Skip to main content

LA DELIVRANCE DANS LES CONTES DE FEES

PREFACE

La plupart des écoles psychologiques contemporaines élaborent leur théorie de l'homme à partir d'un présupposé tacite qui prétend savoir ce qu'est la maladie psychique et connaître les règles ou les critères collectifs de la normalité humaine. Il s'insère de ce fait un élément de manipulation plus ou moins important dans l'ensemble des thérapies médicales, comme on peut le constater sous sa forme la plus extrême dans la chimiothérapie..
A l'opposé de cette façon de voir, la thérapie selon C.G. Jung pourrait être qualifiée « d'homéopathique ». En effet, nous ne pensons pas savoir ce qui est bon pour le patient ; en revanche, nous faisons confiance aux tendances naturelles d'autoguérison de la psyché. C'est pourquoi cette thérapie porte toute son attention sur la compréhension de ces forces d'autoguérison et s'efforce de les favoriser, sans plus.
.
Ce que la psychologie contemporaine qualifie de névrose ou de psychose s'appelait « ensorcellement » ou « malédiction » dans un contexte ethnologique ou de traditions populaires. Se sentant aliéné de sa nature véritable par des influences tributaires de la magie noire, l'homme primitif en situait la cause dans une sorcière ou dans un magicien maléfique alors que, de nos jours, nous parlons plutôt de complexes pathogènes.
Dans les contes de fées, nous trouvons toute une série de traitements - types contre l'ensorcellement .. A condition de les avoir compris, nous pourrons en tirer des indications quant à la direction vers laquelle tendent les forces de guérison de l'inconscient et aider le processus en adoptant l'attitude susceptible d'épouser les orientations décelées.
Pour toute personne qui s'efforce à se confronter à ses problèmes en solitaire, il est, bien évidemment, de première importance de comprendre le langage de l'inconscient en elle. Ainsi, si je rêve d'un bain réparateur, cela ne signifie pas la même chose que si le songe me montre un animal à sacrifier. ..
Toutefois, l'homme qui se débat seul avec ses problèmes a besoin d'un contact humain avec autrui, car nous ne saurions évoluer dans le vide. Le fait que je discute les questions qui me tiennent à cour avec un ami ou que je m'en ouvre à un thérapeute présente une différence qui n'est que de degrés. Car la meilleure thérapie demeure sans effet si la personnalité du thérapeute n'est pas en ordre et, à plus forte raison, si la relation affective entre le thérapeute et le patient n'est pas ce qu'elle devrait être. Je ne parle pas ici du transfert et du contre-transfert. mais d'une relation affective authentique et adulte, c'est-à-dire de ce que Jung a qualifié d'Eros, d'amour, qui comprend et guérit parce qu'il restaure la totalité première. P.11

CHAPITRE I INTRODUCTION ET METHODE

Lorsqu'il est question de délivrance dans les contes de fées, nous n'avons pas affaire à la conception chrétienne de la rédemption, car celle-ci se place dans un contexte différent et bien spécifique. Dans les contes, la délivrance se rapporte à des situations dans lesquelles quelqu'un s'étant fait maudire ou ensorceler est ensuite délivré à la faveur de péripéties et d'actions particulières..
La nature de la malédiction varie. Dans les mythes et les contes, un personnage humain est en général condamné à se transformer en animal ou à revêtir la forme d'un méchant vieillard ou d'une vieille femme laide, après quoi il retrouvera sa nature véritable de prince ou de princesse à travers tout un processus de délivrance. Parmi les animaux figurant dans ce genre de contes, on en trouve qui appartiennent à des espèces à sang chaud, tels que l'ours, le loup ou le lion, à des oiseaux comme le canard, le corbeau, la colombe ou le cygne, ou encore à celles des animaux à sang froid comme le serpent ou le dragon. Dans d'autres cas, la malédiction infligée à un individu l'oblige à faire le mal et à provoquer des effets destructeurs alors qu'il n'a personnellement aucune intention d'agir dans ce sens. .
. les types de malédiction qu'on y trouve, .. la nature spécifique de chacune d'elles renferme, me semble-t-il, une signification psychologique particulière. En effet les personnes prisonnières d'une névrose se comparent aisément à des individus ensorcelés parce qu'elles partagent avec ceux-ci la tendance à se comporter de manière inadaptée et destructrice par apport à elles-mêmes et face à autrui. 0bligées de vivre à un niveau de comportement inférieur, elles agissent de manière inconsciente et pulsionnelle.
Les contes qui décrivent ce genre de personnages ne s'attardent pas sur le problème de la malédiction, mais commencent d'emblée à cerner la méthode susceptible d'apporter la délivrance. . voici quelques exemples des procédés appliqués : il est des personnes ensorcelées qui doivent être baignées dans de l'eau ou dans du lait tout en étant battues, à l'occasion, pendant le processus. D'autres supplient qu'on les décapite, d'autres encore demandent à être aimées, à recevoir le baiser rédempteur ou sont amenées à manger des fleurs. Il arrive aussi que la peau d'un animal particulier doive être jetée sur un personnage ou qu'il faille, au contraire, l'en dépouiller. Il faut poser certaines questions, alors que d'autres ne doivent surtout pas être formulées. .
Les praticiens espèrent souvent trouver des recettes et des formules pouvant être appliquées en thérapie. A la différence des autres écoles psychologiques et en tant que junguiens, nous n'avons pas de recettes à notre disposition pour traiter tel ou tel type de maladie. Pour nous, chaque cas présente un processus particulier qui intéresse un individu unique dont la voie est chaque fois nouvelle et, partant, non interchangeable. . Ce que nous pouvons faire, en revanche, c'est conseiller les analystes sur la marche à suivre avec tel patient en particulier. Dans cette situation difficile où le médecin ou l'analyste ne disposent d'aucune règle générale d'orientation concernant la rencontre avec le patient, nous avons comme outil l'interprétation des rêves. .. les rêves de nos patients pourront nous fournir des indices sur la manière de procéder, si nous les interprétons avec soin, de manière objective et sans y mettre nos propres théories.
La seule aide ou orientation théorique que nous possédions consiste donc dans notre capacité à trouver une interprétation méticuleuse et objective des rêves afin de déceler les suggestions proposées par l'inconscient et d'obtenir un effet de guérison.
Mais nous rejoignons ici un plan qui cesse d'être purement individuel : si le processus de guérison est en effet individuel pour chaque cas pris en lui-même, les mythes et les contes mettent en scène des processus instinctuels de l'âme dont la validité est universelle. . la psyché humaine possède certaines structures fondamentales typiques que l'on retrouve partout, en dépit de la diversité qui existe par ailleurs. Sur ce plan, qui est celui de l'inconscient collectif, nous sommes en présence de représentations imagées de processus typiques de guérison, applicables aux maladies d'une certaine nature. Si nous connaissons la signification du bain pour une personne ensorcelée dans le mythe, et qu'un rêve dise à l'un de nos patients que l'analyse est une chose analogue au fait de prendre un bain, on aura une idée intuitive du genre de traitement suggéré par le songe. P.15
Si un songe montre, au contraire, une créature qui doit être décapitée, on verra là l'indication intuitive de l'orientation dans laquelle s'engage le processus de guérison et nous saurons jusqu'à un certain point comment procéder dans chaque cas particulier. La question de savoir qui est celui qui devra prendre un bain ou avoir la tête coupée reste ouverte, bien entendu, mais les matériaux oniriques veilleront à nous fournir cette information supplémentaire.
