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Des dieux, des ombres et des couples Michel Cautaerts

Résumé

Les problèmes de couple sont abordés du point de vue des inconscients individuels mais aussi de leurs arrière-plans collectifs. Après une évocation de la séduction, des problèmes d'identité, des relations avec les familles d'origine, des clivages et dénis, l'auteur montre que les générations des dieux symbolisent les transformations du couple sous l'effet de la créativité de l'inconscient. Il propose, exemples à l'appui, que rapprochements et prises de distance sont liés à un quaternion d'archétypes auxquels renvoient sans cesse les progressions et régressions du couple.

texte


 Forte est la tentation d'interpréter le fonctionnement des couples au moyen d'une grille de lecture freudienne ou de scruter ses interactions en le considérant comme un mini-groupe ou une famille réduite à sa structure fondatrice minimale, les parents, et de lui appliquer les théories systémiques. A la demande de consultation qui, très souvent, cite le couple comme lieu des difficultés, la réponse serait une offre de psychanalyse individuelle ou de thérapie familiale. Or, malgré une longue analyse individuelle de chacun des conjoints, certains couples n'arrivent pas à vivre. D'autres voient leur relation obscurcie, voire même empêchée au nom de la famille. Plus: la famille est fondée sur les liens du sang, le couple sur le seul engagement.

Aborder les couples dans le respect de leur complexité requiert plusieurs exigences: changer de prémisses de raisonnements, de points de vue d'observations et d'attitudes. Au fil des séances, le processus spécifique du couple apparaîtra, différent d'autres problématiques individuelles ou collectives. Masquées sous l'apparence de résistances ou de symptômes, se révéleront des tentatives d'évolution, incomprises de leurs auteurs comme des thérapeutes consultés.

L'histoire personnelle

On rencontre divers niveaux d'interactions entre les partenaires: la séduction, la communication, la typologie, la généalogie c'est-à-dire de la relation aux familles d'origine, l'archaïque avec les dénis et clivages et, enfin, l'archétypique. A chacun de ces domaines de relation correspond une ombre inaperçue des partenaires 1. Ces ombres, à mesure qu'elle s'épaississent, pèseront sur leur relation, pouvant aller jusqu'à la figer dans de mornes répétitions voire la vider de ses contenus et même la rompre. Nous les désignons dans les expressions suivantes: ombre de la séduction, ombre typologique, généalogique, projective et archétypique. Le passage brusque d'un niveau à l'autre permettra de repérer certains paradoxes.

Dans le couple, la revendication d'être mieux compris du partenaire, d'être accepté, prend, au début, la forme d'une exigence de séduction adressée à soi-même ou à l'autre. Dans cette perspective, il faudrait se mouler dans la forme offerte par les attentes et désirs du partenaire, ou l'exiger de lui. L'ombre de la séduction sera constituée de ces parts de nous qui, dans le but de plaire, sont éliminées de la relation.

La typologie de Jung distingue les individus selon deux attitudes fondamentales, l'extraversion ou l'introversion. Elle distingue par ailleurs quatre fonctions: sentiment, pensée, intuition, sensation. Avec le temps, il arrivera qu'un partenaire du couple veuille reprendre à son compte personnel l'exercice d'une fonction qu'il avait abandonnée à l'autre, ou bien projetée sur lui. Ainsi, tel, qui avait laissé à l'autre l'exercice du sentiment, souhaitera revenir à ses hiérarchies de valeurs personnelles et les faire reconnaître par le partenaire. De même, il ou elle se battra pour opposer ses besoins sensuels ou sa logique rationnelle à la logique de sentiment ou aux intuitions. L'ombre typologique se constitue de ces oppositions, abandons, affrontements et réintégrations de fonctions.

Au niveau généalogique, le désir de changement suscitera des critiques de l'un ou l'autre partenaire à l'égard des familles d'origine. Libérer un espace pour le couple rendra nécessaire de limiter les interventions, voire les intrusions des parents.

Et l'ombre projective? Elle apparaîtra si l'un des partenaires prend conscience des problèmes psychologiques de l'autre, de clivages ou dénis qui opèrent en lui et ont leur origine dans l'histoire familiale. Dès lors, il se heurtera à une difficulté de caractère éthique. Aurait-il le droit d'imposer à l'autre une prise de conscience des dénis et clivages qui existent dans sa vie? Et, si cela devait entraîner une crise existentielle, ne risquerait-elle pas de le plonger dans une dépression grave, ou, pire, une dissociation de la personnalité?

Telle cette femme qui, lorsqu'elle tente de calmer les crises de rage de son mari, l'entend répondre: "Dis-moi que j'ai raison". Doit-elle céder à cette exigence infantile, ce qui le calme et le rassure? Ou alors, par respect de ses propres sentiments, maintenir sa position et donc la tension dans le couple, avec pour conséquence de le voir désemparé, déséquilibré, hésitant voire régressif ?

