Les archétypes qui influencent ou perturbent le plus souvent le moi sont l'ombre, l'anima et l'animus.
Vivant en nous, ils peuvent à tout moment fondre sur notre personnalité consciente avec la puissance destructrice d'un cataclysme.
Ces éléments du monde intérieur nous influencent de façon d'autant plus puissante qu'ils sont inconscients.
Nous reconnaissons facilement ces figures dans la mythologie : « l'ombre » dans l'adversaire et le représentant du monde chthonien obscur ; la « syzygie » dans tous les couples divins ; « le Soi » dans toutes les images de totalité et d'unité.
Quant au niveau personnel et individuel il nous est plus difficile de reconnaître l'action de ces archétypes et d'accepter de prendre la part qui nous revient. C'est pourquoi l'ombre, l'animus et l'anima apparaitront en général comme projection sur des êtres humains et le Soi comme mythologème religieux.
L'ombre, la syzygie et le Soi sont des facteurs psychiques dont on ne peut se faire une idée suffisante que par une expérience.
Dans une vision intellectuelle on ne connaît que les mots et on ignore la substance de l'intérieur :
« concevoir » intellectuellement un fait psychologique n'engendre rien de plus qu'un « concept » et ce concept ne représente rien d'autre qu'un nom. peuvant être manié sans peine.. et ne possèdant aucune substance. .. C'est pourquoi, on ne le répètera jamais assez « Psychologiquement on ne possède rien tant qu'on n'en a pas fait l'expérience. »
Ainsi, pour pouvoir être intégré, tout contenu doit être devenu conscient dans son double aspect (cf. spectre de la lumière, dans son aspect positif et négatif, dans son aspect archétypique et instinctif) et ne pas être seulement saisi intellectuellement, mais compris selon sa valeur de sentiment.
Car c'est la qualité affective qui indique dans quelle mesure le sujet est touché : c'est par « l'affect », devenu conscient, que l'individu se trouve impliqué et en ressent tout le poids de sa réalité.
« Dans son domaine propre l'intellect est, certes, d'une indéniable utilité, mais il est un grand trompeur et un illusionniste dès. qu' il cherche à manier la valeur. . »
L'ombre
L'ombre représente en premier lieu l'inconscient personnel. Elle est généralement la première figure accessible à l'expérience et apparaissant dans les rêves. Réaliser l'ombre « consiste à reconnaître l'existence réelle des aspects obscurs de la personnalité » (Aïon) C'est le fondement indispensable à toute connaissance de soi, qui se heurte bien entendu à une résistance considérable.
L'ombre peut être repérable dans les rêves et les fantasmes par des figures qui ont le même sexe que le sujet.
Suivant le principe de polarisation de l'énergie psychique chaque position engendre son contraire ; aussi l'ombre est d'abord l'opposé du conscient, et les personnages, acteurs des rêves et des fantasmes, auront des traits de caractère et des façons d'agir qui seront la contre-partie de la personnalité consciente ; au plus le conscient est unilatéral au plus ils sont accentués.
Mais ces personnages n'incarnent pas que des pulsions refoulées ; leur analyse montre qu'ils représentent aussi des valeurs rejettées par le conscient. Par exemple, face à notre modèle collectif de l'individu combatif, l'ombre va se former du côté de la faiblesse.
« S'il est vrai que l'ombre d'une vieille dame retenue et timide peut être une danseuse de flamenco, une personnalité puissante peut avoir dans son ombre un enfant débile. »
L'ombre représente aussi ce qui manque à la personnalité ; ce qui aurait pu vivre et qui n'a pas été vécu. Ainsi, dépassant le refoulement, elle attire l'attention sur ce qui naît à partir d'un choix. Elle met en scène la « question d'identité : qui es-tu par rapport à celui que tu aurais pu être ? Qu'as-tu fait de ton frère ? » (E. Humbert)
La connaissance de soi est « un processus qui conduit à composer avec l' Autre en nous » (G.W, 14/2, § 365)
Au delà de la personnalité réprimée ou de la conséquence de ses choix , nous trouverons aussi dans l'ombre des dynamismes n'ayant pas encore eu la possibilité de devenir conscients. cf. rêves graines, bébé. « parce que la conscience du moi n'avait pas les moyens de les accueillir. » (R.C., p. 487)
Considérés du point de vue énergétique, tous ces contenus sont susceptibles de se transformer et de devenir conscients.
