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La perspective de Heinz Kohut Paul Denis

.Le développement de cette notion.. a abouti à la description d'un ensemble complexe, fondé sur un narcissisme primaire auquel s'adjoignent narcissisme secondaire, « formation d'idéal », opposition entre investissements narcissiques et objectaux, « névroses narcissiques » . importance du narcissisme, non pas seulement comme stade évolutif mais comme figure de l'unité de la personnalité. Winnicott qui n'emploie pas le terme de narcissisme insiste . par exemple sur la notion de personnalisation, sur celle d'intégration des éléments de la personnalité pour en faire un tout ; quant à la notion du self, elle est pour Winnicott ce que sera l'« instance » narcissisme pour Grunberger et s'avère très proche du self de Kohut. Winnicott le définit comme la personne « qui est moi (.) une totalité qui se fonde sur le déroulement du processus de maturation ». .nécessité de respecter le narcissisme des patients et de ne pas risquer de défaire la cohésion de leur self. .

LE DÉPLOIEMENT DE LA NOTION DE NARCISSISME PAR KOHUT
Le narcissisme, envisagé simplement comme palier évolutif dans l'évolution de la libido suivi d'un stade objectal, et comme modalité du choix d'objet pouvant conduire éventuellement à l'homosexualité, s'inscrivait tout naturellement dans la théorie freudienne des pulsions. Cependant cette façon de voir le narcissisme ne permettait pas de rendre compte de l'investissement d'ensemble par le sujet de la cohésion de sa personnalité en tant qu'unité progressivement constituée. Le « Moi » de la seconde topique freudienne - laquelle décompose la personnalité en Moi, Ça et Surmoi - devenu l' « ego » de l'ego psychology, est un élément trop limité pour rendre compte de l'ensemble des investissements qu'il est légitime de regrouper sous le terme de narcissisme. C'est le « soi », le self héritier du premier « Moi » freudien, entité plus large se référant à l'ensemble de la personnalité qui va correspondre aux différents aspects du narcissisme.
Le self
Kohut va développer une perspective dans laquelle le narcissisme, loin de disparaître pour céder la place à un « stade » objectal, se maintient et évolue la vie durant, constituant un courant normal, nécessaire, de la vie psychique, une ligne de développement complémentaire aux développements des investissements objectaux.
Ce développement sera celui du self. Kohut ne définit pas le self comme une instance précisément définie mais plutôt comme un ensemble de manifestations caractéristiques intéressant la personnalité entière, du fonctionnement psychique au soi corporel, ainsi que d'éléments mieux définis comme la représentation de soi-même ou celle des objets introjectés. Fondé sur une première ébauche, le « self nucléaire » que Kohut fait correspondre au « moi plaisir purifié » de Freud, le self en arrivera à constituer l'entité essentielle du fonctionnement mental. Le principe qui régit celui-ci cesse d'être le principe de plaisir, ce sera « le principe de la primauté de la conservation du self », moteur fondamental des conduites de tout sujet sous la menace, non moins fondamentale, de la destruction du self. La vie psychique, essentiellement narcissique, est régie dès lors par un principe d'autoconservation du psychisme prenant le pas sur l'autoconservation freudienne et ses pulsions spécifiques. La satisfaction narcissique est la joie et non le plaisir lequel correspond à la satisfaction des pulsions. Le self nucléaire comporterait un programme inné qui guiderait le développement du self vers un self « authentique », idée voisine de celle du « vrai self » de Winnicott.
Kohut, même s'il utilise le terme de libido pour désigner l'énergie d'investissement, distingue la libido narcissique de la libido objectale d'une manière très différente de ce que fait Freud pour qui la nature de la libido est la même dans les deux registres définis seulement par le lieu de l'investissement. Kohut écrit par exemple, et il le souligne ; « Selon moi le narcissisme ne se définit pas par le lieu de l'investissement instinctuel (que o lieu soit le sujet lui-même ou un objet) mais par la nature ou la qualité de la charge instinctuelle elle-même. » La libido narcissique diffère ainsi de celle des « investissements instinctuels d'objets », laquelle est éventuellement porteuse d'agressivité ; d'autre part la libido narcissique peut investir les objets : « Le petit enfant, par exemple investit les autres de libido narcissique et les perçoit selon le mode narcissique, c'est-à-dire comme des selfobjets. » La libido narcissique prend la valeur d'une énergie psychique non sexuelle - ce qui est proche des conceptions de Jung- prépondérante par rapport à la libido objectale « instinctuelle ». Dans cette même ligne, Kohut considère qu'il existe des « besoins narcissiques » qu'il convient de satisfaire.