. Lorsque, à la lecture naïve d'un conte, on laisse ses sentiments s'impliquer, on commence toujours par s'imaginer que la personne se trouvant au centre du récit .. est un moi humain auquel on s'identifie aussitôt.. et l'on partage les tribulations que doit endurer le personnage principal. A la lecture d'un mythe, tel que l'Odyssée ou l'épopée de Gilgamesh, l'identification avec le héros est sollicitée du fait que le protagoniste se conduit en créature humaine qui réagit comme nous, puisqu'il est tantôt angoissé ou triste, tantôt heureux ou courageux, qu'il se pose des questions sur ce qu'il faut faire et ainsi de suite. Il est donc proche du plan humain, ce qui nous permet de nous mettre à sa place. .
Or, Max Lüthi a démontré par des arguments convaincants que le héros et l'héroïne du conte se distinguent des personnages du mythe. Dans les contes, ils sont moins « humains » ou, autrement dit, paraissent ne pas posséder de vie intérieure, d'âme : ils ne se parlent pas à eux-mêmes et ne sont jamais assaillis par le doute ; ils ne sont pas en proie à l'incertitude et n'ont de façon générale pratiquement pas de réaction humaine. Le héros est courageux sans faillir ; il ne cesse de mener son combat jusqu'à la victoire sur l'ennemi. Quant à l'héroïne, elle n'hésitera pas à se laisser torturer sans faiblir. En poursuivant son chemin pour atteindre le but, elle souffrira jusqu'à la fin. Jamais on ne nous parle de mouvements humains qui pourraient les émouvoir ou les ébranler. .En effet, on ne trouve nulle part chez un héros de conte une conversion psychologique, alors qu'une telle transformation est assez fréquente chez les héros mythiques. Tout en possédant certaines caractéristiques humaines, les héros des contes ne sont pas tout à fait humains. Ils sont, au fond, des représentations imagées d' archétypes, d'où l'impossibilité de les comparer avec un moi humain, car on ne saurait voir un homme ou une femme ordinaires dans le héros ni dans l'héroïne. P.17
. les concepts de la psychologie junguienne ne peuvent être appliqués tels quels à l'interprétation des contes de fées. Lorsque j'en fis la découverte, je m'aperçus qu'il en était nécessairement ainsi, étant donné que les contes ne parlent pas de l'âme d'un individu et ne présentent pas, par conséquent, des matériaux individuels.
. Lorsqu'il est question d'anima, le terme évoque l'élément féminin d'un homme en tant qu'individu donc d'un homme concret. De même, le moi est l'ego d'une personne réelle et l'ombre désigne le côté inférieur d'une personne en particulier. Il est illicite d'introduire comme par prestidigitation de tels concepts là où ils n'ont pas leur place.
. Je suis donc d'avis que le conte illustre les structures fondamentales de l'âme sous une forme assez pure, car très dépouillée. C'est pourquoi on préférera le conte au mythe lorsqu'il s'agit de se pencher sur les fondements structurels de la psyché humaine.
Revenons à l'affirmation .. selon laquelle le héros et l'héroïne ne sont pas des individus humains, mais des personnages archétypiques. . C'est qu'il en coûte de renoncer à l'idée séduisante que le personnage présenté par le conte est un individu humain. Cela a longtemps représenté pour moi une difficulté considérable, jusqu'au jour où je compris qu'il y a nécessairement un fondement instinctuel général du moi humain et qu'il nous faut, par conséquent, partir de l'hypothèse qu'il existe une tendance innée de la psyché humaine que nous appellerons le « facteur formateur du moi » et qui semble constituer un des traits archétypiques de l'être humain.
L'étude de la psychologie de l'enfant enseigne que le moi peut se manifester sous forme de projection, comme s'il ne s'agissait pas de « mon » moi. ParIant d'eux-mêmes, de nombreux enfants se désignent de manière objective et détachée en se nommant par leur prénom. La raison en est que le moi n'a pas encore été projeté sur le nom. L'expérience affective de l'identité avec le moi n'est pas encore acquise. Si l'on pousse plus loin l'observation du phénomène, on découvrira qu'au stade suivant la personnalité du moi sera projetée sur une personne à laquelle l'enfant vouera une admiration sans bornes. Il peut s'agir, par exemple, d'un ami d'école qu'il s'évertue dès lors à imiter dans le moindre détail. On peut donc affirmer que la forme future du moi de cet enfant a été projetée sur cet ami. En pareil cas, on en déduit que certaines qualités du garçon ne lui appartiennent pas encore en propre, mais demeurent projetées sur quelqu'un d'autre.
Nous voyons ici le facteur formateur du moi à l'ouvre, par le truchement d'une fascination qui suscite l'imitation. L'étude des sociétés dites primitives révèle le même phénomène quoiqu'il se manifeste sous une autre forme puisque, chez ces peuples, seuls les rois, les chefs ou les hommes - médecine possèdent les qualités d'un véritable individu. P.21
Lorsqu'un crime a été commis dans la tribu, un homme donné peut être reconnu coupable, alors que l'opprobre tombe sur un autre qui en acceptera le châtiment. . tout crime commis dans le groupe devait être expié, cependant que le choix du coupable pouvait porter sur n'importe quelle personne convenant à ce but, même sans qu'il y ait culpabilité réelle. La personne désignée acceptait la culpabilité du forfait et tout rentrait dans l'ordre. Si, pour prendre un autre exemple, un homme blanc blessait les sentiments de son serviteur noir, celui-ci était capable de se pendre avec l'idée d'infliger un choc affectif à son patron. Le fait de mourir dans l'opération était sans importance, du moment qu'il s'agissait d'asséner un choc à l'agresseur. La faiblesse du moi est alors telle qu'aucune importance n'est attribuée à l'individu isolé.
. On peut donc avancer comme hypothèse de travail que le héros du conte de fées symbolise la tendance formatrice du moi qui existe dans l'inconscient. Le personnage du « héros » suggère d'ailleurs cela, dans la mesure où il est une figure idéale, un modèle. Le désir d'imiter le « héros » surgit de façon spontanée et irrésistible.
La comparaison des héros et des héroïnes, tels qu'on les trouve dans les matériaux mythologiques, révèle qu'ils possèdent le plus souvent les caractéristiques qui correspondent, dans une large mesure, à ce que Jung appelle « l'archétype du Soi », lequel, toutefois, est très différent du moi. Au sein de la personnalité humaine prise dans sa totalité, le moi n'est qu'un élément parmi d'autres. La plus grande partie de la psyché ne se confond pas avec lui. Jung définit le noyau autorégulateur gouvernant l'ensemble de la vie intérieure comme étant le Soi. Toujours selon Jung, s'identifier au Soi conduit à la catastrophe. Il démontre, en outre (dans Mysterium Conjunctionis) ce facteur inconnu qui construit le complexe du moi et qui est le garant de sa stabilité, est en effet l'archétype du Soi. . le complexe du moi possède une forte continuité, mais celle-ci est une chose très mystérieuse. On pourrait dire que la force et la stabilité de la continuité du complexe du moi dans l'homme sont établies et maintenues par l'archétype du Soi.
Or, l'interprétation des contes de fées .. comment savoir si il faut les prendre sur le plan du moi ou sur celui du Soi. . C'est pourquoi je vois dans le héros cette partie de l'archétype du Soi qui sert de modèle et de fondement structurel au moi. Considérant la personnalité humaine comme une sphère, le Soi serait à la fois le globe dans son ensemble et le facteur autorégulateur situé au centre. La régulation se fait grâce au rêve. Si l'on peut vivre pendant de longues périodes sans avoir de songes, on en aura dès qu'on risque de s'éloigner de sa totalité. La santé de l'individu est optimale lorsque le complexe du moi fonctionne en harmonie avec le Soi.