Des stéréotypes et des erreurs induites

La vulgarisation de la psychanalyse a répandu la croyance que tout enfant aurait des désirs incestueux vis-à-vis du parent du sexe opposé et des désirs de mort vis-à-vis du parent du même sexe. Cette interprétation simpliste de l'Oedipe trouve son origine dans l'attitude de Freud lui-même. En effet, heurté par ses découvertes et empêtré dans son auto-analyse, Freud a tronqué le mythe d'Oedipe au point de le rendre méconnaissable 2. Ses premiers constats révélaient pourtant qu'à l'origine des névroses on découvre, dans de nombreux cas, abus parentaux, intrusions et prises de possession subis par l'enfant. Ceux-ci l'ont éloigné de sa véritable nature et lui ont barré l'accès au désir. Mais, en raison de ses propres problèmes familiaux, Freud préféra attribuer à l'enfant l'origine des maux qu'il avait découverts. Par suite, il tentera obstinément d'imposer l'idée de pulsions sexuelles incestueuses infantiles comme unique source des névroses, reportant ainsi sur l'enfant tout le poids de la responsabilité et de la culpabilité.

Quiconque lira attentivement l'Oedipe de Sophocle ne pourra qu'être frappé de la mutilation que le fondateur de la psychanalyse a fait subir à la tragédie. Sous sa plume, le drame vécu par le héros, drame de se découvrir le jouet des générations précédentes, des dieux et, en dernier ressort de sa propre inconscience et de sa démesure, est réduit à une histoire de pulsions infantiles. L'invention freudienne ultérieure d'un mythe de la horde, avec la publication de Totem et Tabou, tentera vainement de renforcer cette position. Ces thèses ne sont plus admissibles telles quelles et ont heureusement donné lieu à une révision, à partir des textes eux-mêmes3 , de l'observation des nourrissons et des jeunes enfants4 et d'une analyse plus approfondie des perversions. 5

Réduire l'inconscient à l'histoire personnelle du sujet est certes plus confortable que de s'ouvrir aux dimensions collectives qui l'ont influencée ou traversée. L'analyste s'offrirait ainsi le luxe de nier toute complexité. Il rectifierait la réalité au bénéfice de théories affirmées comme des dogmes. C.G.Jung lui-même ne put s'y résoudre, lui qui, au prix d'un deuil douloureusement vécu, s'obligea à respecter ses constats d'expérience, quitte à se brouiller avec ses collègues. Avec Jung et les spécialistes actuels des recherches anciennes, nous préférons une étude approfondie des mythes, mais respectueuse des textes. Semblable à l'approche jungienne des rêves, une telle étude s'autorise de l'interprétation comme de l'amplification. Notre choix des mythes grecs résulte de leur position, aux racines de la culture occidentale.

Arrière-plans collectifs et ombres archétypiques

Par un renversement de perspective, Jung nous a invités à constater, à propos de l'anima - animus, que ce qui fait l'irrésistible attrait des enfants pour les parents, c'est la présence auprès d'eux de l'archétype. À la suite d'Élie Humbert, relevons deux citations de Jung extraites de Aïon 6.

"L'anima n'est pas une figure substitutive de la mère, mais, au contraire, il y a beaucoup de vraisemblance pour que les qualités numineuses qui rendent l'imago maternelle si dangereusement puissante dérivent de l'archétype de l'anima, qui s'est incarné à nouveau en chaque enfant mâle." et "Chaque mère et chaque bien-aimée est ainsi forcée de devenir le véhicule et l'incarnation de cette image sans âge et omniprésente, qui correspond à la plus profonde réalité dans l'homme." 7

Voici nos hypothèses:
1.1. Chaque couple humain réincarne l'archétype du couple
2.2. Le couple est le lieu d'une créativité archétypique inconsciente permanente. Ce processus parcourt sans cesse le cycle de création, qui va du chaos à la structure et inversement. L'adage des alchimistes "Solve - Coagula" , désigne le même processus.
3.3. Le couple est le lieu de tensions entre tendances au rapprochement et à la prise de distance. Celles-ci interagissent entre deux pôles masculins et deux pôles féminins qui forment un quaternion. Les pôles sont symbolisés par quatre divinités: Zeus, Arès, Aphrodite et Héra.
4.4. Le processus d'évolution plonge régulièrement le couple dans des crises, liées au surgissement de contenus inconscients. Ceux-ci traversent les différentes couches de la personnalité. Selon la couche traversée, ils se manifestent sous forme de problèmes somatiques, numineux (psychoïdes), de clivages ou dénis, de problèmes familiaux ou typologiques.
5.5. Les partenaires expriment leurs difficultés avec les moyens du bord, c'est-à-dire sous couvert de plaintes concernant le sentiment, la sexualité, l'affectivité, les enfants, les parents.

À ces hypothèses, on pourra objecter que tout cela relève de l'imaginaire du thérapeute ou encore que les archétypes, ça n'existe pas. D'où la nécessité de répondre à deux questions. Comment le thérapeute peut-il apprendre à repérer les archétypes, en particulier ceux du couple, et leurs transformations dans le discours des consultants? Quel est le cadre qui convient à une thérapie de couple et comment la conduire? Dans l'espace limité du présent article nous donnerons un bref aperçu des réponses que nous apportons. Le lecteur intéressé trouvera plus d'informations dans notre livre.8

L'étude, pas à pas, des textes de la Théogonie d'Hésiode 9 et la confrontation de ceux-ci aux découvertes psychanalytiques et à la clinique des individus, des couples, des familles et des groupes permettent une double découverte. D'une part, le cycle archétypique de création et, d'autre part, le quaternion Zeus, Arès, Aphrodite, Héra qui représentent les tendances au rapprochement et à la prise de distance.

La Théogonie et les étapes de la créativité inconsciente.

