II. LA TRANSFORMATION DES INSTINCTS
. dans certaines conditions, les instincts sont susceptibles d'une transformation totale.
au lieu d'être exclusivement au service des buts physiologiques de l'organisme, de la survivance et du bien-être de l'individu ou de l'espèce, ils peuvent être modifiés pour des fins culturelles. .
Qu'il s'agisse de l'instinct de nutrition, du désir sexuel, de la tendance à la sécurité ou de la volonté de puissances, les diverses impulsions vitales se présentent toujours à la conscience sous un déguisement personnel ; elles disent : « je veux » ou « Je dois avoir » Mais ce « Je veux » n'est en réalité que l'expression personnelle du fait que la vie elle-même veut quelque chose en moi. L'instinct est impersonnel, il est ectopsychique : il exerce sa fonction indépendamment du contrôle conscient de l'individu, et souvent à son détriment, car son but est le maintien de la vie et la survivance de l'espèce, plutôt que celle de l'individu, qui peut être victime le son aveugle puissance. Quand ce dernier s'offre librement à la conservation de l'espèce, il ne soupçonne pas les conséquences de sa soumission à l'impulsion intérieure.
Les instincts ne paraissent personnels qu'à cause du manque de conscience de soi de l'individu. Celui qui a dépassé le stade du « Je veux » impulsif de l'enfant n'obéit plus aveuglément aux exigences de son corps, il ne s'identifie plus avec sa faim, ses désirs sexuels ou autres nécessités corporelles : il peut les considérer avec un certain détachement et, s'il le faut, renvoyer leur satisfaction à un moment plus opportun. L'enfant en est incapable ; s'il éprouve un malaise physique, il crie jusqu'à ce qu'il en soit délivré, sans égard pour la tranquillité de sa mère ; s'il a faim, il s'approprie la nourriture .
Au cours du développement de l'être humain, une portion de l'énergie instinctive est soustraite à sa destination biologique et libérée pour des buts conscients : de la sorte, une partie de l'inconscient se sépare du reste pour former la conscience personnelle. L'individu l'appelle « je » et la tient pour la psyché tout entière, mais .. elle n'est en réalité qu'une partie de cette dernière, qui est largement inconsciente, impersonnelle et collective, dans ses manifestations et ses buts. Cette partie impersonnelle de la psyché n'est pas sous le contrôle du moi, elle donne l'impression qu'un autre ou quelque chose d'autre, parle ou agit dans l'individu. .. Jung l'a nommée la psyché objective, car pour le moi qui observe, elle est semblable aux autres objets du monde extérieur.
Les qualités qui caractérisent la conscience font défaut à cette psyché impersonnelle, car elles dépendent d'un moi établi au centre de la conscience, qui juge tout de son point de vue : une chose est bonne ou mauvaise « pour moi », un objet est proche ou éloigné.. « par rapport à moi », et il en est ainsi pour toute la gamme des contraires. Dans l'inconscient, ces rapports n'existent pas .
Quand un contenu inconscient pénètre dans la conscience, sa dualité apparaît, il en résulte un conflit et un choix devient P.23 nécessaire. Des valeurs qui semblaient assurées sont mises en question, l'issue est incertaine, le terrain tremble et se dérobe sous les pieds et la paix n'est rétablie que lorsqu'un point de vue nouveau se trouve conquis et admis.
. (le) contentement de soi général a été considérablement ébranlé par Freud qui a montré que, sous le voile des conventions, les impulsions primitives sont aux aguets, chez tous les êtres humains.
On a cru d'abord que les découvertes de Freud ne s'appliquaient qu'au domaine sexuel, mais à tort, car tous les aspects de la vie présentent les mêmes particularités. . Dans la vie habituelle, nous ignorons la force de nos instincts primitifs, car ce qui se passe au fond de nous nous échappe, et nous ne voyons pas l'animal de la jungle qui est tapi dans notre inconscient.