Une grande partie de notre psychisme se trouve projetée dans l'environnement et nous n'imaginons pas nous l'attribuer à nous-même. C'est ce que Jung appelle « identité archaïque »
Au fur et à mesure de la prise de conscience ces composantes psychiques qui étaient entièrement projetées à l'extérieur vont se manifester dans le psychisme individuel sous des figures d'ombre.
Les zones les plus primitives apparaitront par exemple sous forme d'animaux à sang froid ( rêves avec les crocodiles, le dragon, l'hydre) ou aussi sous forme de cataclysmes naturels. « Jung parle de la queue de saurien que l'homme civilisé se cache à lui-même et qu'il devra un jour redécouvrir. »
En se présentant au conscient comme des figures d'ombre, ces composantes deviennent partenaires et une histoire devient possible entre elles et le moi. Ainsi « De rêve en prise de conscience, et de modification du comportement en rêve nouveau, on voit l'ombre réagir et changer. Elle demeure cependant comme l'éternel Antagoniste, car elle naît, sous d'autres formes, du développement même du sujet. Toujours elle est « l'ensemble de ce que le sujet ne reconnaît pas et qui le poursuit inlassablement » (G.P., p. 267). »
Nous savons que tout ce qui git dans l'inconscient peut, de façon temporaire ou durable, submerger la conscience. Aussi quand l'ombre s'empare du conscient « On assiste alors soit à des comportements contradictoires, soit à un véritable bouleversement de la personnalité, comme des « conversions » ou énantiodromies. (Tout « abaissement du niveau mental » peut occasionner un relatif renversement des valeurs. Aïon)
Dans la pratique clinique on voit combien la prise de conscience de l'ombre provoque des conflits mettant en cause les habitudes, les croyances, mais aussi les liens affectifs. Son expérience désarticule le moi en lui faisant perdre ses repères et vivre une régression. ( les personnes se sentent comme « crucifiées ».)
L'expérience de l'ombre est pour Jung la porte du réel car le conflit dû à sa prise de conscience fait sauter les identifications imaginaires.
« Un examen plus précis des aspects obscurs ou inférieurs formant l'ombre révèle que ceux-ci ont une nature émotionnelle, et donc une certaine autonomie, et qu'ils revêtent, en conséquence, une forme d'obsession ou, mieux, de possession. » (L'émotion étant un événement qui assaille l'individu.)
Les affects naissent là où notre adaptation est fragile, révèlant une certaine infériorité.
Quand ce niveau profond des émotions, peu ou même nullement contrôlées, est touché, on réagit de manière archaïque.
L'ombre, jusqu'à un certain point, moyennant discernement et bonne volonté, s'intègre dans la personnalité consciente.
C'est par son aptitude à se laisser plus aisément discerner et réaliser qu'elle se différencie de l'animus et de l'anima, lesquels sont nettement plus éloignés de la conscience et ne sont donc, dans les circonstances habituelles, que rarement, sinon jamais perçus.
Quand certaines projections ne se laissent pas délier facilement et que les symboles qui surgissent renvoient non pas au même sexe, mais au sexe opposé, à la femme chez l'homme, et vice versa c'est qu'elles n'appartiennent pas du tout au domaine de l'ombre, du même sexe, mais bien à celle du sexe opposé. On rencontre alors l'animus de la femme et l'anima de l'homme.