Les deux pôles du self
Selon le schéma kohutien, le narcissisme initial se scinde en deux courants du fait de la rupture de l'équilibre de l'état premier de félicité, où le self est en somme parfait. L'enfant va chercher à rétablir cette perfection initiale en suivant deux voies. L'une est celle indiquée par Freud : ce qui est mauvais sera attribué à l'extérieur, ce qui est bon sera partie intégrante du « self narcissique », ou « self grandiose » qui ne diffère donc guère, à ses débuts du « moi plaisir purifié » de Freud ; l'autre voie vise à rétablir la perfection maternelle en créant par projection une image omnipotente de cet autre qui s'occupe de lui, l' « imago parentale idéalisée ». Le self grandiose et l'imago parentale idéalisée vont constituer chacun le point de départ d'une ligne de développement du narcissisme ainsi subdivisé en deux courants. Des rêveries mégalomaniaques, ainsi que du besoin d'être admiré qui caractérisent « le self grandiose et exhibitionniste » dériveront les ambitions qui nous poussent. De l' « imago parentale idéalisée » et admirée dériveront les idéaux qui nous guident. Le self deviendra ainsi « bipolaire » animé par la tension qui existe entre le pôle des ambitions et celui des idéaux.

La notion de selfobjet
Les rapports du narcissisme et de l'amour d'objet sont envisagés de façon très personnelle par Kohut. Il part de l'idée que, initialement, l'enfant conçoit l'autre, l'objet, comme partie intégrante de son propre psychisme, l'objet ayant pour fonction d'assurer la continuité du self ( la satisfaction des besoins n'en étant que le moyen) La première relation est ainsi narcissique, adressée à une fonction plus qu'à l'objet qui la remplit, elle fait partie du self même de l'enfant, d'où les termes de selfobjet et de relation selfobjectale. Le self/selfobjet est le cour même du développement du psychisme. L'environnement doit remplir sa fonction et fournir des selfobjets au self sous peine d'obérer le développement des différents registres narcissiques. De même que le narcissisme se maintient comme un courant permanent du psychisme, le besoin en self objets perdure même s'il se modifie. A tous les moments de l'évolution d'un individu, un objet investi comme selfobjet n'est pas reconnu dans sa spécificité de personne distincte mais connu seulement à la fonction qu'il remplit, comme l' air que nous respirons il n'est reconnu que lorsqu'il manque. Le sujet dépend sans le savoir des personnes qui jouent pour lui ce rôle de selfobjets, l'admirent, le valorisent, se laissent idéaliser par lui. ce self pour se maintenir a toujours besoin de relations selfobjectales comme l'organisme a besoin d'oxygène ; le self objet est à la fois relation et expérience qui peut s'étendre au domaine culturel. Ces fonctions assurées par les selfobets s'internalisent, deviennent pour une part indépendantes de leur présence et font alors partie intégrante du self. Comme Winnicott - et à sa suite - Kohut insiste à sa manière sur l'importance du rôle de l'environnement.

La fragmentation du self
La fragmentation du self désigne l'état de celui-ci lorsque sa cohésion est atteinte. Lorsqu'elle est très marquée, liée à l'éclatement et à la perte d'objets primordiaux narcissiquement investis, le self est réduit à des fragments du self archaïque. La fragmentation du self s'accompagne d'une angoisse de désintégration extrêmement intense. Nous pouvons noter ici la parenté avec des notions comme l'effondrement de Winnicott, les angoisses de morcellement de Mélanie Klein, les « angoisses sans nom » de Bion ou la notion de dépersonnalisation.
La disparition d'un selfobjet a pour effet une fragmentation totale ou partielle du self. On peut ainsi observer des moments de fragmentation transitoire au cours d'une cure psychanalytique ou dans des périodes de particulière vulnérabilité du self comme à l'adolescence. Alors que dans les névroses, l'angoisse est liée à la « menace de castration », « dans les troubles narcissiques, l'angoisse du moi est avant tout reliée à la conscience qu'il a de la vulnérabilité du self. » C'est dans les états psychotiques que la fragmentation du self est à son plus haut degré ; celle-ci est moindre dans les troubles narcissiques moins profonds où le self conserve une certaine cohésion. « La part de la personnalité qui n'a pas participé à la régression va réagir à la fragmentation. (.) Cependant le noyau même de la régression - les fragments du self grandiose archaïque idéalisé- se trouve par son essence même hors de portée de la partie saine du psychisme. » Le moi perçoit les effets de la fragmentation mais n'a pas prise sur eux.
La menace essentielle est donc la fragmentation du self, la rupture de sa cohésion et de sa continuité, rupture qui s'accompagne de l'angoisse la plus profonde. « Pour Kohut, le « roc psychologique » (le point au-delà duquel l'analyse ne peut pénétrer) n'est pas la menace de castration. Ce n'est pas une menace touchant la survie physique. Au lieu de cela, c'est la menace de destruction du self. »