De même, ceux qui n'ont jamais manqué de rien n'ont aucune idée de la manière dont ils réagiraient en temps de famine et de privations. Dans de telles circonstances, des individus en apparence civilisés le reculent pas devant le mensonge et la tromperie, le vol et même le meurtre, pour satisfaire leur voracité instinctive. Les crimes passionnels ne sont pas toujours commis par des criminels, mais souvent par des hommes et des femmes qui, en d'autres circonstances, sont d'honorables citoyens. Ce sont là autant d'exemples de l'écroulement de la suprématie du moi devant les exigences d'un instinct qui, après avoir rompu les digues qui le contenaient, apparaît dans sa barbarie et sa nudité primitives.
L'instinct de nutrition et celui de reproduction, avec son produit secondaire, la sexualité, sont le fondement de toute manifestation vitale ; tout organisme qui n'a pas encore développé un système nerveux central est complètement dominé par eux. Au degré le plus bas du développement, le besoin de la faim et le désir sexuel réagissent automatiquement dès qu'un objet capable de les satisfaire est en vue. Mais avec l'apparition d'un système nerveux (limbique et néocortex), l'organisme n'est plus un simple mécanisme qui réagit et cède nécessairement à l'instinct, il acquiert la capacité de faire un choix.
La libération à l'égard des impulsions instinctives s'affirme dans la mesure où le système nerveux se perfectionne, et chez les animaux supérieurs, on peut parler d'un facteur psychique distinct du système nerveux, bien que soumis au contrôle de ce dernier. Quand la psyché est constituée, les instincts se modifient de plus en plus et ils sont placés sous le contrôle du moi. Jung a appelé ce processus : la psychisation des instincts.
Au cours des siècles, la psyché se développant, la maîtrise sur les instincts augmentent, ils perdirent en partie leur caractère automatique, et l'individu acquit une plus grande liberté de choix et d'action. Cependant, il arrive encore que, sous l'influence de la contrainte, il perde momentanément ou absolument ce contrôle difficilement acquis et tombe à nouveau sous l'empire despotique de l'instinct. Cette régression a pour conséquence la déshumanisation de l'être humain, même si elle s'accompagne d'un afflux d'énergie et d'un sentiment de libération d'une pression insupportable.
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.. avec l'apparition de la psyché les impulsions primitives ont perdu leur caractère de nécessité . Si les besoins de conservation, de reproduction et de puissance étaient les seules forces agissantes de l'organisme, il serait presque impensable qu'une psyché fût apparue. C'est la raison pour laquelle Jung distingue trois autres instincts qui déterminent la vie psychique de l'organisme et présentent les mêmes caractéristiques. P.25 Ce sont l'instinct d'activité, celui de réflexion et l'instinct créateur. .
« L'instinct de réflexion constitue l'essence et la richesse de la psyché. Par lui, le processus d'excitation est plus ou moins transformé en contenu psychique, c'est-à-dire qu'il devient une expérience. Un processus naturel transformé en un contenu de la conscience. La réflexion est l'instinct de culture par excellence et sa force se manifeste dans l'affirmation de la culture en face de la simple nature. »
Par suite de cette disposition à réfléchir sur une expérience, à la faire revivre dans un drame, à la dépeindre dans une histoires, les instincts primitifs sont en partie dépouillés de leur caractère de nécessité, de sorte qu'ils peuvent servir les besoins croissants de la psyché, au lieu de demeurer liés aux seules exigences de la vie animale. .
Les trois instincts fondamentaux ont subi une transformation de ce genre. En plus de sa fonction biologique, la sexualité satisfait aux besoins affectifs de l'âme ; l'instinct de conservation est à l'origine de la vie de société. la satisfaction de la faim est devenue l'occasion de cultiver la sociabilité et les relations amicales. rituels et usages élaborés autour de l'acte de manger ont été mis au service d'autres buts d'ordre sentimental .les fêtes joyeuses sont l'occasion de festins, et dans les jours de repentance, nous jeûnons.