« L'ombre peut être pénétrée sans difficulté par une certaine autocritique en tant qu'elle est de nature personnelle. Mais là où elle est en question comme archétype, on rencontre les mêmes difficultés qu'avec l'animus et l'anima ; en d'autres termes, il appartient au domaine du possible de reconnaître le mal relatif de notre nature, tandis qu'avoir un regard direct sur le mal absolu représente une expérience aussi rare que bouleversante. » AÏON p.23
Anima Animus
« Sur le plan archétypique, « c'est un couple divin » dont un des partenaires, grâce à sa nature de « logos », est caractérisé par le pneuma et le noûs (le souffle et l'esprit), c'est Hermès aux multiples chatoiements, et l'autre, grâce à sa nature d'« éros », porte les traits d'Aphrodite, d'Hélène (Séléné), de Perséphone et d'Hécate.
Le pouvoir de ces « dieux » ou puissances inconscientes, croît proportionnellement à leur degré d'inconscience. Celui qui ne les voit pas est entre leurs mains. »
La syzygie se compose de trois éléments :
- la somme de féminité qui est propre à l'homme et de masculinité propre à la femme
- l'expérience que l'homme fait de la femme et vice versa
- l'image féminine et masculine archétypique.
Le premier élément peut être intégré ; par contre le dernier ne le peut pas.
(La syzygie représente les contenus psychiques qui font irruption dans le conscient lors d'une psychose. Aïon p. 47)
Ces deux archétypes ont une importance particulière : ils forment une sorte de pont entre ce qui est personnel et impersonnel, ainsi qu'entre le conscient et l'inconscient.
Ils constituent notre adaptation et notre lien au monde interne (c'est à dire qu'ils sont l'expression de notre comportement envers le processus psychique). Ils compensent notre adaptation au monde externe ( que Jung appelle « persona », expression de notre adaptation au milieu). Ainsi le conscient de la femme est féminin, son inconscient est masculin.. et inversément pour l'homme
« Alors que, dans l'attitude externe de l'homme logique et réalisme prédominent ou sont, pour le moins, son idéal, chez la femme, c'est le sentiment qui tient le plus de place. Dans l'âme, c'est le contraire ; intérieurement, l'homme s'abandonne aux sentiments et la femme délibère. »
Cette polarisation et complémentarité de l'anima et l'animus organisent, pour Jung, tout ce qui met en cause l'identité sexuelle du sujet (en effet notre différenciation sexuelle n'est pas que physique, concrête ;elle est aussi psychique et demande une confrontation intérieure) ; ces deux archétypes organisent aussi notre disposition à la relation avec l'autre sexe.
Si le rêveur est un homme, il découvrira donc une personnification féminine de son inconscient, tandis que nous trouverons des personnages masculins chez la femme.
« L'anima est féminine ; elle est uniquement une formation de la psyché masculine et elle est une figure qui compense le conscient masculin. Chez la femme, à l'inverse, l'élément de compensation revêt un caractère masculin »
Ces qualités féminines chez l'homme, masculines chez la femme sont toujours présentes et ne trouvent pas nécessairement leur place car souvent elles gènent l'adaptation au milieu ou à l'idéal établi.De plus, comme tous facteurs inconscients, ils sont actifs dans la vie quotidienne et conditionnent notre vie affective.
Par contre l'intégration des contenus inconscients, liés à l'anima et l'animus, donnera à la « conscience de l'homme sa capacité de relation et d'alliance et au conscient de la femme, une capacité de réflexion, de délibération et de connaissance de soi-même. » (G.W. 9/2,§ 33)
Aussi, tant qu'ils restent indifférenciés, le lien à l'autre pour l'homme, l'affirmation de soi pour la femme, restent l'attribut du sexe inconscient..
D éveloppement :
Rappelons que l'archétype est la disposition innée à l'expérience .. « Il n'est pas d'expérience humaine, et aucune expérience n'est d'ailleurs possible, sans une disponibilité subjective .. Ainsi toute la nature de l'homme présuppose la femme et sa nature, aussi bien physiquement que psychiquement » (D. M. I. p.168 - 169) et inversément , toute la nature de la femme présuppose l'homme.
