Goethe, s'appuyant sur la terminologie alchimique, nomme très justement le diable « fils étrange du chaos ». P.227

Hermès est équipé d'une baguette magique en or. Au moyen de celle-ci, il « fait tomber le sommeil sur les yeux des morts et réveille les endormis » . Ephésiens, V , 14 : « Réveille-toi, toi qui dors, lève-toi d'entre les morts et la lumière du Christ t'illuminera. » Les alchimistes appliquent à leur pierre philosophale l'expression de « pierre angulaire » (lapis angularis), qui est une allégorie connue du Christ. Les Naassènes font de même pour leur Adam protanthropos, c'est-à-dire plus exactement « l'homme intérieur ». Celui-ci est un rocher ou une pierre (petrê), . Les alchimistes disent de leur pierre qu'elle a été « détachée de la montagne sans l'intervention des mains » ; les Naassènes parlent de même de 1'« homme intérieur » qui fut descendu  «vers la forme de l'oubli » ( Par là est désignée la lethargia, c'est-à-dire un état d'oubli et de sommeil pareil à celui des morts. L'« homme intérieur » est enseveli et prisonnier de l'homme charnel. Il est, dans le langage des alchimistes, 1'« anima in compedibus » ou « in carcere corporis » (l'âme enchainée ou prisonnière du corps). Le Léthé correspond au concept moderne d'inconscient). Chez Epiphane, la montagne est le Christ archanthropos, duquel la pierre, c'est-à-dire l'homme intérieur, a été détachée, c'est-à-dire, engendrée « sans semence humaine », « petite pierre » qui « devient une grande montagne ».

Il est le Logos que les âmes suivent « en gazouillant ». Il les conduit jusqu'à l'Océan et, selon les paroles immortelles d'Homère , « aux portes du soleil, au domaine des songes ». « Celui-ci (Hermès) est Océan, le créateur des dieux et des hommes, dans l'éternel mouvement des marées, tantôt vers le haut, tantôt vers le bas. » Les hommes naissent du reflux, les dieux naissent du flux. . « J'ai dit : Vous êtes des dieux et tous des fils du Très-Haut » ( Cf. Ps. LXXXII, 6 et s. : « Vous êtes des dieux et vous êtes tous des fils du Très-Haut ! Mais comme des hommes vous mourrez. » Luc, VI, 35 et Jean. X. 34 font référence à ce texte. ) La parenté c'est-à-dire l'identité de Dieu et de l'homme, est donc ainsi exprimée dans l'Ecriture sainte au même titre que dans la doctrine les Naassènes. 

6 . Les Naassènes faisaient dériver toutes choses d'une triade composée premièrement de « la nature bienheureuse du bienheureux homme supérieur, Adam », deuxièmement de la lature mortelle de l'homme inférieur, et troisièmement de « la race sans roi (indépendante) ».. «  engendrée d'en haut », à laquelle appartiennent « Marie la recherchée, Jothor le grand sage, Séphora la voyante, et Moïse dont la postérité n'est pas en Egypte ». (Il est fait ici allusion à la nature pneumatique de la descendance de Moïse, car Elenchos, .. dit que Aigyptos to soma (L'Egypte est le corps)). Ces quatre constituent un « quaternio nuptial » (Le mariage quaternaire est cet archétype auquel correspond à un niveau primitif le cross-cousin~-marriage.. ) qui répond au schéma classique : homme- femme-sour frère Synonymes : mère,reine, l'inconnue, anima ; père, roi, le bien aimé lointain, animus.

Moïse correspond à l'homme, Séphora à la femme ; Marie (Myriam) est la soeur de Moïse, Jothor (Jéthro) est l'archétype du vieux sage et correspond à l'animus-père, lorsque le quaternion est lui d'une personne féminine. P. 229

Mais le fait que Jothor soit appelé  « grand sage » signifie qu'il s'agit du quaternion d'un homme. Chez une femme, l'accent placé ici sur le sage serait mis sur Marie, laquelle aurait alors le sens de Grande Mère. Il manque sans doute dans notre quaternion la relation incestueuse frère-soeur, par ailleurs fréquente. En revanche, Myriam représente dans un certain sens la mère pour Moïse.. Elle est, en tant que prophétesse, une personnalité

« magique ».  Lorsque Moïse prit la Mauresque pour femme, Myriam en conçut une telle irritation que, frappée de lèpre, elle devint « blanche comme neige » (Nombres, XII, 10). Ces traits ne disposent pas trop mal Myriam à jouer le rôle de l'anima. La figure d'anima la plus connue de l' Ancien Testament, la Sulamite, dit : « Je suis noire, mais je suis belle. » En alchimie, .. l'épouse royale est la concubine du roi des Maures. Le noir ou l'Ethiopien joue en général un certain rôle dans l' alchimie en tant que synonyme de caput corvi (tête de corbeau) et de nigredo. Il apparaît dans la Passion de Perpétue comme étant le représentant du monde païen pécheur.