Lorsqu'il est ainsi modifié au profit de la psyché, l'instinct de nutrition adopte parfois la forme de quelque désir insatiable : la cupidité, l'ambition exagérée, la manie de la collection, la soif de posséder dérivent de cet instinct, même si l'individu n'en est pas conscient. Le désir avide d'aliments est l'expression faim sur le plan biologique, mais l'être humain réclame une nourriture dans d'autres domaines, d'une façon aussi pressente et inexorable. Pour désigner ces divers besoins, le vocabulaire recourt à des mots qui expriment la faim du corps : nous « assimilons » une idée, nous nous « nourrissons » de pensée, la propagande est servie à un public qui ne réfléchit pas. Il y a une prière liturgique qui nous engage à « absorber » et à « digérer » intérieurement un enseignement spirituel. En argot, on dit qu'on « rumine » une idée, qu'on la « vomit »,qu'on ne peut la digérer. . l'expression « avoir faim et soif de justice » .. apparentée au rituel qui consiste à « manger le Dieu » pour participer à ses qualité divines. .
Par suite de ce changement, l'instinct de nutrition a passé du domaine biologique, où il est l'expression d'un besoin somatique, corporel, dans le domaine psychique, où il est au service du moi conscient, sous forme d'ambition, d'amour-propre, de désir de posséder. Peut-être connaîtra-t-il encore une transformation plus profonde, de sorte qu'au lieu d'être dirigé exclusivement vers la possession individuelle ou l'élargissement de l'individu, il sera orienté vers un but supérieur.
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. la modification de l'instinct de nutrition s'accomplit en trois étapes qui correspondent aux trois niveaux de développement de l'être humain : le niveau conscient naïf, celui du moi ou de l'ego et celui du Soi. L'instinct de conservation, l'instinct sexuel, avec les tendances parentales qui l'accompagnent, ainsi que l'instinct de puissance, passent par les mêmes stades de développement. Au premier degré, les besoins biologiques et les impulsions instinctives qui leur sont liées occupent tout le champ de conscience, dont le centre, que j'ai nommé.. autos ( Au degré naïf de la conscience, les perceptions somatiques ou corporelles forment le contenu de la conscience. C'est cet élément qui parle lorsque l'individu dit « Je ». Il est parfois appelé le facteur autoérotique ; mais il n'existe aucun terme d'un usage général pour distinguer ce « je » de l'ego, qui domine au degré suivant de la conscience. L'expression grecque autos pourrait convenir. Elle est la racine de mots tels que : automatique, autoérotique, autonome, qui se réfèrent au fonctionnement de ce « Je » somatique. Le terme freudien de « es » est peut-être le plus proche de l'idée de l'« autos ». Mais Freud semble admettre que l'individu parle du point de vue de l'ego observant le « es », la poussée instinctive, au-dedans de lui ; d'après mes observa6ons, cette différenciation est loin d'être toujours faite. Non seulement chez le jeune enfant, mais aussi chez l'adulte, le « je » qui parle est souvent la voix de l'instinct, car capable de tenir en échec les instincts autoérotiques ou autonomes n'a encore été développé. Pour cette raison, je crois utile de distinguer l'« autos » comme un centre primitif et non développé de la conscience. Le terme « ego » serait alors réservé au degré de développement suivant, plus conscient ; des mots tels que égocentrique et égoïste sont en fait employés pour distinguer entre les réactions somatiques et d'autres qui sont liées à une conscience personnelle et à une compréhension plus subtile.) est entièrement sous la dépendance des désirs autoérotiques. Au second degré, c'est l'ego qui devient le centre de la conscience et les instincts sont modifiés par leur relation avec ce moi conscient nouvellement découvert et qui dit « je », tout comme l'autos. Au troisième degré, le moi perd progressivement de son importance au profit d'un nouveau centre, le Soi, dont l'impératif catégorique acquiert définitivement le contrôle sur la psyché. P.27
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Les nouveaux territoires conquis représentent des aspects de la vie qui avaient fonctionné jusqu'alors de façon purement autonome et n'avaient été expérimentés que d'une manière passive. Les valeurs qu'ils contenaient, l'homme les tenait pour un don des dieux, et quand elles lui étaient retirées, il en supportait la privation de son mieux. Il était le jouet des forces naturelles, qui se montraient bienveillantes ou cruelles ou plus exactement, entièrement indifférentes à ses intérêts particuliers. Il opposait la même impuissance aux dangers de l'inconnu. .