Il arrive fréquemment, dans les contes, qu'un personnage se voie maudit et se trouve de ce fait contraint à un comportement négatif. La tâche du héros ou de l'héroïne consistera à délivrer la personne ensorcelée. On peut affirmer qu'un complexe archétypique ou une unité structurelle de la psyché inconsciente a été maudit ou ensorcelé. Le héros n'en est pas nécessairement la victime, car il peut tout aussi bien s'agir d'un autre complexe. Il nous faut donc déterminer avec le plus grand soin quel est le facteur qui est tombé, dans un conte donné, sous le coup d'une malédiction. De façon générale on peut comparer l'ensorcellement avec un état névrotique chez l'individu. Selon les contes, la malédiction advient souvent sans cause particulière. P.23
C'est un état dans lequel on tombe sans le vouloir, en étant, le plus souvent, parfaitement innocent, à moins que ce ne soit en raison d'une faute mineure .
Lorsque le conte fait mention d'une culpabilité quelconque, celle-ci est toujours insignifiante par rapport à la malédiction encourue par le personnage concerné. .Ainsi, une partie de l'âme (un complexe) peut être « ensorcelée », c'est-à-dire devenir névrotique, sans raison ni faute particulières.
Les sociétés primitives vivent dans l'angoisse perpétuelle de l'ensorcellement qui peut fondre sur n'importe qui, à tout moment, sans que celui qui est ainsi frappé par le sort ait commis de faute. . Transposé en langage psychologique, cela signifie qu'une situation peut nous inciter à un comportement inadéquat, de sorte que nous nous aliénons nos instincts et risquons de perdre notre équilibre intérieur.
En termes psychologiques, on peut comparer la personne ensorcelée du conte de fées à un être humain chez qui un certain aspect structurel de la psyché est endommagé et ne fonctionne plus comme il faut. Or, les complexes exercent une influence les uns sur les autres. Si l'anima d'un homme est névrosée, il se sentira ensorcelé.
On peut donc affirmer que, dans de nombreux cas, les individus ne sont pas névrosés dans leur totalité, mais que c'est un complexe en eux qui est malade et, à travers lui, comme par un effet secondaire, c'est tout l'individu qui souffre, du moins jusqu'à un certain point. Le complexe affecté exerce une action névrotique sur le reste de la personne, d'où les différentes formes de névrose. En général l'ensorcellement signifie qu'une certaine partie structurelle de l'âme, endommagée ou faussée dans son fonctionnement, a des effets secondaires de contamination sur l'ensemble, dans la mesure où tous les complexes vivent dans une sorte d'agencement social qui forme la totalité de la psyché. .
Le héros du conte représentant plutôt cet aspect du Soi qu'on pourrait qualifier de facteur formateur du moi, il est un exemple pour nous et offre un modèle archétypique de la manière correcte de se comporter.
L'étude comparative des contes de fées montre qu'il existe cependant une grande diversité à ce sujet. . P.25
. Pour être comprise, l'attitude du héros demande à être placée dans le contexte global du conte, car le héros est un personnage dont le comportement instinctuel est idéal, c'est-à-dire qu'il est parfaitement adapté à la situation particulière qui est la sienne, et qu'il a donc le seul comportement juste.
Mais quelle est la « bonne » façon de se comporter ? .. cette ''justesse'' demande à être mieux définie dans ce sens qu'elle doit placer le héros en harmonie entière avec la situation prise dans son ensemble, tant extérieure qu'intérieure. Il n'y a pas de recette. il n'existe pas de réponse conventionnelle à un conflit individuel.
Lorsqu'une personne se présente en analyse, elle a en général épuisé les possibilités de ce qui peut normalement se faire dans une situation telle que celle où elle se trouve. On est donc confronté à la question difficile de découvrir quel sera le comportement spécifique que devra adopter cet être humain en particulier.
Comparé à ses frères les animaux à sang chaud, l'homme occupe une place à part du fait qu'il a développé une forme spécifique de conscience focalisée . Il semble que les animaux soient davantage tributaires de leurs structures comportementales que ne l'est l'homme . P.27
Les animaux sont donc souvent dans l'impossibilité de se libérer d'un modèle de comportement, même s'il les conduit à la destruction.
L'homme, pour sa part, possède une liberté beaucoup plus grande. Il est capable .. de
s'adapter à toutes les conditions de vie pour lesquelles il n'est nullement fait au départ. Il a cependant à payer cet avantage d'un prix considérable car, grâce à cette adaptabilité plus grande et à la possibilité qu'il a de contrarier son instinct animal, il peut aussi aller jusqu'à le refouler au point d'en devenir névrosé et de compromettre, de ce fait, le fonctionnement de la personnalité en tant que totalité. C'est là le prix exorbitant que doit payer l'être humain en contrepartie de sa liberté d'action plus importante. Par conséquent, le moi humain est confronté au problème de savoir jusqu'où il lui est loisible de s'écarter de ses instincts sans grands dommages. Considérée de ce point de vue, la conscience humaine a un besoin vital de disposer de modèles.. capables d'orienter le moi et lui permettant de fonctionner en harmonie avec les autres données instinctuelles. .

CHAPITRE II LE RETOUR A L'EAU DE L'INCONSCIENT

Parmi les principaux thèmes de délivrance figure celui du bain : . dans de l'eau ou du lait .
Le conte norvégien intitulé « Le Camarade » nous offre un beI exemple d'un tel processus de guérison par le bain.. une version célèbre de ce même thème se trouve dans le livre apocryphe de Tobie.
Si nous considérons le symbolisme du bain, nous voyons qu'il peut être rapproché des différents rites de baptême.
Les interprétations du baptême .. y voyaient une purification et un renoncement au péché ainsi qu'un exorcisme contre les mauvais esprits. Il s'y attachait, en outre, l'idée d'un renouveau, car .. rénové dans le Christ.. Comme preuve de sa conversion, il revêtait un habit blanc en signe de sa pureté et de sa personnalité nouvelles. P.31
Les mêmes conceptions se retrouvent associées à la plupart des bains rituels, conjointement à l'idée d'un renouvellement opéré par le contact avec l'eau.
En général le symbole de l'eau a trait à l'inconscient. L'entrée dans l'eau ou la sortie des eaux semble constituer une analogie symbolique avec l'inconscient et le contact avec lui. .
Dans bon nombre de rêves, le processus analytique est montré comme étant analogue à un bain dans lequel on se plonge. C'est pourquoi les songes comparent souvent l'analyse au lavage et à la baignade. La souillure dont le corps est entaché peut s'entendre comme l'expression imagée des influences psychologiques exercées par l'entourage sur le sujet dont elles ont maculé la personnalité originelle.
Il est bien plus aisé, en effet, d'être soi-même et de vivre selon sa nature lorsqu'on est seul. C' est un point particulièrement sensible pour les introvertis. Ils affirment souvent, en effet, qu'ils seraient en ordre si seulement ils pouvaient vivre seuls, car en compagnie d'autrui ils disent absorber des influences perturbatrices qui leur font perdre leur sérénité intérieure.. Nous sommes en présence de la psychologie des masses régie par des affects primitifs. C'est le genre d'infection contagieuse qui culmine dans l'extinction subite de la raison : les personnes moins différenciées contaminent les autres et tout le monde se voit entraîné dans un même tourbillon. Dès que nous entrons dans le troupeau humain, nous nous avilissons et l'ombre se constelle en nous. Si l'on peut effectivement dire que l'obscurité propre est activée par l'extérieur, il convient de préciser aussitôt qu'on ne peut prendre au dehors que les ténèbres que l'on porte déjà en soi. Dans de telles circonstances collectives, les hommes sont amenés à adopter des attitudes qui ne sont pas vraiment les leurs et, lorsqu'ils prennent le temps d'y réfléchir, ils ne manquent pas de s'étonner de ce qui leur est arrivé.