La rage narcissique
La rage narcissique est une réaction particulière à la blessure narcissique. Si l'agression ordinaire s'adresse à un objet, la rage narcissique s'adresse à un selfobjet défaillant qui a supprimé son soutien au Self et vise à rétablir le pouvoir absolu du self grandiose. Alors que la réaction de honte mobilise l'exhibitionnisme du self grandiose, la rage narcissique met en jeu l'omnipotence de cette même structure narcissique. Le besoin de vengeance face au ridicule, au dédain ou au mépris, est ainsi une expression de la rage narcissique dont Kohut fait le pendant agressif de la honte.
Sur le plan phénoménologique, elle peut se distinguer des autres formes d'agressivité ou de colère dirigées contre des objets, par sa ténacité, sa disproportion, le manque de toute compassion pour qui en supporte la décharge, le refus inflexible de prendre en compte le point de vue d'autrui. Quel que soit le degré de cette rage chez le sujet narcissiquement vulnérable touché par un affront mineur, c'est l'absence d'empathie pour l'autre et l'absence de tout but mesuré qui sont caractéristiques : la rage narcissique ne s'apaise que beaucoup plus difficilement qu'une colère banale car le self lui-même doit être restauré.
Il existe aussi une forme de « rage narcissique chronique » que Kohut considère comme l' « une des affections les plus pernicieuses du psychisme humain », dans laquelle les processus secondaires se mettent au service des agressions archaïques destinées à rétablir le pouvoir absolu du self grandiose : le moi, de plus en plus subordonné à la rage envahissante « substitue sa capacité de raisonner à l'effort de rationalisation » rendu nécessaire pour légitimer les ambitions sans limites du self.
La destructivité pour Kohut est liée au narcissisme ; elle s'apparente à la rage narcissique ; elle n'est en rien une pulsion primaire mais un ensemble de conduites qui dérivent d'une atteinte faite au narcissisme et qui compromet gravement la survie du self.

Destins des besoins narcissiques
Les besoins narcissiques selon Kohut prennent donc le pas sur les pulsions sexuelles dans l'organisation du psychisme. Lorsque les besoins narcissiques auront été satisfaits, le narcissisme évoluera vers ses manifestations les plus élaborées : l'aptitude à la créativité et à l'empathie, l'humour et la sagesse. Mais lorsque ces besoins n'auront pas été satisfaits par l'environnement et des selfobjets adéquats, une sorte de manque d'apports narcissiques restera inscrit et viendra obérer le fonctionnement du self. Les besoins narcissiques ne se refoulent pas, ne se subliment pas, ils sont traités par les deux formes particulières de clivage décrites par Kohut : le clivage « horizontal » et le clivage « vertical » généralement combinés.
Dans le « clivage horizontal », les besoins narcissiques précocement frustrés ne sont pas seulement devenus inconscients mais ils configurent toute une part du self qui restera coupée de son ensemble et maintenue hors de la conscience ; ce type de clivage est l'équivalent, pour le registre narcissique, de la barrière du refoulement dans le registre pulsionnel, mais il serait sans doute plus juste de mettre en parallèle ce clivage horizontal du self avec les mécanismes de la répression plutôt qu'avec ceux du refoulement. Sous la barrière de ce clivage horizontal persistent des revendications narcissiques frustrées ; le Moi-réalité qui se développe au-dessus de ce clivage ne disposera que de peu d'« énergies narcissiques » et son développement sera marqué par une faible estime de soi et une propension- à la honte et à l'hypochondrie.
L'autre mécanisme décrit par Kohut est le « clivage vertical », plus proche du clivage tel que Freud l'a décrit : la différence est qu'il s'agit d'une sorte d'application au registre du self de la notion freudienne de clivage, laquelle se rapportait au moi. Le clivage vertical maintient séparés deux registres conscients du fonctionnement du self, l'un désavoué par l'autre, par exemple un sentiment de grandeur mégalomaniaque qui coexiste avec une propension à la honte et à l'hypocondrie. Les énergies narcissiques bloquées dans leur développement, au lieu d'alimenter le Moi-réalité, s'expriment sans frein, de façon mégalomaniaque et infantile, et sur le mode conscient, dans le secteur scindé « verticalement » du Moi-réalité lequel reste affligé d'un sentiment de non-valeur, d'insuffisance, etc.

LES TRANSFERTS NARCISSIQUES
. le schéma théorique de Kohut ne fait pratiquement aucune place à la sexualité infantile et à son développement. Les besoins narcissiques sont prépondérants par rapport aux désirs sexuels. Si les pulsions sexuelles gardent une certaine place dans les premières formulations kohutiennes, elles ne seront plus guère, à la fin de son ouvre, que des artefacts provoqués par la fragmentation du self, de même que le complexe d'Odipe ne sera qu'une vicissitude pathologique du développement et non l'organisateur de l'ensemble de la vie psychique. .
Kohut part de l'idée selon laquelle certains patients ne sont pas analysables par la technique classique parce que leur relation à l'analyste, au lieu de produire dans le transfert des conflits pulsionnels, s'établit sur la base de ses besoins narcissiques- lesquels occupent le devant de la scène. Le self blessé du patient éprouve avant tout le besoin d'être restauré.
Le patient attend de l'analyste, transférentiellement, qu'il assume cette « fonction » de restauration, qu'il accepte que le lien établi par le patient serve à sauvegarder la survie de son self. L'analyste n'est plus une personne mais fonction et le patient fait de lui d'abord un « self objet » ; l'analyste se trouve assimilé au self du patient et doit permettre à celui-ci de retrouver un sentiment de continuité narcissique et de restaurer un self fragmenté ou vulnérable. Cette situation fonde le déroulement même de l'analyse.
Ce type de transfert est à l'origine de difficultés contre-transférentielles profondes. L'analyste investi sur ce mode se sent soumis de la part de son patient à une forme de contrôle très particulier. Le patient, en effet, s'attend à voir l'analyste se comporter comme une partie de lui-même sur laquelle exercer son contrôle lui paraît naturel. Toute échappée de l'analyste par rapport à cette fonction à laquelle il est assigné menace l'unité narcissique du patient. « On imagine à quel point l'objet d'un pareil « amour » narcissique peut se sentir opprimé et réduit en esclavage par les exigences du sujet. »
C'est à partir des effets de contre-transfert que Kohut a découvert les transferts narcissiques quand il a pris conscience de sa réticence devant les mouvements d'idéalisation du patient à son égard ou devant des rêveries de grandeur, et la tentation qu'il ressentait de confronter à la réalité les fantasmes grandioses irréalistes qui lui étaient communiqués, au lieu de les laisser se développer et de permettre au patient de vivre une expérience narcissique restauratrice pour son self.
Kohut va distinguer différentes formes de transferts narcissiques en les faisant dériver de deux cas de figure principaux : le transfert idéalisant et le transfert en miroir.