Par cette notion d'archétype, Jung renverse les perspectives habituelles puisqu'ainsi , il affirme que cette composante féminine du psychisme de l'homme ne vient pas d'une intériorisation de l'image de la mère ; ni d'une intériorisation de l'image du père (pour l'animus, chez la femme). Mais il considère plutôt que les parents sont la première actualisation de cette disposition innée et les premiers porteurs de leur projection (la mère pour le fils, et le père pour la fille).
Ce sont, pour lui, les propriétés numineuses (surnaturelles, divines) provenant de l'archétype collectif de l'anima et de l'animus qui rendent l'imago de la mère et celle du père si influentes.
« L'anima n'est pas une figure substitutive de la mère, mais, au contraire, il y a beaucoup de vraisemblance pour que les qualités numineuses qui rendent l'imago maternelle si dangereusement puissante dérivent de l'archétype de l'anima, qui s'est incarné à nouveau en chaque enfant mâle » (G,W. 9/2,§ 26)
« Chaque mère et chaque bien-aimée est ainsi forcée de devenir le véhicule et l'incarnation de cette image sans âge et omniprésente, qui correspond à la plus profonde réalité dans l'homme » (G.W.9/2, § 24).
Ces imago, contrairement à celle des parents, devront être maintenue associées au conscient de l'homme ou de la femme puisqu'elles contribuent au dévelopement de leur identité sexuée, de leur relation à l'autre sexe et de leur relation à leur monde intérieur ou inconscient.
Le caractère de ces figures sera déterminé chez chacun d'abord par la représentation collective innée que l'homme porte en lui de la femme, et la femme de l'homme et ensuite par les expériences que chacun va faire au cours de sa vie avec les partenaires de même sexe et de l'autre sexe. (ex E. B. construction de son masculin par rapport à l'animus de sa mère).
Ainsi conscient et inconscient participent à leur élaboration en chacun de nous.
Ces différents facteurs vont se condenser en une sorte d'entité qui suivra ses propres lois et interviendra dans la vie comme un élément étranger, tantôt utile, tantôt dérangeant, voire destructeur et parfois s'intégrant difficilement dans le processus psychique.
Pour Jung, nous attribuons naïvement à notre Moi des réactions qui viennent en fait de l'anima ou de l'animus. Dans ce cas nous nous identifions à ce complexe autonome. «.. tout se passe comme si nous vivions dans une espèce de demeure qui, pour le moins, présente des portes et des fenêtres qui ouvrent sur un monde dont les objets et les présences agissent sur nous, sans que nous puissions dire pour cela que nous les possédons. » (D.M.I.p.186 )
Cette entité (Anima- Animus) se manifeste sous forme diverses dans les rêves et les fantasmes : « Ces deux figures, l'anima et l'animus, personnages de pénombre et de clair-obscur, qui sont comme les sentinelles des sombres arrière-plans .. ont des aspects presque inépuisables » D.M.I.p.197
Les effets de l'anima et l'animus :
L'anima et l'animus ne sont pas symétriques, ils ont leurs effets propres : possession par les humeurs pour l'anima inconsciente, par les opinions pour l'animus inconscient (D. M. I., p. 217)
« L'anima inconsciente . se manifeste par une humeur instable et un manque de contrôle de soi qui finissent par corrompre les fonctions jusque-là sûres et raisonnables, par exemple l'intelligence » (P. T., p. 164).
Elle est aussi la pourvouyeuse d'illusion, de séduction.
Quant à l'animus
« il consiste non pas en réflexions, mais en opinions. J'entends par ce terme des suppositions a priori affichant une prétention presque absolue à être prises pour la vérité. .. L'animus adorant argumenter.. ce qui est en cause c'est la puissance de la vérité ou de la justice. Le « père » (= la somme des opinions transmises) joue un rôle important dans l'argumentation féminine..»Aïon
C'est l'animus qui transforme un point secondaire en thèse essentielle et qui complique une discussion par des arguments et des raisonnements qui se voudraient logiques et critiques.