Il y a là quelque chose dont il nous faut tenir compte et que nous sommes sans cesse obligés de tirer au clair afin de rajuster notre position. Cela indique que le bain signifie, entre autres choses, la nécessité de travailler les problèmes de l'ombre. P.33
. le bain et son eau signifient le retour à l'inconscient dans le but d'effectuer la purification de certains problèmes d'ombre qui ne font pas vraiment partie de nous. . La princesse, jetée dans l'eau, rentre dans l'inconscient où ses pulsions destructrices et névrotiques sont soumises à un traitement par amplification. Or, l'amplification d'un songe ne fait au fond rien d'autre que de le replacer dans son contexte d'origine. De la sorte, le fragment onirique est réimmergé dans les ''eaux amniotiques'' afin de ''s'amplifier'', de s'enrichir de sens et de se déployer..
Le bain a donc affaire avec l'amplification, à savoir, avec la méthode psychologique qui consiste à ramener un complexe à sa matrice originelle et à observer ensuite quelle est la nature des forces qui s'activent en son sein. Les symptômes névrotiques sont souvent le résultat d'un élément demeuré bloqué entre l'inconscient et la conscience. .. citons l 'exemple d'une jeune fille qui consulta Jung. EIle était affligée d'un complexe qui la retenait prisonnière dans son appartement. Dès qu'elle sortait.. le complexe l'avertissait qu'elle risquait de rencontrer en chemin un ouvrier syphilitique qui allait la contaminer. . En réalité, la jeune fille esquivait tout travail pour gagner sa vie et l'ouvrier représentait son potentiel énergétique. Comme elle prenait la fuite devant tout effort à fournir, son énergie devenait négative et perturbait sa fonction érotique. Sa maladie avait ses racines dans un complexe - père : elle avait travaillé à plusieurs reprises pour abandonner aussitôt et son père, un homme aisé, l'avait laissé faire en subvenant à ses besoins. C'est pourquoi l'ouvrier en bleu de travail, à savoir son énergie non utilisée, infestait sa personnalité en s'attaquant à l'endroit le plus vulnérable chez une femme, sa féminité. L'éros, l'amour fut contaminé et détruit par ses énergies laissées en friche. Par le truchement de son symptôme névrotique l'inconscient lui avait fourni une indication de guérison très claire.. Jung se contenta de consacrer une demi-heure au symptôme et cela suffit à guérir la jeune femme. Possédant une droiture éthique vigoureuse, elle avala la pilule amère que Jung lui administrait et se mit à travailler.
La jeune fille était évidemment prisonnière d'un élément tout à fait destructeur, mais par l'entremise du symbolisme que présentait le symptôme, l'inconscient lui signalait du même coup comment s'y prendre pour guérir. Il arrive que ces messages de guérison aient des effets néfastes lorsqu'ils ne sont ni compris ni pris en compte de la manière correcte. Ils restent alors bloqués au seuil de la conscience et le message symbolique de l'inconscient ressemble alors à une créature maudite, car, empêché de faire surface en raison de certaines conditions existant dans l'inconscient, le contenu concerné demeure enlisé dans une sphère intermédiaire. Lorsqu'on le replonge dans la matrice pour le laisser ensuite remonter dans sa pleine signification originelle, l'effet destructeur s'évanouit.
Reprenons à présent le thème de la princesse battue à l'aide de verges de coudrier. Les noisetiers sont associés à la sagesse et à la véracité, en particulier dans les mythologies celtique et germanique.. La verge de coudrier est plus particulièrement associée à l'amour de la vérité et à l'objectivité impersonnels. P.35
.. Le bâton évoque le sceptre royal, signe d'un principe d'autorité impersonnel, à l'opposé d'un complexe de puissance personnelle. Si, donc, notre héros bat la princesse avec une verge de noisetier, il lui transmet de ce fait une vérité désagréable, de la même manière que l'interprétation d'un rêve traduit souvent une vérité fâcheuse, mais objective, dont les effets sont ceux de l'exorcisme.
Accepter d'entendre la signification d'un songe peut être tout à fait douloureux et aussi incisif qu'un coup de fouet. .. Il est significatif que la verge de coudrier soit quelque chose qui résulte d'une croissance végétale naturelle. Il ne faudrait pas s'arroger le droit de penser qu'on sait parfaitement comment autrui devrait se conduire. .. Certains individus (peuvent) être paresseux. D'autres personnes peuvent faire les choses les plus extraordinaires sans que la nature les punisse. . Toutefois dès qu'on voit un symptôme névrotique se manifester dans le cas concret, cela change tout, car ce signal a pris naissance dans l'âme même du patient.
Le bain correspond à l'épuration d'un complexe névrotique. Il se peut qu'un tel complexe doive être totalement éliminé, ce qui correspond à la mise à mort d'un personnage. L'énergie de ce complexe est aussitôt transférée sur un autre personnage.. Une de mes patientes .. voyait souvent son grand-père en songe, alors qu'elle ne l'avait jamais connu dans la réalité. De son vivant, cet homme avait présidé des séances spirites. Dans le rêve, le grand-père apparaît à la rêveuse sous forme d'hermaphrodite, mi - homme mi - femme. Quand l'androgyne se manifeste dans l'inconscient, il symbolise « ceci et cela simultanément ». C'est l'indication que quelque chose reste bloqué à mi-chemin entre l'inconscient et la conscience. En l'occurrence, deux choses étaient mêlées : d'un côté, une spiritualité religieuse sous-développée et frustrée, de l'autre côté, une nature féminine très passionnée que la rêveuse avait réprimée. Ensemble, ces deux parties avaient formé le monstre androgyne qu'elle avait pour tâche de différencier et de séparer au cours de son travail analytique. Dans un songe qui suivit, la même personne dut descendre dans la chambre à coucher de sa mère, abritée dans les profondeurs d'une grotte rocheuse où une femme, d'une beauté merveilleuse, mit au monde un enfant au cours d'une naissance surnaturelle dont un ange avait été l'instigateur. La rêveuse entendit gémir et aperçut le grand-père qui était en même temps à l'agonie, dans son lit. Dès la naissance de la personnalité féminine dans son âme, la magie noire du grand-père fut éliminée comme une coque vide. Elle comprit que la magie avait constitué pour elle une tentative infructueuse d'obtenir ce qu'elle voulait. L'énergie psychique investie jusque-là dans la magie noire fut réorientée..
La mort d'un personnage onirique ou d'un protagoniste de conte indique en effet la disparition définitive d'une attitude psychique, alors que le bain signifie davantage l'ajustement d'une attitude qui n'était pas encore la bonne.