Le transfert idéalisant
Le transfert idéalisant se développe lorsque l'analyste se trouve assimilé par le patient à l'imago parentale idéalisée. Que cela lui convienne ou non, l'analyste se trouve-alors en situation d'objet tout-puissant. L'attitude profonde du patient à l'égard de l'analyste s'exprimerait ainsi : « Tu es parfait mais je fais partie de toi. » Toute la perfection et la puissance se trouvant portées au crédit de l'analyste, le patient se sent vide et incapable lorsqu'il en est séparé, il tente donc de maintenir avec lui une union continue, reproduction, archaïque du besoin de fusion avec l'imago parentale idéalisée. Kohut compare ce type de relation à celle du croyant, grand dans sa fusion avec Dieu, mais misérable sans Lui ; il situe ce besoin de fusion comme étant « préstructural », c'est-à-dire antérieur à la structuration en instances de l'appareil psychique. Cette forme de transfert peut apparaître d'emblée, se manifester de façon spontanée au cours de la cure, ou se produire de façon réactionnelle à me perte de l'équilibre narcissique déclenchée par un manquement quelconque de l'analyste, dont la toute-puissance comme objet est révélée et renforcée par les conséquences mêmes de son manquement. L'équilibre narcissique du patient -sécurité, bien être, estime de soi- se met à dépendre de la relation à l'analyste. Les séparations sont vécues comme des ruptures infligeant de véritables blessures narcissiques menaçant le self de fragmentation, ce qui va entraîner dépression, régressions, symptômes divers, rage narcissique, mépris, etc. Le transfert idéalisant, s'il est au centre de la cure, est stable même s'il comporte différents degrés allant de la fusion archaïque à un idéal plus évolué. Une rupture dans l'équilibre de ce type de transfert peut conduire soit à la recherche de son rétablissement sur un mode encore plus archaïque, soit à un transfert en miroir si l'énergie psychique est retirée de l'imago parentale idéalisée pour investir le self grandiose. Pour Kohut, ces formes de transfert sont d'abord des modalités relationnelles visant à la reprise du développement, ce qui explique l'intensité des réactions du patient aux variations du comportement de l'analyste. Toute la question est de savoir si ce type d'idéalisation ne risque pas de constituer finalement une forme radicale de résistance à l'analyse ou une forme de transfert négatif.
Dans les cures de névrosés, les éléments narcissiques du transfert ne sont pas absents mais ils se manifestent par des réactions beaucoup plus labiles et qui ne caractérisent pas l'ensemble du processus ; il s'agit en quelque sorte de mouvements tactiques et non d'un déroulement stratégique d'ensemble.