Après les invocations d'usage aux Muses, le poème d'Hésiode chante la création du monde à partir du chaos (caoV). De cet abîme sont issues Terre (Gaïa) et Nuit (Nyx). Puis Terre crée un être égal à elle-même, Ciel (Ouranos), qui s'épanche en elle sans arrêt. Entre ces deux entités, pas d'espace jusqu'à ce que, lasse de subir cette incessante activité génésique, Terre prenne son époux en haine et arme le bras de son plus jeune fils, Cronos, d'une serpe avec laquelle il coupe les génitoires de son père. Du mélange du sperme d'Ouranos et du Flot stérile, naîtra la déesse Aphrodite, tandis que des gouttes du sang d'Ouranos tombées sur Terre naîtront les Érinyes, déesses de la vengeance. Cronos régnera désormais sur le monde et épousera sa soeur Rhéa. Pour ne pas subir le sort qu'il infligea lui-même à son père, il avalera ses enfants dès leur naissance. L'enfermement au sein de la mère devient enfermement dans le ventre du père. À son tour, lasse de voir disparaître sa progéniture, Rhéa mettra fin au pouvoir de Cronos, non par force mais par ruse: elle substituera une pierre à son dernier-né, Zeus. Ce dernier sera élevé à l'écart et, une fois grand, mènera, avec l'aide de divers alliés, une lutte pour le pouvoir qui durera dix ans, c'est-à-dire un cycle entier.

Arrêtons-nous un instant aux étapes de création ainsi symbolisées. La phase de départ, prématriarcale, est abîme et béance (Chaos). Elle correspond au grouillement sans direction. Du point de vue psychique, c'est le règne de la confusion - indifférenciation; pour l'individu, la phase foetale.

Le premier matriarcat advient avec l'apparition de Terre, une assise dotée d'une fertilité sans limite. Tout ce qui tombe sur elle la féconde. Naissent ainsi Ouranos, mais aussi les Titans, les Titanides et des monstres, tels Typhon et Échidna. Cette étape qui correspond à la relation primale 10, celle de la mère et du tout-petit, est dominée par une fertilité désordonnée, symbolisées par la jungle ou la Grande Mère-Terre. Entre Ouranos et Gaïa, pas d'espace; psychologiquement dans les couples: la différence est déniée, l'autre est requis comme double de soi-même.

A la bascule entre matriarcat et patriarcat, le Phallus, - le sexe d'Ouranos - , comme force de pénétration se distingue de la Syzygie primitive Ouranos - Gaïa. L'Éros pulsionnel poussait les entités à mettre au jour ce qu'elles contiennent. Il deviendra un Éros relationnel. Avec le Désir Amoureux (Himéros), il accompagne Aphrodite, figure de la séduction dans son premier sens d'attention à l'autre et à son identité spécifique. A ce moment, le père est vécu non plus comme tout-puissant mais porte d'accès à une autre dimension et garant de la différence. Dans le couple, l'accent portait sur la sexualité. Désormais, il portera sur la relation.

Le deuxième matriarcat est lié à l'apparition de Cronos qui figure le fils-amant de la Grande Mère. La serpe symbolise l'asymétrie et la froideur qui résulte de la haine mise en acte. Entre la mère et l'enfant qui tentent de s'ajuster, comme entre partenaires de couple, s'insinuent des manques, des erreurs, des incompréhensions.

Le patriarcat archaïque correspond à l'autre face de Cronos: Cronos-père. Ouranos était abîme inversé; Cronos, en tant que nouveau Maître, est ventre inversé. Gaïa ne pouvait sortir les enfants de son ventre et subissait passivement la fécondité. Cronos avale ses enfants mais, plus tard, il devra les vomir. Entre Cronos et Rhéa, une relation en miroir et symétrique: la différence est écrasée, réduite par la force. Mais la vengeance du père demeure comme une menace de répétition. Elle est personnifiée par les Érinyes dont la loi est celle du sang pour sang, oeil pour oil.

Le second patriarcat voit l'apparition du subterfuge: en lieu et place de Zeus, son dernier-né, Cronos avale une pierre entourée de langes. De sa génération à celle de Zeus, le conflit entre les clans opère une nouvelle transformation. La toute-puissance, la démesure et le règne de la force brutale font place à une loi, celle du Serment (Horkos) dont Zeus sera le promulgateur et le garant. Cette loi lie, au nom du sang, les puissances divines par un pacte. Elle structure le monde et la hiérarchie des pouvoirs: Zeus régnera sur le ciel, Hadès sur le royaume souterrain, Poseïdon sur les eaux. La suite de l'évolution se déroulera par différenciations. La loi, qui se nommera Diké, procédera de l'examen attentif des circonstances. Les déités acquerront une histoire, elles auront des aventures.

De même, toute pratique créative confrontera d'abord à un vide, à l'image de la toile blanche pour le peintre; puis, durant le temps de la germination, à des pulsions chaotiques et sans ordre (Chaos). S'en suit une division en deux polarités (haut - bas, nuit - jour, etc.), donc en opposés, à l'image d'Ouranos - Gaïa. Puis, pour un temps, les forces interagissent dans un espace intérieur clos, symbolisé par le ventre de Cronos, avant de surgir à la conscience. Ainsi en est-il, pour le peintre, des touches de couleur dont l'impulsion naît en lui avant de prendre forme sur la toile.