En termes psychologiques.. lorsque nous sommes inconscients, nous sommes au pouvoir des forces impersonnelles de la nature qui agissent à l'intérieur de la psyché exactement comme dans le monde de la réalité objective. .. par exemple, les tribus primitives sont changeantes et indignes de confiance quant à la fidélité. . Dans le domaine du sentiment, l'homme occidental est trop souvent l'esclave de ses dispositions inconscientes. Le primitif, doit attendre la disponibilité de ses pensées aussi bien que de ses sentiments, tandis que l'individu civilisé peut en général suivre un raisonnement, lorsque c'est nécessaire. Mais peu de personnes savent que l'on peut aussi provoquer le sentiment à volonté et apprendre à sentir correctement, dans une situation donnée, au lieu de permettre aux jugements sentimentaux d'être le miroir d'un agglomérat indifférencié de réactions personnelles.
Par exemple, une femme est en train de faire des confitures. Sa gelée a peut-être atteint un point critique. soudain, le téléphone l'appelle. Quelle que soit la circonstance qui réclame son attention de façon aussi péremptoire, sa réaction spontanée sera d'y répondre par l'irritation et d'opposer un « non » à la demande qui lui est adressée, bien que, peut-être, elle dissimule ses sentiments sous un masque de correction. Ce type de réaction est si courant qu'il appartient à la diplomatie quotidienne d'attendre le « bon moment » pour présenter une requête importante, tout spécialement à une personne irritable, qui réagit d'une manière subjective au lieu d'examiner la question objectivement, comme elle mériterait de l'être.
Dans de tels cas, le domaine du sentiment n'est pas réellement libéré, le dragon de l'inconscient domine encore dans une mesure plus ou moins grande. Mais cette attitude est si générale que rares sont les gens qui comprennent leur manque de liberté à cet égard. . Quand la vie vous place devant une situation où une réaction inconsciente ne suffit plus, parce qu'elle menace une véritable valeur, alors il devient nécessaire de faire la guerre au dragon de l'inconscient et d'exercer un contrôle conscient sur les réactions qui ont été jusqu'alors autonomes et par conséquent autoérotiques.
Une situation de ce genre est fréquente quand un homme dont la fonction du sentiment est demeurée inconsciente devient amoureux et se marie. Il ne peut plus réagir par un sentiment indifférencié, comme il a l'habitude de le faire dans sa vie professionnelle, où sa secrétaire excuse tous ses caprices et s'adapte à ses humeurs ; il se voit confronté avec une femme qui attend de lui une réaction authentique, en rapport avec le sujet en discussion, et sur laquelle elle pourra compter, même dans une situation difficile. Si la réponse de l'homme n'est dictée que par son état subjectif, par son humeur du moment, il en résultera certainement des malentendus et aucune relation véritable ne pourra s'établir entre ces deux personnes. S'il devient nécessaire de clarifier la situation, et que l'homme en soit incapable, alors son sentiment - son anima - se retirera de la situation et il deviendra absolument insensible. Si sa femme lui demande une explication, il se sentira pressé et poursuivi, son attitude sera contrainte et de moins en moins soumise à son contrôle conscient. Dans le langage du mythe, la jeune fille, l'anima, est livrée au pouvoir du dragon et la situation s'aggrave encore.