La triade est désignée par les termes .. Kaulakau (l'Adam supérieur), Saulasau (l'homme inférieur, mortel) et  Zeesar (« le Jourdain remontant vers sa source ») Le Jourdain est incité par Jésus à suivre un cours ascendant ; il est le fleuve montant et donc .. est le créateur des dieux : « Celui-ci est, disent-ils, l'homme masculin-féminin en chacun , celui que les ignorants appellent Géryon aux trois corps . mais que les Grecs nomment en général la corne céleste de la lune ». .

Le Logos, c'est-à-dire la quaternité, est la « coupe » de laquelle le roi, buvant, observe les présages (omina ), ou coupe d'Anacréon. Mais la coupe conduit la description d'Hippolyte au miracle des noces de Cana, qui fait allusion au royaume des cieux, car celui-ci est en nous, manifestement comme le vin dans la coupe, et celle-ci est mise en parallèle avec les dieux ithyphalliques. images à la fois de l'homme primordial et de l'homme spirituel  rené. .. C'est pourquoi le Christ dit que l'on doit manger sa chair et boire son sang, car il était conscient de la nature individuelle de chacun de ses disciples ainsi que de la nécessité qu'« à chacun revienne la nature qui lui est propre ».P.231

Du centre de 1'« homme complet » coule l'Océan (dans lequel se trouve le dieu..)  l'homme « complet «  est, selon Jésus, la  « vraie porte » que l'homme « total » doit franchir pour renaître. Ici le problème de la traduction précise de teleios se pose avec acuité ; car - devons-nous nous demander - comment un être parfait (perfectus) peut-il avoir besoin du renouvellement par la renaissance ? ( Les alchimistes disent avec justesse : « Perfectum non perficitur » (On ne perfectionne pas ce qui est parfait). Force est de conclure que l'homme parfait n'était donc si parfait qu'il ne fût capable d'une amélioration supplémentaire. .. épitre aux Philippiens (III, 12) où Paul dit : « Non que je sois déjà parvenu à la perfection (teteleiômai) ». Mais, à trois versets de là, il écrit : « Hosoi oun teleioi. » (Donc, nous, les parfaits.). L'emploi gnostique de teleios concorde manifestement avec celui de Paul. Le terme n'a qu'un sens approximatif et équivaut à peu près à pneumatikos (homme spirituel), auquel , n'est reliée aucune idée de degré d'accomplissement ou de spiritualité. Le mot allemand vollkommen (parfait) ne peut rendre correctement le terme de teleios que si ce dernier se rapporte à Dieu. Mais, s'il concerne un homme qui a encore absolument besoin d'une renaissance, il peut tout au plus signifier vollstandig (complet), en particulier lorsque, comme le dit notre texte, cet homme complet ne peut pas être sauvé (sôthênai) s' il ne franchit pas cette porte.

.....

8 Parmi les symboles objectifs du Soi, . l'ameristos stigmê, le « point indivisible » des Naassènes. Cette image concorde avec la monade et le fils de l'homme dont parle Monoïmos. . « (Monoïmos) pense qu'il existe un homme ressemblant à ce que le poète (dit) de l'Océan : Océan, origine des dieux et origine des hommes. (« Je vais visiter aux confins de la terre nourricière l'Océan, notre origine, et Thétys, la mère. » - « Ce fleuve qui fournit à tous la naissance et la procréation. ») . Exrimant la même chose en d'autres termes, il dit que l'homme est le tout, le commencement de l'univers, incréé, incorruptible, éternel, et que le fils de l'homme précité a été créé capable de souffrance, intemporel, non voulu, non prédéterminé. Cet homme est une monade unique, non composée, indivisible (et toutefois) composée, divisible, toute aimante, toute pacifique, toute guerrière, en conflit en toutes choses avec elle- même, semblable (et) dissemblable à elle-même, une sorte d'harmonie musicale qui contient tout en elle-même. qui rend tout manifeste, puisqu'elle engendre tout. Elle est elle-même mère, elle-même père, les deux noms immortels. Le symbole de l'homme total est .. le iota, trait du iota. (Le trait de l'(iota) étant le signe graphique grec le plus petit, correspondant à notre point sur l'i...  « Or le ciel et la terre passeront plutôt que ne tombe un seul trait de la loi. ») Le  trait unique est la monade non composée, simple, sans mélange, qui tire totalement sa composition du rien et qui est toutefois composée, multiforme, aux multiples divisions et aux parties multiples. Ce (trait) unique, non divisé est l'unique trait du L aux multiples visages, aux mille yeux et aux mille noms. Il est l'image de cet homme total, indivisible. Le fils de l'homme est l'unique L, l'unique trait (keraia), la lettre (keraia) une, qui s'écoule d'en haut, pleine, remplissant tout, contenant en elle tout ce que possède aussi l'homme, (c'est-à-dire) le père du fiIs de l'homme. » (. Dans la kabbale, la lettre hébraïque Yod a vis-à-vis de la pierre une relation analogue à celle du L au Soi. L'homme primordial Adam signifie le petit crochet du Yod.)

Cette description paradoxale de la monade chez Monoïmos dépeint la nature psychologique du Soi telle qu'elle fut comprise par un penseur du deuxième siècle sous l'influence du message chrétien .

