III Symboles et archétypes
Le 10 janvier 1929
. Un symbole est pour moi l'expression sensible d'une expérience intérieure intensément vécue. L'expérience religieuse aspire à s'exprimer et ne peut y parvenir que de manière « symbolique », car elle dépasse l'entendement. D'une manière ou d'une autre elle doit être exprimée, car c'est dans l'expression qu'elle manifeste la vitalité intérieure qui l'habite. Elle veut, dirait-on, accéder à l'existence visible, acquérir une forme concrète. (L'esprit ne démontre sa force agissante que dans la refonte du matériau.)
Une idole est un symbole figé utilisé de façon stéréotypée pour produire une action « magique ». Elle peut exercer une action fascinante aussi longtemps qu'elle touche à ces strates de l'inconscient dont le symbole est issu (ailleurs, c'est-à-dire, chez d'autre). Elle sert à une simple « remémoration » inconsciente. La direction de son action est diamétralement opposée à ceIle du symbole.
Le symbole est l'expression de l'enrichissement de la conscience par l'expérience vécue. L'idole est le signe d'un retour à l'inconscient, c'est-à-dire d'un appauvrissement de la conscience.
Le maître dit une « parole forte » qui jaillit de la foule de ses visions, le disciple se contente de l'utiliser pour faire des prodiges. Pour le maître, cela s'appelle la Cène : je me donne à vous, mon corps, mon sang, ma Vie. Pour le disciple, cela signifie : je mange le Dieu, son corps et son sang. L'anthropophagie rituelle de l'homme primitif (l'habitant des cavernes !) se fait entendre à l'arrière-plan, fascinante : c'est de nouveau permis, mystérieusement sanctifié, et pourtant on n'est pas une brute primitive, on est au contraire sanctifié par le corps divin. J'ai rencontré dans certains cas une soif de sang tout à fait indéniable par rapport à la Cène. . La parole magique est celle qui fait « résonner derrière elle une parole primordiale », une cérémonie magique est la libération d'une conduite primitive.
.. I'imagination créatrice est le seul phénomène spirituel primitif qui nous soit accessible, le véritable fondement spirituel de l'être, la seule réalité immédiate. .. « esse in anima » .. Nous ne pouvons découvrir aucune réalité qui ne soit d'abord spirituelle. Toutes les autres réalités en sont dérivées et déduites indirectement, même avec cette aide artificielle que l'on nomme science naturelle.
Nous ne devons nous représenter l'inconscient collectif ni comme ordre ni comme désordre. L'expérience montre l'existence des deux. C'est pourquoi, en présence d'une conscience désordonnée, l'ordre peut venir de l'inconscient, et inversement avec un cosmos de conscience trop étriqué, on assiste à une irruption du chaos inconscient. Lors de la constitution des grandes religions, on a d'abord affaire à une désorientation collective constellée de toute part par un puissant principe d'ordre présent dans l'inconscient (nostalgie collective de rédemption). Le prophète mû par la misère des temps reconnaît par une vision intérieure la figure salvatrice présente dans l'inconscient collectif et il l'exprime dans le symbole ; parce que ses paroles remontent de l'inconscient collectif, elles s'adressent à tout le monde - « le vrai mot de la situation ! ». C'est pour cette raison que le symbole fascine tout le monde, il est « vrai » - validité temporaire, car il ne vaut que pour une situation déterminée. Que la situation change, et le besoin d'une nouvelle vérité se fait sentir, c'est pourquoi la vérité est toujours relative à une situation déterminée. Aussi longtemps que le symbole constitue la réponse vraie, et donc libératrice, à une situation qui lui correspond, il est vrai et valable, même « absolu ». Mais que la situation change et que le symbole soit simplement perpétué, et il n'est plus qu'une idole dont l'action se borne à appauvrir et abêtir, car elle ne fait que rendre inconscient sans donner ni explication ni illumination. C'est pourquoi le symbole instruit, l'idole aveugle.
. La forme la plus haute du processus psychique serait l'expérience symbolique vécue et son expression symbolique.
.. le symboIe appartient à une sphère différente de celle des pulsions. La seconde sphère est la mère, la première le fils (ou Dieu). La sphère de l'existence paradoxale, justement l'inconscient instinctif, je l'appelle (pour mon usage personnel) : Plérome. En le modelant et en le réfléchissant, la conscience individuelle fait naître une image du Plérome (de même nature que celui-ci en un certain sens ), à savoir le symbole. En lui le paradoxe est supprimé. Dans le Plérome, le haut et le bas sont unis de manière étrange .. et ils n'engendrent rien : mais le trouble provoqué par l'erreur et la détresse de l'individu fait jaillir une cascade entre le haut et le bas, un élément dynamique, le symbole. Comme le Plérome, le symbole est plus grand que l'homme. Il le domine, et même il lui donne forme, comme si l'homme avait ouvert une écluse qui déverse ensuite sur lui un torrent fougueux et l'emporte.
Notre difficulté vient de ce que nous entendons par psyché quelque chose que nous faisons et régissons nous-mêmes, et nous n'arrivons pas à admettre que nous sommes aussi les victimes désemparées des forces spirituelles .. La névrose obsessionnelle est un mot magique du vocabulaire médical moderne, qui ne signifie rien d'autre que .. (maladie imaginaire ). Et pourtant la véritable névrose obsessionnelle est l'un des tourments les plus infernaux, les plus diaboliques, elle est bien pire que n'importe laquelle des maladies organiques. Il vaudrait mieux .. s'imagine® être possédé du démon ! Ce serait déjà sensiblement plus près de la vérité.
Le « symbole » dans la psychanalyse freudienne n'a rien à voir avec le symbole. Il devrait dire « symptôme » ou « métaphore ». P.151
Le symbole ne naît jamais dans l'inconscient (Plérome) mais comme vous le dites très justement, « dans le modelage personnel ». Il naît des matériaux bruts de l'inconscient et il est consciemment modelé et exprimé. . Le symbole a besoin de l'homme pour son devenir. Mais il dépasse l'homme, c'est pourquoi on lui donne le nom de « Dieu », parce qu'il exprime une réalité spirituelle ( ou un facteur) plus forte que le Moi. (Je l'appelle le Soi.) Ce facteur est préexistant dans l'inconscient collectif, mais impuissant tant que le Moi n'en a pas pris conscience, alors seulement il devient le maître. ( « Ce n'est plus moi qui vis, c'est le Christ qui vit en moi. ») Il remplace le Moi sur des points importants. D'où disparition du sentiment d'impuissance etc. «< Que Ta volonté soit faite. » .
Le 29 octobre 1935
. Si par connaître vous entendez en même temps une ignorance, je vous donne entièrement raison, mais il faut aller assez Ioin pour trouver les gens qui admettront que savoir est en même temps ignorer. . point de vue de saint Paul pour qui la pensée nous ouvre la voie vers la divinité. « Car l'Esprit », dit Paul, « reconnaît même les profondeurs de Dieu. ». .
1er juillet 1947
.. je n'ai relevé qu'un seul terme qui me gêne : ce que vous appelez le « complexe de castration ». Je le considère non seulement comme un défaut esthétique, mais aussi comme une surévaluation erronée des symbolismes sexuels. Il s'agit là de l'archétype du sacrifice, P.153 terme au contenu beaucoup plus vaste et qui tient compte aussi du fait que pour le primitif le sexe n'a, de loin, pas toute cette importance qu'il a prise pour l'homme moderne. Dans la psychologie des primitifs, il ne faut jamais perdre de vue que la quête de la nourriture, autrement dit la faim, joue un rôle parfois décisif. En conséquence, les symboles sacrificiels ne sont pas seulement .. des castrations ou des dérivés de la castration ; c'est particulièrement évident si l'on considère les tabous, qui tous sans exception ont un sens sacrificiel. .Il nous faut bien plutôt considérer la castration, quand elle se présente en réalité ou par allusion, par rapport à l'archétype du sacrifice, à partir duquel toutes ces formes si diverses se comprennent bien mieux et sans problème. L'expression « complexe de castration » est à mon goût beaucoup trop concrétiste et pour cette raison trop restrictive, bien qu'elle apparaisse comme tout à fait applicable à toute une série de phénomènes. Mais je tiendrais pour ma part à éviter tout ce qui aboutit en dernière analyse à faire apparaître l'ensemble des processus psychiques comme dérivé d'un instinct déterminé. Ce qu'il faut, c'est poser au départ la réalité psychique comme un phénomène sui generis dans son essence, et comprendre les instincts comme entretenant avec celui-ci une certaine relation. Si l'on ne fait pas cela alors toute différenciation psychique n'est au fond rien que. ! .
19 juillet 1947
. Que le terme « complexe de castration » soit justifié, je ne peux pas le nier et moins encore son symbolisme ; mais que le « sacrifice » ne soit pas un symbole, je ne puis en être d'accord. Au sens chrétien, c'est même l'un des symboles les plus importants. L'étymologie est obscure : il y a autant d'arguments pour offerre que pour operari. Le « sacrifice » est actif et passif : on offre un « sacrifice », et l'on subit un « sacrifice» - on est la victime. (Les deux ensemble dans la symbolique sacrificielle de la messe !) Il en va de même de l'inceste, et c'est la raison pour laquelle j'ai dû utiliser le concept complémentaire de hieros gamos. De même qu'il faut le couple de concepts « inceste/hieros gamos », il faut aussi le couple « castration/sacrifice » pour décrire les données dans leur ensemble. Pourrait-on, pour plus de sûreté, au lieu de complexe de castraion, dire castration symbolique ? Ou motif de la castration comme motif de l'inceste ? [.] P.155
1 avril 194 8
. Sans aucun doute l'anima présente l'aspect très important d'une dispensatrice de sagesse. Elle est la femme inspiratrice par excellence. Elle conçoit sa sagesse du « Père » - le dogme les représente sous les espèces de Marie et de Dieu le Père ou du Saint-Esprit. « C'est dans le sein de la Mère qui réside la sagesse du Père. » Ainsi l'anima est toujours en relation avec la source de la sagesse et de l'illumination, dont le symbole est le Vieux Sage. Tant que vous restez sous l'influence de l'anima, l'archétype du Sage n'est pas conscient chez vous, c'est-à-dire que vous êtes identifié à lui, et c'est pourquoi vous vous occupez intensivement de philosophie indienne. Vous êtes contraint à jouer vous-même le rôle du Vieux Sage. L'archétype s'accomplit à travers vous. C'est seulement si vous faîtes la distinction entre cette sagesse et vous que l'archétype de la spiritualité masculine devient conscient en vous. L'anima est la voie qui conduit à lui ; apparemment elle est aussi source de sagesse, mais ce n'est là qu'apparence. L'anima est l'archétype de la vie en soi, qui procure expérience et connaissance.
La pensée indienne (par exemple chez Ramakrishna ..) est fondée sur une tournure d'esprit qui est encore « contenue dans la Mère » .. Pour notre conscience occidentale les imagos parentales se sont différenciées : nous avons un père et une mère. La Mère, nous l'avons même dépouilIée de sa puissance et nous lui attribuons moins de divinité qu'au Père. Ces derniers temps pourtant l' archétype de la Mère s'est développé à l'intérieur de l'Eglise catholique .
Bollingen, 24 septembre 1948
.Par ailleurs, l'utilisation la plus ancienne du mot archétype se trouve, je viens juste de le découvrir, chez Philon .P.157
3 avril 1949
. Il vaut mieux ne pas débrider l'inconscient, mais le dicton « Boire un coup en tout honneur, qui l'interdirait ? » reste depuis toujours une règle sacro-sainte. Le vin est fils de la terre (le Christ est le cep et Dionysos le vin, en Inde le soma).
. Certains mandalas sont aussi réalisés avec les mains, dansés ou mis musique ( c'est le cas par exemple de L'Art de la fugue de Bach ..)
Lorsqu'on réalise un mandala, se met en ouvre tout ce que l'homme sait du cercle et du carré. Mais le coup d'envoi d'une telle représentation, c'est l'archétype en lui-même inconscient qui le donne.
Tous les êtres vivants rêvent de l'individuation, car tous aspirent à leur propre totalité. Cette aspiration n'a rien à faire avec la race ou toute autre condition. Il existe des rêves typique mais pas de types de rêves, car l'inconscient n'est précisément pas un type, mais contient des types, c'est-à-dire les archétypes.
.. Le symbole du miroir se rapporte à saint Paul, nommément à sa phrase : « Pour l'instant dans un miroir obscur, mais plus tard face à face ». .
. Il n'est pas si rare que de tels rêves (de mandala) se présentent tout à fait normalement entre quatre et six ans. Le mandala est bien un archétype toujours présent, et les enfants, qui ne sont pas encore pervertis, ont une vision des choses divines plus claire que les adultes dont l'entendement est déjà ravagé. Pour être complet, le mandala doit de toute façon comporter quatre cou leurs. .
De nos jours les animaux, les dragons et autres êtres vivants sont volontiers remplacés par des trains, des locomotives, des vélos, des avions et d'autres objets artificiels de cette espèce ( tout comme la voûte étoilée de l'hémisphère Sud tardivement découverte comporte surtout des représentations nautiques ). C'est l'éloignement de l'esprit moderne par rapport à la nature qui se manifeste ainsi ; les animaux ont perdu leur numinosité ; ils ne sont apparemment plus dangereux ; mais c'est la raison pour laquelle nous peuplons le monde de monstres hurlants, grinçants et crépitants, avec leur cortège d'accidents infiniment plus nombreux que ne pouvaient en provoquer autrefois les ours et les loups. Là où manquent les dangers naturels, l'homme s'empresse d'en réinventer de semblables. P.159
Lundi de Pâques 1951
.] L'archétype de la quaternité est une donnée empirique et non pas un point de doctrine. Le christianisme a eu jusqu'ici comme beaucoup d'autres visions du monde, quatre figure métaphysiques, à savoir la Trinité + .. « Le dieu de feu, quatrième selon les nombres ». L'inconscient s'exprime de préférence en quaternités, sans se soucier de la tradition chrétienne. .. Vishnou a quatre visages, etc. . La quaternité n'est pas une doctrine dont on peut discuter, mais une donnée de fait à laquelle même la dogmatique est subordonnée ..
Etant donné que l' « incarnatio Dei » ne véhicule pour l'homme d'aujourd'hui aucun message, il faut, vaille que vaille, traduire Et incarnatus est par exemple par « a pris une certaine forme sensible ». Cette formulation établirait un pont vers la psychologie. [.]
Lundi de Pâques 1951 [26 mars]
. la question du service rendu par le XP, que vous ne concevez plus comme un processus magique mais remplacez pour ainsi dire par l'intégration des projections. Ceci est rationnellement juste, mais n'est pas, me semble-t-il, une réponse tout à fait adéquate. Le « mérite » psychologique (mieux, l'importance) du XP consiste en ce qu'il représente en sa qualité de « premier né » le prototype du 'tÉÀEtoç, de l'homme intégral. Comme l'atteste l'histoire, cette image est numineuse et ne peut donc trouver sa réplique que dans une autre figure numineuse. Elle atteint, en effet, en nous l'imago Dei, l'archétype du Soi, et suscite ainsi l'éveil de ce dernier : il est « constellé », et incite l'homme, par sa numinosité, à réaliser la totalité, c'est-à-dire l'intégration de l'inconscient, ou en d'autres termes, la subordination du moi à la volonté totalisante où l'on voit avec raison la « volonté divine ». La -rÉÀEtwmç signifie la « complétude » et non pas la « perfection » de l'être humain, au sens psychologique. La totaIité ne peut pas être consciente, car elle inclut l'inconscient aussi. Elle est donc un état au moins à demi transcendant, donc religieux, numineux. L'individuation est un but transcendant :l'incarnation de l'(antropos). Rationnellement, on ne peut comprendre que l'effort religieux de la conscience vers la totalité, c'est-à-dire le « religiose observare » (L'observation scrupuleuse) de la tendance totalisante de l'inconscient, et non pas l'être même de la totalité, du Soi, qui est préfiguré par l' « Etre en Christ. » P.161
30 août 1951
5 novembre 1953
11 décembre 1953
14 décembre 1955
8 janvier 1956
10 mars 1958
25 mars 1960
. Je vous suggère humblement d'appliquer votre point de vue personnaliste ( Selon lui (Père White), pour comprendre le livre biblique de Job et son image de Dieu, on devrait partir de la personnalité névrotique et dissociée de Job.) à vous-même et à votre propre cas plutôt qu'à la personne de Job que nous ne connaissons pas. Vous pourrez voir alors ce que cela a pour effet sur vous-même aussi bien que sur moi-même - si je puis me permettre d'introduire ici ma propre personne.