Les transferts en miroirs
Le transfert en miroir s'appuie sur la prévalence assignée au self grandiose. L'attitude profonde du patient tiendrait en une formule : « Je suis parfait mais j'ai besoin de toi pour le confirmer. » L'analyste est assigné à un rôle de témoin de la grandeur du patient. Méconnu dans son altérité, l'analyste peut éprouver facilement des sentiments d'ennui, de tension ou d'irritation, surtout lorsque le transfert en miroir est très archaïque. Le contre-transfert en P.97 est donc un signe. Kohut a décrit trois formes de transferts en miroir, selon le degré de leur évolution.
- Le transfert fusionnel en est la forme la plus archaïque. Celle-ci renvoie à une relation d'identité primaire où l'objet, dont l'altérité n'est pas reconnue, fait entièrement partie de soi. Le self grandiose englobe l'analyste qui n'est que le reflet de la grandeur dont le self a besoin. Il comporte une sorte de contrôle omnipotent et tyrannique exercé par le patient sur son analyste qui se sent réduit à l'esclavage du soutien admiratif.
- Le transfert en jumelage ou en alter- ego correspond à un meilleur niveau d'évolution ; une forme d'altérité est reconnue à l'autre mais celui-ci ne peut être conçu que comme semblable à soi, à un soi dominé par le self grandiose. Dans ses derniers écrits, Kohut considère que ce type de transfert correspond à l'existence d'un besoin narcissique autonome : disposer d'un alter go, self objet particulier qui soutient le développement du self. La création par l'enfant dans ses rêveries d'un compagnon imaginaire répondrait à ce type de besoin narcissique. La construction des échanges sociaux est favorisée par cette forme d'investissement d'autrui reconnu comme semblable à soi, son absence conduirait à vivre l'univers sur un mode kafkaïen, dépourvu de toute signification.
- Dans la forme la plus évoluée du transfert en miroir, l'analyste est vécu comme personne séparée, différente du sujet, mais sa fonction est limitée au service des besoins du self grandiose. « Comme l'a été la mère (.) l'analyste est maintenant un objet qui n'a d'importance que dans la mesure où il est invité à participer au plaisir narcissique de l'enfant et ainsi à le renforcer. »
Pour Kohut, lorsque ce type de besoins narcissiques est reconnu, le patient ressent un bien-être lié à la restauration de son self, ce qui peut s'exprimer, par exemple, dans la comparaison de la séance à un bain chaud. L'écoute, le regard de l'analyste, dans sa fonction de self objet procure au sujet une cohésion qu'il ne pouvait plus trouver par lui-même et lui restitue sa propre estime.
Lorsque le transfert en miroir se développe en réaction à un transfert idéalisant rompu, le self grandiose se manifeste par des réactions de froideur, d'hostilité et d'arrogance à l'égard de l'analyste.
Les fantasmes grandioses, mégalomaniaques, ont du mal à s'exprimer en raison de la honte et de la peur qu'ils suscitent au point qu'ils peuvent avoir un effet inhibiteur sur la réussite de projets réels ; pour Kohut, une réussite réelle risquerait de provoquer un débordement par un afflux de libido narcissique non neutralisée, lequel menacerait la cohésion du self. L'angoisse devant le succès ne proviendrait donc pas de la culpabilité, comme chez les névrosés mais d'une menace de fragmentation du self.
Finalement Kohut abandonnera la dénomination de « transfert narcissique » pour lui préférer le terme de « transfert de self objet » - ou de « transfert selfobjectal » -, plus spécifique de ce qu'il décrit et qui répond mieux au fait que les self objets, au fur et à mesure que le psychisme évolue, ne se limitent plus à leurs deux configurations initiales et que transfert idéalisant et transfert en miroir peuvent alterner chez un même sujet.
L'essentiel pour Kohut est que ces transferts narcissiques ou selfobjectaux ne constituent pas tant des répétitions que des expériences nouvelles donnant au self une nouvelle chance d'évolution et de restauration.

LES PATHOLOGIES NARCISSIQUES

Aux conceptions théoriques de Kohut correspond une approche très personnelle et très nouvelle de la clinique. Il laisse hors de son champ d'investigation les névroses de transfert « classiques », phobie, hystérie, névrose obsessionnelle, mais aussi les psychoses avérées. Curieusement la mélancolie, névrose narcissique selon Freud, ne fait pas l'objet d'une étude particulière : la dépression n'est pas envisagée comme entité clinique mais comme état affectif survenant dans différentes situations cliniques. Le champ abordé par Kohut se limite - ou s'étend - à celui des troubles narcissiques de la personnalité.
La symptomatologie narcissique manifeste, mise volontiers en avant par le sujet, comporte par exemple les éléments suivants : « 1/ dans la sphère sexuelle, des fantasmes pervers, une absence d'intérêt sexuel ; 2/ dans la sphère sociale, des inhibitions au travail, l'incapacité de former ou de maintenir des relations authentiques, des activités délinquantes ; 3/ dans les traits de personnalité manifeste, une absence d'humour, une absence d'empathie pour les besoins et les sentiments des autres, un manque de sens des proportions, une tendance à des attaques de rage incontrôlée, un penchant au mensonge pathologique ; et 4/ dans la sphère psychosomatique, des préoccupations hypocondriaques au sujet de sa santé physique ou mentale, des troubles végétatifs de différents systèmes d'organes. » Comme on le voit, ces symptômes peuvent se situer dans des contextes pathologiques très différents dans leur forme et leur gravité. Mais pour Kohut ce qui fait la spécificité, le critère de la pathologie narcissique, c'est la nature du transfert qui se développe spontanément.