Une conception parallèle se retrouve chez Plotin  « Si donc une âme se connaît en tout temps, elle sait que son mouvement naturel n'est pas une ligne droite, à moins qu'elle n'ait subi une déviation, mais qu'elle observe un mouvement circulaire autour d'un principe intérieur, autour d'un centre. Le centre est ce dont procède le cercle. L'âme se meut donc autour de son centre, c'est-à-dire autour du principe duquel elle procède. Elle s'y tient ; elle se déplace vers lui comme toutes les âmes des dieux se déplacent vers lui, et c'est pourquoi ils sont des dieux ; car ce qui est relié à ce centre est en vérité un dieu ; mais ce qui s'en tient éloigné est l'homme, qui est sans unité et animal. »

Dans cette manière de voir, le point est le centre d'un cercle, qui est engendré en quelque sorte par la circumambulation de l'âme.  Mais le point est le « centre de toutes choses », une image de Dieu.

Chez les gnostiques, l'image fréquente du spinther, de l'étincelle, possède une signification semblable à celle de la monade. ( «  .  que les hommes ou au moins quelques hommes portent en eux depuis le commencement un élément supérieur originaire du monde de la lumière. Qui les rend capables de s'élever au-dessus du monde des sept dans le monde supérieur de la lumière, du père inconnu et de la mère céleste. »)  Elle correspond à l'étincelle de vie (scintilla vitae), la « petite étincelle de l'âme » de Maître Eckhart, De même Héraclite « le Physicien » comprenait l'âme comme une « étincelle d'essence stellaire » . dans la doctrine des Séthiens, l'obscurité maintient intelligemment « en servitude l'éclat et l'étincelle de lumière » et que « cette étincelle, la plus petite de toutes », est subtilement « mêlée » aux eaux sombres des profondeurs. (Cette image revient sous diverses formes dans l'alchimie. « Ce roi nageant dans la mer, appelant à haute voix : qui me délivrera recevra une grande récompense. » .. « car la tempête m'a submergé. C'est pourquoi j'ai été dans la souffrance toutes les nuits à crier, et ma gorge s'est enrouée : «  Ouel est l'homme qui vit, qui sait et qui comprend, qui arrachera mon âme de la main de l'enfer ») P.239

Simon le Mage enseigne pareillement qu'il se trouve dans la graine et dans le lait une très petite étincelle qui se développe en une force illimitée et immuable. ( . Il s'agit d'un symbolisme typique de l'individuation : « Je vis alors une figure humaine pendue au bâton, qui semblait renfermer en elle toute la solitude des mondes et de l'espace. Seul, et sans espoir, l'Un était accroché là et regardait dans le vide. L'Un observa longuement, tira toute la solitude à lui. Puis, loin dans l'obscurité impénétrable des profondeurs naquit une étincelle infiniment petite. Lentement elle s'éleva des profondeurs sans fond et, tandis qu'elle montait, elle se fit de plus en plus grosse jusqu'à devenir une étoile. Et l'étoile s'accrocha dans l'espace. Juste face au visage. Et une blanche lumière ruissela sur l'Un solitaire.» Par une inversion de l'image, Zoroastre raconte qu'il fit descendre d'une étoile des étincelles qui le brûlèrent.)

Le symbole du point se retrouve jusque dans l'alchimie où il présente la substance de l'arcane. Ainsi le point signifie aussi . « la pureté ou l'homogénéité de l'essence ». Dans le jaune d'oeuf, c'est le « point du soleil » qui devient poussin. ( Dans l'ouf, il nait donc quatre choses : terre, eau, air et feu ; le point (soleil) jaillissant, outre les quatre, au centre du jaune d'ouf est le poussin) Chez Khunrath, il représente la sagesse en tant que « point de sel » et, chez Maïer, l'or.

. c' est le point central, le cercle minimal et « médiateur » qui réconcilie les éléments ennemis et « transforme par une rotation de longue durée la forme angulaire du carré en une forme circulaire semblable à elle-même » . Chez Dorn, le « petit point à peine intelligible » est le point de départ de la création. . Dieu lui-même est le point central en même temps que la périphérie. Chez Mylius, le point est l'oiseau d'Hermès. Dans le Novum lumen, il est esprit et feu, la vie de la substance mystérieuse, semblable à l'étincelle (spinther ). .