Tensions, agitations, disputes et prises de pouvoir secouent les couples, avant que les partenaires ne soient capables de reconnaître leurs manques et accéder à l'expression de leurs désirs. Elles seront suivies de confrontations répétées qui prendront parfois la forme de scènes de ménage. De même, notre identité apparaît lorsque nous émergeons de la fusion - confusion avec la mère et que nous prenons conscience de l'étranger qu'est le père, puis du monde alentour 11. Si l'un des partenaires ou le couple lui-même refuse l'évolution, il s'accrochera à une étape intermédiaire du cycle de création. Les poussées évolutives seront refusées au prétexte qu'elles ne pourraient qu'aboutir au déséquilibre. ("Tu vas me rendre malade!"). Les collusions de couple trouvent là leur origine.12

Le quaternion: Zeus - Arès - Aphrodite - Héra.

Ces premières étapes, au cours desquelles les entités archaïques font place à des dieux identifiés, correspondent, du point de vue psychologique, à la conquête d'une identité c'est-à-dire à la construction du Moi. Mais ni la mythologie, ni le processus de couple ne s'arrêtent là. Au bout de quelques années, sous l'effet de la pulsion à l'individuation, - du besoin de se réaliser si l'on préfère -, et du poids des ombres accumulées, l'identité du couple, que l'on croyait acquise, est acculée au changement. En conséquence, les habitudes relationnelles seront modifiées. Le Moi perdra de son importance au profit du Soi. Il s'agira désormais, par la réintégration des ombres, de se relier, au travers de l'Anima ou de l'Animus, au Soi. Dès ce moment, les partenaires prendront conscience de l'influence qu'exercent sur eux, à leur insu, une ou plusieurs figures archétypiques.

Voici notre hypothèse. Les figures mythologiques ont pour centre le quaternion des dieux symbolisant les grandes forces qui traversent nos vies: Zeus, l'ordre; Arès, la guerre; Aphrodite, l'amour et l'attrait pour la beauté; Héra, le mariage. Régressions et progressions partent de ces quatre figures et y reviennent sans cesse dans divers entrecroisements. Ce quaternion figure la plaque tournante des métamorphoses. Il précise les modalités de rencontre et d'opposition des énergies du rationnel et de l'irrationnel, du masculin et du féminin. Leur abord est malaisé dans la mesure où ces forces assaillent une conscience qui préférerait ne pas les affronter. Nous avons tendance à n'en regarder que les aspects négatifs. Le Moi préférerait ignorer comment l'inconscient compense ses unilatéralités. Il préférerait repousser l'idée qu'il est aussi cet ennemi qu'il décrie et sur lequel il projette tout ce qu'il abhorre. Il ne pourra pourtant éviter, sauf au prix d'une mutilation stérilisante, la confrontation à ses projections.

Ces forces archétypiques interviennent lorsque la situation s'est figée et requiert l'évolution. Ainsi, quand trop de distance, de rationalité, voire de froideur dominent le couple, les querelles surgiront et, à l'image d'Arès, rapprocheront les camps opposés pour la bataille. Ou bien, à l'image d'Aphrodite, elles les joindront pour l'amour et le plaisir. Si d'aventure, les interactions du couple se réduisaient à une recherche de jouissance, l'archétype d'Héra se constellerait, apportant le souci de la durée et de l'engagement. Si l'on versait dans la démesure, Zeus viendrait rappeler les limites et la loi.

Chaque fois que le Moi s'est, à son insu, identifié à des forces archétypiques, il souffre d'inflation. Car, comme le dit Jung à propos de la relation mère - fils et de l'anima: "...dans cette relation se réalise l'archétype aussi antique et sacré que les noces de la mère et du fils. Qu'a donc à offrir la réalité banale avec ses bureaux d'état civil, ses salaires mensuels, ses loyers , etc., qui puisse faire contrepoids aux frissons mystiques de la hiérogamie, à la femme constellée que poursuit le dragon et aux pieuses équivoques qui enveloppent de leur trame les noces de l'Agneau?" 13.

Zeus

Vainqueur du conflit qui l'opposait aux forces archaïques, Zeus impose la loi. Il règne par la parole - le Logos -, la ruse, le pouvoir et le pacte. Le symbole de la pierre, indigeste repas servi au père anthropophage, marque l'irréversibilité de l'événement qui s'est produit: ce qui précède ne se reproduira plus. Dès lors que la force brutale, à l'image de Cronos, ne peut plus être le principe du pouvoir, il faudra trouver d'autres puissances. Ce seront les armes, la Ruse (Métis), et la loi.

L'invention des Grecs est subtile: pour que l'évolution se produise, il ne faut pas que Zeus soit, comme Cronos, unique et tout-puissant. Comment faire sentir qu'il est le plus fort, tout en mettant une limite à ses pouvoirs? D'abord par des symboles: l'aigle, un animal des hauteurs, mais bien maladroit sur terre. La foudre, qu'il reçoit des Cyclopes, parce qu'il a fait alliance avec eux. Le besoin d'une arme signifie que la force instinctive a une limite, autant qu'il souligne que le dieu ne peut se passer d'alliances. Plus subtils encore, les Grecs réussirent à introduire en leur dieu suprême le pouvoir de la ruse, apanage féminin s'il en est. Ils racontaient que Métis, la première femme de Zeus, était enceinte d'une fille. Averti par un oracle d'Ouranos et Gaïa que, si Métis avait ensuite un garçon, celui-ci le détrônerait, Zeus avala son épouse. Ce symbole anthropophage de l'appropriation d'un pouvoir en dit long sur la lutte entre les forces archaïques et le désir d'ordre dans l'âme des Grecs.