Quand l'anima se perd de cette manière, l'homme se sent incapable de donner une réponse claire, et dès qu'il est placé dans une situation qui exige une réaction du sentiment, il tombe dans un état de profond désespoir. S'il cède à ces dispositions P.233 et leur permet de devenir de plus en plus autonomes, au point qu'il en résulte une véritable maladie : maux de tête, troubles de la digestion ou autres... Cela signifie qu'il cède à la tendance à la désertion, dans l'espoir inconscient de retourner à l'état bienheureux de l'enfance, où un destin bienfaisant, une mère aimante veillait à son confort et à son bien-être, sans qu'il eût besoin de remuer un doigt pour l'assurer lui-même.
Il se peut que la femme d'un tel homme accepte de jouer ce rôle maternel et que les choses réussissent un certain temps. Mais la vie n'est pas une mère bienveillante, et tôt ou tard, le destin acculera l'homme à une décision. Sa femme ne peut s'identifier continuellement à une Providence, car elle n'est qu'un être humain, et l'effort qu'elle doit faire pour porter le fardeau de responsabilités de deux individus adultes compromettra peut-être sa santé. Il peut aussi arriver que quelque chose se révolte en elle et qu'elle ne consente pas à être la Providence d'un époux puéril. .. une crise surgira, menaçant l'adaptation mutuelle des époux ; il sera alors évident que le dragon est sur le point de dévorer tout ce qui a de la valeur pour eux dans la vie.
Dans ces circonstances, la situation ne peut être sauvée que si l'homme est capable d'entreprendre une quête héroïque, et de délivrer son âme perdue, son anima. C'est dans une situation désespérée de ce genre que saint Georges partit pour vaincre le dragon qui opprimait l'Egypte. La légende est donc une allégorie de l'anima, prisonnière du dragon de la convoitise et de l'autoérotisme. Dans l'exemple ci-dessus, le mari est puérilement autoérotique, car, par suite d'un amollissement instinctif, son anima n'a pas été différenciée, c'est-à-dire qu'elle est prisonnière du dragon de l'égoïsme. Mais saint Georges attaqua le monstre et le vainquit. De même, dans notre civilisation, l'homme et la femme doivent être capables de s'occuper de problèmes affectifs sans être submergés par des réactions égoïstes ou autoérotiques. Le commandement : « Fais aux autres ce que tu voudrais qu'ils te fassent », s'applique à cet élémentaire premier pas dans la culture du sentiment. Nous attendons que le beau pays des relations humaines nous soit accessible, mais nous oublions que les dragons de l'indulgence pour nous-mêmes reconquièrent sans cesse un pays qui n'est pas cultivé ; lorsqu'un individu espère que quelqu'un d'autre prendra soin de ses besoins affectifs, comme une mère a soin de son enfant, il livre le champ de ses relations humaines au dragon de l'égoïsme.
L'homme .. n'a probablement pas la moindre idée de ce qu'il fait. Tout simplement, il a abandonné à lui-même tout un domaine de sa vie, en supposant que les conditions de l'enfance dureraient toujours, et .. il a été attaqué par l'un des dragons de l'inconscient qui, rusés comme ils le sont, apparaissent souvent sous un déguisement et assaillent l'homme sans prévenir. . comme ils ne sont pas identifiés, leurs futures victimes n'appellent pas les saints à leur aide. En termes psychologiques, c'est l'ignorance du danger qui constitue la plus grande menace pour celui qui est assailli par une explosion de la libido primitive de l'inconscient. S'il reconnaissait le péril et la tentation assez clairement pour les appeler par leur véritable nom, la bataille serait déjà à moitié gagnée ; car une honnête désignation du danger agit comme un signal de trompette qui appelle au combat toutes les forces de la conscience. C'est le moderne équivalent de l'appel au secours des saints. Par cet acte de discrimination consciente, l'homme s'adresse au héros (en lui).. pour qu'il lui prête secours contre le déserteur en lui .