Il n'est pas difficile de voir d'après ces indications la manière dont le Christ fut assimilé au moyen de symboles qui conviennent également au royaume de Dieu, par exemple le grain de sénevé, le trésor caché et la perle précieuse, Son royaume et lui sont synonymes. Cette dissolution de la personnalité du Christ a naturellement toujours été critiquée, mais on a alors négligé de voir qu'elle représente en même temps l'assimilation et l'intégration du Christ dans l' âme humaine. Le résultat se manifeste dans l'apparition de la personnalité humaine et dans le développement de la conscience. Ces  acquisitions spécifiques sont donc maintenant, à l'ère de l'Antéchrist, très lourdement menacées non seulement par les chimères politiques et sociales, mais avant tout et en premier lieu par la hybris rationaliste qui arrache la conscience à ses racines transcendantes et lui présente des buts immanents. P.241

XIV STRUCTURE ET DYNAMIQUE DU SOI

.. un grand nombre de gnostiques étaient ni plus ni moins que des psychologues. . (Hippolyte) : « l'âme est très ardue à découvrir et difficile à comprendre » et .. la connaissance de l'homme « total » est tout aussi  difficile à saisir. « Le commencement de l'accomplissement est en effet la connaissance de l'homme, mais la connaissance de Dieu est l'accomplissement parfait. » Clément d'Alexandrie dit .. : « C'est donc, semble-t-il, le plus grand de tous les enseignements que de se connaître soi-même. Car si un homme se connaît lui-même, alors il connaîtra Dieu. » Monoïmos dit .. à Théophraste : « Cherche-Le à partir de toi-même et apprends qui est ce qui s'approprie tout en toi et dis : «  Mon Dieu, d'où vient le fait de s'attrister et de se réjouir, et l'amour et la haine, et le fait d'être involontairement éveillé et involontairement endormi, involontairement en colère et involontairement amoureux. Si, disent-ils, tu explores exactement cela, tu Le découvriras en toi-même, comme Un et multiple, correspondant à ce point (keraian) en trouvant en toi-même, le passage et l'issue. »

.. évoquer les représentations indiennes du Soi en tant que Brahman et Atman .. :

Mue et dirigée, par qui la pensée vole-t-elle ?

       Attelé par qui le souffle de vie se met-il en marche d'abord ?.

Yâjnavalkya ..

Celui qui habite dans tous les êtres et qui est distinct de tous les êtres, que les êtres ne connaissent pas, dont le corps est tous les êtres, qui régit intérieurement tous les êtres, qui est ton âme, ton guide intérieur, l'immortel.

Hors de lui, nul ne voit, hors de lui, nul n'entend, hors de lui, nul ne comprend, hors de lui, nul ne connaît. Il est ton âme, le guide intérieur, l'immortel. Ce qui est séparé de lui est rempli de chagrin.

. dès le IIe siècle, le moi était compris comme l'exposant d'une vaste totalité, c'est-à-dire du Soi - pensée qui n'est toujours pas courante, même chez les psychologues de notre époque. .. P.243 de telles connaissances représentent .. le résultat d'observations obtenues par une introspection intensive . La gnose est indubitablement une science psychologique dont les contenus sont issus de l'inconscient. Elle est parvenue à les discerner par une concentration de l'attention sur le « facteur subjectif » ), qui consiste empiriquement en l'influence démontrable de l'inconscient collectif sur la conscience. Ainsi s'explique le parallélisme étonnant du symbolisme gnostique avec les données de la psychologie de l'inconscient.

. ces faits qui ont conduit la psychologie à admettre de façon générale un archétype de la totalité, c'est-à-dire du Soi : c'est en premier lieu dans les rêves et les visions, en second lieu dans les produits de l'imagination active que se manifestent les symboles de la totalité. Parmi eux, il faut citer d'abord des figures géométriques contenant les éléments du cercle et de la quaternité (Le cercle à cause de la « perfection » de sa forme et la quaternité comme nombre minimal de la division du cercle ont un caractère de totalité.) , donc, d'une part, des formes circulaires ou sphériques pouvant être décrites de façon purement géométrique ou objective, d'autre part, des figures carrées, quadripartites ou cruciformes. Ce peut être aussi quatre objets ou individus distincts reliés l'un à l'autre par leur disposition ou par le sens. Le huit a la même signification en tant que le double de quatre. Une variante particulière du thème de la quaternité est le dilemme du trois plus un. Le nombre douze (3 x 4) semble avoir ici sa place comme solution du dilemme comme symbole de totalité (zodiaque, année). La triade peut avoir valeur de totalité relative, puisqu'elle représente en règle générale une totalité soit spirituelle (pensée) comme la Trinité, soit instinctive (ou chthonienne), comme le montre la nature triadique des dieux du monde inférieur (« la triade inférieure »). Sur le plan psychologique toutefois, lorsque d' après le contexte la Trinité se rapporte au Soi, il faut la comprendre comme une quaternité défectueuse ou comme un état de transition vers la quaternité.

Empiriquement, une triade a pour complément une trinité opposée. Le complément de la quaternité est l'unité

(Cinq correspond à la nature non distinguable de la quaternité et de l'unité.)

Le thème du cercle et de la quatemité conduit, par déduction, au symbole du cristal de forme géométrique, et donc de la pierre merveilleuse. Celle-ci donne à son tour, par analogie, une série d'autres images : la ville, le château fort, l'église (Cf. la construction de l'église avec les pierres individuelles dans le Pasteur d' Hermas.), la maison, la chambre et le vase. Une autre variante est la roue. Le premier thème souligne que le moi est contenu dans la dimension plus vaste du Soi, le second met l'accent sur la rotation qui apparaît aussi comme circumambulation rituelle. Psychologiquement, elle a le sens de la concentration sur un centre et de la méditation sur ce dernier. Celui-ci est conçu comme centre d'un cercle et, par suite, il est formulé par un point. De là résutte immédiatement une relation au pôle céleste et à la voûte étoilée qui pivote autour de ce pôle. .

