La métaphore de l'ombre et de la lumière suggère un couple d'opposés. Mais il ne s'agit pas d'un rapport de complémentarité donc de conjonction des opposés. Elle n'est pas de l'ordre du manque.
« Former le concept d'ombre, c'est désigner l'inévitable contre partie de ce qui a été réalisé et interrogé l'homme sur le prix qu'il a payé »
L'Organisation de l'ombre :
L'humain n'est pas seulement ce qu'il manifeste et toute idéologie comportes des conséquences contraires (chaque civilisé a sa brute ; chaque dieu son animal)
L'ombre s'organise sur 3 bases : une succession de rejets ; la contrepartie du développement, l'identification aux projections de l'entourage.
Une succession de rejets :
L'élaboration consciente est marquée d'une succession de rejets : tabous, interdits, dénis pour ceux qui ont leur origine à l'extérieur, refoulements proprement dits et défenses pour ceux où la subjectivité s'exerce directement.
Ces répressions ne sont jamais des suppressions, au pire elles enfouissent dans le corps ou dans l'entourage ce qu'elles ne tolèrent pas. Même projetées ces composantes réprimées sont toujours là.
L'élaboration consciente ne se développe pas seulement en opposition à des schémas pulsionnels primitifs mais aussi à des principes organisateurs, promoteurs de formes nouvelles (les archétypes). Ainsi, l'ombre se forme d'un double refus par rapport à des modalités inscrites dans l'animal humain et par rapports à des valeurs.
Le judéo-christianisme a développé un des aspects de cette organisation en mettant en lumière une vue idéale de l'humain et à faire dépendre toute croissance de la décision consciente, se coupant progressivement des ressorts instinctifs du devenir. La réaction, nécessaire, à cette situation pathogène a aussi une ombre et accentue un autre type de répression. La libération des tabous judéochrétiens conduit à privilégier les formes directes de la satisfaction et à repousser ce qui paraît retenu, dépendant, enfantin, passif. L'ombre se forme ici du coté de la faiblesse ; elle a les traits de l'enfant retardé que chacun porte en soi et ne veut ou ne peut pas être.
Les composantes écartées par l'élaboration consciente agissent indirectement, par irruption.
Le scotome est une autre voie de formation de l'ombre.
Le sujet s'affirme à ses propres yeux, en ne reconnaissant pas une part de ce qu'il vit; c'est l'inconscience-type. L'image qu'il a de lui-même, et dans laquelle il se constitue, a pour ombre des composantes qui régissent une part de son comportement, mais n'ont pas de place dans sa conscience.
Mais l'ombre n'est pas la somme des parts écartées à un titre ou à un autre de l'élaboration consciente.
Elle ne s'organise et n'existe, comme ombre, que dans la mesure où ces composantes sont rapportées au sujet et comme la contrepartie qui lui appartient et dont il ne peut se débarrasser.
La question de l'ombre est : « Qu'as-tu fait de celui ou de celle que tu aurais pu être? »
Elle met en cause les achèvements conscients et en relativise la valeur.
Si le sujet ne reste pas dans l'unilatéralité de son système, s'il cherche à donner une place à son ombre, il est entraîné dans un bouleversement plus ou moins complet de ce qui faisait sa raison de vivre, sa lumière.
Il risque d'y perdre sa valeur et les valeurs selon lesquelles il a été ou s'est constitué.
A ce point de réflexion, l'organisation de l'ombre rapporte les mécanismes de rejet à la dynamique: « In stercore invenitur».
La contre partie du développement :
L'ombre est la contre partie naturelle de tout développement.
Les attitudes et les fonctions de la typologie ont entre elles une relation où quand l'une est « majeure-consciente » l'autre est « mineure-inconsciente et indifférenciée »
Une autre dualité est inhérente à la structure du choix.
Chaque position se prête à engendrer deux ombres : la part exclue et la part compensatrice ou exutoire : on paye pour ce qu'on a et pour ce que l'on n'a pas.
Chaque chose suppose son contraire. Souvent le bien engendre le mal.
Les forces qui poussent à la prise de conscience et à l'intégration entretiennent également un besoin dévorant, stérilisant, d'absolu et de totalité.
L'ombre n'est pas que les refus individuels mais une loi générale de dualité, non pas statique mais la dynamique des renversements, l'intime réversibilité des choses. (Civa)
Possédé par cette loi, le moi devient déçu et cynique, habile ou magicien et cherche à profiter un maximum des circonstances. Il ne voit pas la puissance qui tend, à travers le désordre, les fils de croissances ordonnées. Il ne doit se donner ni à un coté, ni à l'autre mais est ramené à sa question : comment affirmer, en face de la relativité générale, l'unité et la continuité du moi dans son sentiment et son jugement de valeurs. Le sujet se doit d'affirmer sa cohésion et son choix ; l'ombre apparaît dans ce rapport d'affirmation du sujet avec l'ambiguïté générale.
Une identification aux projections de l'entourage :
Alimenté psychiquement par l'inconscient de ses parents et de son milieu, l'enfant forme une grande partie de ce qui sera sa propre substance en s'identifiant aux projections de l'entourage (autant que son corps, ses aptitudes et les événements le lui permettent.)
L'ombre n'est pas seulement un effet latéral ou un contre-effet de la formation du sujet ; elle peut aussi être une dominante du conscient : sous forme d'irruptions ou de retours du refoulé, de scotomes, d'identification (pas de distance par rapport à la matière dont le sujet est fait.)
Des pans d'individualité continuent de vivre le père, la grand-mère, d'autres générations.
L'ombre du père, de la mère, modèle, se projette, permet des identifications masculines et féminines auxquelles la personnalité consciente des parents ne se prêterait pas. Les ombres mène aussi une vie conjugale. Le désir du partenaire peut suffire à instaurer l'ombre.
Il y a aussi un conditionnement collectif : les rôles, les idées régnantes, les voies de réalisation.
Les processus de conditionnement constituent une situation d'origine, forment une bonne part de la matière psychique, semblent être la réalité du sujet et s'avèrent l'ombre de l'individuation.
L'Ombre est la materia prima.
L'ombre est liée à la question d'identité : je suis plusieurs qui se disputent un seul corps. Tous semblent être de moi mais aucun ne veut être vraiment moi ; certains se comportent en enfants, d'autres en vieillards. S'ils ne parviennent pas à se composer dans une seule histoire, le moi s'exerce sans se définir.
Le moi existe par son jugement personnel de valeur, jugement de l'ordre du sentiment. Or, c'est ce sentiment qui est atteint, éprouvé par la nécessité de prendre en compte ce qu'on avait rejeté et par l'expérience des lois naturelles de réversibilité, du caractère relatif de la personnalité.
Fonctionnement :
1 Elie Humbert L'homme aux prises avec l'inconscient »