Interprétations, avis, insinuations et fausses reconstructions sont aussi des expressions de l'animus ; sentimentalité et ressentiment des expressions de l'anima.
L'animus cherche la logique et la vérité pour la sécurité et la puissance qu'il y trouve. L'anima fait le succès d'une idée en fonction de son esthétique ; entrainant ainsi la personnalité qu'ils dominent dans un auto-érotisme secondaire.
D'un point de vue positif aussi bien que négatif, la relation anima-animus est toujours émotionnelle et empreinte d'animosité :
« Quand l'animus et l'anima se rencontrent, l'animus sort son épée de pouvoir et l'anima projette son poison d'illusion et de séduction. Le résultat n'est pas toujours négatif, puisque les deux sont également prêts à tomber amoureux » (G.W. 9/2, § 30). Mais leur action coupe aussi la relation, la communication, entre les deux êtres.
C'est dans la mesure où ces complexes demeurent inconscients, qu'ils ont une action principalement négative et qu'ils exercent sur le moi une véritable emprise ; le côté archétypique fascine le conscient et remplit le moi « d'un sentiment inébranlable de légitimité et de bon droit » ; par son côté inconscient « sa cause est projetée »
L'anima et l'animus se projettent dans des images oniriques, littéraires ou mythologiques, mais également dans le comportement et la vie affective.
Le refoulement par l'homme de ses tendances et de ses traits féminins, et par la femme de ses tendances et de ses traits masculins, détermine l'accumulation de leurs besoins et de leurs exigences dans l'inconscient. Cette imago en devient alors le réceptable et l'homme, comme la femme, dans leur choix de l'être aimé, vont conquérir celle ou celui qui correspond le mieux à la nature de leur propre féminité ou masculinité inconsciente .
Pour Jung, l' anima apparaît sous les traits d'une femme, d'une personne et l'animus s'exprime et apparaît sous les traits d'une pluralité.
La « pluralité de l'animus, qui s'oppose ainsi à la personnalité une de l'anima .. semble devoir être compris(e) en corrélation avec l'attitude consciente. L'attitude consciente de la femme est, en général, bien plus personnellement exclusive que celle de l'homme. »
L'homme cherche la Femme dans toutes les femmes, vivant alors avec chacune, un secteur féminin correspondant à sa projection du moment, et retrouvant dans chaque femme un peu de Celle qu'il voudrait trouver. Mais aucune n'est tout à fait « Celle qu'on attend toujours ». La femme, quant à elle, cherche à retrouver tous les hommes en un seul homme: l'homme intelligent, l'homme sportif, l'homme sensible, l'homme artiste, l'homme compréhensif, l'homme héros, l'homme travailleur et aussi l'homme rêveur, l'homme altruiste, entreprenant et bon, l'homme sociable. L'homme spirituel, tendre, aimant, protecteur, etc, Elle doit bien s'avouer un jour que l'être qui vit à ses côtés offre de nombreuses lacunes.
« L'animus est quelque chose comme une assemblée de pères ou d'autres porteurs de l'autorité, qui tiennent des conciliabules et qui émettent ex cathedra des jugements « raisonnables » inattaquables. . amoncellement de mots et d'opinions qui se sont accumulés dans l'esprit de la petite fille, puis de l'adolescente depuis l'enfance, et qui, recueillis, choisis et collectionnés peut-être inconsciemment, finissent par former .. une espèce de code de vérités banales, de raisons et de choses « comme il faut ». Ces codification du raisonnable correspond donc à une réserve de préjugés ; et dès qu'un jugement conscient, compétent et valable manque.. il y est fait appel »
Intégration :
Pour pouvoir intégrer ces contenus, le travail thérapeutique consistera, d'abord à les rendre conscients , à les différencier des imagos parentales et du moi. Il faudra les différencier aussi en leur part personnelle et collective -ou archétypale.