L'image de la maison, de la chambre et du vase mène à leur contenu, c'est-à-dire aux habitants de la ville et de la maison ou à l'eau que renferme le vase. Le premier symbole est donc de nouveau en relation avec la quaternité et le cinq comme unité du quatre. Le dernier apparaît dans l'expérience moderne comme une eau bleue reflétant le ciel, comme la mer, comme les quatre fleuves.. comme eau de salut et d'onction, etc. L'eau est fréquemment couplée avec le feu ou totalement unie à lui comme eau de feu (vin, alcool).

L'habitant de la chambre carrée conduit à la figure humaine qui est, auprès de la forme géométrique et arithmétique, le symbole le pus fréquent du Soi : c'est un dieu ou un homme semblable aux dieux, un prince, un prêtre, un grand homme, une figure historique, un grand-père, un père aimé, un modèle admiré, le frère aîné à qui tout réussit ; bref, une figure qui domine la personnalité du moi du rêveur. (La psychologie féminine a les figures féminines correspondantes. ) P.245

De même que le carré s'oppose au cercle, de même le trois plus un se dresse face à la quaternité, et le monstre démoniaque négatif, laid, mauvais, dédaigneux et redouté s'oppose à la figure humaine positive, belle, bonne, respectable et aimable. Comme tous les archétypes, le Soi a aussi un caractère paradoxal antinomique. Il est masculin et féminin, vieillard et enfant, puissant et désarmé, grand et petit. Le Soi est une véritable complexio oppositorum, ce qui toutefois n'autorise nullement à affirmer qu'il soit en lui-même et pour lui-même de nature antithétique. En effet, il est tout aussi vraisemblable que le paradoxe apparent constitue simplement un reflet des changements énantiodromiques de l'attitude de la conscience, qui est tantôt favorable tantôt défavorable à la totalité. Il est de même de façon générale pour l'inconscient, puisque ses figures d'épouvante pourraient être suscitées par la peur que la conscience a de l'inconscient. L'importance de la conscience ne doit pas être sous-estimée, puisqu'il est recommandé de relier causalement, du moins dans une certaine mesure, la manifestation contradictoire de l'inconscient à l' attitude de la conscience. Mais on ne doit pas non plus surestimer la conscience, car l' expérience fournit trop de preuves sans équivoque de l'autonomie des processus compensatoires inconscients pour que l'origine des antinomies soit uniquement recherchée dans le conscient. Il y a entre le conscient et l'inconscient une sorte de « relation d'incertitude », car l'observateur ne peut pas être dissocié de l'observé, et l'un dérange l'autre par l'acte d'observation, c'est-à-dire qu'une observation exacte de l'inconscient se fait au prix de l'observation du conscient et vice versa.

Ainsi le Soi se manifeste sous toutes les formes, de la plus élevée à la plus humble, dans la mesure où celles-ci dépassent le cadre de la personnalité du moi à la manière d'un daïmon. Il a aussi, bien sûr, sa symbolique thériomorphe. Dans les rêves modernes, les images les plus fréquentes semblent être, selon mon expérience, celles de l'éléphant, du cheval, du taureau, de l'ours, de l'oiseau blanc et noir, du poisson et du serpent. 0n rencontre aussi ,occasionnellement la tortue, l'escargot, l'araignée et le scarabée.

Les symboles végétaux sont avant tout la fleur et l'arbre. Parmi les images inorganiques, il convient de citer encore comme relativement fréquentes la montagne et la mer.

Dans le cas d'une dévalorisation de la sexualité, le Soi se présente comme phallus. La dévalorisation peut consister en un refoulement ordinaire ou en une dépréciation évidente. Chez certains hommes différenciés, une conception et une appréciation purement biologiques de la sexualité ont le même effet. Une telle manière de voir néglige les implications spirituelles, « mystiques » de l'instinct sexuel. Celles-ci existent depuis toujours en tant que faits psychiques, mais elles sont dévalorisées et refoulées pour des causes rationnelles et touchant à la conception du monde. Dans tous les cas de cette sorte, on doit s'attendre à un phallisme inconscient compensatoire.  La conception essentiellement sexuelle de la psyché chez Freud peut en fournir un bon exemple.

2 En ce qui concerne les symboles gnostiques du Soi, ce sont les images à figure humaine qui apparaissent le plus souvent. quant aux symboles géométriques et arithmétiques, ce sont en particulier la quaternité, l'ogdoade, la trinité et l'unité. .

3

7 On peut exprimer la série des quaternions sous la forme d'une égalité où nous désignerons l'état initial (dans notre cas, l'anthropos) par A, l'état final par Al et les états intermédiaires par B, C et D. .. les figures de discrimination respectives par a, b, c et d.  ne pas perdre de vue le fait qu'il s'agit d'un processus progressif de transformation d'une seule et même substance. Celle-ci (et chacun de ses états de transformation) produira chaque fois ce qui lui est semblable : de A procèdera a .. On pose en hypothèse que b suit a et que la formule va de gauche à droite.  