La caractérologie narcissique
Une caractérologie se trouve ainsi décrite par Kohut, calquée sur les différents types de transferts narcissiques tels qu'il les a décrits.
1/ Les « personnes en quête de miroir » recherchent essentiellement l'admiration de la part d'un objet, leur self en est comme affamé pour lutter contre le sentiment de manque d'estime de soi. Un clivage vertical peut scinder leur fonctionnement et laisser cohabiter une arrogance rageuse clivée et un moi à l'aspect dépressif, en retrait mais dont la demande de reconnaissance est intense.
Dans un registre voisin, la non-satisfaction par les parents des besoins du self grandiose de l'enfant et l'utilisation de l'enfant au profit du narcissisme des parents, conduit à une forme de clivage vertical que l'on peut rapprocher du « faux self » de Winnicott : le sujet ne connaît que des succès sans joie car ils ne lui appartiennent pas, et reste en proie à des tensions et à une honte sourde et angoissante.
2/ Les « personnes en quête d'idéal » sont très vulnérables à toute déception, elles soutiennent une quête constante de nouveaux héros, peuvent changer constamment d'avis et de partenaires.
3/ Ceux qui sont « en quête d'alter ego » recherchent un semblable dont la découverte renforcerait la cohésion de leur self. La déception est aussi fréquemment au rendez-vous car aucune rencontre ne peut compenser durablement la déficience du self que le sujet cherche à restaurer.
. il s'agit de trois variantes d'une même recherche de restauration du narcissisme. La quête de ces sujets n'est pas tant la recherche d'un objet qu'une quête de selfobjets. L'idée centrale de Kohut à propos des personnalités dépendantes de certains objets « dans ce qui semble être une forme intense de faim d'objet » est en effet qu'il s'agit de self objets capables d'assurer la cohésion du self. « L'intensité de la recherche de ces objets et la dépendance ressentie à leur égard sont dues au fait qu'ils sont recherchés en tant que substituts des fragments absents de la structure psychique. »
La conception du rôle de l'objet chez Kohut est ainsi très originale : à côté de l'objet de la pulsion de Freud, nécessaire à la satisfaction mais contingent, en marge de l'object seeking de Fairbairn, il a décrit l'objet du narcissisme, objet fonction dont la présence est indispensable à la continuité du self.
La psychologie du créateur selon Kohut se déroule sous le signe du narcissisme. L'objet de l'intérêt créateur est investi de libido narcissique et l'acte créateur est de nature narcissique. Le déséquilibre narcissique induit par la perception de problèmes intellectuels ou esthétiques non résolus pousse l'individu à en rechercher la solution laquelle, une fois trouvée, « produit toujours une sensation de plaisir narcissique qui est l'accompagnement émotionnel de l'équilibre narcissique soudainement retrouvé ». « Le sentiment d'isolement de celui qui crée est à la fois exaltant et terrifiant. (.) Dans une pareille situation, même l'individu de génie peut choisir dans son environnement une personne qu'il voit douée de toute-puissance et avec laquelle il peut temporairement se fusionner » ; Kohut considère que ce type d'investissement se rapproche des transferts narcissiques observés au cours de l'analyse et il évoque la relation entre Freud et Fliess : « Il se peut bien que Fliess ait été pour Freud l'objet d'un tel transfert narcissique au cours de sa plus importante période de création. » Il est cependant stupéfiant que Kohut n'évoque à aucun moment l'homosexualité dans ce type de transferts. .

Les déficiences fondamentales
Kohut, dans sa conception générale de la psychopathologie passe du modèle du conflit entre structures psychiques - conflit entre Moi, Ça et Surmoi, conflit entre investissements narcissiques et objectaux, etc. - au P.101 modèle de la déficience dans l'organisation du self. La causalité de la pathologie relève essentiellement du traumatisme, de la blessure narcissique, de l'inadéquation des soins parentaux, du défaut de réponse des self objets, c'est-à-dire, en définitive, des autres. C'est la logique des besoins du self, et non celle des pulsions, qui organise les diverses configurations pathologiques ; la notion de refoulement disparaît au profit de celle de clivage horizontal, et l'activité du psychisme dans l'organisation de la pathologie tend à s'effacer. La profondeur de la pathologie et la forme des symptômes dépendront du moment de l'évolution du self où sera survenu l'élément inducteur. Un point de vue génétique particulier est sous-jacent à la perspective psychopathologique de Kohut qui prend en compte deux groupes d'aspects des phénomènes cliniques ; il rapporte les uns à des déficiences primaires du self, directement liées aux défaillances des premiers objets et les autres, qu'il appelle secondaires, sont liés au procédés mis en place par le Moi pour pallier les déficiences primaires qu'il perçoit.