Job est tout à fait un Hébreu respectable de son temps. Il observe la loi et - comme le veut l'alliance - Dieu devrait faire de même. Mais supposons que Job soit névrosé, comme portent à croire certaines allusions du texte, alors il souffre d'un regrettable manque de clairvoyance à propos de sa propre dissociation. Il entreprend une sorte d'analyse, par exemple lorsqu'il suit les sages conseils d'Elihu. Ce qu'il va entendre et reconnaître, ce sont les contenus refoulés de son subconscient personnel, de son ombre, et non pas la voix divine comme le pense Elihu. Vous semblez insinuer que je commets moi-même l'erreur d'Elihu en en appelant surtout aux archétypes sans tenir compte de l'ombre. On ne peut éviter l'ombre sauf à rester névrosé, et tant qu'on ne tient pas compte de l'ombre, on reste névrosé. L'ombre est l'obstacle qui nous sépare le plus efficacement de la voix divine. C'est pourquoi, bien que fondamentalement il dise la vérité, Elihu fait partie de ces fous de jungiens qui, comme vous le suggérez, évitent l'ombre et sont en quête d'archétypes, c'est-à-dire d'« équivalents divins », lesquels, soit dit au passage, ne sont rien d'autre, selon la théorie personnaliste, qu'une tentative de fuite camouflée.
Si Job réussit à avaler son ombre, il se sentira profondément honteux de ce qui s'est passé. Il verra qu'il ne peut que s'accuser lui-même, car c'est sa complaisance, son attachement à la vertu et à tout comprendre à la lettre, qui ont apporté sur lui tout le mal. Plutôt que de voir ses propres imperfections, il a accusé Dieu. Il sombrera certainement dans un abysse de désespérance et de sentiment d'infériorité suivi, s'il survit, d'un profond repentir. Il en viendra même à douter de sa santé mentale, car c'est lui qui par sa vanité a provoqué un tel déferlement d'émotions, jusqu'à entretenir l'illusion d'une intervention divine - voilà bien un cas de mégalomanie.
Après une telle analyse il sera moins que jamais enclin à croire qu'il a entendu la voix de Dieu. N'est-ce pas là la conclusion à laquelle Freud, avec toute son expérience, est arrivé ? Si Job doit être considéré comme un névrosé, et s'il faut le soumettre à une interprétation personnaliste, alors il finira là où finit P.177 la psychanalyse, à savoir dans la désillusion et la résignation .
Comme cette issue m'a paru un rien insatisfaisante et de pas vraiment justifiable d'un point de vue empirique, j'ai proposé l'hypothèse des archétypes comme réponse au problème posé par l'ombre. .
Dans ma naïveté, je m'étais imaginé qu'elle conviendrait mieux que la résignation et le désespoir absolu et correspondrait plus à la vérité que l'absence de réflexion et le simple rationalisme.
. UItra posse nemo obligatur, A l'impossible nul n'est tenu. Je vous demande donc pardon, comme se doit de le faire celui qui a été cause de scandale et de vexation Il est difficile de ne pas être impressionné par cette vérité inexorable : Le Vray en forme brute est plus faux que le faux, la montagne que vous avez élevée sera votre tombeau. .
30 avril 1960
. j'ai toujours eu à cour de construire un pont -ou du moins de tenter de le faire- entre les deux disciplines qui assument la responsabilité pratique de la cura animarum, d'un côté la théologie et de l'autre la psychologie médicale. Aussi différents que soient leurs points de départ respectifs, elles convergent et se rencontrent quand il s'agit de l'âme empirique de l'individu humain. .
La différence de nos points de départ, aussi bien que celle des gens qui recourent à nous avec leurs besoins spirituels, exige que nous manifestions aussi la différence de nos buts. Votre orientation théologique se définit en fonction des axes de votre univers ecclésial, tandis que de mon côté je me vois contraint de suivre les voies imprévisibles du processus d'individuation et de sa symbolique ; c'est-à-dire que là où vous parlez sans hésiter du Christ, je dois quant à moi, en simple empiriste, me servir prudemment du terme d'anthropos, car ce dernier a comme archétype une histoire vieille de plus de cinq mille ans. Ce terme correspond à une idée moins spécifique, c'est pourquoI, il est plus approprié à l'usage général. J'ai ne peux absolument pas me satisfaire du point de vue d'un ami théologien qui disait : « Les bouddhistes ne nous concernent pas. » Dans le cabinet du médecin ils nous concernent pourtant bien, et ils méritent que l'on s'adresse à eux dans une langue valable pour tous les hommes. P.179 .
28 juin 1960
.Comme vous le savez, de tels événements physiques sont toujours aussi psychiques, et ce que les médecins considèrent non sans raison comme un choc postopératoire est en réalité le déclenchement d'effets secondaires d'ordre psychique qui existaient jusqu'alors à l'état latent. Dans la mesure où la cataracte peut rendre aveugle, elle représente psychologiquement l'inconscience des contenus qui se manifestent dans le choc postopératoire. Plus ces contenus sont nombreux et plus ils sont forts, plus leur prise de conscience s'apparente à un état délirant.
Les médicaments .. que vous mentionnez ne produisent par eux-mêmes aucun délire, mais ils peuvent provoquer un abaissement du niveau mental qui contribue à la manifestation des contenus inconscients.
La première vision (.. « Quelque part dans une nuit sans fin s'élevaient, faiblement éclairées, les ruines d'une cathédrale. Tout en haut il y avait une sorte d'échafaudage en bois sous les ruines du toit. J'étais attachée en croix à cet échafaudage, le visage tourné vers le bas. [.] Je savais qu'on me transpercerait le cour à partir du dos avec une lance. ») dépeint ce qui vient à la conscience dans la nuit de l'aveuglement. La cathédrale est l'expression du christianisme collectif dans lequel, en tant que Christ, vous êtes crucifiée (c'est l'imitatio Christi). Cette vision indique qu'en tant qu'être humain d'aujourd'hui et en tant qu'être accompli, vous êtes encore attachée par des clous au moule chrétien. Mais la cathédrale est en ruine. C'est pourquoi - si l'on peut dire- vous vous retrouvez à la cave, c'est-à-dire que vous passez de hauteurs à des profondeurs où vous êtes apparemment enfermée. (La seconde vision était la suivante : « J'étais dans mon lit à la clinique de Bellinzona. Les « petites sours » [des infirmières] étaient autour de moi. [.] Une des infirmières devait dormir à côté de mon lit sur une pile de matelas. J'avais peur, car l'infirmière en chef disait qu'elle nous enfermerait jusqu'à son retour à onze heures. Alors ma peur grandit encore, et la chambre se transforma en une cave où se trouvait mon lit. . L'infirmière dormait à côté de mon lit . et je touchais sa tête pour m'assurer qu'elle était bien là . Toute la nuit j'ai eu peur d'être enfermée. ») La présence de l'infirmière indique qu'on se trouve dans le temps qui suit l'opération, c'est-à-dire au moment de ce qu' on appelle le choc postopératoire, lorsque vous ne pouvez encore reconnaître où vous êtes enfermée, ou du moins vous craignez d'être enfermée. Vous vous sentez là si complètement seule avec vous-même qu'il vous faut anxieusement vous assurer que l'infirmière est bien là. Ceci montre clairement que l'inconscient manifeste une forte tendance à vous enfermer avec lui-même, si bien que vous êtes privée de toute communIcation avec l'extérieur.
Celui qui s'effondre du toit ou du plafond de la cathédrale sombre en lui-même. Pensez à la situation du Jésus historique qui sur la croix s'est lui-même senti abandonné par Dieu, et qui n'était plus rien que lui-même ! Nous l'avons si longtemps cru et si souvent affirmé qu'il faut bien que ça devienne un jour une réalité.
Alors la reconstruction a commencé. (.. « Maintenant [la quatrième semaine après l'opération] je n'ai plus de visions, et j'essaye chaque jour de reconstruire quelque chose. ») Il nous faut nous construire nous-mêmes avec les moyens à notre disposition (le temple a été reconstruit le troisième jour). On a à le faire s?i-même, et je voudrais vous conseiller à ce propos de persévérer dans vos essais de mettre en forme et de construire au moins en images ce que vous pouvez construire à partir de vous-même. Là vous êtes tout à fait sur la bonne voie. C'est à travers ce que vous faites que ce que vous êtes se fera voir. C'est dans les essais les plus nouveaux que se fait voir ce qui est le plus ancien et le plus originel. . P.181
14 septembre 1968
. Les philosophes et les psychologues des XIXe et XXe siècles ont tenté de mettre en évidence une terra nova en nous-mêmes, c'est-à-dire l'inconscient. . l'inconscient est accessible à l'expérience humaine. Il est presque tangible et nous est donc plus ou moins familier, mais d'un autre côté il mène une étrange existence bien difficile à comprendre. Si l'on veut bien admettre que ce que j'appelle archétypes constitue une hypothèse vérifiable, alors on est confronté à des animaIia doués d'une sorte de conscience et d'une vie psychique qui leur sont propres ; on peut les observer, du moins en partie, pas seulement chez les hommes d'aujourd'hui, mai aussi au cours de l'histoire sur plusieurs siècles. Qu'on les appelle dieux, démons ou illusions, ils existent, ils fonctionnent et ils renaissent à chaque génération. Ils ont une énorme influence sur la vie individuelle aussi bien que collective, et malgré leur familiarité ils sont curieusement non humains. Cette dernière caractéristique est la raison pour laquelle nous les avons appelés dans le passé dieux et démons ; c'est pourquoi aussi notre époque « scientifique » les comprend comme des manifestations psychiques de nos instincts, dans la mesure où ils représentent des manières d'être et des formes de pensées habituelles et universellement répandues. Il s'agit là de forme de base, et non pas d'images manifestes, personnifiées concrétisées d'une quelque autre façon. Elles ont un haut degré d'autonomie qui ne s'efface pas lorsque les images manifestes changent. Lorsque, par exemple, la croyance au dieu Wotan s'évanouit et que personne n'y pense plus, le phénomène que l'on appelait Wotan n'en demeure pas moins. Rien ne change hormis son nom, comme le national-socialisme l'a démontré à grande échelle. Un tel mouvement collectif est fait de millions d'individus dont chacun présente le symptôme de wotanisme, ce qui prouve qu'en réalité Wotan n'est jamais mort, qu'il a au contraire gardé sa vitalité, son originalité et son autonomie. Seule notre conscience s'imagine qu'elle a perdu ses dieux. En réalité ils sont encore là et il suffit qu'une certaine condition soit remplie pour qu'ils reviennent en force. Cette condition, c'est qu'une situation réclame une nouvelle orientation et une nouvelle adaptation. Si la question qui se pose alors n'est pas clairement comprise et si la réponse appropriée n'est pas donnée, l'archétype qui exprime cette situation émerge - en l' occurrence c'est Wotan -, et il mobilise à nouveau la réaction qui a toujours caractérisé des moments semblables. Comme seuls certains individus sont susceptibles d'entendre et d'accepter un bon conseil, il y a peu de chances que personne prête attention à la voix de celui qui met en garde contre le fait que Wotan est là à nouveau présent. On le précipiterait plutôt tête la première dans la trappe. [.]
P.183
IV Le Soi et l'image de Dieu
3 septembre 1943
. la situation présentée dans le Vase d'or semble être la suivante : les instances masculine et féminine, l'esprit et la vie, se trouvent en proie à un conflit inconscient, non perçu par la conscience.
La relation macrocosmique est une chose très difficile. Elle se révèle tout d'abord de façon symptomatique sous la forme d'une passion qui pousse à une organisation objective, extérieure, palpable des rapports avec le microcosme. La coniunctio des moitiés masculine et féminine du Soi voudrait s'emparer de l'individu et l'oblige à une représentation physique, c'est-à-dire terrestre. Vous voudriez éclairer le monde comme une Luna ( et je voudrais le faire comme un Sol). Mais tout archétype veut, avant d'être consciemment intégré, se donner une représentation physique en forçant le sujet à prendre sa forme. Le Soi dans sa divinité (c'est-à-dire l'archétype) n'est pas conscient de cette divinité. Il ne peut en devenir conscient qu'à l'intérieur de notre conscience. Et il ne le peut que si le Moi tient bon. Il (le Soi) doit devenir aussi petit que le Moi et même encore plus petit, bien qu'il soit la mer de la divinité : « Dieu, en tant que Moi, est si petit », dit Angelus Silesius. II doit se faire nain dans le cour. C'est à l'intérieur des vaisseaux qu'a lieu la hiérogamie. Vous n'êtes pas plus la déesse que je ne suis le Dieu, nous ne le sommes pas par principe car sinon l'homme ne serait plus et Dieu ne serait pas né. Nous ne pouvons que nous donner la main et essayer de connaître l'homme intérieur. Ce qui dépasse nos possibilités humaines ne nous appartient pas.
Je suis justement en train de me débattre avec ce problème de la coniunctio pour mon introduction à l'Aurora Consurgens. C'est d'une difficulté inconcevable. .
PS : L'être qui se tient derrière mon visage (Dans le rêve avait lieu une conversation au cours de laquelle un être masculin se tenant derrière le visage de Jung avait appelé un être féminin se tenant derrière le visage de la rêveuse « Elisabeth ») (la partie masculine du Soi) appelle celui qui se tient derrière le vôtre, « Elisabeth » (il s'agit de la moitié féminine). Tous deux sont des nains (homunculi) en ce monde. Dieu, ce qu'il y a de plus grand devient en l'homme ce qu'il y a de plus petit et de plus invisible car sinon l'homme ne peut le supporter. C'est seulement sous cette forme du Soi que Dieu se trouve dans le macrocosme qu'il est pourtant lui-même - mais sous la forme la plus inconsciente). Dans l'homme, Dieu se voit de l' « extérieur» et devient ainsi conscient de sa propre forme. Tout ceci pour vous soutenir dans votre difficile travail sur le « Vase d'or » !
7avril 1945
3 janvier 1948
18 juin 1949
. on ne peut pas vraiment qualifier le concept du Soi de summum bonum dans la sphère des conceptions psychologiques. Je ne l'ai d'ailleurs fait nulle part. Cela serait une contradictio in adiecto, en ce sens que le Soi représente par définition une unification virtuelle de tous les opposés. On ne peut pas non plus le qualifier de summum bonum au sens dérivé, car il n'est pas un summum desideratum, mais plutôt une dira necessitas, qui se distingue par toutes les caractéristiques désagréables propres à celle-ci. L'individuation est tout autant un destin fatal qu'un accomplissement. La psychologie du Soi, ce n'est pas une philosophie, mais un processus empiriquement constatable qui, en tant que processus naturel, pourrait se dérouler sans heurts s'il ne prenait chez l' être humain, du fait de sa collision avec la conscience, une note tragique. .
30 avril 1953
. Votre assertion selon laquelle la « psychanalyse ( !) veut amener l'homme à découvrir que son Soi est le but ultime » montre à quel point vous vous méprenez sur ma pensée. Peut-être la « psychanalyse » veut-elle quelque chose de tel, mais ce n'est pas une semblable insuffisance que je vise, quant à moi, car le Soi est, par définition, une donnée transcendantale à laquelle le moi est confronté. C'est un malentendu complet (et c'est le contraire de ce sur quoi j'ai toujours insisté) que de croire que le Soi « est une concentration sur le moi-même ». C'est justement ce qu'il n'est pas. Quelle que soit en dernier recours la destinée du Soi ( et les mystiques chrétiens ont aussi quelque chose à dire à ce sujet), elle implique en tous les cas la fin du moi. Vous dites vous-même (comme l'a dit v. Orelli et comme je l'ai toujours dit) que le Christ est « le Soi de tous les Soi ». C'est là la définition correcte du Soi et cela veut dire : de même que le Christ est relié à tous, tous sont reliés au Christ. Chaque Soi a la propriété de faire partie du « Soi de tous les Soi », et le Soi de tous les Soi se compose des Soi particuliers. Ceci est tout à fait en accord avec la notion psychologique. .