Les bains ne sont en général pas pris dans la mer, mais dans une baignoire, ce qui souligne cette particularité importante que la cuve réservée au bain est un récipient fait de la main de l'homme et dimensions limitées. Le bain représente par conséquent l'inconscient, mais pris sous une forme spécifique. P.37
..Le récipient est le sein de la Mère-Eglise, l'utérus, ce qui lui confère une qualité résolument maternelle. Du point de vue de la mythologie, les récipients sont souvent assimilés à leur contenu. . Du fait que le récipient est un ustensile fabriqué par l'homme pour contenir un liquide, il est en relation avec notre fonction consciente : être capable d'utiliser un outil est (à quelques exceptions près) le propre de la conscience humaine. En tant que symbole, le récipient indique les activités exercées par la conscience ; il constitue une chose qui est de l'ordre du concept ou de la manière de comprendre ou de saisir un contenu. . Sur le plan psychologique, le récipient est à mettre en rapport avec des idées et des ''conceptions'' que nous entendons retenir et dont nous nous efforçons d'empêcher l'évaporation dans les flots de la vie, car le récipient permet de conserver ces choses au lieu qu'elles se perdent en se répandant dans la nature. C'est pourquoi le vase est un moyen nécessaire à la prise de conscience.
Dans de nombreuses langues, l'acte de comprendre est symbolisé par le récipient en tant que moyen de saisir et de contenir quelque chose en lui donnant une certaine forme. Nous essayons de comprendre l'âme à l'aide de l'âme, et nous appelons cette activité ''la pensée symbolique'', à la différence de la pensée abstraite. Ainsi nous n'envisageons pas la névrose compulsive comme un conglomérat de phénomènes de telle ou telle nature qu'il convient de traiter d'une certaine façon plutôt que d'une autre. Notre manière de procéder est d'observer comment l'âme elle-même s'y prend pour traiter le problème ; c'est cela, la mystérieuse identité du contenant et du contenu. (Les alchimistes pensaient.. que la matière leur indiquait elle-même comment la manier.) . nous n'encourageons pas le patient à formuler un flux d'associations sans fin, mais nous nous concentrons sur le symbole onirique et le thème qu'il véhicule, afin que les associations ne se dissolvent pas dans l'immensité de la mer de l'inconscient. Nous délimitons une frontière souple entre ce qui fait partie du thème et ce qui en déborde. Savoir ce qui s'y rattache ou non est une question de sentiment et d'expérience pratique. Lorsqu'il y a un complexe semi- conscient, comme c'était le cas pour la jeune fille terrorisée par la contagion syphilitique, nous le replongeons dans les eaux du bain sans le laisser se répandre dans l'espace alentour. De fait, écouter d'interminables souvenirs d'enfance ne serait pas indiqué en pareil cas. Demeurant à l'intérieur d'un certain cadre, nous cherchons quel chemin emprunter, guidés en cela par les sentiments du patient.P.39..
Vient ensuite le thème de l'évaporation ou du bain chaud. Au bain rafraîchissant des débuts succèdent le bain bouillant et, enfin, celui de feu. Le symbolisme de la température se réfère à l'intensité émotionnelle, car tout ce qui suscite les émotions humaines est ''chaud''. La fraîcheur est associée à l'apaisement, au rafraîchissement, à la détente. Elle est moins affective et peut même agir comme un « rabat-joie » qui entrave tout enthousiasme. Elle peut aussi être en relation avec le bon sens, la raison. Mais l'eau en tant que telle représente aussi une sorte d'émotion. Le déferlement des vagues de la mer, donc les eaux en mouvement, symbolise souvent l'agitation et l'excitation.
.. nous sommes fréquemment incités à montrer à l'analysé que sa situation est telle qu'il n'y a rien à décider avant qu'il n'ait compris ce qui se passe. La pire des tortures est effectivement la souffrance causée par un facteur inconnu. Mais la panique est destructrice, car elle est l'agitation sans but de animal pris au piège. C'est pourquoi on s'efforce de conduire la personne vers une vue d'ensemble ; on essaie de lui montrer que le conflit a été suscité par son âme et non pas par son moi. Si l'analysé est en mesure de comprendre ce qui est enjeu et qu'il adopte la décision de ne rien entreprendre pour le moment, le danger d'une réaction de panique s'écarte pour laisser la place à une attitude d'attente vigilante. On pourra dès lors attendre qu'une solution humainement acceptable se présente, au lieu de céder à la panique destructrice. En effet, une personne n'est jamais aussi dangereuse que lorsqu'elle est en proie au feu de la passion. L'eau du bain est étroitement associée à l'amorce d'une compréhension.
Dans son livre La Psychologie du Transfert, Jung souligne la double nécessité d'une compréhension par la raison et d'une relation émotive avec les contenus de l'inconscient.
J'eus un jour en traitement une femme saisie d'une panique mortelle. Elle voulut soudain se suicider. .une vision au cours de laquelle elle avait vu un ouf et entendu une voix lui dire : « La mère et la fille. » J'amplifiai le matériau pour elle et lui dis que l'ouf comportait le germe d'une possibilité nouvelle de vie, et d'autres choses encore. Elle était cependant déjà partie si loin à l'intérieur d'elle-même qu'elle ne comprit pas un mot de ce que je lui disais. .. Plus tard elle m'expliqua que, tout en ayant rien compris de ce que je lui avais dit, elle avait pensé en elle-même que Madame von Franz voyait sa vision comme étant positive et cela avait suffi à l'apaiser.
La présence attentive d'un témoin capable de comprendre constitue parfois une aide suffisante, même si le patient lui-même n'est pas encore en mesure de saisir de quoi il s'agit. P.41
La température émotive baisse dès ce moment et un certain apaisement s'instaure. patient comprendra peut-être plus tard, car les contenus archétypiques sont parfois très éloignés de la conscience. .
. L'église catholique parle, quant à elle, de l'aqua doctrinae, de l'eau de l'enseignement, l'eau qui, grâce au dogme, rafraîchit l'âme. Quand la possibilité de comprendre existe, l'émotion s'en trouve à la fois tempérée et calmée.
. si le héros échappe au danger de bouillir dans l'eau (ou de brûler dans le four), c'est grâce à la magie secrète qu'il possède. Dans ce contexte, l'eau bouillante représente l'émotion .. lorsque nous travaillons sur un complexe en le repoussant dans l'inconscient, nous lui ajoutons de l'énergie dans la mesure où nous participons avec notre émotion à tout ce qui surgit des profondeurs. Le plus souvent, le complexe est doté lui-même d'une certaine qualité d'affect, ce qui nous permet de le faire mijoter dans son propre bouillon affectif. Il arrive aussi que l'eau chaude, à savoir l'émotion, jaillisse conjointement à une projection ; dès lors, la totalité de l'émotion se précipitera sur l'objet extérieur. Un analysé essayera, par exemple, de se libérer de son ombre par abréaction en se mettant en colère contre quelqu'un. Il conviendra le lui souligner le fait qu'il s'agit d'une projection ; ceci afin de ramener l'analysé ou son complexe à lui-même et de le faire cuire dans son propre jus. C'est au moment où l'abréaction normale par la voie de la projection n'est plus possible qu'on entre dans la phase de la confrontation. Comme on ne peut plus continuer de prendre le monde extérieur comme bouc émissaire et que le complexe ne peut plus s'échapper, on est obligé de subir le choc intérieur de la confrontation avec lui. L'analysé présentera peut-être des affects négatifs à l'encontre de l'analyste ; il suffira alors d'une réponse émotionnelle de la part de celui-ci et le complexe jaillira à coup sûr. Par contre, si l'analyste demeure à l'écart, l'émotion restera prisonnière à l'intérieur de l'analysé qui devra accepter d'en ressentir la souffrance cuisante.