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Lorsqu'un être humain court le danger de devenir la victime d'éléments psychiques inconscients, la situation de délicat équilibre dépend de la compréhension qu'il peut acquérir . reconnaître que ses idées et ses sentiments étranges sont d'origine subjective. Si le patient peut le comprendre, il est sur le chemin de la santé. Mais les contenus de l'inconscient sont si éloignés de la représentation qu'il se fait de lui-même, qu'il les tient généralement pour quelque chose d'objectif, comme s'ils venaient du dehors à sa conscience. C'est-à-dire comme s'ils avaient leur origine dans les machinations d'autres personnes ou dans un dangereux monde d'esprits. P.235
. si le patient arrive à reconnaître ses idées bizarres comme des visions ou des hallucinations, comme des projections qui troublent sa compréhension du monde. il finira par comprendre qu'il s'agit d'un pouvoir non personnel de l'inconscient qui l'assaille, d'un dragon qui doit être combattu sur le plan subjectif, et non d'une réalité objective qui peut être attaquée et vaincue directement et ouvertement.
.Quand le patient qui souffre de paranoïa se livre à un attentat sur sa femme.. le spectateur sait que le soupçon de haine de l'homme repose sur une erreur et que son acte est la preuve d'un état d'esprit déséquilibré. Mais quand on éprouve un ressentiment déraisonnable contre un compagnon aimé ou lorsqu'on est plein de pensées de vengeance à cause d'un manque d'égards imaginaire, il n'est pas si facile de reconnaître que l'on souffre de la même illusion. L'aveuglement à l'égard de son propre état peut même être encore plus grand . Beaucoup de personnes qui se sentent blessées ou mal comprises sont en réalité beaucoup plus obsédées par les « raisons » de leurs sentiments hostiles que par leur hostilité et leur ressentiment eux-mêmes. Ces raisons ne sont pas autre chose que des « rationalisations » qui sont déjà la preuve d'une prédominance de l'activité inconsciente.
Chez une femme, les rationalisations se manifestent en général sous la forme de mille « opinions » ramenées par l'animus du bric-à-brac d'une expérience séculaire et relatives à toutes les causes possibles de colère, de haine et d'hostilité. Chez l'homme, elles adoptent la forme de mille « ressentiments ». Les raisons de la colère de l'homme reflètent moins des pensées logiques que des réactions dues à la frustration de sentiments d'espérance inconscients, qu'il lui est difficile d'amener à la conscience pour les exprimer quand on le questionne. Cela provient du fait que l'anima, chez lui, est restée enfouie dans le sein maternel et qu'elle ne lui transmet une compréhension du monde du sentiment que quand elle lui procure un bien-être qu'il tient pour « naturel » et à l'égard duquel il ne se sent pas d'obligation.
Comme les prétentions d'une personne aussi inconsciente ne correspondent pas aux réalités de l'expérience humaine, elles sont naturellement condamnées à être déçues. Tôt ou tard, la vie les contrecarre inévitablement, en général sous la forme l'un conflit avec un être humain quelconque qui ne remplit pas l'attente non exprimée de l'individu. Alors, tous ses sentiments négatifs - qui sont le revers de son exigence inconsciente de voir la vie accomplir tous ses désirs - se fixent sur cette malheureuse créature, comme sur une sorte de « bouc émissaire » ou de « bête noire », dont chaque parole et chaque action est interprétée comme hostile et dangereuse. . les mauvais traits de caractère qui sont en jeu émanent de l'accusateur lui-même, c'est-à-dire qu'ils sont des « projections ». C'est sa propre « bête noire » qu'un individu voit reflétée qui l'irrite si profondément.