La technique de la confrontation entre le Moi conscient et l'animus est la même que celle de l'anima, sauf que pour l'anima ce sont des fantasmes et des caprices, et pour l'animus des opinions que chacun devra considérer d'un oeil critique, non pour les refouler, mais pour pénétrer leurs origines.
Au fur et à mesure que le moi prend conscience de l'anima et de l'animus, qu'il s'en différencie et se libère de leur emprise, ceux-ci se transforment et leur action devient positive, contribuant à la maturité du psychisme et jouant alors le rôle d'une médiation avec l'inconscient.
Intégrés, l'anima devient « un éros » et « confère au conscient masculin le lien et la relation » ; l'animus devient quant à lui « un logos » et « donne au conscient de la femme la réflexion, le raisonnement et la connaissance. »
« Si les effets de l'animus et de l'anima peuvent être rendus conscients et leurs contenus intégrés eux-mêmes ne peuvent pas l'être, car ce sont des archétypes, . ils dépassent les limites du conscient et ne peuvent jamais être l'objet de connaissance immédiate. Facteurs transcendants par rapport à la conscience ils restent donc autonomes . C'est pourquoi on ne doit jamais les perdre de vue. Il y a là un point d'une extrême importance sur le plan thérapeutique, car c'est grâce à l'observation constante que l'inconscient reçoit le tribut qui garantit plus ou moins sa coopération. L'inconscient, on le sait, ne se laisse pas « liquider » une fois pour toutes. C'est même l'une des taches les plus considérables de l'hygiène psychique que d' accorder une certaine attention incessante aux symptômes des contenus et des processus inconscients, et cela parce que le conscient est toujours en danger de devenir unilatéral, de suivre des sentiers battus et de s'engouffrer dans des impasses. Toutefois la compensation n'opère avec plein succès que lorsque la vie est encore suffisamment simple et inconsciente pour pouvoir suivre sans hésitation ni scrupule le chemin de l'instinct. »
En conclusions
L'anima et l'animus sont des fonctions psychologiques. Par leur autonomie et leur manque de développement ces fonctions vont usurper ou prendre le caractère d'une personnalité et au lieu de rester une fonction psychique médiatrice entre le moi et l'inconscient, elles vont s'immiscer dans les relations concrêtes, par projection.
C'est la non-reconnaissance du monde intérieur (contrepoids au monde extérieur) qui amène un renversement de ces valeurs psychologiques ; ainsi « une fonction, dont la vocation est d'être intérieure, se trouve déroutée vers l'extérieur » : la femme est alors possédée par son animus et en danger de perdre « sa féminité, son personnage féminin adapté », l'homme quant à lui sera possédé par son anima et en danger de perdre son personnage masculin adapté.
C'est donc leur extraversion qui est la cause des manifestations désagréables de l'animus et de l'anima. C'est dans des situations intérieures qu'ils doivent avoir, chacun, leur terrain d'élection, laissant émerger les contenus de l'inconscient et permettant une adaptation dans la vie tenant compte des exigences internes de l'individu.
« A partir du moment où nous les utilisons consciemment et intentionnellement comme fonctions, l'anima et l'animus ne sont plus des complexes personnifiés mais deviennent une passerelle mènant à l'inconscient. Aussi longtemps qu'ils se trouvent dans cet état, ils doivent être reconnus et acceptés en tant que personnalités parcellaires relativement indépendantes. Ils ne peuvent pas s'intégrer au conscient tant que leurs contenus sont ignorés de celui-ci. La confrontation doit amener leurs contenus au grand jour. ce n'est que lorsque le conscient aura acquis une connaissance suffisante des processus de l'inconscient qui s'expriment et se reflètent dans l'anima que celle-ci pourra être ressentie comme une simple fonction. » D.M.I. (idem pour l'animus)
Le Soi
Après l'intégration de l'ombre (première étape du processus analytique), puis une connaissance de l'anima et de l'animus, non pas intelectuelle mais bien dans sa valeur affective, amenant progressivement une conjunctio oppositorum, l'inconscient change d'aspect et apparaît sous une forme symbolique nouvelle, représentant le Soi, noyau le plus intérieur de la psyché, symbole de totalité, d'unité, de centrage.