La formule ne peut naturellement être ordonnée de façon linéaire, mais seulement par un cercle qui, pour cette raison, est orienté vers la droite. De A procède le a qui lui est analogue. Le processus se poursuit par contingence de a vers b, d'où naît l'état B, etc. La transformation s'effectue vers la droite dans le sens du soleil, autrement dit, c'est un processus de réalisation de la conscience que montre déjà la division (discrimination) de A B C D en quatre grandeurs qualitativement définies. (correspondant à la phylokrinesis) .

Nous évoluons.. içi, non dans le domaine de la pensée scientifique, mais sur le terrain de la conception antique et médiévaIe du monde qui, jusqu'à l'époque de Leibniz, admit le principe des « correspondances » et l' appliqua de façon naïve et irréfléchie. ..  c'est-à-dire de la synchronicité. .

Notre quaternité gnostique est un produit naïf de l'inconscient et représente donc un fait psychologique que l'on peut mettre en relation avec les quatre fonctions d'orientation de la conscience. Le cours du processus vers la droite est, comme nous l' avons dit, expression d'une discrimination consciente, (La raison immédiate est l'orientation vers la droite de notre écriture. La droite gouverne en quelque sorte la raison consciente. La droite est le droit, elle est juste, exacte. Par contre, la gauche est le côté du coeur, le domaine émotionnel où l'homme est affecté par l'inconscient) donc d'une application des quatre fonctions qui constituent l'essence d'un processus de conscience.

La totalité du mouvement circulaire revient nécessairement à son point de départ, et cela au moment où D, l'état le plus éloigné de A sous le rapport de la contingence, passe en a3, ce qui correspond à une sorte d' énantiodromie.

La formule reproduit exactement les propriétés essentielles du processus symbolique de transformation : elle montre la rotation du mandala, le jeu d'opposés des processus complémentaires (ou compensatoires), puis l' apokatastasis, c'est-à-dire la restauration d'un état originel de totalité que les alchimistes exprimaient par le symbole de l'ouroboros, et finalement la formule répète la vieille tétramérie alchimique (Il s'agit des quatre

«regimina et dispositiones ») donnée par la structure quaternaire de l'Un, soit A = a-b-c-d-

Ce que la formule ne peut que suggérer  est le niveau supérieur atteint par le processus de transformation ou d'intégration. L' «élévation » ou le progrès, ou encore le changement de qualité consiste en un déploiement quadripartite et répété de la totalité, qui ne signifie rien d'autre que la réalisation de celle-ci au niveau conscient. Si des contenus psychiques sont  divisés en quatre aspects, cela revient à dire qu'ils sont soumis à une discrimination par les quatre fonctions d'orientation de la conscience. P. 279

La production de ces quatre aspects garantit d'abord une description intégraIe. Le processus décrit par notre formule transforme la totalité à l'origine inconsciente en une totalité consciente. L'anthropos (A) descend de ses hauteurs, par l'intermédiaire de son ombre B, dans la physis C (= serpent) et s'élève de nouveau par une sorte de processus de cristallisation D (= Pierre), qui signifie l'arrangement du stade chaotique passant à l'état originel, lequel, en se déployant, s'est toutefois transformé entre-temps d'un état inconscient en un état conscient.

La conscience ou la connaissance naît par discrimination, c'est-à-dire par une analyse (dissolution) et une synthèse consécutive à laquelle se rapporte symboliquement la sentence alchimique « solve et coagula ».

La correspondance est représentée par l'identité des lettres a, al, a2, a3 etc. Cela veut dire qu'il s'agit toujours du même facteur qui change simplement de place dans la formule, tandis qu'il change psychologiquement de nom et de qualité. Il est en même temps évident que le changement de place signifie chaque fois un changement énantiodromique de lieu, ce qui correspond aux transformations complémentaires ou compensatoires de l' ensemble de la psyché. La transformation des signes du Yi King est .. comprise de la même manière .. 

Chaque disposition archétypique possède sa propre numinosité, .. ainsi a - d, en tant que « race sans roi » (c'est-à-dire libre) », al - dl, le quaternion de 1'ombre qui est fâcheux, car il représente l'humain trop humain (« l'homme le plus laid » de Nietzsche), a2- d2, le paradis, qui parle de lui-même, et enfin, a3 - d3, le monde matériel dont la numinosité menace d'écraser notre monde sous forme de matérialisme. .