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Dans le Livre des morts tibétain . on donne à un mourant des instructions relatives aux expériences qu'il fera. Une fois que l'âme aura quitté le corps. . comment il devra se comporter dans le Bardo, le royaume immédiatement intermédiaire entre cette vie et la suivante. . il devient, en quelque sorte, son propre juge après la mort. Du point de vue psychologique, c'est une conception très évoluée.
A l'une des étapes du voyage, il rencontrera les « dieux en colère ».. l'instruction donnée est : « quelles que soient les visions terribles et effrayantes que tu puisses avoir, reconnais-les comme tes propres formes de pensée. » P.237 . Cela signifie que lorsqu'un individu devient conscient du fait que les diables qui lui paraissent à lui extérieurs sont en réalité des reflets de forces impersonnelles, non reconnues et menaçantes, qui s'agitent dans sa propre psyché, ils n'ont plus de puissance sur lui. Une instruction analogue est donnée relativement aux divinités bienfaisantes. On montre ainsi que l'être humain ne doit être fasciné, ni par les aspects bienfaisants, ni par les aspects malfaisants des forces démoniaques. S'il veut être délivré de leur domination, il doit les reconnaître comme étant ses propres formes de pensée. .
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. P.247..
Nous avons parlé du dragon, d'une part, comme étant la personnification de l'instinct aveugle qui maintient la vie, souvent même dans des conditions qui peuvent sembler intolérables ; d'autre part, comme symbolisant les profondeurs maternelles de l'inconscient, dans lesquelles toute vie est enracinée et qui l'entretiennent dans son abondance inépuisable. Les instincts primitifs ou les exigences vitales sont aussi puissants chez l'être humain que chez les autres créatures vivantes. Les formes les plus inférieures de la vie semblent constituées uniquement par ces instincts ; mais chez l'être humain, il y a un autre principe, la conscience de l'ego, qui s'est affirmé contre le jeu alternant des forces créatrices et destructrices. L'homme n'est pas uniquement un composé d'instincts vitaux ; chez lui, la conscience est quelque chose de distinct de l'impulsion inconsciente de la vie ; il se dresse souvent contre celle-ci, car l'ego poursuit certains buts qui se révèlent opposés aux exigences de l'instinct. Mais comme l'effort pour devenir conscient est tout à la fois pénible et impérieux, l'individu cherche à le relâcher et à retomber dans le réseau des forces aveugles et de la sagesse séculaire de l'instinct. Alors le dragon menace de vaincre la conscience que l'homme a péniblement acquise et de le dévorer à nouveau. Si l'individu ne parvient pas à rassembler ses énergies pour résister au dragon, il se laisse retomber au fond de l'inconscient, dans la « Mère ». La force de ce désir de retour en arrière est la mesure de son infantilisme, de sa peur de l'effort et des responsabilités, du besoin presque indéracinable d'avoir quelqu'un qui décide pour lui et agisse à sa place, arrangeant toujours les choses comme il le souhaite. Mais même quand l'individu a dépassé le stade où son désir instinctif le porte à retourner auprès de sa véritable mère ou de quelqu'un qui en tienne lieu, même quand il a abandonné le besoin d'être toujours compris et approuvé, il éprouve sans cesse l'impulsion à chercher P.249 refuge dans l'inconscient. Car l'inconscience, c'est la liberté à l'égard de toute responsabilité . C'est l'état d'avidya, la non-connaissance, que Bouddha désignait comme le plus grand obstacle sur la voie de l'illumination, car la paresse originelle, l'inertie de la matière, du corps, ne peut être vaincue que lorsqu'elle est fécondée par l'étincelle de l'esprit divin, de la conscience.