3 juillet 1954
. J'ai regardé les images que vous avez faites, et j'en admire la qualité. Votre question me surprend : « Pour qui ai-je peint ces images ? » Elles sont votre propriété, et vous les avez peintes pour soutenir votre processus d'individuation. De même que le jongleur de Notre-Dame exécute ses tours en l'honneur de la Madone, de même vous peignez pour le Soi. Ayant reconnu qu'il en était ainsi, je vous renvoie vos images. Elles ne doivent pas rester ici et ne doivent être nulle part ailleurs que chez vous. Elles représentent le rapprochement des deux mondes de l'esprit et du corps, de l'Ego et du Soi. Les opposés se cherchent réciproquement, de telle sorte que ce qui est là-bas vient ici et ce qui est ici débouche sur l'Ailleurs. .
22 novembre 1954
(.) L'Ego reçoit la lumière du Soi. Bien que nous sachions que le Soi existe, nous ne Le connaissons pas. Vous pouvez voir une grande ville, savoir son nom et sa situation géographique, et ne connaître pourtant aucun de ceux qui l'habitent. Vous pouvez même fréquenter quotidiennement un être et ne rien savoir de son véritable caractère. L'Ego est contenu dans le Soi comme Il est contenu dans l'univers, dont nous ne connaissons qu'un très petit fragment. Un être d'une intelligence et d'une pénétration plus grandes que les miennes a le pouvoir de me connaître, mais je ne suis pas en mesure de le connaître moi aussi tant que ma conscience reste plus faible que la sienne. Bien que nous recevions du Soi la lumière de la conscience et bien que nous sachions qu'II est la source de notre illumination, nous ne savons pas s'Il possède quelque chose, quoi que ce soit, que nous appellerions conscience. Avec toute leur profondeur et leur beauté, les paroles de votre sagesse [indienne] sont, en essence, l'expression d'une intense admiration, ou des tentatives inspirées pour formuler les impressions écrasantes de la conscience d'un Moi subissant le choc d'un être qui lui est supérieur. S'il devait même se faire (comme je le suppose) que l'Ego représente la culmination du Soi, la cime d'une montagne infiniment plus haute que le mont Everest, il ne serait pourtant rien d'autre qu'un petit fragment de roc ou de glace et non pas la montagne entière. Et même si ce petit fragment reconnaissait en lui-même une partie de la montagne et concevait celle-ci comme une gigantesque accumulation de particules identiques, il n'aurait pourtant pas connaissance de leur nature intime, car toutes les autres sont comme lui-même des individus, incomparables et, en dernière analyse, incompréhensibles. (Seul l'individu est réalité authentique, et lui seul est en mesure d'avoir connaissance de l'Être.)
Même si le Soi apparaissait à l'expérience comme une totaIité, ce ne serait là pourtant encore qu'une expérience limitée ; la véritable expérience de Sa réalité serait illimitée et infinie. La conscience de notre Moi n'est capable que d'une expérience limitée. Nous pouvons seulement dire que le Soi est illimité, nous ne pouvons pas faire l'expérience de Son infinitude. Je peux dire que ma conscience est la même chose que le Soi, mais ce ne sont que des mots, car il n 'y a pas la moindre preuve que je participe du Soi au-delà des limites de mon Moi conscient. Que sait le fragment de la montagne tout entière, même s'il en est visiblement une partie ? Si je ne faisais qu'un avec le Soi, je parlerais le sanskrit, je lirais les inscriptions cunéiformes, j'aurais connaissance des événements de la préhistoire et de la vie sur d'autres planètes. Malheureusement, il n'en est rien.
Il ne faut pas confondre votre propre illumination avec l'autorévélation du Soi. Par la connaissance que l'on acquiert de soi-même, on n'atteint pas nécessairement à la connaissance du Soi, ou l'on n'en atteint qu'une partie infinitésimale, même si c'est le Soi qui vous a donné la lumière. P.197
Votre point de vue me paraît semblable à celui de nos mystiques médiévaux, qui cherchaient à se fondre en Dieu. Ce qui vous intéresse, c'est avant tout le retour au Soi, et non pas de vous efforcer de faire ce que le Soi attend de vous, et qu'il attend de vous en ce monde où nous nous trouvons - pour moment, du moins - probablement en vue d'un but déterminé. L'existence de l'univers n'est sans doute pas faite seulement pour que l'homme le nie ou s'en échappe. Nul ne peut être plus que moi convaincu de l'importance du Soi. Cependant, de même qu'un jeune homme ne reste pas dans la maison de son père mais s'en va dans le monde, de même je ne me retourne pas en arrière pour regarder le Soi, mais je Le recueille à travers des expériences diverses et Je Le recompose. Ce que j'ai laissé derrière moi et perdu en apparence, je le retrouve dans tout ce que je rencontre sur mon chemin, je le collecte et je le reconstruis, pour ainsi dire. Pour me libérer des oppositions entre les contraires, il est indispensable que je les accepte d'abord, mais cela m'éloigne du Soi. Il me faut de même apprendre comment les contraires peuvent être ramenés à l'unité, et non pas comment on les évite. Tant que je me trouve sur la première moitié du chemin, je dois oublier le Soi pour être impliqué totalement dans le combat des opposés, faute de quoi ma vie resterait fragmentaire et conditionnée. Le Soi est certes mon origine, mais il est aussi le but de ma quête. Tant qu'II était seulement mon origine, je ne me connaissais pas, et lorsque je me suis connu moi-même, je ne savais rien encore du Soi. Il faut que je Le découvre dans mes actes, où il réapparaît portant d'abord des masques singuliers. C'est là l'une des raisons pour lesquelles je dois étudier la symbolique, faute de quoi, je courrais le risque de ne pas reconnaître mon propre père et ma propre mère en les retrouvant après de longues années d'absence .
28 mars 1955
. occasion de voir comment s'opère la constitution de la totalité et de la sanctification. En remontant le chemin de l'histoire des hommes on intégrera bien des choses qui font aussi partie de notre substance, et même, au plus profond, quelque chose de l'animal, notre frère, qui a même plus de piété que l'homme, en ce qu'il lui est bien plus impossible de s'écarter de la volonté divine en lui, parce que sa conscience obscure ne lui montre pas d'autre voie à suivre. Sur ce chemin . on tombe dans le feu, ou l'on s'en rapproche dangereusement, comme le dit la parole : « Qui est proche de Moi est proche du feu, et qui est loin de Moi est loin du Royaume. »
Le « domptage de Ia bête », comme vous dites, est de fait un long processus, qui coïncide avec la dissolution de l'individuaIité centrée sur le Moi. Ce que vous appelez « se défaire de soi », je le définis comme « devenir Soi », car ce qui semblait auparavant être « moi » est recueilli dans quelque chose de plus vaste qui « me » dépasse et « me » domine de toutes parts, et que je suis incapable de saisir dans sa totalité. Vous avez tout à fait raison de citer Paul . (« . car en lui nous avons la vie, le mouvement, et l'être ». Acte des Apôtres,17,28.)
Cette expérience est d'une part un charisme, car, nisi Deo concedente («Si Dieu n'y consent »), nous ne pouvons pas la faire. Le feu nous réduirait en cendres. D'autre part, elle ne peut se produire que si nous abandonnons le Moi comme instance suprême et si nous nous en remettons entièrement à la volonté de Dieu.
Vous éprouvez vous-même la nécessité de définir le concept de « perfection ». Vous concevez celle-ci comme « le développement complet de la nature au niveau de la sainteté, opéré par l'abandon à Dieu ». Dans la mesure où Dieu est la Totalité même, lui-même « sain » (= entier) et « saint », l'homme ne peut accéder à sa totalité que dans Dieu, c'est-à-dire dans la complétude son Soi, qu'il n'atteint qu'en se soumettant à la volonté divine. P.199
Mais comme l'homme dans son état de « santé » et de « sainteté » est très loin de toute perfection, il faut sans doute traduire le (parfait) du Nouveau Testament plutôt par « complet ». ( Cf. Matthieu, 19,21 : « Jésus lui dit : si tu veux être parfait, va, vends ce que tu possèdes. » Cf Psychologie et Alchimie p. 223 : « La vie a besoin pour son accomplissement non pas de la perfection, mais de la complétude. » Cf. Aïon, p.107 et p.307.) L'état humain de totalité est pour moi une « complétude » et non une « perfection », mot que j'évite, de même que le mot « sainteté ».
Vous définissez le Moi ( après le « domptage » de la « bête ») comme « en pleine possession de soi-même ». Je dirais ici que la résistance des profondeurs de l'âme cesse lorsque nous pouvons renoncer à être centrés sur le Moi, et que le Soi ( conscience + inconscient) nous recueille dans sa plus vaste amplitude, où nous sommes alors « entiers » et, du fait de notre relative totalité, proches de la Totalité véritable, c'est-à-dire de la divinité. ( Vous trouverez la discussion de ce point dans Aïon, chap. IV et V.) Je dirais donc plutôt, en conséquence, que c'est alors Dieu qui est « en pleine possession du Moi et de moi-même », au lieu de mettre l'accent sur la puissance du Moi.
Je ne sais pas s'il est loisible, dans notre état d'incapacité, de réfléchir sur les choses divines. Je trouve que toutes mes pensées tournent autour de Dieu comme les planètes autour du soleil et sont, comme celles-ci par le soleil, irrésistiblement attirées par Lui. Si je m'avisais d'opposer une résistance à cette force qui me contraint, je ne pourrais l'éprouver que comme le péché le plus grave. Je pense que c'est une volonté de Dieu que j'use du don de pensée qu'il m'a accordé. C'est pourquoi je mets ma pensée à Son service, entrant par là même en conflit avec l'enseignement traditionnel et avant tout avec la doctrine de la privatio boni. J'ai donc questionné, en vain, plusieurs théologiens . queI peut bien être, au fond le rapport de Jahvé au Dieu des chrétiens, vu qu'il est, certes gardien du droit et de la morale, mais injuste lui-même. Et comment accorder ce paradoxe avec le « Summum Bonum » ? Selon Isaïe, 48,10, Jahvé tourmente les hommes pour l'amour de Lui-même . C'est compréhensible à partir de Sa nature paradoxale, mais pas à partir du Summum Bonum qui contient par définition déjà tout ce qui est nécessaire à Sa perfection. C'est pourquoi le Summum Bonum n'a pas besoin de l'homme, au contraire de Jahvé. Je suis obligé de mettre en doute la doctrine du Summum Bonum, dans la mesure où le Non-être du mal retire à celui-ci toute substance et ne laisse subsister que du bien, et donc plus rien du tout qui puisse être la cause de la moindre impulsion mauvaise, car ce qui n'existe pas ne produit pas d'effets. En outre, ce qui n'existe pas ne peut pas non plus venir de l'homme ; et puis le diable était là avant l'homme, et assurément il n'était pas bon. Or le diable n'est pas rien. L'opposé du bien, ce n'est donc pas rien, mais un mal tout aussi réel.
Ce qu'il y a au fond de l'âme, l'inconscient, n'est pas le fait des hommes, mais, partie de la nature créée par Dieu et que l'homme n'a en aucun cas le droit d'insulter, même si elle nous cause les pires difficultés. Son feu qui nous « met dans la fournaise », c'est selon Isaïe, 48,10, la volonté divine elle-même, c'est-à-dire la volonté de Jahvé lui-même, qui a besoin de l'homme. L'intelligence et la volonté humaines sont sollicitées et peuvent apporter une aide, mais elles ne doivent jamais croire, avec arrogance, avoir sondé les profondeurs de l'esprit et éteint le feu qui Lui est associé. Nous pouvons seulement espérer de Dieu la grâce qu'il ne nous contraigne plus à descendre plus profondément encore et à nous laisser brûler par Son feu.
Vous Lui avez offert, c'est évident, assez de sacrifices en supportant Son feu jusqu'à avoir suffisamment réprimé l'individualité de votre Moi. En réalité, votre Moi n'est nullement en possession de lui-même, il est, sauf quelques restes, consumé, de telle sorte que vous êtes devenu capable, dans une certaine mesure d'un amour impersonnel. Vous pourriez en vérité vous en réjouir, si votre « gaieté » n'était en contradiction radicale avec la souffrance du monde et de vos frères humains. Même le Rédempteur sur la croix n'a pas manifesté la moindre gaieté, bien qu'on puisse Lui imputer, sans doute, le plus total empire sur soi-même et sur le monde. Un « objet » (comme vous l'écrivez), c'est-à-dire un être humain qui ne sait pas qu'il a allumé votre amour ne se sent pas aimé, mais humilié, car il est simplement soumis ou exposé à votre état psychique, auquel il n'est pas associé. Être ainsi aimé me laisserait froid. Mais vous dites vous-même que l'on est l'autre aussi, tout autant qu'on est soi-même. S'il en est ainsi, la souffrance de l'autre vous affectera vous aussi, et elle portera atteinte à votre gaieté. Mais quand vous écrivez ensuite que vous « n'avez plus besoin de la création », vous donnez à entendre par là à votre frère humain ( qui fait aussi partie de la création) qu'il vous est superflu, même si « à travers lui vous chantez les louanges de Dieu ».
A celui qui a dominé quelque chose, et qui s'est libéré de P.201 quelque chose, il incombe dans une égale mesure la tâche de porter la charge qui pèse sur les autres. Elle est la plupart du temps si lourde qu'on en perd l'envie de chanter. On est même bien content de pouvoIr tout simplement respirer un peu, de temps à autre.
Autant je peux vous suivre dans votre démarche d' « accès à la santé », c'est-à-dire à l'individuation, autant il m'est impossible lorsqu'il s'agit de vos propos sur le « Moi en pleine possession de lui-même » et sur un amour universel sans objet précis, bien que vous vous rapprochiez dangereusement par là même de l'idéal du yoga avec son « nirdvandva » (libres des oppositions entre les contraires). Je sais qu'au cours de ce processus il y a, par éclairs, de tels moments de libération. Mais je les crains, car je sens dans ces instants-là que j'ai rejeté la charge de la condition humaine et qu'elle va me retomber dessus deux fois plus lourdement.
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Comme il est évident que nous n'en sommes pas encore parvenus au stade de la béatitude éternelle, nous restons suspendus à la croix entre l'ascension et la chute, non seulement pour nous-mêmes mais aussi pour l'amour de Dieu et de l'humanité. .
2 avril 1955
. De même que Job a parlé assez haut pour pouvoir être entendu de tous, de même j'ai préféré payer de ma personne et faire tout ce dont j'avais la force pour arracher mes contemporains à leur inconscience, plutôt que de céder à ma tiédeur et laisser les choses dériver vers la catastrophe mondiale qui menace. L'homme doit savoir qu'il est le pire ennemi de l'homme, comme Dieu a dû apprendre de Job que Sa nature était contradictoire. Il n'est pas douteux que l'ange de Dieu (qui ne dispose pas d'une volonté propre) avait l'intention de se battre avec Jacob, et même de le tuer s'il ne se défendait pas. Apparemment, Dieu s'attendait à ce que Jacob lui rende la monnaie de sa pièce. . l'autorité de la Bible est de mon côté (Isaïe, 48, 10-11 : « Je t'ai mis au creuset, mais non pour retirer de l'argent. Je t'ai éprouvé dans la fournaise de l'adversité. C'est pour l'amour de moi, pour l'amour de moi que je veux agir. » P.203
. J'ai demandé à quatre théologiens (protestants) si, selon la conception de l'Eglise moderne, le Dieu de l'Ancien Testament était le même que celui du Nouveau Testament. Deux n'ont pas du tout répondu. Un troisième a dit que la littérature théologique des trente dernières années ne parlait plus de Dieu. Le dernier a dit : « Il est facile de répondre à votre question. Par rapport à la conception du N.T., Jahvé n'est qu'une idée archaïque de Dieu. » J'ai répondu : « C'est exactement le type de psychologisme dont vous m'accusez. Quand cela vous convient, d'un coup Dieu n'est plus qu'une idée, mais quand vous parlez de lui en chaire, alors ce que vous dites est la vérité absolue. » . Le vieux Père jésuite Nicolas Causinus avait une meilleure réponse : dans l'A.T., Dieu était comme un rhinocéros furieux, mais dans le N.T., Il se transforma en Dieu d'amour, subjugué par l'amour et la pureté d'une vierge dans le sein de laquelle Il trouvait enfin le repos. .. elle montre l'importance de l'être humain dans le drame divin de l'incarnation. Apparemment le drame commencé lorsque Dieu
( contrairement à tous les autres dieux, c'est fait personnalité, c'est-à-dire finitude. C'était, sur le chemin de l'incarnation, le premier acte de la kenosis. C'est cela la « réponse à Job » : Dieu devait cesser de s'abandonner à des oppositions irréfléchies.