La formule représente un symbole du Soi, car celui-ci est non seulement une grandeur statique ou une forme permanente, mais en même temps un processus dynamique à la manière dont les Anciens considéraient l'image de Dieu dans l'homme non comme une simple empreinte ressemblant à un cachet inerte, mais comme une force agissante. Les quatre transformations représentent un processus de renaissance ou de jouvence qui se produit à l'intérieur du Soi, que l'on pourrait comparer au cycle carbone-azote dans le soleil, où un noyau de carbone capte quatre protons . et les renvoie de nouveau la fin du cycle sous la forme d'une particule. Le noyau de carbone réapparaît alors inchangé « comme le phénix sortant de ses cendres ». On peut supposer que le secret de l'être, c'est-à-dire de l'existence de l'atome et de ses constituants, consiste en un processus de rajeunissement se répétant constamment, et l'on parvient à des hypothèses semblables si l'on tente de s'expliquer la numinosité des archétypes. .

L'analogie physique n'est pas une digression dans la mesure où le schéma symbolique lui-même représente la descente dans la matière et requiert l'identité de l'extérieur et de l'intérieur. La psyché ne peut pas être

« totalement autre » que la matière, car comment pourrait-elle alors mouvoir la matière ? Et la matière ne peut pas être étrangère à la psyché, car comment pourrait-elle alors l'engendrer ? Psyché et matière sont dans un seul et même univers, l'une participe de l'autre, sinon l'interaction serait impossible.

. des événements synchronistiques, suggère une harmonie profonde de toutes les formes d' existence. P.281 

L'alchimie aime à se représenter son opus comme une circulation, comme une distillation circulaire ou un ouroboros. la pierre philosophale figure le Soi, 1'oeuvre et ses innombrables symboles illustrent le processus d'individuation inconscient, c'est-à-dire le développement graduel du Soi d'un état inconscient à une réalisation de la conscience. C'est pourquoi la pierre représente la matière de base (prima materia) aussi bien au début qu'à la fin du processus. L'or - autre synonyme du Soi - naît selon Michel Maïer de 1'« oeuvre circulaire » du soleil. Ce cercle est « la ligne qui se ramène à elle-même (saisissant donc sa propre queue avec sa tête comme le serpent), à partir de laquelle on reconnaît très justement Dieu, ce démiurge et peintre éternel ». En  opérant ce mouvement circulaire, « la nature y a mis quatre qualités en relation l'une avec l'autre », et, d'une certaine manière, a « dessiné un carré équilatéral pour la raison que les opposés furent liés et tenus réciproquement par les opposés et les ennemis par les ennemis, au moyen de liens en quelque sorte éternels ». Maïer compare avec cette quadrature l' « homme carré » qui demeure semblable à lui-même (sibi similis) dans le bonheur et dans le malheur. Il l'appelle : « Cette maison d'or, cercle deux fois divisé, phalange carrée, rempart, mur, ordre de bataille quadrilatéral ». Ce cercle est un cercle magique, constitué de l'union des opposés, « protégé de tout dommage »

Indépendamment d'une tradition occidentale, la même représentation de l'opus circulaire se trouve dans l'alchimie chinoise : « Si on laisse la lumière circuler en cercle, toutes les forces du ciel et de la terre, de la lumière et de l'obscurité se cristallisent » dit le texte de la Fleur d'or.

. « le mouvement circulaire » . proviendrait de la terre en tant qu'élément le plus inférieur. En effet le feu a son origine en elle et transforme les minéraux plus subtils et l'eau en air qui s'élève dans les hauteurs, s'y condense pour retomber de nouveau. .  C'est la  « distillation circulatoire » (destillatio circulatoria) qu'il faut, selon Jean de Rupescissa, répéter mille fois.

L'idée de base de l'ascension et de la descente se trouve déjà dans la Table d'Emeraude, et les étapes de la transformation font l'objet de nombreuses illustrations, . qui doivent être comprises comme des tentatives indirectes d'une appréhension par l'image des processus inconscients d'individuation. P.285

XV  CONCLUSION

J'ai tenté dans ce livre.. d'amplifier les différents aspects de l'archétype le plus important pour l'homme contemporain, celui du Soi. En introduction, j'ai présenté les concepts et les archétypes qui apparaissent, pourrait-on dire, dans tout traitement psychique profond : tout d'abord 1'ombre, cette personnalité voilée, refoulée, la plupart du temps inférieure et chargée de culpabilité, dont les ultimes ramifications pénètrent jusque dans le domaine de nos ancêtres animaux et qui, par là, embrasse l'intégralité de l'aspect historique de l'inconscient. Par l'analyse de 1'ombre et des phénomènes qu'elle inclut l'on découvre la syzygie Animus-Anima. Considérée superficiellement, 1'ombre dépend du conscient de la même manière que 1'ombre physique qui suit les corps représente une privatio lucis. Cette vision superficielle doit par suite tenir 1'ombre psychologique et son infériorité morale pour une privatio boni. Un examen plus attentif y décèle toutefois une obscurité qui voile des facteurs distinguables, riches en influence et autonomes, à savoir l'animus et l'anima. Lorsque nous les observons in vivo et en pleine action - comme un démon d'opinions, dévastateur et aveuglément obstiné chez la femme, comme une séductrice éblouissante, possessive , chatoyante et sentimentale chez l'homme -, nous commençons à douter que l'inconscient soit uniquement une queue de comète du conscient, dépourvue de substance, et une pure privatio boni.