Déficiences narcissiques primaires. - Lorsqu'un traumatisme intervient ou si l'adulte qui est investi comme selfobjet ne peut assurer le rôle de parent idéal qu'il doit jouer - et qui varie suivant les moments de l'évolution de j'enfant - le psychisme de l'enfant ne peut procéder à l'intégration progressive des fonctions assurées par le self objet initial et des déficiences primaires du self vont se constituer : « Les conséquences des perturbations qui se produisent dans la relation à l'objet idéalisé peuvent être reparties en trois groupes suivant la phase de développement au cours de laquelle a été ressenti le plus grand impact du trauma qui a occasionné ces troubles.
« 1/ Des perturbations très précoces, dans la relation à l'objet idéalisé semblent conduire à une faiblesse générale des structures - par exemple une déficience quant au seuil de tolérance des stimuli -, qui nuit profondément à la capacité que possède le psychisme de maintenir [son] équilibre narcissique fondamental. Une personnalité affectée de la sorte souffre d'une vulnérabilité narcissique diffuse. (.)
«2/ Des perturbations traumatiques plus tardives -bien qu'encore préoedipiennes- dans la relation à l'objet idéalisé, -ou une déception traumatique par cet objet, peuvent gêner la formation (préodipienne) de la structure fondamentale de l'appareil psychique, structure destinée au contrôle des pulsions, à leur canalisation et à leur neutralisation. Un penchant à resexualiser les dérivatifs des pulsions, de même que les conflits internes et externes (souvent sous la forme de fantasmes ou d'actes pervers), peut être la manifestation symptomatologique d'un vice structural [de ce type].
« 3/ Enfin, si la perturbation se rapporte à la période odipienne (si la déception traumatique porte sur l'objet idéalisé préodipien et odipien), ou même, à un moment aussi avancé que le début de la période de latence, si la contrepartie extérieure encore partiellement idéalisée de l'objet nouvellement intériorisé est traumatiquement détruite, l'idéalisation du surmoi sera alors incomplète - de sorte que la personne (bien qu'elle puisse posséder un système de valeurs) demeurera éternellement à la recherche de figures idéales du monde extérieur qui lui offrent l'approbation et le leadership que son surmoi insuffisamment idéalisé est incapable de lui donner. »
La « vulnérabilité narcissique diffuse » s'exprime par une sensibilité particulière à toutes formes d'incidents qui sont vécus comme autant d'injures personnelles, par la tendance à recourir à des addictions pour la régulation des excitations afin de compenser l'insuffisance du pare-excitation, mais surtout elle prédispose aux traumas ultérieurs.
Les déficiences primaires du self sont donc fondamentalement liées à « l'absence d'internalisation constructrice de l'imago parentale idéalisée. Les configurations narcissiques initiales, imago parentale idéalisée et self grandiose, non intégrées, gardent alors un statut de corps étranger dans la structure psychique, protégés par les deux types de clivage, horizontal et vertical.

Les structures secondaires : structures défensives et compensatoires. - Les conséquences des déficiences narcissiques primaires diffèrent aussi suivant les procédés mis en ouvre pour les pallier et qui constituent les « structures secondaires ».
Les structures défensives ou défenses récurrentes ont pour fonction de couvrir un défaut du self : « . s'efforçant de se protéger lui-même dans un environnement toxique, le self se cache derrière une façade protectrice. De la soumission à l'agression, du désintérêt à la compétence, il revêt n'importe quelle forme pour rester caché et en sûreté. » Lorsque des défenses de cet ordre se manifestent dans la cure, Kohut considère qu'elles ne doivent pas être traitées comme des « résistances », non seulement il ne faut pas chercher à les vaincre mais elles doivent être respectées, comprises et élaborées.
Les structures compensatoires, à l'inverse des défenses, ne se contentent pas de pallier les déficiences du self mais en permettent une véritable compensation ; ces configurations psychiques se développent grâce à l'appui de personnages substitutifs élus par l'enfant qui a pu se dégager de selfobjets primaires perturbés et perturbants. Si ces nouvelles personnes répondent aux besoins narcissiques de l'enfant, elles deviennent des « selfobjets secondaires » dont le rôle est salvateur. L'un des moyens thérapeutiques de l'analyste est de favoriser le développement de ces structures compensatoires.

Les atteintes narcissiques de la personnalité
Kohut distingue cinq grandes catégories psychopathologiques d'atteintes du narcissisme, avec le souci de bien individualiser les troubles narcissiques qu'il a décrits par rapport aux états psychotiques et aux états limites.
Appartiennent au registre psychotique :
- Les psychoses qui correspondent à une déficience profonde, étendue et permanente du self dont le premier noyau même n'est pas constitué.
- Les états limites qui se caractérisent par le même type de troubles fondamentaux que les psychoses mais disposent d'un ensemble de structures défensives qui recouvre la déficience du self.
- Les personnalités schizoïdes et paranoïdes « qui devraient être incluses parmi les cas limites » ont pour particularité des modalités particulières de défense basées sur la mise à distance émotionnelle.
Les deux catégories suivantes appartiennent au registre des troubles narcissiques introduits par Kohut :
- Les « troubles narcissiques de la personnalité », sont caractérisés non par une déficience étendue du self mais par la déficience de l'un de ses pôles : le pôle des ambitions et le pôle des idéaux dont la tension réciproque est ce qui anime le self. Il y a compensation relative du trouble primaire affectant l'un des pôles par le développement de l'autre pôle du self. Par exemple un défaut primordial dans le registre de l'imago parentale idéalisée sera compensé par un développement compensatoire du registre du self grandiose. Mais la faiblesse de l'un des pôles affaiblit la tension qui anime le psychisme : les troubles sont liés à la recherche d'une revitalisation du self, mais par des moyens psychiques et portant sur la personne elle-même ; il s'agit d'une symptomatologie « autoplastique ».
- Les « troubles narcissiques du comportement » quant à eux sont d'un degré de gravité plus grand. Il n'a pas été possible de compenser une déficience de l'un des pôles du self par le développement de l'autre et les efforts pour ranimer le self ne peuvent se limiter à l'espace psychique. Les manifestations symptomatiques seront « alloplastiques », faisant supporter aux autres leur poids, impliquant la dimension du caractère et du passage à l'acte, des conduites délinquantes ou perverses.
Les troubles narcissiques de la personnalité et les troubles narcissiques du comportement sont pour Kohut abordables sur le plan psychanalytique. Ces sujets peuvent organiser des transferts narcissiques dans le cadre d'une cure.