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Votre Soleil en Balance a besoin d'un équilibre intérieur non perturbé. Vous ne l'obtiendrez que si chacun des deux plateaux porte le même poids. Le Christ a été crucifié entre un homme qui montait et un autre qui descendait, c'est-à-dire entre des opposés. N'essayez pas, en conséquence, d'esquiver votre destin tel qu'il est « inscrit dans les astres ». Je sais que c'est le défaut des natifs de la Balance : ils craignent tout ce qui perturbe leur équilibre. Mais ils ne peuvent le sauvegarder que s'ils « examinent ce qui les plonge dans le trouble ».
. nager à contre-courant au-dehors et travailler sur l'inconscient à l'intérieur, pendant cinquante ans, cela m'a appris un certain nombre de choses. Ayant choisi la vie monastique, vous vous êtes séparé de ce monde-ci, et vous vous êtes exposé aux flammes éternelles de l'autre. Il faut bien que vous payiez le tribut à quelqu'un, aux hommes ou à Dieu, n'importe, et en fin de compte vous vous apercevrez que, les uns comme l'Autre, ils vous ont trop demandé. Dans ce cruel suspens vous connaîtrez qu'il n'y a de délivrance possible que dans le champ central, au centre de votre Soi, qui est tout autant avec Dieu et contre Lui : avec, dans la mesure où Dieu vous détermine ; contre, dans la mesure où l'autonomie luciférienne de l'homme existe en dehors de Dieu. En fait et en vérité, la délivrance résulte des oppositions en Dieu. C'est là tout le problème que je traite dans mon Job, et c'est la raison pour laquelle Job implore contre Dieu l'aide de Dieu. Ce serait une grave erreur que de penser pouvoir vous tirer d'une épreuve aussi dure sans passer par ces affects de la plus grande violence ; vous êtes dans un état de profonde agitation, et vous ne pourrez faire croire à personne que vous ne vous trouvez pas dans un enfer de souffrance. Nulle part il n'y a de réconfort et nulle part il n'y a de consolation, si ce n'est dans la soumission au Soi et P.205 dans l'acceptation du Soi ou, comme vous pouvez dire aussi, du Dieu qui souffre dans Sa propre création. (Isaïe, 48,10)
. A un niveau de conscience supérieur, même une nature pacifique ne peut échapper au violent conflit des opposés dans l'âme, car Dieu veut unifier Ses opposés dans l'homme. Dès que l'homme a accédé à une conscience plus loyale, plus complète et qui dépasse le niveau du collectif, il n'est plus en lui-même une fin, il devient l'instrument de Dieu, et c'est réellement ainsi, et il n 'y a pas là de quoi rire. Ce n'est pas moi ai créé ce monde, ni qui y ai placé l'âme humaine. Il est Son ouvre et Sa responsabilité, et il n 'y a pas de juge au-dessus de lui. C'est pourquoi l'histoire commence avec Job sur la plan humain, et avec l'incarnation sur le plan divin. On peut s'en plaindre, comme Job, mais cela n'a pas de sens. Les choses sont comme elles sont. Quand l'agitation et le tourment deviennent trop grands, il reste l'unité du Soi, de l'étincelle divine, dans sa sphère inviolable, pour offrir une paix qui n'est pas de ce monde. .
13 juin1955
. Le seul chemin qui s'ouvrait à moi, c'était l'expérience de réalités religieuses qu'il me fallait bien prendre telles quelles. Sans me préoccuper de ce qu'elles contenaient de vérité. Je ne possède à cet égard aucun autre critère que le fait qu'elles me paraissent chargées de sens et en accord avec ce que les hommes ont jamais exprimé de meilleur. Je ne sais pas si l'archétype est « vrai ». Je sais seulement qu'il vit et que ce n'est pas moi qui l'ai fait.
Comme le nombre des possibilités est restreint, on arrive assez tôt à une limite ou pour mieux dire, à des limites qui se déplacent par étapes, vraisemblablement jusqu'à la mort. De l'expérience de ces limites se dégage peu à peu la conviction que la poursuite de cette expérience est une approche sans fin. Le but semble en être préfiguré par des symboles archétypiques qui constituent quelque chose comme la circumambulation d'un centre. Plus on s'approche de ce centre, plus il en résulte une dépotentialisation corollaire du Moi au profit de l'influence du centre « vide », qui n'est nullement identique à l'archétype mais auquel celui-ci renvoie. Pour parler chinois : l'archétype est seulement le nom du Tao, non le Tao lui-même. De même que les Jésuites ont traduit Tao par « Dieu », de même on peut définir le « vide » du centre comme « Dieu ». Le mot « vide » ne signifie pas qu'il y ait un « manque » ou une « absence », mais renvoie plutôt à un lnconnaissable caractérisé par une suprême intensité. Ce qui se passe quand je nomme « Soi » cet Inconnaissable, c'est seulement que la somme des effets produits par l'Inconnaissable a reçu un nom, ce qui ne préjuge en rien de ce qu'il contient en substance. Une partie de mon propre être, de grandeur inconnue, y est certes incluse, mais je ne peux pas, puisqu'elle est l'inconscient, en préciser les limites et l'extension. C'est pourquoi le Soi est un concept limite dont les processus psychiques connus n'épuisent pas le contenu, à beaucoup près. En outre, d'une part ce concept englobe les phénomènes de synchronicité, d'autre part son archétype est enraciné dans P.207 la structure du cerveau et physiologiquement démontrable : on a réussi, par excitation électrique d'une certaine région du paléoencéphale, à provoquer chez un épileptique des visions de mandaIa (quadratura circuli). Les phénomènes de synchronicité nous enseignent que l'arrière-plan psychoïde est caractérisé par des transgressions de l'espace et du temps. Ainsi, nous arrivons juste à la frontière de la transcendance, au-delà de laquelle toute assertion humaine ne peut plus être que mythologique.
Tout le déroulement de l'individuation est dialectique, et que l'on appelle la « fin », c'est la confrontation du Moi avec le « vide » du centre. C'est la limite de toute possibilité d'expérience : le Moi comme point de référence de l'expérience se dissout. Mais il ne peut pas coïncider avec le centre, car nous serions alors sans conscience, ce qui veut dire que l'extinction du Moi est dans le meilleur des cas une approche sans fins. Et si le Moi attire à soi le centre, il perd l'objet (c'est l'inflation !).
Pour moi toute possibilité de connaIssance et d'assertion s'arrête à cette frontière, en raison de l'extinction du Moi. Le Moi ne peut plus que constater qu'il lui arrive quelque chose d'essentiel. Il peut émettre la supposition qu'il s'est heurté à une réalité plus grande et qu'il se sent impuissant en face d'une puissance supérieure ; qu'il ne peut plus connaître ; qu'il est donc, au cours de son processus d'intégration, parvenu à la conviction de son caractère limité, de même qu'antérieurement déjà il n'avait cessé de se heurter à la nécessité de tenir compte dans la pratique, de l'existence d'un archétype dont il ne pouvait se débarrasser en le niant. Le Moi est obligé de reconnaître l'existence de beaucoup de dieux avant de parvenir au centre, où nul dieu ne lui prête plus assistance contre un autre.
Or j'ai été frappé .. par le fait qu'à partir du moment .. où vous introduisez cette « réalité absolument ultime » destinée à remplacer mon concept descriptif du Soi par une abstraction vide en elle-même, l'archétype est de plus en plus coupé de son arrière-pIan dynamique et se change peu a peu en une formule purement intellectuelle. II est par là rendu inoffensif, et c'est ainsi que vous pouvez dire qu' « on peut fort bien Vivre avec » Vous négligez alors le fait que les archétypes qui se constellent et les situations qui en résultent deviennent de plus en plus numineux, parfois même se chargent d'une puissance démonique angoissante, et font que le risque de psychose se rapproche dangereusement. La matière archétypique qui afflue est celle dont sont faites les maladies mentales. Dans le processus d'individuation, le Moi est toujours au seuil d'une puissance supérieure inconnue qui menace de lui faire perdre pied et de démembrer la conscience. L'archétype n'est pas seulement une condition formelle de l'assertion, il est en même temps aussi quelque chose par quoi l'on est empoigné et que je ne saurais comparer à rien d'autre. En raison de la terreur qui accompagne cette confrontation, il ne me viendrait pas à l'idée de m'adresser à ce vis-à-vis constamment menaçant et fascinant en usant de la familiarité du « tu », bien que, de façon paradoxale, l'aspect de familiarité se présente aussi parfois. Tout discours sur une « réalité ultime », voire sur un au-delà de cette réalité, est anthropomorphisme ; et si quelqu'un en vient à estimer que lorsqu'il dit « Dieu » il a par là aussi exprimé Dieu lui-même, alors il a conféré à son vocable une puissance magique, c'est-à-dire qu'à la manière des primitifs il est incapable de faire la distinction entre son image verbale et la réalité. Il signera certes sans hésiter la phrase « Deus est ineffabilis », mais dans la phrase suivante il parlera de Dieu comme s'il en avait le pouvoir.
. Vous écrivez en effet, apparemment sans hésiter, que pour moi Dieu et le Soi sont une seule et même chose. Vous n'avez pas sans doute prêté attention au fait que je parle de l'image de Dieu et non de Dieu lui-même, parce que je parle de l'image de Dieu et non de Dieu lui-même, parce que de Lui je ne suis tout simplement pas en mesure de parler. Que vous n'ayez pas perçu cette distinction fondamentale, c'est plus qu'étonnant, c'est bouleversant ! . Je n'ai jamais pensé, en vérité, que quand je manie la structure psychique de l'image de Dieu, je tiendrais en main Dieu Iui-même. Je ne suis pourtant pas un fétichiste du verbe, et je ne pratique pas cette magie verbale qui consiste à croire que l'on pose, que l'on produit une réalité métaphysique par des incantations. .P.209
.Pour moi le nom n'a guère d'importance, mais la conception qui s'y rattache en a d'autant plus. Vous semblez penser que je prends plaisir à m'ébattre dans un cirque peuplé de figures archétypiques que je tiens pour des réalités ultimes et qui m'empêchent de voir l'ineffable. Elles jouent certes un rôle conducteur, mais aussi séducteur ; dans quelle mesure je conserve une distance critique en face d'elles, vous pouvez le voir dans Réponse à Job, où je soumets l'assertion archétypique à une critique « blasphématoire » comme vous dites. Si vous considérez que la critique des anthropomorphismes mérite toutes les pires épithètes, cela prouve tout justement combien vous êtes lié par la magie des mots à ces structures psychiques.
15 juin 1955
. Le « Soi » est ce dont nous pouvons constater l'existence par la psychologie. Nous faisons l'expérience de « symboles du Soi », qui ne peuvent être distingués des « symboles de Dieu ». Je ne peux pas démontrer que le Soi et Dieu sont identiques, bien qu'ils se manifestent pratiquement comme tels. L'individuation est bien entendu en dernier ressort un événement religieux qui requiert une attitude religieuse appropriée = la volonté du Moi se soumet à la volonté divine. C'est pour éviter de provoquer des contresens superflus que je dis « Soi » au lieu de Dieu. C'est plus juste aussi au niveau empirique. P.211
29 juin 1955
. tout d'abord l'identité de XP avec l'archétype du Soi dans le sens que c'est le XP lui-même qui est l'archétype. Je ne peux pas prouver cette identité d'une personnalité historique avec l'archétype psychique. C'est pour cela que je m'arrête à la constatation, qu'en Occident on a vu cet archétype ou cette « image de Dieu » en XP, en Orient en Bouddha ou en forme du Tao ( ce dernier n'est pas une personnification, mais une hypostase métaphysique ). En ces trois formes concrètes nous est apparu l'archétype du Soi. Puisqu'il représente le centre du Tout, on peut l'appeler « vas mysticum » rempli du S. Spiritus servator mundi. Par cette formule symbolique la nature psychologique de cet archétype serait caractérisée d'une manière entièrement satisfaisante, si l'on pouvait admettre la nature paradoxale du Saint Esprit comme celle de l'auteur des choses. Tant qu'on lui attribue la faculté d'engendrer dans la matière il est inévitable qu'on lui donne aussi une nature capable de toucher l'être matériel, cela veut dire, un aspect chthonique comme les philosophes alchimistes l'ont fait, sans cela il ne pourrait pas influencer la physis. Ce sont d'ailleurs des considérations métaphysiques en dehors de mon domaine empirique. Mais quand vous les prenez pour ce qu'elles sont, c'est-à-dire pour des qualifications psychologiques, ma formule semble parfaitement applicable.
2 janvier 1957
. En ce qui concerne la question de l'incarnation, l'idée d'une descente de Dieu dans la nature humaine est exactement ce que l'on appelle un mythologème. Ce que nous pouvons découvrir empiriquement comme fondant cette image, c'est le processus d'individuation, dans lequel se précise l'obscure intuition d'un être humain plus grand que nous. L'inconscient lui-même use pour caractériser cet être des mêmes symboles que pour la divinité, d'où nous pouvons conclure que cette figure doit correspondre à l'Anthropos, en d'autres termes au Fils de Dieu ou à la concrétisation de Dieu sous la forme d'un homme. L'homme plus grand (le Soi) ne devient pas identique à l'homme empirique de telle façon que le Moi serait en quelque sorte remplacé par le Soi. Le Soi devient seulement un facteur de détermination et, s'il semble devenir conscIent, il ne subit pas pour autant de limitation mais reste une donnée idéelle, c'est-à-dire la simple représentation d'une réalité dont l'essentiel est caché dans un arrière-plan ténébreux, de même que nous nous représentons aussi que, malgré la création et l'incarnation, la divinité subsiste dans sa totalité originelle illimitée. [.]
25 septembre 1957
La difficulté de cette question, c'est : « dans notre propre personnalité ». « Le Christ », cela peut être une réalité extérieure (historique et métaphysique ) ou une image archétypique, une idée archétypique dans l'inconscient collectif, qui font allusion à un arrière plan inconnu. Je verrais dans le premier cas, pour l'essentiel, une projection, mais non pas dans le second, parce qu'il présente une évidence immédiate. La projection ne se fait sur rien, et donc il n'y a pas de projection. Il faut seulement préciser que la « foi » en le Christ est différente de la foi en quiconque d'autre, parce que dans ce cas, « le Christ » étant immédiatement évident, le mot « foi », qui implique ou évoque la possibilité du doute, est trop faible pour caractériser cette présence puissante à laquelle on ne peut échapper. Un général peut dire à ses soldats : « Vous devez croire en moi », parce que l'on pourrait douter de lui. Mais on ne peut pas dire à un homme qui gît, blessé, sur le champ de bataille : « Tu devrais croire que cette bataille est réelle » ou : « Sois assuré que c'est à l'ennemi que tu as affaire. » C'est tout simplement trop évident. Même le Jésus historique s'est mis à parler de « foi » parce qu'il voyait que ses disciples n'avaient pas de preuve immédiate. P.213 N'en ayant pas, ils en étaient réduits à croire, alors que lui-même, ne faisant qu'un avec Dieu, n'avait pas besoin de « croire en Dieu ».
Comme on identifie d'habitude la « psyché » à ce que l'on sait d'elle, on pose en principe que l'on peut qualifier de non psychiques certaines entités métaphysiques, dont on admet l'existence ou en lesquelles on croit. En tant qu'homme de science conscient de ses responsabilités, je ne suis pas en mesure de porter un tel jugement, car tout ce que je sais sur les phénomènes religieux courants semble indiquer qu'ils sont des événements psychiques. De plus, je ne connais pas toute l'étendue de la psyché, parce qu'il y a l'espace illimité de l'inconscient. « Le Christ » est sans aucun doute une image Archétypique (ici je n'ajoute pas « seulement » une image) et c'est en réalité tout ce que je sais de lui. En tant que tel il fait partie du fondement ( collectif) de la psyché. C'est pourquoi je l'identifie avec ce que j'appelle le Soi. Le Soi règne sur l'ensemble de la psyché. Je pense que pour l'essentiel nos vues ne sont pas différentes. Ce qui fait problème pour vous, semble-t-il, c'est seulement cette dévalorisation théologique .. de la psyché, que vous paraissez considérer en dernière analyse comme définissable.
Si j'ai raison d'identifier le Christ à l'archétype du Soi, alors il est une complexio oppositorum ou devrait l'être. Du point de vue historique, il n'en est pas ainsi. C'est pourquoi j'ai été extrêmement surpris lorsque vous avez déclaré que le Christ portait en lui les contraires. Entre mon affirmation et le Christ historique, il y a l'abîme béant et profond du dualisme chrétien - le Christ et le diable, le bien et le mal, Dieu et la création.