..  l'être humain inconscient, l'ombre, ne se compose pas seulement de tendances moralement répréhensibles, mais qu'elle dénote une série de qualités positives, à savoir d'instincts normaux, de réactions dirigées vers un but, de perceptions conformes à la réalité, d'impulsions créatrices et de bien d'autres choses encore. A ce niveau, le mal apparaît bien plutôt comme une distorsion, une déformation, une mauvaise interprétation et une mauvaise utilisation de données qui sont en elles-mêmes naturelles. Ces falsifications et ces caricatures apparaissent désormais comme les effets péci6ques d'anima et d'animus, et ceux-ci, comme les auteurs et les responsables du maI. Toutefois il n'est pas possible de s'en tenir cette constatation, car il se révèle que tous les archétypes manifestent des effets favorables et défavorables, clairs et sombres, bons et mauvais. On doit finalement reconnaître que le Soi représente une complexio oppositorum, car il n'existe pas de réalité sans polarité. On ne doit pas perdre de vue le fait que les opposés ne parviennent à leur acuité morale que dans le domaine du vouloir et de l'action de l'homme, et que nous sommes incapables de fournir une définition du bien et du mal qui puisse être généralement acceptée, ce qui signifie que nous ignorons finalement ce que sont le bien et le mal. Il faut donc supposer qu'ils jaillissent de la nécessité de la conscience humaine et qu'ils perdent leur validité hors de la sphère de l'homme. Cela veut dire qu'il est inadmissible de les hypostasier comme des entités métaphysiques, puisque c'est les priver de signification. Si nous appelons « bon » tout ce que Dieu fait ou permet, le mal est également qualifié de bon, et ce terme n'a plus de sens. Mais la souffrance, qu'il s'agisse de la passion du Christ ou de la souffrance du monde, demeure la même qu'auparavant. La stupidité , le péché , la maladie, la vieillesse et la mort continuent de former le tain qui renvoie le joyeux éclat de la vie.

.. Pourtant celui qui est en état de supporter l'animosité de son prochain sans être affecté par elle et qui est en même temps capable de l'observer de façon critique ne peut manquer de découvrir l'état de possession de l'interlocuteur. P.287

Il est cependant plus avantageux et plus adéquat de soumettre à l'examen le plus rigoureux nos propres humeurs et leur influence déformante sur notre propre personnalité. Savoir ce qui manque à l'autre est de peu de valeur. Ce qui est intéressant, c'est ce qui nous manque, car là, nous pouvons agir. Ce que nous pouvons améliorer dans l'autre est la plupart du temps d'une utilité contestable, si tant est qu'il y ait là une efficacité quelconque.

Bien que, d'ordinaire, nous rencontrions anirnus et anima sous leur forme négative et déplaisante. Ils  possèdent . un aspect tout aussi positif.  En raison de leur pouvoir numineux de suggestion féconde, ils constituent depuis toujours et partout les fondements archétypiques des divinités masculines et féminines .

En tant que numina, animus et anima opèrent des effets tantôt bon et tantôt mauvais. Leur opposition est celle des sexes. Ils représentent par suite une paire suprême d'opposés qui n'est pas séparée sans espoir par une cntradictiop logique, mais, par l'attraction mutuelle qu'ils exercent l'un sur l'autre, non seulement demande l'unification, mais encore la rend possible. La conjunctio oppositorum a occupé la spéculation des alchimistes.

L'être double né de l'unification alchimique des opposés, le rébis ou pierre philosophale, est présenté dans la littérature. y reconnaître un symbole du Soi. Psychologiquement, ce dernier est une unification du conscient (masculin) et de l'inconscient (féminin). Il représente la totalité psychique. Ainsi formulé, c'est un concept psychologique. Empiriquement toutefois, le Soi apparaît spontanément sous la forme de symboles spécifiques ; en tant que totalité il est avant tout discernable comme mandala. Ces symboles devinrent historiquement des objets de croyance comme images de Dieu.

Le stade d'animus-anima correspond au polythéisme, celui du Soi, au monothéisme. Le symbolisme archétypjque naturel qui décrit une totalité embrassant à la fois l'élément lumineux et l'élément obscur est, dans une certaine mesure, en contradiction avec la conception chrétienne, mais non, ou à un degré relativement moindre, avec la vision yahviste du judaïsme. Cette dernière paraît plus proche de la nature et semble par suite mieux correspondre à l'expérience immédiate.

. l'inconscient moderne a, comme on le sait, tendance à produire des symboles de totalité propres à jeter un pont sur la faille ouverte entre le conscient et l'inconscient, faille qui s'est progressivement élargie de façon dangereuse jusqu'à provoquer une désorientation dans la vision du monde.

. tout chercheur doit étayer du mieux possible ses recouvertes et ses vues, mais il doit également, à l'occasion, hasarder une hypothèse en courant le risque de se tromper. P.289

Les erreurs sont finalement, le plus souvent, les fondements de la vérité et, si l'on ne sait pas, à propos d'une chose, ce qu'elle est, c'est déjà un progrès de la connaissance que de savoir ce qu'elle n'est pas.