L'archétype de Zeus dominera un temps la vie de l'homme ou encore le côté masculin de la femme. De sa présence et de l'identification du Moi à de telles forces découleront une inflation menant à l'épuisement et un refoulement du sentiment. En voici un exemple.

Grand expert dans le domaine des lois, féru d'abstractions et de stratégies mondiales, John consulte parce que son amie du moment l'a quitté après de sanglants reproches et que, pour une fois, cela l'a troublé. Ce trouble, notre Zeus ne le comprend guère. Mais il est là, insistant, et limite ses capacités de travail, ce qu'il ne peut supporter. De l'enfance de John, nous retiendrons qu'il fut placé en pension dès l'âge de l'école maternelle. Adolescent, il se souvient du malaise éprouvé de n'avoir que des vêtements ridicules, trop courts et d'une mode ancienne, sans que sa famille ne s'en soucie. Il réussissait brillamment ses études mais se sentait étranger à ses condisciples. Le nom qu'il portait l'en démarquait tout autant que son peu de goût pour les blagues estudiantines. L'âge venant, il constatait comme un fait que son cercle de relations se réduisait à chaque mariage. Il y assistait d'ailleurs sans trop comprendre ce qui pouvait amener quelqu'un à lier son destin à une femme, sauf à vouloir une descendance.

S'il fut quelque peu question de sa famille, le travail d'analyse ne commença vraiment que lorsque John décrivit les lieux qui lui servaient à la fois de bureau et de logement. Il y régnait le même désordre que dans ses relations féminines. Il n'avait aucune estime pour le sexe opposé, et s'il avait, par hygiène et pour être comme les autres, des relations sexuelles, c'était sans plaisir excessif et sans lendemain. Les rares consultations semblaient ne pas fonder un processus d'évolution: John détestait manifestement les interprétations. Il parla de ses origines et de ses parents parce que, disait-il, il avait lu que c'était nécessaire en psychanalyse. Le thérapeute accepta le rôle de serviteur discret que lui conférait cet étrange client. Il put, par quelques conseils, lui éviter l'un ou l'autre embarras dans le partage de biens familiaux ou dans la gestion des affaires. C'est alors que John vint avec une étrange question: comment fait-on pour choisir une femme? Ce fut l'occasion d'aller à la rencontre de ses émotions, jamais partagées avec quiconque, ni les parents distants, ni les condisciples obsédés de conquêtes sexuelles ou de réussite sociale, ni les copines trop vulgaires ou intéressées par ses titres ou par sa fortune. Pas question bien sûr pour John d'adopter un système extérieur: il avait trop souffert d'une éducation rigide et maladroite, dont la morale stricte avait étouffé en lui toute sensibilité. D'où pourrait bien venir la solution? Elle vint d'un constat simple et quotidien: il arrivait que John se sente en panne pour un instant, aux prises avec un malaise physique inexplicable et qui, fort heureusement se dissipait rapidement. Encouragé par le thérapeute, John décida d'accueillir ces sensations qu'il refoulait d'ordinaire si efficacement. Mieux, il prit le temps de les laisser faire image en lui. Il coupait le téléphone, donnait des ordres à la secrétaire et s'immergeait dans ce monde sans nom ni images, au début du moins. Peu à peu, il s'en dégagea une symbolique: il se rapprochait de quelque chose en lui qui ressemblait à des sentiments. Il se rendit compte que les relations l'affectaient bien plus qu'il ne l'avait cru, dans son corps d'abord, qui se sentait mieux ou moins bien selon les personnes rencontrées, et ce, ô surprise, indépendamment de l'intensité de la jouissance sexuelle, et même dans sa psyché.

Il fallut nombre de séances d'une sorte de méditation sans contenu pour que se dégagent ses propres valeurs. Il tria donc ses relations et se mit à choisir en fonction de ses perceptions qui, pour lentes qu'elles étaient à venir à la conscience, n'en étaient pas moins vives. D'imagerie en constat, il s'aperçut que telle fille, pourtant pas vraiment plus jolie, intelligente ou fortunée qu'une autre, revenait dans ses préoccupations. La voir lui faisait du bien, sans que le désir soit passionné. Elle le respectait et réussissait à l'éclairer délicatement sur ce qui se passait entre eux. Cela finit par un faire-part de mariage: il avait trouvé la relation qui, mieux que la thérapie, lui donnait de l'énergie, le faisait se sentir vivant et humain et lui permettait de débrouiller tous les jours l'écheveau compliqué des relations humaines et de ses propres sentiments. Certes, ceux-ci n'étaient pas le territoire le mieux connu en lui, mais la jeune femme avait su le respecter et attendre avec patience qu'il voie clair en lui avant d'aller plus avant dans les relations.