« Par-delà le bien et le mal », cela veut simplement dire que nous ne portons pas de jugements de valeur morale. Mais dans les faits rien ne change. Même chose quand nous affirmons que quoi que Dieu fasse, ou qu'il soit, c'est bon. Comme Dieu fait tout (même l'homme, qu'il a créé, est son instrument), tout est bon, et la notion de « bien » a perdu son sens. Le « bien » est une notion relative. Il n'y a pas de bien sans mal. [.]
Si !'on peut concevoir Dieu comme une complexio oppositorum accomplie, alors il en va de même du Christ. Je peux tout à fait me rallier à votre façon de voir le Christ ; simplement, il ne s'agit pas là de la vision traditionnelle, mais d'une vision très moderne, qui est sur la voie de cette interprétation nouvelle qu'il faut souhaiter. Je suis également en accord avec votre compréhension du Tao et de ce qui l'oppose au Christ, qui représente en fait le paradigme de la réconciliation des contraires divins dans l'homme, induite par le processus d'individuation. C'est ainsi que le Christ est l'équivalent du Trésor et du « bien suprême ».
Comme le Christ n'a jamais signifié pour moi plus que je ne pouvais comprendre de lui et que cette compréhension coïncide avec le savoir empirique que j'ai du Soi, je dois reconnaître que c'est le Soi que j'ai en tête lorsque je m'occupe de l'idée du Christ. Au demeurant, je n'ai pas d'autre accès au Christ que le Soi, et comme je ne connais rien qui soit au-delà du Soi, je m'en tiens à cet archétype. Je me dis : « Voilà l'archétype, vivant, tangible, qui a été projeté sur l'homme Jésus ou s'est manifesté par lui dans l'histoire. » Si cet archétype collectif n'avait pas été associé à Jésus, celui-ci serait resté un zaddik (un juste en Hébreu) anonyme. En fait, je préfère la notion de « Soi » parce que je m'adresse à des hindouistes aussi bien qu'à des chrétiens, et que je ne veux pas séparer, mais établir des liens.
. pour moi toute affirmation métaphysique est liée à un certain sentiment de malhonnêteté - on a le droit de spéculer, certes, mais pas d'émettre des affirmations. On ne peut pas s'élever au-dessus de soi-même, et lorsque quelqu'un nous assure qu'il peut se dépasser lui-même et dépasser ses limites naturelles, il va trop loin et manque à la modestie et à la vérité.
. Je ne suis pas en mesure de me représenter quoi que ce soit au-delà du Soi, étant donné qu'il est -de par sa seule définition déjà - une représentation limite figurant la totalité inconnue de l'être humain. Il n'y a pas la moindre raison pour que l'on doive, ou ne doive pas, nommer le Soi transcendant Christ, ou Bouddha, ou Purusha, ou Tao, ou Khider (« Le Vert », figure légendaire de l'islam : initié devenu immortel après avoir atteint la Source de Vie), ou Tifereth (« La splendeur » Le 6ème des dix séphirots .. figure de l'Anthropos ), toutes ces notions peuvent être identifiées comme des formulations de ce que je nomme le « Soi ». .P.215
18 juin1958
. Pour répondre à votre question : « Comment le Soi a-t-il été découvert ? », je dois avouer que c'est mon éditeur américain qui a trouvé ce titre. Je n'y aurais jamais pensé, car le Soi n'est pas à proprement parler à découvrir, il est plutôt ignoré ou mécompris ; mais il semble bien que pour le public américain cette formule ait été la bonne. Le Soi est connu dans la philosophie orientale ancienne et moderne. La philosophie zen est même fondamentalement basée sur la connaissance du Soi. En Europe .. Maître Eckhart est un des premiers à faire jouer au Soi un rôle important. Quelques uns des grands alchimistes allemands ont repris cette idée après lui et l'ont transmise à Jakob Böhme, à Angelus Silesius et d'autres esprits apparentés.
Le Faust de Goethe a presque atteint le but de l'alchimie classique, mais malheureusement sans en arriver à l'ultime conjunctio, puisque Faust et Méphistophélès n'ont pas réalisé leur unité.
La seconde tentative, celle du Zarathoustra de Nietzsche, resta un météore qui ne rejoignit jamais la terre, puisque le conjunctio oppositorum n'eut pas lieu, et surtout ne put avoir lieu. Au cours de mes études psychiatriques et psychologiques je ne pus que tomber sur cette inévitable question et je me mis donc à mon tour à parler du Soi.
Depuis près de 1900 ans on nous a enjoint et enseigné de projeter le Soi sur le Christ et ce fut là un moyen très simple de l'éloigner de l'homme empirique, pour le plus grand soulagement de ce dernier puisque dès lors lui était épargnée l'expérience du Soi, c'est-à-dire l'unio oppositorum. II a même le grand bonheur de ne pas savoir le sens de ce terme.
10 mars 1959
La question « an creator sibi consciens est ? » (Le créateur est-il conscient de lui-même ?) n'est en rien une « idée plaisante » mais une expérience très douloureuse aux conséquences presque imprévisibles, à propos de laquelle il n'est guère facile d'argumenter. Si par exemple quelqu'un projette le Soi, c'est un acte inconscient, puisque nous savons par expérience qu'une projection ne se produit jamais que dans l'inconscience.
Par « incarnatio » on entend au premier titre la naissance de Dieu dans le Christ, et donc, du point de vue psychologique, la réalisation du Soi comme quelque chose de nouveau, qui n'avait pas encore d'existence jusqu'alors. L'homme qui avait été créé auparavant est une « créature », bien qu'il soit « à l'image de Dieu », et l'idée de la «filiatio » et du « sacrificium divinum » n'est alors pas explicitement présente. Il s'agit, comme vous le dites, d'une « nouvelle expérience ». . P.217
21 décembre 1960
. Il va de soi qu'il est à peine possible pour la conscience de se mettre dans un rapport conscient avec l'anthropos, c'est-à-dire avec le Soi naturel. Il s'agirait alors en effet .. d'un élargissement de la conscience du Moi jusqu'au transcendant, qui, par définition déjà - pour ne rien dire de l'expérience empirique - dépasse la capacité de conscience.
Il ne fait pour moi pas l'ombre d'un doute que la figure alchimique de Mercure constitue au Moyen Age une tentative pour compenser celle du Christ. .. l'une comme l'autre de ces figures ni leur synthèse ne peuvent être représentées sur un mode abstrait et intellectuel ; car il s'agit d'une totalité vivante dont nous ne pouvons donner de représentation avec les moyens de notre conscience. Cela requiert en effet non seulement toutes nos possibilités d'expérience et de représentation mais aussi la participation vivante de cette figure Mercure-Christ elle-même, c'est-à-dire - en termes symboliques - d'un influxus divinus, lequel saisit notre vie toute entière et pas seulement nos prétendues forces spirituelles, qui restent enfermées dans les limites de l'intellect, de l'intuition et du sentiment. Comme le disaient justement les alchimistes « ars requirit totum hominem ». Or notre conscience n'est jamais le tout.
L'appréhension par la conscience peut être considérée seulement comme une approximation du tout. La pensée abstraite ne peut nous conduire au-delà d'élucubrations conceptuelles, qui toujours sont utilisées comme des moyens de défense ou de fuite et qui par là même ont la vertu d'empêcher la réalisation de la totalité.
Là où nous cessons de procéder par nous-mêmes de façon active, nous subissons l'activité, et alors nous ne sommes plus la main qui brandit le marteau mais ce marteau brandi par elle, ou tout autre instrument qui ne se gouverne pas lui-même. Du fait que l'homme a la relative liberté de choisir les chemins qu'il emprunte, il est aussi libre de s'engager sur le mauvais chemin et, au lieu de se confronter à la réalité de son inconscient, de se mettre à spéculer à ce propos en s'éloignant de la réalité de la nature. Je ne nourris donc aucun espoir philosophique. Si une moitié de la vérité est bien entre les mains de l'homme, l'autre moitié est entre les mains de celui qui est plus grand que nous. Dans le premier cas nous pouvons être actifs, mais dans le second cas nous sommes inévitablement passifs, c'est-à-dire que nous subissons. Aucune philosophie ne peut ici nous venir en aide, elle ne peut que nous abuser ; le déplorable vide spirituel que nous vivons aujourd'hui ne saurait être rempli par des mots mais seulement par notre engagement total, c'est à dire, en termes mythologiques, par le libre sacrifice de nous-mêmes ou du moins par notre disposition à accepter un tel sacrifice. Nous ne sommes en effet même pas en mesure de déterminer la nature de ce sacrifice. La décision revient à l'autre partie.
Le processus d'individuation, c'est-à-dire le fait de devenir un tout, comprend par définition la totalité du phénomène humain et la totalité de l'énigme de la nature, dont la séparation en aspects physiques et aspects psychiques répond simplement à une distinction opérée pour les besoins de la connaissance humaine.
V Les religions naturelles
VI Les religions orientales
VII Le judaïsme
VIII Le Christ et le christianisme
IX Les religions instituées
X La gnose et l'alchimie
XI Le problème du mal
Le 6 novembre 1915
. le problème de la résistance à la compréhension ..Birgitta de Suède Au cours d'une vision, le diable lui est apparu, il parlait avec Dieu et disait ceci sur la psychologie des diables :
« Si leur ventre est tellement gonflé, c'est que leur avidité s'est déployée sans mesure, car ils se sont gavés sans jamais se rassasier, et leur avidité était si grande que, s'ils avaient pu y arriver sans aide, ils n'auraient pas hésité à faire l'effort de conquérir le monde tout entier et en plus ils auraient bien voulu gouverner dans les cieux. Moi aussi, j'ai cette même avidité. Car si je pouvais attirer à moi toutes les âmes qui sont dans le ciel et sur la terre et au purgatoire, j'aimerais m'en saisir. »
Le diable est donc le dévoreur. Comprendre =comprehendere .. c'est aussi engloutir. La compréhension avale. Mais on ne doit pas se laisser avaler quand on n'a pas l'intention de jouer le rôle du héros, à moins bien sûr d'être vraiment un héros capable de terrasser le monstre de l'intérieur. . Le désir de comprendre, qui paraît si moral et si universellement humain, dissimule une volonté diabolique qui, si elle ne m'est pas d'abord sensible à moi-même, l'est cependant à l'autre. La compréhension est un pouvoir qui enchaîne affreusement, à la limite un véritable meurtre de l'âme, dès qu'elle fait disparaître des différences vitales. Au cour de tout individu est un mystère de vie qui s'éteint lorsqu'il est « saisi ». C'est pourquoi les symboles eux aussi demandent à garder leur mystère ... La compréhension « analytique » produit chez les malades un effet destructeur bénéfique de la même manière qu'un produit caustique ou un thermocautère. Mais sur des tissus sains, son action destructrice est funeste. C'est en effet une technique que nous avons apprise du diable, toujours destructrice, utile pourtant là où il est nécessaire de détruire. . Toute compréhension, quelle qu'elle soit, qui se contente de rattacher à des points de vue généraux, porte en elle cet élément diabolique et s'avère mortelle. Elle arrache la vie de l'autre à la voie qui lui est propre, l'entraîne de force dans un monde étranger où elle ne peut vivre. C'est pourquoi nous devons, au dernier stade de l'analyse, aider les gens à accéder aux symboles cachés et inviolables, qui renferment le germe comme la coquille dure renferme la graine tendre. C'est là qu'il ne doit vraiment pas y avoir de compréhension, pour ainsi dire même pas lorsque celle-ci serait possible. Mais quand, en ce point, la compréhension est généralement et manifestement possible, alors le symbole est mûr pour la destruction, car il ne protège plus le noyau qui menace en effet de déborder de la coquille. Je comprends maintenant un rêve que j'ai eu un jour et qui m'a fait une forte impression : « J'étais dans mon jardin et j'avais fait jaillir une source abondante qui s'élançait en bouillonnant. Je fus alors obligé de creuser un fossé et un trou profonds dans lesquels je recueillis toutes les eaux pour les ramener vers les profondeurs de la terre. » C'est pourquoi le salut nous est donné dans le symbole inviolable et inexprimable qui empêche le diable d'engloutir la semence de vie. C'est là que réside le caractère menaçant et dangereux de l'analyse, dans le fait même qu'apparemment l'homme est compris : le diable dévore son âme qui est nue et découverte, dépouillée de son enveloppe protectrice, comme un enfant nouveau-né. C'est le dragon, le meurtrier, qui menace toujours le fils de Dieu qui vient de naître. Il faut le protéger à nouveau contre la « compréhension» de l'humanité.
La véritable compréhension cependant paraît être ce que l'on ne comprend pas, et qui pourtant existe et agit. Jadis, lorsque Saint Louis rendit visite incognito à Saint Gilles et que ces deux hommes qui ne se connaissaient pas s'aperçurent, ils tombèrent à genoux l'un devant l'autre et s'embrassèrent - et « n'échangèrent pas un seul mot ». Leurs dieux se reconnurent et leur humanité suivit. Nous devons comprendre le divin qui est en nous, mais pas l'autre, dans la mesure où celui-ci est capable de marcher et de comprendre lui-même. Nous devons comprendre le malade, car il a besoin de la thérapeutique caustique. On devrait se féliciter d'être aveugle aux mystères de l'autre, car cela nous empêche de commettre des violences diaboliques. Chacun doit être au courant de ses propres mystères mais se voiler pudiquement la face devant le mystère de l'autre, dans la mesure où celui-ci n'a pas besoin de « compréhension » à cause de son incapacité. [.] . 425
Le 9 mars 1937
.. thèse de doctorat sur le péché . je dirais que seul le bon Dieu peut en décider, comme il est dit d'ailleurs sans ambiguïté possible dans les Actes des Apôtres. Tout le reste n'est qu'une législation humaine dans toute sa relativité temporelle. L'humanité n'aurait jamais parlé de péché ni de rémission des péchés si cela n'était un fait psychologique tout à fait fondamental qui existait avant toute législation. Le problème de l'écart par rapport à la volonté des dieux préoccupait déjà l'humanité dans les temps primitifs. Si l'on prend le terme de « péché » dans ce sens, le « vieil homme » a beaucoup à dire sur ce sujet. Mais ce sens est beaucoup plus global et, d'une certaine façon, plus incroyable que toute législation humaine.
Le 3 mai 1939
. Chez des hommes normaux, la fonction transcendante s'exerce uniquement dans l'inconscient qui tend sans cesse à l'établissement d'un équilibre psychique. .Il y a suffisamment de cas normaux dans lesquels apparaît soudainement, dans certaines conditions, un caractère contraire à la personnalité consciente, si bien qu'un conflit naît entre les deux.
Prenez par exemple le cas classique de la tentation du Christ. On appelle diable l'être qui tente le Christ ; mais on pourrait aussi bien dire qu'il s'agit d'une volonté de puissance inconsciente se manifestant chez le Christ sous la figure du diable. Les deux faces apparaissent avec évidence : la face obscure et la face claire. Le diable veut amener Jésus à se proclamer maître du monde. Jésus ne veut pas céder à la tentation et ici apparaît, grâce à la fonction ( transcendante) résultant de chaque conflit, un symbole : l'idée du royaume des cieux, du royaume spirituel, qui prend la place du royaume matériel. Deux choses sont unies dans ce symbole : le point de vue spirituel du Christ et le désir diabolique de puissance. C'est pourquoi la rencontre du Christ avec le diable est un exemple classique de la fonction transcendante. Elle apparaît ici comme une expérience personnelle spontanée. Mais elle peut aussi être une méthode lorsqu'on cherche, à l'aide des rêves et d'autres manifestations de l'inconscient, à reconnaître la volonté contraire inconsciente. La personnalité consciente est alors confrontée à la position opposée de l'inconscient. Le conflit quI en résulte conduit - grâce à la fonction transcendante - à un symbole unissant les points de vue contraires. On ne peut choisir ou construire le symbole de manière consciente ; c'est une sorte d'intuition ou de révélation. La fonction transcendante n'est donc qu'en un sens méthode, en un autre elle est expérience spontanée.