CHANGEMENTS THÉRAPEUTIQUES

Les perspectives développées par Kohut ont eu un impact considérable pour l'évolution de la technique psychanalytique aux Etats-Unis ; elles ont selon certains de ses contemporains, changé l'atmosphère des cabinets de consultation des analystes. Non seulement elles ont encouragé les praticiens à aborder des cas considérés jusque-là comme des contre-indications à l'analyse, nais elles ont aussi changé la façon d'aborder les cas réputés classiques chez lui la dimension narcissique a davantage été prise en compte. Pour Kohut, même s'il insiste sur l'importance du climat des séances, sur le respect du patient, sur le fait de ne jamais blesser son narcissisme, l'interprétation reste le moyen même de l'action de la psychanalyse. Il insiste à différentes reprises sur le fait que l'analyste n'est pas là pour apporter de l'amour et de la tendresse à ses patients, mais une aide spécifique. L'effet thérapeutique de l'empathie, même s'il est précieux, n'est que secondaire, c'est l'interprétation qui reste le levier du changement, propre à l'analyse.
Sur le plan technique, l'attitude de l'analyste doit permettre le déploiement des aspects narcissiques du transfert, autoriser l'investissement de l'analyste comme selfobjet, ce qui implique que l'analyste perçoive et supporte les besoins narcissiques d'idéalisation, de miroir, d'alter ego de son patient et ne le « désillusionne » pas immédiatement, pour emprunter ici un terme de Winnicott. L'établissement d'un transfert selfobjectal rétablira la matrice self/selfobjet qui permet l'élaboration et la réélaboration des structures psychiques. La répétition transférentielle va devenir une expérience nouvelle qui permettra la restauration du self. L'analyse du transfert, telle que la conçoit Kohut, va permettre de maintenir cette matrice self/self objet malgré les vicissitudes de l'ajustement de l'analyste à ce rôle.
La séquence interprétative dans le transfert sera typiquement la suivante :
- Les besoins narcissiques primitifs sont réactivés dans le transfert selfobjectal sur l'analyste. P.105
- L'état de grâce narcissique que provoque ce vécu transférentiel va être rompu du fait que l'analyste aura manqué, ne serait-ce qu'imperceptiblement, à son rôle de selfobjet complément réparateur du self du patient.
- C'est l'interprétation par l'analyste de ce qui vient de se produire qui va rétablir le lien empathique entre le self du patient et son selfobjet analyste.
Kohut insiste sur la valeur de ce besoin-rupture-réparation et sur sa valeur universelle dans le déroulement du processus analytique, quelles que soient les théories qui animent la pensée de l'analyste.
Au fur et à mesure du déroulement de l'analyse, les fonctions de l'analyste, par intériorisation « transmutative », sont transformées en structures internes de la même manière que les premiers selfobjets sont transformés et internalisés en structures psychiques. Dans ce modèle, l'analyse apparaît comme la reprise du processus constructeur du self où l'analyste joue un rôle de « self objet secondaire » sur le modèle de ces selfobjets secondaires qui permettent l'élaboration de structures compensatoires des déficiences narcissiques primaires.
Pour Kohut, l'élaboration des transferts narcissiques permet ainsi « la mobilisation des positions narcissiques archaïques au cours de l'analyse » et produit des changements bénéfiques. De façon non spécifique elle permet l'extension des capacités d'amour objectal mais elle permet des progrès spécifiques dans le registre narcissique lui-même. L'imago parentale idéalisée s'intègre progressivement au moi et au surmoi, lesquels se développent de son apport. Du côté du soi grandiose, l'intégration progressive de celui-ci au moi soutient les ambitions du sujet et son sentiment d'avoir droit au succès. Il s'agit donc de développer, de restaurer une continuité fonctionnement du self qui lui permette d'établir le contact, dans son environnement, avec des personnes, ou des activités, qu'il pourra investir comme des « selfobjets matures » dont son self continuera toujours d'avoir besoin.
Toute une clinique psychanalytique nouvelle a été renouvelée par les travaux de Kohut. Pourtant, à la différence de Grunberger qui articule narcissisme et pulsion, son attention presque exclusive portée au registre narcissique implique un refus de la sexualité. Traiter le narcissisme comme si celui-ci était indépendant et prépondérant par rapport à la sexualité, peut conduire à des « cures » au cours desquelles tout un aspect de la problématique sexuelle des patients serait évité d'un commun accord entre patient et analyste.