Arès

Fils unique d'un couple, Héra et Zeus qui le détestent, ou fils parthénogénétique d'une mère furieuse et rivale du père, Arès est figure jaillissant de l'ombre des Olympiens. Les épithètes d'ardent, de puissant, d'insensé, de tête à l'évent, de sot et bien d'autres pleuvent sur lui mais ne l'affectent pas. Sans distance vis-à-vis des événements, il court d'un bout à l'autre des champs de bataille. Point ici de distance froide ou de ruse ourdie en secret, apanages de son père; point non plus de territoires, réservés à Poseïdon, Hadès et Zeus. Mais Arès, c'est l'énergie, le feu, l'entreprise, l'ardeur, la présence immédiate et bouillante. Ses animaux symboliques sont le Loup, le Bélier et le Pic-vert. L'une des facettes de cette énergie émotionnelle est celle de la destruction des structures vieillies, l'autre, celle de la réunion des opposés par la confrontation, le corps-à-corps.

Nous nous souvenons de ce couple qui arriva tout essoufflé d'avoir tenté de rattraper son retard au rendez-vous. Cet incident, en apparence anodin, donna l'occasion à l'épouse d'exprimer sa peur de l'agressivité au volant dont faisait preuve son mari: "Si je lui dis de ralentir, il accélère et je me sens en danger. Si j'insiste, c'est pire.".
 S'ensuivit une querelle qui, d'associations en associations, fit surgir un souvenir. Des années auparavant, lors d'une bagarre qui s'était prolongée tard dans la nuit, ils s'étaient empoignés l'un l'autre et s'étaient retrouvés au bord d'une terrasse au quatrième étage, à deux doigts de se précipiter mutuellement dans le vide. L'horreur de la violence mortifère qui les avait saisis à cet instant, que nous exprimerions comme le surgissement d'Arès bouillant dans leurs âmes, les avait ensuite amenés à des rapports si froids, distants et légalistes que toute émotion, et souvent tout rapprochement physique, était désormais banni.

Aphrodite

Déesse de l'amour, de la beauté et de la séduction, Aphrodite se situe à la bascule entre le monde de la fusion/confusion Ouranos/Gaïa et celui sur lequel règne le pouvoir par la force et l'enfermement, symbolisé par Cronos. À l'origine, c'était une déesse-mère. Elle est celle qui nimbe les amants de numineux. Aphrodite est l'équilibre, la troisième voie entre matriarcat et patriarcat.

Lorsque Alice paraissait, tous les hommes l'entouraient tandis que les femmes se retiraient de l'autre côté de la pièce. Ses pires ennemies seront les femmes mariées. Grande sera la tentation de la traiter de nymphomane, ce dont certains ne se priveront pas. Elle pâtira de sa beauté sensuelle dès le premier engagement professionnel, car elle devra apprendre à se débattre avec le harcèlement sexuel. Elle aura de nombreuses relations mais, curieusement, pas un des hommes qui l'ont aimée ne lui en voudra de l'avoir quitté. Car plus que sa beauté, c'est son attention à la relation, sa capacité de les prendre tels qu'ils étaient et de mettre en évidence leur qualités, bref son sens de la relation et son amour de la vérité qui les ont impressionnés. En elle, l'archétype d'Aphrodite est dominant.

Mais il y a un prix à payer: Alice n'est pas vraiment heureuse. Elle a quarante ans lorsque, enfin, un de ses amants se soucie de lui donner du plaisir. A cette occasion, elle découvre qu'ils ne fonctionnent pas comme elle. Ils en jouissent certes, mais ce qu'elle croit à chaque fois être de l'amour n'est bien souvent que désir de chair et de possession. L'analyse sera l'occasion de découvrir qu'elle aussi a un monde intérieur et des désirs personnels. Plus que de sexe, c'est de culture, de découvertes et de beauté qu'elle a soif. Un rêve, à l'âge de cinquante ans, fera défiler devant elle tous les hommes qu'elle a connus. L'addition des qualités particulières de chacun donnera image à son animus. Il se terminera par un symbole solaire qui la confirmera dans sa nouvelle liberté. Elle avait enfin pu définir son identité sans s'identifier à l'archétype qui avait si longtemps dominé sa vie.

Héra

Première parmi les déesses, Héra représente un principe d'ordre et de durée, face à Aphrodite inscrite dans l'instant et le changement. Héra est au mariage ce qu'Aphrodite est au couple. La première défend l'institution contre le désordre, la seconde la vie contre les rigidités. Épousée par Zeus, Héra est en conflits répétitifs avec lui mais elle partage son goût de la structure, de la durée et de la loi. Pour une Héra, le sexe n'est qu'un moyen d'atteindre son but. L'Iliade raconte que, pour réduire Zeus en son pouvoir, Héra emprunta le ruban d'Aphrodite qui donne à la femme un charme irrésistible14. Il arrive ainsi que des épouses rangées, si tôt que leur couple est menacé, se découvrent des allures de séductrices.

Dans le domaine de la procréation, Aphrodite se situe entre la fertilité désordonnée ou la sexualité débridée et la relation créative. En face d'elle, Héra promeut le couple stable, un mariage aux règles établies et aux rôles sexuels convenus. Aphrodite est éclosion de l'attrait, beauté de la séduction, désir de l'autre et de la rencontre qui transforme. Héra est maturité de la relation, vigilance et permanence, courage de s'inscrire dans la durée, d'établir, de délimiter.