Seules, bien sûr, font ces expériences des personnes n'ayant aucune conviction religieuse solidement établie. Dans le cas d'une foi clairement définie, on dispose de représentations bien déterminées à partir desquelles on peut choisir un symbole. De cette façon, le conflit peut être évité ou, plus exactement, le contraire n'apparaît pas puisqu'il est recouvert par une image dogmatique (le Christ par exemple ). Il n'y a donc, dans l'âme P.427 d'un homme ayant des convictions religieuses déterminées, aucune trace d'une fonction transcendante. L'expression « fonction transcendante » caractérise précisément le passage d'un état à un autre. L'homme tenu par une conception religieuse ne l'abandonne pas, il garde sa conviction - qu'il lui faut d'ailleurs garder. Dès que naît un conflit, il est réprimé ou dissipé par une représentation religieuse profondément ancrée. C'est pourquoi on ne trouve la fonction transcendante que chez ceux qui ont perdu leur conviction religieuse première ou n'en ont jamais eu et qui, par conséquent, sont directement confrontés à leur inconscient. C'est le cas du Christ .
. Après avoir conclu le pacte avec le diable, Faust subit une série de transformations qui sont représentées par des figures symboliques .
. La fonction transcendante n'est en rien quelque chose que l'on crée soi-même, elle naît au contraire lorsqu'on endure le combat qui a lieu entre les contraires. .
Une représentation sémiotique ne peut être changée en un symbole car le « semeion » n'est autre qu'un signe dont on connaît exactement le sens, alors que le symbole est une image psychique qui exprime quelque chose d'inconnu. Le symbole a d'une certaine façon, une vie propre ; il guide une personne et lui facilite la tâche, mais il ne peut être inventé ou construit car c'est une expérience qui ne dépend pas de notre volonté.
2 novembre 1944
. Ce qui m'a toujours frappé à propos du problème du mal et de la puissance, c'est que « Macht » (puissance) vient de « machen » (faire)* : et comme « machen » est une activité spécifique à la vie humaine, on peut éventuellement en conclure que c'est précisément cette extériorisation caractéristique de la vie humaine qui porte le caractère du mal et que l'anthropos est donc en fait Lucifer. ...
31 décembre 1949
... « Que chacun se considère comme l'artisan de ce qu'il y a en lui de mauvais. » (Basile le Grand)
Le mal résulte d' .. « états dans l'âme. » et il est donc .. « pas une entité vivante. » Son origine est .., la négligence et la faute, qui sont manifestement « un non-être », une non-réalité, car seulement psychiques Et il en va de même encore aujourd'hui : ce dont on voit l'origine dans une idée qui vous vient, ou dans un fantasme, se dissout .. en néant. Mais je crois quant à moi fermement à « L'être »,la réalité de la psyché. ...
Tous, sans exception, passent à côté du fait que bien et mal sont les deux moitiés équivalentes d'un jugement logique. Tous omettent aussi de prendre en considération l'éternité du diable, de l'enfer et de la damnation, qui ne sont assurément pas « Un non-être », une non-réalité et qui ne sont pas bons non plus ...
Cette histoire de la privatio boni, je la déteste à cause de ses dangereuses conséquences : elle provoque une inflation négative ( La doctrine omne malum ab homine - .. attribue à l'homme le rôle d'un antagoniste de Dieu à l'égale puissance.) chez l'homme, qui ne peut faire autrement que se considérer, sinon comme la source du mal, du moins comme un grand destructeur, capable de dévaster la magnifique création de Dieu. Cette doctrine mène à une infatuation luciférienne, et elle est dans une grande mesure responsable de la funeste dépréciation de l'âme humaine, qui apparaît comme l'origine et le séjour du mal. Elle se voit conférer une importance monstrueuse - et pas un mot sur le point de savoir à qui doit imputée la présence du Serpent au paradis !
Quand, je m'occupe de la question du bien et du mal, ça n'a rien à voir avec la métaphysique. Pour moi, il s'agit d'un problème de psychologie. Je n'énonce pas d'affirmations métaphysiques, et au fond de moi-même non plus je ne suis pas néo-manichéen ; au contraire, je suis profondément convaincu de l'unité du Soi telle qu'elle ressort de la symbolique des mandalas. Mais le dualisme rôde dans l'ombre de la doctrine chrétienne : il n'y aura pas de rédemption du diable, et la damnation éternelle, n'aura pas de fin. ...
Aussi longtemps que le mal est « Un non-être », une non-réalité, personne ne prend jamais l'ombre au sérieux. On continuera de penser qu 'HitIer et Staline ne représentent qu'un « défaut contingent de perfection ». L'avenir de l'humanité dépendra dans une grand mesure de la connaissance qu'elle acquerra de l'ombre. Le mal est - en tenues de psychologie - d'une effrayante réalité. C'est une erreur fatale que de minimiser sa puissance et sa réaIité - quand ce ne serait qu'au sens métaphysique. Je suis désolé, mais cette question remonte aux racines mêmes du christianisme. Le mal ne devient pas moindre, en vérité, lorsqu'il est maquillé en non-réalité ou en simple faute commise par l'homme. Le mal était là avant l'homme, quand sa responsabilité ne pouvait absolument pas être engagée. Dieu est le mystère des mystères, un véritable tremendum. Le bien et le mal sont, psychologiquement, relatifs l'un à l'autre et en ce sens pleinement réels, et pourtant on ne sait pas ce qu'ils sont en eux-mêmes. C'est la raison pour laquelle il ne faut pas les projeter sur un être transcendant. C'est ainsi seulement que l'on peut évitera le dualisme manichéen, ... P.431 .
« Et là où un homme est seul avec lui-même, je le dis : je suis avec lui. »
12 mai 1950
.. Votre pensée métaphysique affirme .., ma pensée doute, c'est-à-dire elle n'envisage que de donner de noms à des .. Réalités, insuffisemment connues. C'est là probablement la raison pour laquelle vous êtes en mesure d'intégrer une ombre en tant que (néant) alors que moi je ne peux assimiler que ce qui a nature de substance ; car pour la pensée « affirmative », le « non-existant » est tout autant un « ens » ou « öv » que l' « existant », c'est-à-dire le conceptuellement existant. Vous vous mouvez dans l'univers du connu, et moi je suis dans le monde de l'inconnu. C'est probablement la raison pour laquelle l'inconscient se transforme pour vous en un système de concepts abstraits. L'anima vous empêche de voir.
Puisque dans le cas d'un vrai météore ( et non dans celui du lumen naturae) le frottement accroît la luminosité, vous ne devriez pas négliger les divergences d'opinion. Je suis, moi, pleinement conscient de ces divergences.
9-14avril1952
La privatio boni. P.433 .. dans les limites de notre univers empirique, le bien et le mal constituent les deux moitiés d'un Jugement logique, comme blanc et noir, droit et gauche, haut et bas, etc. Ce sont des contraires équivalents, qui sont naturellement toujours relatifs à la situation de celui qui porte le jugement, qu'il s'agisse d'une personne ou d'une loi. Nous ne sommes pas en mesure de déterminer empiriquement l'existence d'un absolu ; .
Et pourtant nous sommes contraints (mus en cela par les archétypes) d'exprimer de semblables formulations. C'est le cas pour les affirmations religieuses ou métaphysiques, comme par exemple la Trinité, la naissance virginale .. une de ces affirmations concerne le summum bonum et la privatio boni qui en découle. (La conception de Dieu comme summum bonum ( « bien suprême ») était d'après Jung « à l'origine de cette notion de la privatio boni, qui anéantit la réalité du mal ».) D'un point de vue logique, cette dernière est tout aussi impossible que la Trinité. C'est pourquoi « prorsus credibile quia ineptum » (.ce qui est vraisemblable justement en raison de son absurdité) est une affirmation imprégnée de véritable religiosité. La grâce divine est archétypique, tout comme le mal démoniaque ou le danger démoniaque. Même si vous savez que votre jugement est parfaitement subjectif et relatif, vous êtes contraint au moins douze fois par jour à de telles affirmations subjectives. Et si vous êtes un esprit religieux, vous parlerez en faisant usage de notions qui sont des impossibilités. Je n'oppose pas d'arguments à ces faits ; je conteste simplement que la privatio boni soit une affirmation logique, mais je veux bien reconnaître qu'il s'agit apparemment d'une vérité « métaphysique », reposant sur un « fondement » archétypique.
Nous ignorons tout simplement comment les contraires se réconcilient ou s'unissent en Dieu. Nous ne pouvons pas comprendre non plus comment ils s'unissent dans le Soi. Le Soi est transcendant à la conscience, il n'est que partiellement conscient. Empiriquement, il est bon et mauvais. Les « actes divins » ont, eux aussi, des aspects contradictoires. Ainsi une conception de la théologie selon laquelle Dieu doit être ou bon ou mauvais n'est pas justifiée. Dieu est transcendant à la conscience, tout comme le Soi, et n'est donc soumis à aucune logique humaine.
L'homme se représente les puissances suprêmes soit comme moralement neutres, soit - et c'est plus fréquent - comme bonnes plutôt que comme mauvaises. Du point de vue archétypique, la balance penche un peu plus, très faiblement il est vrai, du côté positif. C'est compréhensible : il faut bien qu'il y ait une sorte d'équilibre, sinon le monde ne pourrait continuer d'exister.
La grande difficulté semble résider en ceci que, d'une part, nous avons à préserver le point de vue du bon sens et de la logique, et que, d'autre part, il nous faut bien reconnaître l'existence de facteurs irrationnels, échappant à toute logique et dépassant nos possibilités de compréhension, et en tenir compte. Il nous faut les aborder aussi rationnellement que possible, même s'il n 'y a aucun espoir de pouvoir jamais les comprendre. Dans la mesure où nous ne pouvons pas les saisir rationnellement, il nous faut leur trouver une expression symbolique. Pris à la lettre, un symbole est presque toujours une impossibilité. Je dirais donc que la privatio boni est une vérité symbolique reposant sur des fondements archétypiques et qu'elle est rationnellement tout aussi peu défendable que la naissance virginale.
30 avril 1952
La privatio boni semble faire problème. J'ai eu iI y a queIques jours un intéressant entretien avec un père jésuite de Munich . Il reconnaissait la difficulté de celle-ci, mais ajoutait que l'interprétation moderne voyait dans « le mal » une « désintégration » ou une « décomposition du bien ». Si, comme le fait P.435 l'Église, on hypostasie le concept ou l'idée du bien et si on lui attribue une valeur métaphysique en faisant de lui une substance , (c.à.d. bonum = esse ou en possession de l'esse ), alors le terme de « décomposition » est effectivement la formulation appropriée, et celle-ci se révèle satisfaisante également du point de vue psychologique, dans la mesure où le bien évoque toujours une volonté positive, une synthèse dans le sens de l'aboutissement synergique de multiples tentatives isolées, tandis que, par le mal, on se représente une chute dans l'abîme ou quelque chose qui est en train de se décomposer. Appliqué à la comparaison que vous faites avec le bon ouf, ceci voudrait dire que, par la décomposition, l'ouf sain deviendrait un mauvais ouf et pourtant un ouf mauvais ou gâté ne se caractérise pas seulement par un amoindrissement de ses qualités positives, car il possède ses qualités propres, qui ne sont pas celles de l'ouf sain. Il produit entre autres de l'H2S, .. développé à partir du complexe albuminoïde de l'ouf sain, ce qui prouve à l'évidence la thèse selon laquelle le mal naît du bien.
La notion de « décomposition » est donc tout à fait satisfaisante dans la mesure où elle reconnaît que le mal participe de l'être au même titre que le bien, car l'H2S n'est pas moins concrètement réel que l'albumine. . Mais qu'en est-il alors de la privatio boni ? Conformément à sa définition, le bien doit être entièrement bon jusque dans ses particules les plus infimes. On ne peut pas dire qu'un bien en quantité réduite serait mauvais. Même si l'on divise un bien en fragments minuscules chacun de ces fragments reste bon et aussi comestible qu'une miche de pain que l'on coupe en petits morceaux. Mais si le pain se gâte, il s'oxyde, et sa substance originelle se modifie. Des acides prennent la place des hydrates de carbone nourrissants, ce qui veut dire que quelque chose de mauvais se développe à partir d'une substance bonne. La théorie de « décomposition » permet de conclure que le summum bonum serait capable de se décomposer et de produire de l'H2S, c.à.d. la puanteur infernale typique. Le bien serait donc corruptible, il posséderait la faculté latente de dégénérer. L'existence d'une telle possibilité signifierait tout simplement que le bien porte en lui une tendance à se métamorphoser en mal. Voilà une confirmation parfaite de ma conception hérétique. .. je n'ai pas besoin d 'hypostasier le bien et le mal. Ce ne sont pas pour moi des réalités absolues. Mais seulement des jugements psychologiques ; je n'ai, en effet, aucun moyen de constater leur existence en tant que réalités métaphysiques. Je ne conteste pas qu'il soit possible de croire à leur réalité absolue et à la suprématie du bien sur le mal. Qui plus est, je tiens compte du large consensus qui existe au sujet de cette croyance, et qui doit être fondé sur de sérieuses raisons. . (voir Aïon) Mais si l'on tente d'étayer une croyance au moyen d'arguments logiques ou rationalistes, on peut être pris au piège de son argumentation ...
.. dans la pratique (thérapie), l'affirmation selon laquelle un acte mauvais recèle un peu de bien ne veut rien dire du tout : (.) car ici il n'est pas possible de nier .. ''L'être ; la réalité'' du mal. Sur le plan métaphysique ou dans la réalité métaphysique, on est libre d'expliquer ce que l'on définit comme le « substantiellement mauvais » par un moindre bien. Mais cela me semble avoir peu de sens. Dieu est dit être souverain sur le mal ; mais si le mal est un ùn öv, il n'est alors souverain sur rien du tout, pas même sur le bien, car en tant que summum bonum, il n'a créé lui-même que des choses bonnes, qui accusent néanmoins une tendance prononcée à la corruption. En outre, ni le mal ni la corruption ne proviennent de l'homme, puisque le serpent était là avant lui. Donc ..d'où vient le mal ??? La réponse est forcément : d'un point de vue métaphysique, le mal n'existe pas ; il n'existe que dans le monde des humains, et il provient des humains. Mais cette assertion est contredite par le fait que le paradis n'a pas été créé par l'homme. Il fut le dernier à y entrer, et ce n'est pas lui qui a crée le serpent. Si même le plus bel ange de Dieu, Lucifer, a une telle nostalgie de la corruption, il faut bien qu'il y ait en lui un manque considérable de qualités morales - tout comme en Jahvé, qui est plein de zèle pour exiger de la morale tout en étant lui-même injuste. Rien d'étonnant, dans ces conditions, à ce que sa création porte l'empreinte du mal.
La doctrine de l'Eglise reconnaît-elle les insuffisances morales de Jahvé ? Si tel est le cas, alors Lucifer n'est que le reflet de son créateur ; sinon, qu'en est-il du Psaume 89, etc.? Les faits bibliques attestent le comportement amoral de Jahvé. On ne peut pas s'attendre à ce qu'un univers parfaitement bon P.437 sorte des mains d'un créateur moralement ambigu, qui ne sait pas même créer des anges parfaitement bons.
Je sais que les théologiens disent toujours qu'il faut s'incliner devant la grandeur, la majesté et la bonté du Seigneur, et qu'il ne faut absolument pas poser de questions. Je ne refuse pas de m'incliner devant la grandeur terrible de Dieu, mais je me considérerais comme un lâche et comme un être amoral, si je me laissais impressionner au point de ne plus oser poser de questions.
.. la doctrine de la privatio boni est moralement dangereuse, car elle réduit et déréalise le mal, et, ce faisant, elle diminue également le bien, car elle le prive de son indispensable contraire : il n 'y a pas de blanc sans noir, pas de droite sans gauche, pas de haut sans bas, pas de chaud sans froid, pas de vérité sans erreur, pas de lumière sans ténèbres, etc. Si le mal est une illusion, alors le bien l'est nécessairement aussi. .Les Jugements de valeur moraux, formulés en termes d'oppositions, sont une nécessité du point de vue de la théorie de la connaissance. Mais si on les hypostasie, il en résulte un Jahvé amoral, un Lucifer, un serpent, un homme pécheur et une création martyrisée. .
30 juin 1952
Avant toute chose, j'aimerais savoir si la doctrine de la privario boni a valeur de dogme ou de sententia communis. Dans ce dernier cas, me semble-t-il, une discussion serait permise, .. C'est dans cette perspective, en tout cas, que je l'ai entamée. Si, toutefois, il devait s'agir d'une vérité définie par le dogme et proclamée en tant que telle, je cesserais d'en discuter pour me mettre à réfléchir sur les raisons profondes de son existence, comme je l'ai toujours fait jusqu'à présent, dans les limites de mes possibilités.