Pourtant, la méthode suggérée n'est pas nécessairement la bonne, car il est des circonstances où il vaut mieux entrer dans le jeu des affects. Mais l'appréciation de ce qu'il convient de faire relève de l'interprétation correcte des rêves et de la connaissance des instants précis dans lesquels il est préférable que l'affect demeure au-dedans de l'analysé qui se trouvera immergé dans son complexe comme dans un bain chaud, ce qui, de toute façon, ne manquera jamais d'entraîner une grande souffrance. C'est l'image même de enfer, c'est-à-dire de ce lieu où l'on se trouve plongé pour l'éternité dans de l'huile en ébullition. Cela arrive tous les jours aux personnes qui se voient contraintes de mijoter dans leurs propres complexes émotionnel. .
Chauffer le bain de l'extérieur, cela signifie, sous forme imagée, qu'il faut artificiellement attiser l'émotion à partir du dehors. Cela s'impose en particulier dans les cas de schizophrénie avec les personnes qui ont d'importants problèmes sans même en ressentir une souffrance proportionnelle à leurs difficultés. C'est que, chez elles, l'affect ne se présente pas à l'endroit attendu, mais éclate ailleurs. P.43
. le psychologue devra lui-même fournir et ajouter l'émotion qui fait défaut chez le patient. Ainsi une personne schizophrène peut-elle menacer de tirer sur l'analyste sans se rendre compte le moins du monde de ce qu'elle dit. Il faut alors montrer de l'émotion afin de lui infliger un choc capable de susciter une réaction affective normale. S'il est toutefois possible de tirer d'affaire un tel patient, ce sera à la seule condition de lui procurer la perception de ce qu'il dit, ou, en d'autres termes, en réchauffant le bain de l'extérieur et en ajoutant l'émotion qu'il ne peut lui-même produire de façon adéquate. La schizophrénie se caractérise par le fait que les contenus inconscients ont tendance à se séparer du reste de la personnalité et ont dépouillés de la valeur affective dont ils sont normalement chargés. Si, dans la névrose, la partie névrotique refoulée de la personnalité possède une vie affective adéquate, dans les cas de psychose, la difficulté réside dans cette tendance à la dissociation toujours plus marquée qui prive cette partie de toute émotivité. Il arrive que des personnes de ce type soient blessées par une remarque ; mais ce n'est qu'après coup que l'affect se produit en elles. Un jour, j'ai fait une remarque à un de mes analysés ; ce que je lui dis toucha un complexe, mais il me quitta sans s'en sentir incommodé. . Sa réaction se manifesta en dehors de tout contexte et, donc, d'une façon aberrante. . Mais il était dans l'incapacité de se rappeler le moindre incident, la partie heurtée en lui étant refoulée au point de ne rien lui laisser ressentir de tout ce qui s'était passé. En fait, il avait rêvé que quelqu'un avait été tué et jeté dans un trou creusé dans la terre, mais que par la suite le cadavre avait disparu sans laisser d'autres traces que quelques haillons, restes de ses vêtements. Voici comment un complexe donné se mue en complexe de plus en plus autonome, allant, semble-t-il, jusqu'à sa dissolution dans le néant.
Dans le cadre de l'analyse, il est fréquent qu'une personne blessée intérieurement rêve ensuite que quelqu'un a été mis à mort. . Il est parfois nécessaire de fournir un effort considérable pour dénicher l'association qui éclairera la question, et souvent il est impossible de reconstituer la situation de départ permettant de découvrir ce qui avait bien pu se passer en réalité. C'est pourquoi il faut ajouter de l'énergie là où le complexe ne se manifeste pas avec l'émotion appropriée. Ceci afin d'empêcher la désintégration de ce contenu et de lui insuffler assez de vigueur pour qu'il puisse faire surface sous sa forme authentique. Un certain problème peut être refoulé et confiné dans un tiroir pendant des années, parce que la personne concernée refuse d'aller voir où eIle en est, de peur de tomber en dépression en s'en occupant. Cela revient à refuser de consacrer l'attention requise à la partie de la personnalité placée sous séquestre parce qu'on redoute la souffrance qu'implique l'entrée dans le bain bouillant.
La bénédiction de l'eau baptismale dans l'église symbolise la purification de l'être humain et sa transformation en créature spirituelle. L'élaboration symbolique de ce rite fut poussée très loin .. et les contes de fées montrent un processus naturel analogue. . P.45
.. L'eau devient ainsi l'instrument de la rédemption des âmes. L'Esprit-Saint féconde l 'eau qui est mystérieusement enrichie de la puissance divine en vue de la naissance nouvelle des hommes.
Le geste d'immerger le cierge pascal allumé dans l'eau est d'une grande portée psychologique. Nous pouvons dire que la flamme de ce cierge représente la lumière qui irradie à partir de l'attitude de compréhension ou encore, l'illumination intérieure qui, à cet instant précis, pénètre dans l'inconscient qu'elle féconde. Cela correspond à l'attitude du sacrifice de l'intellect : une certaine compréhension consciente ou une certaine connaissance de la vérité est rendue à l'inconscient par cette immersion ; revenue dans le lieu d'où elle était issue, elle en ressortira renforcée tant en vigueur qu'en clarté. Ce et acte réalise par ailleurs une union des contraires, le feu et l'eau, dont le résultat est l'eau ignée.
L'eau du baptême est en effet appelée aqua ignita par l'église parce qu'elle contient le feu du Saint-Esprit et exprime la réalité plénière de la vérité, c'est-à-dire l'union des attitudes consciente et inconsciente. . La conjonction symbolique exerce une action transformante tant sur l'inconscient que sur l'attitude consciente du participant, ce qui confère une étrange qualité double à la vérité, à la fois consciente et inconsciente. Il s'agit donc d'un symbole du renouvellement de l'attitude intérieure. . P.47

CHAPITRE III LE THEME DE LA MANDUCATION DE FLEURS ET LES CAUSES DE L'ENSORCELLEMENT

. Dans l'Ane d'Or d'Apulée, le héros transformé en âne peut être délivré de sa forme animale à condition de manger des roses. Le motif de l'homme transformé en animal, qui retrouve sa forme première en mangeant des fleurs, se rencontre dans le monde entier. Il ne s'agit pas toujours de roses ; il est aussi question de lys ou d'autres fleurs.
Manger des roses, cela se rapporte à l'éros, au sentiment, alors que le lys est associé à l'innocence et à la pureté. La rose était, en effet, la fleur consacrée à lsis et à Vénus ainsi qu'à Dionysos. Or, nous savons à quel point l'éros, la participation affective la sympathie, ont un effet salutaire sur une personne névrosée .
Que signifie, pour un être humain, le fait d'être transformé en animal ? Les différentes espèces animales ont un comportement instinctif qui leur est propre. Si un tigre, par exemple, se mettait à se comporter comme un écureuil, nous le dirions névrosé. Pour un homme, sa transformation en bête signifie qu'il a quitté le domaine instinctif qui est le sien propre et qu'il s'en est par trop éloigné. Il convient dès lors d'examiner de plus près l'animal dont il a revêtu la peau. L'âne, par exemple, figure parmi les animaux consacrés à Dionysos. Dans l'Antiquité, on le disait dominé par une sexualité très puissante. Il est, en outre, réputé être entêté et stupide. En tant qu'animal de Saturne, il possède les qualités mêmes du dieu. .