Dans le domaine du corps, Aphrodite règne sur les émotions, la sensualité et l'acte de création, Héra sur le mariage, l'institution, le sentiment comme logique des valeurs. En marge des générations, Aphrodite est la force sous-jacente située à la bascule entre les puissances tutélaires du début, souvent projetées sur les ancêtres de la famille et les entités différenciées. Ses compagnons de voyage, l'amour et le désir, sont aussi les nôtres. Dans la continuité des générations, Héra est l'alliée d'Athéna la Mesurée et de Poseïdon, maître en émotions.

L'institution du mariage met en évidence la fécondité d'une inscription de la relation dans une durée. Sans le concours du temps, le couple ne pourrait rencontrer certaines énergies indispensables à son accomplissement. Les partenaires tomberaient sous la coupe du principe de plaisir. L'anima deviendrait l'occasion de jouir de l'apparition de belles images, sans recherche du sens; l'animus, le goût de théories sectaires et d'idées toutes faites, sans respect du sentiment, ni de la différence. Héra, pour agaçante qu'elle soit, vient nous rappeler le temps qui passe et qui exige notre engagement pour que la vie soit féconde. La femme qui n'a pas pu s'ouvrir aux apports de l'homme ne rencontrera jamais une partie de sa sexualité qu'il était seul capable d'éveiller. L'homme qui ne s'est pas engagé avec une femme ne découvrira jamais la spiritualisation de l'instinct, ni certains domaines du sentiment auxquels elle seule pouvait l'initier.

Abandonnée ou rejetée, la femme Héra se transformera en enragée. Elle mettra en acte sa fureur. Cela se manifestera quelquefois par un report de sa possessivité sur les enfants qu'elle voudrait totalement soumis.

En raison des agressions incessantes de sa femme, un homme, après bien des scrupules, abandonna son foyer en catastrophe. Il était alors au bord du suicide tant les intrusions de sa femme le troublaient. Le divorce fut prononcé à ses torts et la garde des deux enfants en bas âge confiée à la mère. Tel Zeus attaqué par Typhon, notre homme, obnubilé par les crises de son épouse, avait refoulé et paralysé tout sentiment paternel. De surcroît, la mère s'était arrangée pour lui faire croire que ses enfants le détestaient. Il n'entendit plus guère parler d'eux avant leur adolescence. Un jour la fille s'enfuit de chez sa mère et vint lui demander asile, ce qui rendit la mère enragée.

La mère n'eut de cesse de récupérer sa fille, par des chantages et des manoeuvres juridiques. La jeune fille ne voulait plus entendre parler d'elle. Face à une dépression manifeste de l'adolescente, le père fit appel à un psychiatre. On découvrit alors peu à peu la folie possessive de la mère devant laquelle l'enfant s'était retrouvée sans recours, puisque son père était réputé l'avoir abandonnée. La mère justifiait sa rage contrôlante au nom de la bonne éducation. Chaque jour, elle se vengeait sur ses enfants de la fuite de leur père en les éduquant de la manière la plus rigide qui soit. Elle poursuivait en particulier la fille, attaquant toute manifestation de ses désirs d'enfant puis d'adolescente. Elle ne pouvait supporter qu'elle joue dehors, pas même dans un jardin clos.

Pour lui imposer l'enfermement, elle attaquait sa fille chaque fois qu'elle sortait sous prétexte qu'en rentrant elle salissait le sol. Elle l'obligeait alors à nettoyer toute la maison méticuleusement. La fille en eut vite assez de ce rôle de Cendrillon, et comprit que pour adoucir les exigences de la mère, il valait mieux rester cloîtrée dans sa chambre et étudier. Désespérée, elle scrutait son père les rares fois où elle pouvait le rencontrer. Ce n'est que peu à peu qu'elle osa croire en son affection malgré sa fuite d'autrefois. Et c'est alors qu'elle vint sonner à sa porte.

L'Aphrodite alchimique

Aphrodite, déesse de l'amour et de la séduction, préside aussi aux métamorphoses. Elle nous entraîne par son attrait à la découverte de domaines de la vie encore inconnus, nous invite à passer d'une étape d'existence à une autre. En mythologie, nul ne résiste à ses charmes. Bolen 15 la nomme porteuse de rêves: elle aide les créateurs à se réaliser.

Pratique de la thérapie de couple

Ni analyse de l'un en présence de l'autre, ni guidance, la thérapie de couple se centre sur la relation, ses mythes et ses ombres. Certes, une psychanalyse mettra en évidence certaines ombres individuelles. En revanche, les ombres du couple n'apparaissent clairement que si l'un et l'autre partenaire sont présents dans la séance. Notre cadre de travail comporte dix séances d'une heure avec les deux partenaires. Se centrer sur le couple implique de n'intervenir que lorsqu'on a repéré le lien entre les apports respectifs des partenaires. Sitôt que le couple a compris ses difficultés, il retrouve un champ d'action. Ses forces créatives sont libérées des complexes inconscients qui en barraient l'accès. Dès lors, elles se remettent en route et le thérapeute peut alors se retirer discrètement et les laisser créer leur propre relation.

Le travail sur les archétypes, c'est-à-dire la confrontation du couple réel avec les systèmes archétypiques i.e. les couples des dieux, aide à repérer la singularité du couple présent et sa manière unique de vivre l'archétype du couple. C'est d'autant plus utile, de nos jours, que nous ne disposons plus de modèles de couple auxquels nous raccrocher. A nous de créer notre modèle. Loin de diluer le sens dans des images idéales, le travail sur les archétypes, s'il tient ensemble pulsion et représentation, permettra au couple de préciser ses limites réelles 16. Il s'agira de refuser la coupure, hélas fréquente, entre corps, âme et esprit. C'est cela, la conjonction des opposés dont C.G.Jung a exploré les conditions. Elle donnera accès à la réalisation de soi.