Ce qui semble faire problème, c'est l'amalgame de deux notions incompatibles : celle du bien et celle de l'être. Si, comme moi, vous concevez le bien comme un jugement de valeur et non pas comme quelque chose qui existe en soi, alors le mal est son contraire, et il n'a pas davantage que le bien d'existence en soi. Mais si, pour vous, seul le bien est équivalent à l'être, alors le mal ne peut coïncider qu'avec le non-être. Dans ma perspective, qui est celle du point de vue empirique, P.439 le tertium quid est toujours l'observateur, c.à.d. celui qui produit le discours. L'exemple dont vous faites état, celui de la lumière et de l'obscurité, a une valeur toute subjective et relative, dans la mesure où vous identifiez la lumière au mouvement et l'obscurité à l'inertie, ou plutôt : la première à une plus ou moins grande vitesse de mouvement, la seconde à une inertie plus ou moins totale. Bien sûr, l'obscurité est une diminution de lumière, de même que la lumière est une diminution de l'obscurité. Dans ces conditions, c'est jouer avec les mots que d'affirmer que seul le bien est, c.à.d. possède de l'être, alors que mal en est dépourvu. Pour l'observateur, l'immobilité est tout aussi réelle que le mouvement. II ne serait même pas possible de constater l'existence du mouvement si on ne pouvait le comparer à l'immobilité.
Les choses sont très simples pour peu que l'on reconnaisse que le bien et le mal sont des jugements de valeur qui n'ont rien à voir avec la notion de l'être, qui ne peut être comparée à rien. Il est vrai que le mouvement est tout, car toutes les choses se meuvent ; mais il est tout aussi vrai que, pour l' observateur individuel, certaines choses sont moins soumises au mouvement que d'autres. .
. Si l'être est un concept positif, alors le non-être sera un concept négatif. Mais le mal est tout aussi substantiel que le bien, et le diable et l'enfer aussi sont substantiels. .
Est-il donc vraiment impossible à un théologien d'admettre cette vérité évidente que le bien et le mal sont des jugements de valeur ? Et qu'en tant que tels ils sont relatifs parce que dépendants d'un observateur ? Il n'existe pas la moindre preuve en faveur de l'identité du bien et de l'être. Sans nul doute Dieu est-il l'être même, et vous l'appelez le summum bonum. Alors c'est tout l'être qui est bon, et même le mal est un bien infime, même la désobéissance de Satan est encore bonne dans une faible mesure, et ne peut être que bonne. C'est à cause de ce moindre bien qu'il est en enfer. Pourquoi le bien est-il jeté en enfer ? Et à partir de quel pourcentage de bonté encourt-on le danger de la damnation ? A cela s'ajoute qu'il n'y a en Dieu aucune obscurité, et que Dieu est le Tout : où diable alors sont donc l'absence de lumière, la légion des anges déchus, les malfaiteurs ( c.à.d. ceux qui ont commis un moindre bien), où est Satan lui-même ? Pourquoi un moindre bien devrait-il être dirigé contre Dieu ? Il est et reste avec Dieu, même Satan est avec Dieu. Quoi qu'il fasse, toujours ce sera un moindre bien .
Ainsi la doctrine chrétienne se soustrait-elle au dualisme qui lui est inhérent .. en niant l'existence du mal. . Le mal absolu n'est pour vous qu'un état neutre, dans lequel absolument rien n'existe, un « non être » ; mais dans la mesure où Satan existe, il ne peut être que bon, car l'être = le bien. . P.441
13 février 1954
Je concède que mes constatations ( dans la Réponse à Job) sont choquantes, mais elles ne le sont pas plus et même elles le sont plutôt moins que les manifestations de la nature démoniaque de Jahvé dans l'Ancien Testament. Les Midrash connaissent cela très bien, et l'Eglise chrétienne a été obligée d'inventer la privatio boni, cet exécrable syllogisme, pour mettre entre parenthèses l'ambivalence originelle du Dieu juif. Cependant, alors que l'Eglise catholique possède du moins une sorte de sententia communis pour expliquer comment Jahvé, près avoir, « ad instar rhinocerotis » ( A la manière du rhinocéros ». Le Jésuite Nicolas Caussinus .. confesseur du roi Louis XIII, considérait le rhinocéros comme un symbole adéquat du Dieu de l' Ancien Testament, qui avait semé le désordre dans le monde avec la colère d'un rhinocéros irrité mais s'était finalement laissé subjugué par l'amour pour une vierge immaculée, et transformé dans son sein en un Dieu d'amour.), semé le désordre dans le monde de l'A.T., s'est transformé en Dieu d'amour du N.T., le protestantisme, lui, s'accroche à l'identité des deux figure le Dieu et n'admet pas que le Dieu Unique se soit métamorphosé : c'est pour lui un scandale. [.]
17 février 1954
. Parler de « brutalité » est encore modéré par rapport à ce que l'on éprouve quand Dieu vous démet la hanche, ou massacre le premier-né. Je parierais que les coups que Jacob assenait à l'ange n'étaient pas précisément des caresses ou des gestes de courtoisie. C'étaient de vrais coups bien appliqués, « sans prendre de gants », comme vous le dites avec justesse.
C'est l'une des faces de mon expérience de ce que l'on appelle « Dieu ». « Brutal » est un mot bien trop faible. « Barbare », « violent », « cruel », « sanguinaire », « infernal », « démoniaque » seraient plus justes. Si je n'ai pas été carrément jusqu'au blasphème, c'est à ma nature civilisée et à ma lâcheté polie que je le dois. Et à chaque pas que je faisais, j'étais retenu par une vision béatifique dont je préfère ne rien dire. . P.443 . je me sens attiré par une image beaucoup plus sombre et plus rude de l'homme Jésus. C'est que la conception dogmatique et traditionnelle du Christ est aussi lumineuse qu'elle peut l'être - lumen de lumine - et que toute la matière noire est rejetée à l'autre bout du tableau.
L'idée des « frères ennemis » (Le diable étant considéré lui aussi comme fils de Dieu, Jung voyait dans les figures opposées du Christ et de Satan une manifestation de l'archétype des « frères ennemis », préfigurée dans les couples de Caïn et Abel et de Jacob et Esaü. .. apparitions apériodiques de ce pattern archétypique et donc intemporel, c'est-à-dire sa répétition récurrente dans le temps. .) et de l'incarnation incomplète (Dans le même contexte, Jung parle aussi de l'incarnation continuée.. Il entend par là que l'Esprit établit sa demeure en l'homme mortel. «L'incarnation de Dieu dans le Christ a besoin d'être continuée et complétée, dans la mesure où le Christ, en conséquence de la parthénogenèse qui le situe en marge du péché originel, ne fut point un homme de chair [.] L'action immédiate et permanente du Saint-Esprit sur les êtres choisis afin qu'ils deviennent des enfants de Dieu signifie de fait une perpétuelle incarnation qui va s'élargissant. Le Christ en tant que fils engendré par Dieu est un fils aîné qui sera suivi d'un grand nombre de frères et de sours à venir. » ) vous a probablement dérangé. Si l'incarnation avait été complète, la conséquence logique en aurait été la parousie. Mais, sur ce point, le Christ était dans l'erreur.
Que le Christ des Evangiles se transforme par énantiodromie en juge intransigeant de l'Apocalypse ou que le Dieu d'amour se change en destructeur, cela revient pratiquement au même.
Le Christ a un opposé : l'Antéchrist et (ou) le diable. Si l'on attribue à l'image du Christ un peu trop de traits ténébreux, on l'identifie trop à son Père, et l'on a du mal à comprendre pourquoi il a enseigné un Dieu si différent de celui de l'A. T. .
Le Christ n'est pas le tout de la divinité, c'est absolument certain, vu que Dieu est L'un qui est le tout. Le Christ, c'est l'Anthropos, une préfiguration, semble-t-il, de ce que par la suite l'Esprit Saint engendre dans l'homme. .
.. Kabbale lourianique .. l'homme est appelé à seconder Dieu dans sa tentative pour réparer les vases qui se sont brisés lorsque Dieu a voulu créer le monde. Il y a quelques semaines seulement que je suis tombé sur cette doctrine impressionnante ; elle donne un sens à l'homme et à sa situation rehaussée par l'incarnation. . Mais ne trouvez-vous pas que l'humanité devrait se livrer à quelques réflexions adéquates, avant de se faire sauter elle-même dans l'éternité ? .
Novembre 1955
. dans mon livre Aion, .. le problème du Christ comme figure P.445 symbolique et celui de l'antagonisme Christ-Antéchrist tel qu'il est représenté par la symbolique traditionnelle du signe zodiacal des Poissons.
En rapport avec la discussion de ces problèmes et de la doctrine de la rédemption, j'ai critiqué l'idée de la « privatio boni » ; en effet, elle ne concorde pas avec les connaissances acquises par la psychologie. L'expérience psychologique montre qu'en face de ce que nous appelons « bien » il y a toujours tout aussi substantiel, un « mal ». Si le « mal » est .. non existant, alors tout ce qui existe devrait nécessairement être « bon ». Selon le dogme, ni le « bien » ni le « mal » ne peut avoir son origine dans l'homme, étant donné que « le Malin » en tant que l'un des fils de Dieu, était là avant l'homme. L'idée de la privatio boni n'a commencé qu'après Mani à jouer un rôle dans l'Eglise. Avant cette hérésie, Clément de Rome enseignait que Dieu régissait le monde avec deux mains, la droite et la gauche ; par la main droite il entendait le Christ, et par la gauche Satan. La conception de Clément est à l'évidence monothéiste, puisqu'il unit les contraires en Dieu. .
28 juin 1956
. Une conception purement causale n'est valable que dans le domaine des processus purement physiques ou anorganiques. Dans la sphère biologique, c'est à la perspective finaliste que revient l'importance majeure, et de même dans le domaine psychologique, où la réponse ne prend tout son sens que si elle explique le « pour quoi faire ? ». Aussi n'a-t-on aucun intérêt à s'accrocher aux causes, car on n'y peut rien changer. Il est bien plus judicieux de savoir quoi faire des conséquences, autrement dit quelle position on a ou devrait avoir en face d'elles. Mais alors une question se pose aussitôt : ce qui s'est passé a-t-il un sens ? Une intention occulte du destin, en d'autres termes une volonté divine, a-t-elle joué ou n'y avait-il là qu'un « hasard » mauvais ? Si Dieu avait l'intention de vous éprouver, pourquoi fallait-il qu'un enfant innocent en souffre ? Avec cette question, on touche un problème qui a déjà trouvé une réponse claire dans le Livre de Job. C'est seulement à partir de l'Incarnation que l'amoralité de Jahvé, en d'autres termes son injustice notoire, se change en l'exclusive bonté de Dieu. Cette transformation est liée à son entrée dans la condition humaine et ne se produit en conséquence que dans la mesure où elle est réalisée par l'accomplissement conscient de la volonté divine dans l'homme. Là où cette condition fait défaut, on voit se révéler non seulement l'amoralité du Créateur mais aussi son inconscience, c'est-à-dire que le bien et le mal adviennent hors toute réflexion, ou en d'autres termes qu'il n'y a ni bien ni mal mais seulement un advenir indifférent, cela donc que les bouddhistes appellent la chaîne des nidana, les enchaînements ininterrompus de la causalité qui mènent à la souffrance, à la vieillesse, à la maladie et à la mort. L'intuition du Bouddha d'une part, l'Incarnation dans le Christ d'autre part rompent la chaîne par l'intervention de la conscience humaine iIluminée, qui accède ainsi à un rôle métaphysique et cosmique.
A la lumière de cette vérité reconnue, le hasard mauvais se transforme en l'événement même qui, s'il est vraiment pris à cour, donne lieu à l'intuition qui éclaire d'une part les imperfections inexorables et cruelles de la création, et d'autre part le mystère de l'Incarnation. L'événement devient par là cette «feIix culpa» dont Adam s'est chargé par sa désobéissance. La souffrance, comme le dit Maître Eckhart, est « le coursier le plus rapide qui vous conduit à la perfection ». Le salut par une conscience plus haute est la réponse suffisante à la souffrance qui sinon resterait dépourvue de sens et donc insupportable. Par la révélation dans l'homme de la volonté bonne de Dieu, la souffrance de la création laissée imparfaite peut être non pas certes supprimée, mais du moins adoucie et chargée d'un sens. . P.447
30 juin1956
. Vous savez que nous autres humains nous ne sommes pas en mesure d'expliquer un quelconque événement intérieur ou extérieur autrement que par les moyens intellectuels dont nous disposons. Nous sommes obligés d'user de représentations psychiques à l'image des faits que nous croyons avoir observés. Quand donc nous essayons d'expliquer comment Dieu a créé Son univers ou comment Il Se comporte à son égard, nous utilisons l'analogie de notre propre esprit créateur, de sa manière de créer des formes et de se comporter.
. Son comportement présente des ressemblances frappantes avec celui d'un être à la conscience pour le moins très limitée. Il semble qu'il possède un savoir des choses qui sont déjà, ainsi que des prochains pas à faire, mais qu'il ne prévoie pas le but ultime ni les chemins qui mènent directement à ce but. Ce serait là la conséquence non pas d'une inconscience absolue, mais plutôt d'une conscience faible. Une telle conscience conduirait inévitablement à commettre d'innombrables erreurs et à se perdre dans d'innombrables impasses, avec les conséquences les plus cruelles : maladie, destruction, combats horribles, exactement donc ce qui s'est produit et se produit aujourd'hui encore dans tous les domaines de la vie. On ne peut en outre imaginer qu'un créateur qui tire l'univers du néant ait conscience de quoi que ce soit, car tout acte de connaissance repose sur la discrimination : je ne peux par exemple avoir aucune conscience de la nature d'un autre être humain tant que je ne fais qu'un avec lui. Si rien n'existe en dehors de Dieu, alors tout est Dieu, et dans un tel état la connaissance de Soi-même Lui est impossible.
L'idée d'un Dieu qui commet des erreurs et des fautes sans nombre est catastrophique, on ne peut le nier. La conception juive originelle d'un Dieu moral et orienté vers des buts a mis fin, dans l'espace méditerranéen, à l'existence joueuse et sans but des dieux du polythéisme. L'évolution avait conduit à une représentation paradoxale de l'être suprême et trouvé son expression dans l'idée de la justice divine et de l'injustice divine. Découvrant la très fâcheuse impossibilité de se fier à la Divinité, les prophètes juifs furent conduits à chercher une sorte de médiateur ou d'avocat qui représenterait devant Dieu les droits de l'humanité. Comme vous le savez, cette figure s'annonçait déjà dans la vision qu'Ezéchiel eut de l'Homme et du Fils de l'Homme. Cette idée fut reprise par Daniel et refit surface plus tard dans les écrits apocryphes, avant tout dans la figure du démiurge féminin, de la Sophia, et sous une forme masculine, celle de l'avocat de la justice ou « Fils de l'Homme », dans le Livre d'Enoch, qui fut écrit une centaine d'années avant le Christ . De fait, il faut bien que cette idée ait été très connue puisque le Christ s'est désigné lui-même comme le « Fils de l'Homme », présupposant ainsi que tout le monde savait ce qu'il voulait dire. Enoch expose très précisément ce que le Livre de Job attendait d'un avocat défendant l'humanité contre les débordements effrénés de Jahvé et son manque de fiabilité morale. Les rouleaux qui viennent d'être découverts près de la mer Morte mentionnent une sorte de personnage mystique légendaire, le « Maître de justice ». ( « Maître de justice », telle était la dénomination du chef des Esséniens . ) Visiblement, le Christ a repris cette idée ; il considérait que sa tâche était d'assumer le rôle du « Maître de justice » et donc aussi du médiateur, et il se trouvait face à un Dieu imprévisible et injuste qui avait besoin d'un sacrifice draconien, celui de Son propre fils, pour apaiser Sa colère. Fait étrange, le Christ d'une part reconnut en se sacrifiant lui-même la nature amorale du Père, et enseigna d'autre part une nouvelle image de Dieu, l'image d'un Père aimant dépourvu de face ténébreuse. Cette énorme antinomie appelle une explication. L'assurance expresse devait être donnée qu'il était bien le Fils du Père, c'est-à-dire l'incarnation de la Divinité dans l'homme. P.449
En conséquence, le sacrifice signifiait l'autodestruction du Dieu amoral, incarné dans un corps d'homme. Il acquiert le caractère d'un acte hautement moral, d'une autopunition pour ainsi dire.