La transformation en âne signifie simplement que l'individu concerné a endossé ce type de propriétés ou, en d'autre termes, qu'il succombe à la pulsion d'un certain complexe qui le contraint à se comporter comme un âne. Le récit d' Apulée met, à l'évidence, l'accent sur la pulsion sexuelle, puisque le héros du roman s'est livré à une relation amoureuse avec l'assistante de la cuisinière, en compagnie de laquelle il s'abîme dans les plaisirs des sens. On y décèle, en outre, un aspect de mélancolie liée à Saturne qui aura son rôle à jouer dans l'histoire.
En effet, la mélancolie et la dépression sont souvent le voile derrière lequel se dissimule une formidable avidité. En début d'analyse, il est fréquent de voir chez le patient un état dépressif de résignation marqué par l'absence de sens de la vie, où le sentiment de participer à la vie fait défaut au point de mener parfois à la paralysie. De très jeunes gens donnent alors l'impression de cultiver une résignation empreinte d'amertume comme des vieillards revenus de tout. Si l'on pénètre sous la surface de ce genre d'humeur, on découvre très vite, tapie à l'arrière-plan de la personnalité, une toute-puissante avidité d'amour, de richesse, du partenaire idéal, de reconnaissance, de prestige et ainsi de suite. Dans les zones ténébreuses, dissimulées derrière cette mélancolie résignée, on rencontre plus d'une fois un thème récurrent qui complique les choses et qui se manifeste de la façon suivante : il suffit de donner ne fût - ce qu'une bribe d'espoir à ce genre de personnes pour voir aussitôt le lion de la voracité, caché en eux, se dresser et ouvrir une gueule béante si démesurée qu'on se voit obligé de battre en retraite en refermant la trappe sur la bête féroce. Puis les choses reprennent leur cours habituel, c'est-à-dire qu'on avancera d'un pas, après quoi on reculera d'autant et ainsi de suite, sans issue possible, puisque l'animal veut tout ou rien. Ces personnes oscillent sans cesse entre la dépression résignée et un appétit excessif pour de formidables objectifs. Chez les alchimistes, l'image servant à illustrer cet état de fait est celle de la nigredo, de la noirceur, accompagnée de ses symboles caractéristiques que sont le brouillard noir et les vols de corbeaux. .. « Dans les ténèbres de la nuit, les animaux se manifestent. » P.51
Au cours du passage traditionnel menant de la noirceur, la nigredo, à la blancheur, l'albedo des alchimistes, toutes les bêtes féroces émergent et défilent devant l'observateur, groupe après groupe : la sexualité, la puissance, les pulsions infantiles, etc.
Etre transformé en animal signifie que l'on ne vit plus en conformité avec ses propres instincts, mais qu'on est, en partie du moins, dominé par une pulsion unilatérale qui menace de faire s'effondrer l'équilibre humain en place. .
Quand on rêve que l'on n'est pas soi-même transformé en bête, mais que c'est une autre personne gui subit ce sort malheureux, on peut avancer l'hypothèse que ce qui a été vaincu par l'inconscient n'est pas le moi, mais un autre complexe. Supposons qu'un homme rêve que la femme bien-aimée, son anima, se transforme en chienne noire. Cela veut dire que l'anima qui incarne un domaine de l'expérience humaine, à savoir un sentiment intérieur parvenu à un degré de conscience humaine, a été terrassée par une pulsion et que la pression exercée par quelque complexe l'a obligée à régresser vers un mode d'expression infrahumain.
En général, l'anima est représentée par une créature humaine. Toutes les réactions d'anima de l'homme, à savoir ses humeurs et affects, ses gestes et sa voix, ce qui le rend séduisant ou non pour les femmes, se trouvent sur le même plan humain qu'une femme. Il arrive, cependant, que l'anima soit soudain ensorcelée par une sorcière ou un magicien qui lui impose la forme d'un chien noir. La signification en est qu'un autre complexe parfaitement inconscient (il s'agit ici du complexe de la mère) contamine l'anima de ses propres tendances et exerce une influence destructrice, voire fatale, sur l'anima. Le moi doit alors réagir sur le plan de la conscience. C'est la raison pour laquelle l'animal maudit a besoin de l'aide du héros afin de pouvoir quitter son état, car il ne saurait se libérer par ses propres moyens.
Dans les contes européens, le magicien figure en général l'aspect sombre de l'image de Dieu qui n'est pas reconnu sur le plan de la conscience collective. Le magicien possède toutes les caractéristiques d'un dieu païen des ténèbres . 0n peut affirmer que ces divinités représentent un aspect de notre image de Dieu qui n'est pas encore reçu sur le plan conscient et qui mène une vie cachée dans les ténèbres. Le magicien représente une vision du monde ou une philosophie de l'existence demeurée inconsciente, mais qui exerce une influence secrète sur l'anima. Il est, de fait, assez fréquent que l'anima de l'homme possède sa propre vision du monde, ce que les hommes ont des difficultés à admettre dans la vie pratique.
Si un homme sait décrire son anima avec beaucoup de justesse et s'il a une bonne connaissance de ses propres réactions d'anima, les choses se compliquent toutefois pour lui dès que l'anima, au lieu d'être simplement l'expression de ses états d'âme et de ses sentiments, se met à prôner une vision du monde qui lui est propre et professe des principes d'éthique ou des maximes contraires à la morale consciente de l'homme en question. Si son anima est projetée sur de belles femmes assez libres d'allure, il lui faudra comprendre que sa vie sentimentale épouse les méandres d'une vision du monde plus ingénue et spontanée, moins structurée et, surtout, moins encombrée de garde-fous que ne l'est sa vision consciente des choses. P.53
La pire des difficultés se présentera à lui dès instant où il essayera d'aborder le complexe de l'anima, car celle- ci le confrontera aussitôt au problème de sa vision du monde à elle, lançant un défi à son attitude consciente. .
L'anima est donc l'annonciatrice d'une vision du monde différente. Dans notre civilisation, elle revêt souvent une nuance païenne. Elle aime la beauté de la vie et de la nature sous leurs aspects situés au-delà du bien et du mal : c'est en cela, souvent, que consiste sa vision du monde, et c'est par là qu'elle met au défi l'ensemble des convictions ainsi que l'attitude morale de l'homme concerné. Il est fréquent que le problème véritable que pose l'anima soit sa sujétion à un autre complexe. Dès lors, notre homme se voit obligé, pour commencer, d'affronter le magicien et ses agissements néfastes. Puis il est forcé de prendre conscience du fait suivant : « Si, moi, j'ai ma vision du monde, mon âme en a une autre. » Etant donné que le problème de la conception de la vie et du monde est une affaire qui, pour l'homme, pèse bien plus lourd que le sentiment, on voit que c'est en ce point que de nombreux hommes rencontrent leur difficulté véritable.
L'hypothèse qu'un autre complexe se tient caché à l'arrière- plan de l'anima est corroborée par la tendance habituelle qu'a l'anima de se manifester dans les songes en compagnie d'un autre amant, ce qui est de nature à déclencher la jalousie du rêveur et à provoquer chez lui de nouveaux rêves à ce sujet. C'est la manière choisie par l'inconscient pour mettre en évidence le fait que l'anima est en relation avec un autre complexe. Il faut donc faire le tri entre ce qui appartient à l'anima et ce qui revient à l'autre complexe.