Le jeu de miroir, dans l'analyse, se fait entre le monde extérieur concret et l'inconscient. Comme l'écrit Élie Humbert: "Les rêves, les fantasmes, l'orientation intérieure, l'inconscient du corps réagissent à ce qui pourrait sembler la vérité du point de vue du monde concret. Réciproquement la société, les autres, les besoins du corps jugent les rêves, fantasmes, désirs et pensées...Ce double miroir est cependant plus qu'une adaptation à des exigences opposées: c'est une double information qui agit sur le sujet et provoque sa transformation." 17

Dans le couple, le jeu de miroir se déroule par rapport aux familles d'origine, à leur atmosphère, à leurs lois et mythes, au conjoint, à sa manière d'être parent ou partenaire, à ou aux enfants et ce qu'ils remettent en question des parents, à l'inconscient, le sien et celui de l'autre, au monde concret et à ses stéréotypes.

Le règne animal offre des analogies que les Alchimistes avaient déjà repérées. Les symboles thériomorphes (où les animaux représentent des pulsions humaines) donnent image aux transformations pulsionnelles. Le grouillement d'insectes éveille l'angoisse, liée au nocturne ( Nyx), d'être agité en tout sens. Sur la terre, froids comme la glaise, serpentent les animaux à sang froid, image des manoeuvres tortueuses du lâche. Sinueux, ils sont malaisés à attraper, comme le vent qui souffle et siffle dans les haubans du navire. Les dragons, ailés ou non, unissent en leur nature le chaud et le froid, image de l'Éros divisé. Ils ont des correspondances avec le chien enragé et dévoreur de morts. Les lions, avec ou sans ailes ne peuvent que sauter. Seul l'aigle peut voler, mais il est maladroit sur terre.

Et l'humain? La nuit des origines, c'est l'Abîme, Chaos, angoisse du nocturne, de la transe, de la crise épileptique et de la mélancolie. Qui ne tremble devant la perspective de la mort qui nous tiendra immobilisés sous Terre? Mélusine et Lilith, femmes serpentes, sont les ombres d'Ève aux cheveux ondulés. Qui ne craint les manoeuvres et l'esprit retors de ces mauvaises mères? Qui peut sans frémir affronter Méduse, la Gorgone aux cheveux de serpent et au regard pétrifiant? A l'inverse, quelle rage nous donne l'envie de mordre comme des chiens, jusqu'à détruire? En retour, paralysés d'angoisse, nous sommes épouvantés à l'idée de voir disparaître la mère et d'être abandonnés nus et impuissants dans le vaste monde, proies offertes aux prédateurs.

Le chevalier affronte les dragons de légende comme nous affrontons nos fantasmes. A l'image des chasseurs qui traquent les lions, nous tentons d'apprivoiser les instincts de dévoration. Nous pouvons redevenir des fauves pour l'autre, lorsque le désir de chair s'empare de nous. Ou encore, nous essayons de tout maîtriser. Cette pulsion anale, esclavagiste comme la nomme Solié, nous met en grand danger d'immobiliser la vie quitte à la voir un jour resurgir de l'inconscient, plus sauvage encore18. Trop de contrôle ou de raison mène au mépris. Imposer une distance entre nous et les autres est une tentative de maîtrise de l'angoisse face à ceux qui nous sont donc devenus étrangers. Croire que l'on détient une spiritualité supérieure équivaut à s'isoler sur une montagne de refus de la nature. L'inquiétude devant l'étrange sera le prix payé pour cette prétention. Cette inquiétude est soeur de l'angoisse du vide qui nous étreint lorsque, sous prétexte de rationnel, nous croyons pouvoir imposer notre loi à tous les autres.

Créer, c'est devenir soi-même. Pour créer, il est nécessaire de changer quelque chose, par exemple les habitudes que la génération précédente nous avait données. Ceci peut générer deux sentiments de malaise: la honte, - et son corollaire, la crainte de ne plus appartenir à son groupe d'origine -, ou la culpabilité d'outrepasser ce qui nous avait été présenté comme des lois.

Dans le domaine du religieux, pour peu que nous soyons attentifs et sincères, nous ne tarderons pas à découvrir à quel point nos idées de la déité sont tributaires de nos complexes infantiles. L'image du dieu, chez les Grecs, intègre le corps. En revanche, les judéo-chrétiens ont réprouvé celui-ci durant une très longue période. Il incombe à l'individu de soutenir la tension entre ces opposés jusqu'à réaliser une synthèse à un autre niveau.

Issu d'un inconnaissable, l'être en quête d'animation scrute les ombres de ses origines et les perspectives de son devenir. Face à la mort, qui le simplifie et le réduit à l'essentiel, l'humain brandit le courage de son âme vivante. Cent fois blessé, égaré dans le labyrinthe du quotidien, il interroge inlassablement les dieux, les hommes et lui-même.

Remerciements

Les passages extraits du livre Couples des dieux, couples des hommes ont été reproduits avec l'aimable autorisation des éditions De Boeck Université.

Docteur Michel Cautaerts Bruxelles

By michel at 2005-07-17 13:09 | Textes publiés