Dans la mesure où le Christ est conçu comme la seconde personne de la Trinité, l'autosacrifice est la preuve de la bonté de Dieu. Pour autant, du moins, qu'il concerne l'homme. Nous ne savons pas s'il y a d'autres mondes habités où la même évolution à l'intérieur du divin s'est produite. Il est pensable qu'il y ait beaucoup d'autres mondes habités, à différents niveaux d'évolution, des mondes où Dieu ne s'est pas encore transformé par une incarnation. Quoi qu'il en soit, pour nous êtres terrestres, l'incarnation a eu lieu ; nous sommes devenus partie prenante de la nature divine et nous devons sans doute être considérés comme les héritiers d'un effort tendu vers l'être-bon, en même temps que comme les victimes de l'inéluctable autopunition. De même que Job ne fut pas simple spectateur de l'inconscience divine mais victime de sa manifestation monstrueuse, de même nous aussi nous sommes entraînés, l'incarnation se réalisant, dans les conséquences de cette transformation. Dans la mesure où Dieu prouve Sa bonté par Son autosacrifice, il est incarné, mais eu égard à Son infinitude et dans l'hypothèse d'une pluralité de niveaux de l'évolution cosmique, nous ne savons pas quelle quantité de Dieu s'est transformée - si ce n'est pas là raisonner de façon trop humaine. En supposant cela, on peut penser que nous touchons aux sphères d'un Dieu non encore transformé, quand notre conscience amorce une expansion dans le domaine de l'inconscient. Il existe en tout cas une certaine attente à cet égard ; elle est formulée dans .. l'Apocalypse, et dans son message il est dit : craignez Dieu ! (Cf. Apocalypse, 14, 6, sq. : « Je vis un autre ange qui volait par le milieu du ciel, ayant un Evangile étemel, pour l'annoncer aux habitants de la terre, à toute nation, à toute tribu, à toute langue, et à tout peuple. Il disait d'une voix forte : Craignez Dieu. » Jung voyait là la proclamation d'un nouvel Evangile, dont la teneur est, « au-delà de l'amour de Dieu, la crainte de Dieu ».
Quoique l'incarnation divine soit un événement cosmique absolu, elle ne se manifeste sur le plan empirique que dans ces humains relativement rares qui sont assez conscients pour être capables de prendre des décisions éthiques, c'est-à-dire de décider pour le bien. C'est pourquoi Dieu n'a droit à être qualifié de bon que dans la mesure où il peut révéler Son être-bon dans l'individu isolé. Sa qualité morale dépend de tels individus. C'est la raison de Son incarnation. L'individuation et l'existence individuelle sont indispensables pour la transformation du Dieu créateur.
La connaissance du bien n'est pas donnée a priori ; elle présuppose une conscience discriminante. Ce problème est déjà abordé dans la Genèse, quand Adam et Ève sont obligés d'acquérir d'abord la connaissance pour voir le bien et le distinguer du mal. Un « bien » sans restriction, cela n'existe pas, car ce qui est parfaitement bon dans un cas peut être dans un autre cas parfaitement mauvais. Les individus sont très divers, leurs jugements de valeur le sont aussi, et leur situation dans la vie varie à tel point qu'on ne peut en juger selon des directives et des principes généraux. La générosité, par exemple, est assurément une vertu, mais elle se change aussitôt en défaut quand on l'exerce envers un être qui ne sait pas la comprendre. Dans de tels cas, il faut user d'un discernement conscient.
Votre question concernant la relation de l'homme à un Dieu inconscient et paradoxal est en vérité un grand problème, bien que nous ayons la preuve très impressionnante que la piété selon l'Ancien Testament savait quelle conduite adopter face à l'antinomie divine. Les gens de l'Ancien Testament étaient capables de s'adresser à un Dieu auquel on ne pouvait pas se fier. Quand je parle de tentatives propitiatoires évidentes, j'entends par là en particulier l'accent mis avec une insistance répétitive sur la justice de Dieu, en réponse à Son incontestable injustice. Ils essayaient d'échapper à Sa colère et de susciter Sa bonté. .
Pour l'esprit du chrétien, qui est élevé dans la conviction que Dieu est bon par essence, la situation est beaucoup plus difficile. On ne peut plus simultanément aimer et craindre. Notre conscience s'est trop différenciée pour supporter de telles contradictions. C'est pourquoi nous sommes contraints à prendre le fait de l'incarnation bien plus au sérieux encore que ce n'a été le cas auparavant. Nous devrions nous rappeler le fait, souligné par les Pères de l'Église, que Dieu S'est livré à la mort de l'homme sur la croix afin que nous devinssions des Dieux. La Divinité a élu domicile en l'homme avec l'intention évidente de réaliser en l'homme Son propre être-bon. C'est ainsi que nous sommes le réceptacle, les enfants et les héritiers de la Divinité qui souffre dans le corps de l' « esclave ».
Maintenant nous sommes en mesure de comprendre l'essentiel de la conception de nos frères hindouistes ; ils savent que l'Atman personnel est identique à l'Atman universel et ils ont trouvé des possibilités d'exprimer les conséquences psychologiques d'une telle croyance. A cet égard, nous avons quelque P.451 chose à apprendre d'eux. Si nous reconnaissons avec humilité que Dieu peut Se manifester de bien des manières différentes nous sommes garantis contre l'orgueil spirituel. Le christianisme s'est représenté le problème religieux sous la forme d'une succession d'événements dramatiques, tandis que l' Orient est tenant d'une conception totalement statique, ou plus exactement cyclique. L'idée d'évolution est chrétienne et - me semble-t-iI - en un certain sens une vérité qui exprime mieux l'aspect dynamique de la divinité, bien que l'éternelle immobilité soit un autre aspect important . L'esprit religieux de l'Occident est caractérisé par une transformation de l'image de Dieu au cours des temps. L'histoire de cette transformation commence par Ia pluralité des Elohim, ensuite apparaît l'unité paradoxale de la personnalité de Jahvé, puis vient le bon Père du christianisme suivi de la seconde personne de la Trinité, le Christ, c'est-à-dire le Dieu incarné dans l'homme. L'Esprit Saint fait référence à une troisième forme .. et pour finir nous sommes confrontés à l'aspect révélé par les manifestations de l'inconscient.
L'importance de l'homme a été rehaussée par l'incarnation. Nous avons part à la vie divine et nous devons nous charger d'une nouvelle responsabilité : elle consiste à poursuivre l'auto-réalisation de la divinité, par l'individuation qui est notre tâche. L'individuation ne signifie pas simplement que l'homme, à la différence de l'animal [qui, réalise sa nature d'animal], devient véritablement humain, mais encore qu'il a à devenir aussi en partie divin. Cela veut dire en pratique : qu'il devient adulte, responsable de son existence, sachant qu'il ne dépend pas simplement, lui, de Dieu, mais que Dieu dépend aussi de l'homme. Dans la relation de l'homme à Dieu, il est probablement nécessaire que s'accomplisse une transformation considérable ! Notre vénération et notre rapport à Dieu ne s'exprimeront plus dans des louanges propitiatoires en l'honneur d'un Roi aux humeurs imprévisibles ou dans des prières enfantines adressées à un Père aimant, mais prendront, en nous, la forme d'une vie vécue dans la responsabilité et dans l'accomplissement de la volonté divine. La bonté de Dieu signifie grâce et lumière, et Sa face ténébreuse la terrible tentation de la puissance. L'homme a déjà acquis assez de savoir pour pouvoir détruire sa propre planète. Nous voulons espérer que l'esprit de bonté de Dieu le guidera dans ses décisions, car il dépend de la décision de l'homme que Ia création de Dieu subsiste. Rien ne montre avec plus d'éclat .. toute la mesure de la puissance divine qui a été placée entre les mains de l'homme. .
11 juin 1957
. le « péché » ou le « mal », il en est question même dans le langage courant, du moins en ce qui me concerne. P.453 .. Il en va de même lorsque je mentionne le « péché originel » . C'est ainsi que par « péché » j'entends infraction à notre code moral, par « le Malin » l'ennemi ténébreux toujours à l' ouvre dans la nature humaine, et par « péché originel » la désobéissance du premier homme au commandement de Dieu et sa déviation par rapport à la Loi. Ces concepts définissent des situations psychiques simples et identifiables, qui se répètent sans cesse au cours de chaque vie humaine. Le « péché originel » par exemple correspond au fait d'expérience que depuis toujours tout homme s'écarte du chemin prescrit. Sans cesse des forces mauvaises m'induisent en tentation, et j'en su même possédé .. ; le péché se mêle, nolens volens, à mon pain quotidien. Au demeurant, cela s'exprime en tous lieux et sous toutes les formes imaginables. Par exemple il n'est pas bien ou même il est mal de marcher sur l'ombre du chef de la tribu ou de passer par-dessus un homme endormi. C' est un péché que de gratter une fourrure encore brute avec un couteau de fer au lieu d'une pierre. Quiconque s'est préoccupé de l'éternel problème .. ''d'où vient le mal ?'' a inventé l'histoire d'un événement désagréable survenu à l'origine. Un homme d'aujourd'hui, s'il est lâche, expliquera son caractère par le fait, par exemple, que le frère de son grand-père était épileptique, et le psychiatre hochera la tête . Les concepts de « péché » et de « mal » ne sont jamais « dépourvus de sens », et il n'est besoin pour les expliquer d'aucun système spécial de référence, et pas davantage pour expliquer l'idée de ce qui est « bon » ou « mauvais », tels qu'on les emploie dans le langage de tous les jours, ce ne sont là que des mots chargés d'affecte pour exprimer des réactions émotionnelles négatives. Mais partout où l'on a affaire à des affectes forts on peut s'attende à trouver les traces visibles du facteur religieux en action, c 'est-à-dire un arrière-plan « théologique ». Toutefois, un homme très en colère peut dire « Nom de Dieu » sans avoir conscience du sens particulier que recèle cette expression courante.
Lorsque je parle du « péché originel », j'entends par là ce que la doctrine de l'Eglise nomme le peccatum originale, le péché d'Adam, c'est-à-dire la désobéissance de l'homme. Dans toute vie humaine il se manifeste comme l'inévitable écart par rapport à l'état de grâce dans lequel il n'y avait pas encore de péché. Le péché commence avec l'éveil de la conscience en général, dont font partie la conscience morale et le discernement. Les êtres auxquels cette fonction fait défaut sont des cas pathologiques .
Bien entendu je ne suis pas en mesure - personne ne l'est de définir ce que peut être le mal en soi. Il n'est rien qui ne puisse être selon l'époque qualifié de mauvais. Il s'agit d'une qualification subjective portée par un consensus plus ou moins général. La déviation par rapport au numen semble être considérée partout et toujours comme le mal le plus radical et le plus originel. .
Réponse à une lettre du Révérend David Cox
. Je pourrais accepter votre définition du summum bonum : « Quoi que puisse être Dieu, c'est bon », si elle ne faussait ou ne lésait la compréhension que nous avons du bien. Quand nous affrontons le problème de la nature morale d'un acte de Dieu, il nous faut soit nous abstenir de notre jugement moral et suivre aveuglément le diktat de cette volonté supérieure, soit juger à la manière humaine et appeler blanc ce qui est blanc, noir ce qui est noir. Bien qu'il arrive parfois en effet que nous obéissions aveuglément et de façon presque héroïque à cette volonté supérieure, à mon avis cela n'est pas courant ; en outre, agir aveuglément n'est, dans l'ensemble, pas recommandable, parce qu'à coup sûr il est attendu de nous que nous agissions après réflexion morale, consciente. Il n'est que trop dangereusement facile d'éluder la responsabilité en nous faisant à nous-mêmes croire que notre volonté est la volonté de Dieu. II peut certes nous arriver d'être submergés par celle-ci ; mais quand tel n'est pas le cas, alors nous devons faire usage de notre faculté de juger. Alors nous sommes confrontés au fait implacable que, en langage humain, certains actes de Dieu sont bons et d'autres mauvais, et cela à tel point que la présupposition d'un summum bonum devient presque un acte de démesure. . P.455
5 novembre 1959
. Mon point de vue est purement empirique et concerne le caractère psychologique de telles affirmations.
Je suis tout à fait d'accord avec la proposition qui dit que Dieu n'est pas limité, car s'II était limité, Il ne serait pas Dieu. L'absence de limitation est la conséquence logique de l'acceptation d'un être suprême, sur lequel l'homme ne peut en réalité porter de jugement. Il ne peut qu'avancer des propositions pIus ou moins fondées qui répondent à certains besoins de sa propre nature. Nous inclinons naturellement à admettre que Dieu connaît aussi le futur. Mais si nous avançons une telle proposition, il faut admettre aussi que toute chose tend vers le futur. En d'autres termes : tout est nécessaire et inévitable. Dans ces conditions l'évolution du monde serait sans problème, puisque chaque chose suivrait la voie qui lui est destinée. Mais nous sommes alors en pleine contradiction avec l'idée de libre arbitre.
Le péché originel a apporté un changement considérable dans le statut de l'homme : après la chute l''homme est différent de ce qu'il était avant la chute. Par conséquent le Christ et Sa Mère appartiennent à un autre ordre des choses que l'homme après la chute. Si vous les qualifiez d'êtres humains, c'est que ce terme a pour vous un double sens. .
Nous savons que les assertions métaphysiques sont indiscutables, car un être humain ne peut rien savoir au-delà de lui-même ; seul Dieu peut connaître la vérité.
Comme le mal est sans fin dans le monde et comme il est la contrepartie indispensable de l'antithèse bien-mal, ce serait une limitation arbitraire du concept de Dieu que de soutenir qu'il est exclusivement bon, ce qui priverait ainsi le mal de toute existence réelle. Si Dieu n'est que bon, alors toute chose l'est aussi. Il n 'y aurait d'ombre nulle part. Le mal n'existerait pas, l'homme lui-même serait bon et ne pourrait rien faire de mal. C'est là un autre paradoxe dont la psychologie doit se débarrasser compte tenu de ce que nous sommes, car les sophismes flagrants que véhicule la discussion de questions telles que celle de la privatio boni nuisent à la compréhension de la religion et à l'adhésion à ses affirmations. Puisque les concepts métaphysiques ne peuvent aucunement être touchés par des arguments psychologiques - ils sont en effet indiscutables -, je reste pour ma part dans le cadre de questions discutables.
7 décembre 1960
J'ai surtout remarqué la grandiose phrase d'Augustin : « Bannis les prostituées des affaires humaines, et tu mettras tout sens dessus dessous par l'effet des désirs » Saint Thomas s'en tire, comme d'habitude, avec une petitio principii. J'aimerais pour ma part poser à Augustin la question suivante : si Dieu est si puissant et si bon qu'il fait le bien à partir du mal, à partir de quoi fait-il donc le mal ?
Le monde peut bien avoir été parfait « sortant des mains de l'Auteur des choses », il n'en est pas moins tombé dans une P.457 monstrueuse souffrance depuis qu'il s'est divisé in particularia. Qui a procédé à cette division ? Car c'est elle qui est la cause de tous les mala et defectus (Les maux et les manques) dont souffre la création.
Avec l'omnipotentia Dei le monde ne peut pas s'être détaché de Dieu, car il lui aurait été facile de le retenir ; or, selon le récit de la création lui-même, c'est bien par Dieu que les choses ont été créées dans leur différence, ..
Même les honorables Pères de l'Église ont dû reconnaître que le mal non seulement est inévitable niais qu'il est même nécessaire, pour prévenir un plus grand mal encore. . Entre la prostitution et le crime la ligne de démarcation n'est pas très nette. L'une et l'autre sont un mal et en un certain sens tous deux sont nécessaires, car une société sans crime serait vouée à la ruine en très peu de temps.
Notre droit pénal s'appuie à cet égard sur des bases fragile, car il combat quelque chose qui, d'un autre côté, est une nécessité sociale. Il est bien compréhensible qu'un tel dilemme donne lieu à toutes sortes de syllogismes acrobatiques aussi bien juridiques qu'ecclésiastiques. La peine elle-même est un mal et tout comme le crime elle est une transgression. Il s'agit tout simplement du crime de la société contre le crime d'un individu. Et ce mal aussi est inévitable et nécessaire.
C'est la tâche peu enviable de la psychologie que de mettre le monde face à ces vérités. Il n'y a donc pas lieu de s'étonner que personne ne se mobilise pour cela jusqu'à en perdre le sommeil. C'est toujours pour moi un sujet d'étonnement de voir que les théologiens soient aussi incapables de tirer des conclusions de leurs propres prémisses. . P.459