Prenons comme exemple un homme dont l'attitude dans la vie consciente est sans ambition, dans la mesure où, de caractère placide, il est plutôt du genre paresseux et n'aime pas trop s'activer. En revanche, il possède une ombre ambitieuse dont il ne connaît pas l'existence, mais qui le pousse sans arrêt à tomber sur des femmes qui veulent faire de lui un grand homme. . Un tel homme verra son anima le quitter en rêve pour un autre amant du type « jeune loup » plein d'ambition, au demeurant fort antipathique. C'est que son anima est contaminée par l'ambition cachée qui l'habite. A partir du moment où l'homme aura pris conscience de cette ambition en lui, il ne sera plus attiré par les femmes de ce type. Par ailleurs, le fait que l'anima possède une vision du monde à elle est dû à l'alliance qu'elle entretient avec un complexe masculin. Si, en l'homme, l'anima est une impulsion qui l'attire vers la vie ou le pousse au contraire à se retirer de l'existence et qu'elle tend donc à inciter l'homme à s'impliquer dans la vie ou à s'en détacher, elle n'a pas, cependant, de vision du monde particulière - et celle qu'il lui arrive de mettre en avant est de nature paradoxale puisqu'elle comporte le oui et le non. Dans ce contexte, nous entendons par vision du monde une tendance spirituelle inconsciente qui, à défaut d'avoir pu passer le seuil de la conscience et y pénétrer, s'en prend à l'anima et s'empare d'elle. Un tel état de fait indique dans tous les cas qu'un complexe encore in- connu se dissimule derrière un autre, de sorte qu'il nous faut mieux définir en quoi consiste cette vision du monde propre à l'anima : elle se présente avant tout sous forme d'infidélité, l'anima s'enfuyant avec un autre homme - qui représente, en fait, une qualité inconsciente du Soi ; mais le moi n'y voit que du feu, il ne s'en aperçoit même pas. P.55
Surgit alors le problème de libérer l'anima de l'influence destructrice de « l'autre » et la nécessité de tuer le magicien ou tout autre amant néfaste.
Dans les contes européens, l'anima est souvent dans les griffes du diable. Le héros et l'anima doivent prendre la fuite jusqu'à ce qu'ils soient en sécurité : c'est que le héros doit libérer son anima de l'influence diabolique de l'inconscient.
La question qui nous occupe ensuite est de savoir pourquoi dans de nombreux cas, le sorcier choisit de jeter une peau d'animal sur l'anima. . S'il est vrai qu'il y a une créature humaine qui souffre sous la peau de la bête, on la rencontre néanmoins sous forme de chien noir lorsqu'on entre en contact avec l'inconscient.
. Il est .. possible soit de sauver soit de maudire une personne en lui faisant revêtir par ruse une certaine enveloppe. (cf. Les six cygnes) .. jeter une peau sur elle est une variante de la malédiction proférée à l'encontre de quelqu'un. Dans la pratique, cela signifie qu'un complexe de la psyché, capable d'user des moyens d'expression humaine, est changé au point de ne plus disposer que des possibilités expressives propres à l'animal. Il y a toujours une cause à cela, qu'elle soit directe ou indirecte. Il se produit, parfois, un tel état de compulsion en rapport avec un complexe que ce dernier se trouve privé de tout mode d'expression. Ainsi, tant qu'on est seul, on sait parfaitement ce qu'on va dire concernant un certain problème, car tout est clair dans notre esprit. Mais sitôt placés dans la situation réelle que nous nous étions contentés d'imaginer à l'avance, nous sommes submergés par l'émotion et réduits à bafouiller . C'est l'effet abêtissant de l'émotivité.
En pareil cas, la possibilité de s'exprimer sur le plan humain est rabaissée et ramenée à un niveau animal par l'interférence d'un complexe. Cela est généralement dû soit à un préjugé qui domine l'attitude consciente du moi, soit, carrément, à une attitude du moi erronée qui refuse toute chance de s'exprimer de façon adéquate à la personne prise dans son ensemble. Cette attitude fait la sourde oreille à ce que l'anima aurait à dire .
Quand on pense que l'anima n'est « rien que » ce qu'on estime voir sur son compte, on n'a pas, face à elle, l'attitude d'ouverture qui permet de se mettre à son écoute. Par conséquent elle s'étiolera toujours davantage jusqu'à n'être plus que ce « rien que », se manifestant comme charge brutale d'émotion indifférenciée. . P.57
. elle est devenue inhumaine ou infrahumaine et primitive. C'est pourquoi Jung introduisit dans le travail psychologique l'outil e l'imagination active comme moyen d'entrer en dialogue avec un complexe : on prie le chien noir d'entrer dans la pièce et on lui parle tout en prêtant une oreille attentive à ce qu'il a à dire de son côté. On verra alors s'estomper l'affect démesuré et se manifester à sa place une créature assez humaine avec qui il est possible de s'entretenir. Et l'on débusquera par la même occasion le magicien tapi derrière tout cela. Jusqu'ici cette créature humaine avait refusé de prendre en compte l'anima, ce qui a permis au magicien de s'emparer d'elle. Tout se passe comme si un homme tuait sa femme ou son enfant afin de blesser une tierce personne. Cela arrive lorsque le moi a bloqué un certain complexe à l'aide d'un autre : la personne se trouve ensorcelée par un acte de vengeance de leur part. Lorsqu'un homme découvre toute une vision païenne du monde dissimulée derrière l'anima, il ferait bien de remettre en question sa position consciente et de se demander : « Comment se fait-il qu'il y ait de pareilles idées dans mon âme ? » A partir de là il verra s'évanouir l'influence occulte de cette vision du monde sur son anima et il découvrira qu'en tant que telle l'anima est sans malice.
Je me souviens d'un homme dont l'attitude consciente était empreinte de rationalité. A l'âge de la puberté il avait subi un choc terrible lorsque sa mère mourut d'un cancer après de longues et horribles souffrances. . L'enfant éveillé au tempérament vif qu'il avait été auparavant s'effaça devant l'adolescent calme, plutôt sec et réservé, .. tandis que toute foi dans la vie tarissait en lui. . Dès cet instant, sa vie fut dominée par la conception suivante : « Je sais par expérience que, de toute façon, le monde est pervers et la vie néfaste. » . Or, ce qui apparut en premier dans ses rêves, ce fut une anima d'une vitalité formidable manifestant l'exubérance d'une Vénus antique. Mais il n'éprouva qu'un ennui des plus profonds face aux fantasmes sexuels du genre courant. Si dans la réalité éveillée, il était un homme d'une nature passablement ascétique qui ne savait pas jouir de la vie, il avait cependant une anima secrète dotée d'une expérience et d'une sensibilité païennes. Je le poussai à suivre son anima en l'encourageant à nouer une relation avec une jeune femme s'il en rencontrait une qui correspondait à son image intérieure. Cela réussit pendant un certain temps, puis s'arrêta. .. A la fin du semestre, il arriva avec le songe que voici : Une femme nue d'une grande beauté s'approchait de son lit ; elle faisait des gestes et lui adressait des signes qui l'excitaient sexuellement, mais elle se dérobait et disparaissait chaque fois qu'il voulait l'attirer à lui. Ensuite, la même femme descendit un escalier, portant une « table » dans ses mains, tel Moïse, et sur cette table il put distinguer les mots : « Tu ne peut m'avoir. » P.59
En proie au découragement et à la stupéfaction la plus totale, je ne sus que lui dire : « Ma foi, oui, c'est comme cela, à prendre tel quel. » Mais après cela, le rêveur saisit pour la première fois et de façon soudaine les manigances et les jeux chatoyants de l'anima. . ma remarque lui avait permis de percer la nature paradoxale de l'anima. Il comprit, en outre, qu'il ne tenait qu'à lui d'arriver à une décision et d'attraper le taureau par les cornes. Il dit : « Qu'elle aille au diable, cette anima avec son double jeu. Je vais me mettre au travail et peindre. »