Quand un être humain examine les situations de sa vie l'une après l'autre.., dès qu'il place devant le tribunal de sa conscience adulte les actes de son moi primitif, ignorant et inconscient, il se voit obligé d'accepter la responsabilité de certaines actions qu'il a commises par ignorance et dont il n'était pas alors responsable. Pendant plusieurs années, ces expériences sont restées latentes, dans l'inconscient personnel, où elles ont peut être suscité toute sorte de troubles. Le seul fait qu'elles ne sont pas restées neutres, mais sont demeurées chargées d'énergie, comme le prouvent l'émotion et le sentiment de culpabilité avec
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L'émotion passionnelle qui a été retirée de la situation est la force qui s'oppose au jugement impartial. .
Dans la querelle relative à la température de l'eau tiède .. un thermomètre permet de formuler un jugement impartial, qui correspondrait ici à la tangente du diagramme. Si deux individus sont engagés dans une discussion pour savoir si une eau est chaude ou froide, ils ne pourront peut-être pas se mettre d'accord uniquement sur base de leurs sensations. Le thermomètre fournira une « vérité de fait », que chacun pourra accepter, du moins avec la partie de lui-même qui est sous le contrôle de la raison. Comme la tangente géométrique, cette vérité de fait n'empiète pas sur le domaine subjectif des deux personnes.
. Une situation banale en soi n'est toutefois pas nécessairement insignifiante dans ses conséquences. Il semble à peine croyable qu'une différence d'opinion sur un point aussi facile à contrôler que le température d'une pièce puisse faire naître une querelle entre individus adultes, et pourtant. voir plusieurs personnes travaillant ensemble dans un bureau. pour pouvoir accepter le jugement impartial fourni par le thermomètre, il faut que les individus soient capables de distinguer entre ce qui est raisonnable et ce qui est déraisonnable en eux, comme l'irritation, la colère, la jalousie, la volonté de dominer, c'est-à-dire l'émotion irrationnelle provoquée par le point litigieux, si banal qu'il paraisse.
C'est une chose très difficile, car les émotions représentent le facteur inconscient, le coquin de la tache aveugle . P.303 . Comme le facteur inconscient possède une force dynamique, on ne peut pas s'en défaire si facilement et le refoulement aura inévitablement des conséquences fâcheuses. . il est rare que les gens adoptent une attitude convenable à l'égard de leur réactions irrationnelles. L'individu s'identifie généralement avec son côté le plus raisonnable.. : « je n'étais plus moi-même » . car on parle toujours de ces émotions subites et incontrôlables comme de quelque chose qui n'a rien à faire avec le moi véritable.
L'émotion irrationnelle est une manifestation non personnelle. Elle n'est pas convenablement amalgamée avec le moi et n'est pas soumise à son contrôle, elle apparaît dans la conscience sans égard pour les désirs du moi conscient. Quand elle est passée, il semble qu'elle n'ait jamais existé, et elle reste entièrement hors d'atteinte jusqu'à ce qu'elle soit de nouveau provoquée par une situation analogue. Quand ce facteur est éveillé, on devrait tout faire pour l'empêcher de retomber dans l'inconscient ; il devrait être saisi et ancré dans la conscience par tous les moyens imaginables. Mais généralement, celui qui a souffert d'un tel bouillonnement émotionnel préfère l'oublier, alors qu'il devrait faire exactement le contraire s'il tend vers l'intégralité de sa psyché. Une bonne méthode consiste à écrire pour soi-même un compte rendu détaillé des circonstances de l'événement, celles qui ont conduit à l'éclat, et pour autant qu'on s'en souvienne, celles qui ont accompagné l'orage. Après quoi, il est très utile, quand c'est possible, d'examiner encore une fois ce qui s'est passé avec la personne impliquée dans l'affaire. Une confession de la faute auprès de celui que l'on a offensé, à un confesseur, un prêtre ou analyste ou à un ami compréhensif, permettra de relier plus étroitement le facteur non personnel à la conscience. La compréhension qui provient du fait que l'on a acquis un jugement impartial ou une analyse de la situation par quelqu'un de compétent, peut être d'un grand secours.