Ce noyau est généralement représenté dans les rêves par un personnage supérieur (prêtresse, magicienne, terre-mère, la déesse de la nature ou de l'amour.. chez une femme et sous la forme d'un initiateur ou d'un gardien, d'un vieux sage, d'un esprit de nature, etc chez l'homme.
Parce qu'il se situe partiellement hors du temps, il peut prendre aussi les traits d'un jeune homme, d'une jeune fille ou d'un enfant.. (symbolisant le renouveau, l'élan vital créateur, et une nouvelle orientation grâce à laquelle tout déborde de vie et d'initiative.)
La forme humaine - quelque soit son âge - n'est qu'une des aspect empruntées par le Soi.
« De cette dernière connaissance (an-an) naît chez l'homme une triade qui est transcendante.. : le sujet masculin , le sujet féminin qui lui fait face, et l'anima transcendante. Chez la femme le processus est analogue, mais sur un mode inversé. Le quatrième qui manque à la triade pour réaliser une totalité est chez l'homme, l'archétype du vieux sage . chez la femme, c'est la mère chthonienne. Ceux-ci constituent une quaternité mi-immanente et mi-transcendante, à savoir cet archétype que j' ai qualifié de quaternion (ou mariage quaternaire). Ce dernier constitue un schéma du Soi. »
Pour Jung, le soi est l'imago dei, symbole d'unité et de totalité. C'est pourquoi, toutes les formulations concernant cette imago s'y appliquent.
« Le Soi est d'autre part une image de Dieu dont elle ne se laisse pas différencier. L'esprit préchrétien le savait déjà, sinon un Clément d''Alexandrie n'aurait pas pu dire que celui qui se connaît lui-même connaît Dieu. »
Et Jung précise quelques pages plus loin : « que l'on entende le mot « Dieu », dans le sens où Diotime l'emploie lorsqu'elle déclare : « L'amour, cher Socrate, est un grand daïmon ». Les termes grecs de daïmon et de daïmonion désignent une force qui s'approche de l'homme et le détermine de l'extérieur, comme la providence ou le destin. » Aïon
Jung reconnaît dans un premier temps le soi dans sa projection : les figures mythologiques et théologiques du Dieu Unique, centre du monde, sont pour lui la projection dans le cosmos de ce qui est dans le psychisme ..
La démarche religieuse est donc pour Jung extérieure et n'est qu'une projection de la dynamique unificarice intérieure.
Cette notion de « totalité » est empirique dans la mesure où elle est annoncée dans la psyché par des symboles spontanés ou autonomes. Nous aurons des symboles de quaternité et de mandalas, dont la signification comme symboles d'unité et de totalité est largement confirmée tant sur le plan historique que dans l'histoire des symboles. Aïon p. 45
« .. En règle générale, ils sont des symboles « unificateurs » et représentent la conjonction d'une simpte ou double paire d'opposés » (G.W, 9/2, § 194-195).
Ainsi dans la conjonction des opposés, (ce qui implique d'abord séparation=sortir de la fusion, différenciation, et enfin réunion) le soi est à l'ouvre.
Cette image de « totalité » se place en face du sujet de façon indépendante, comme l'anima et l'animus et revendique une position et une valeur plus hautes que la syzygie. (Celle-ci apparaît comme « les deux moitiés de la totalité, à savoir le couple royal frère-soeur, et donc aussi comme cette tension d'opposés d'où naît l'enfant divin comme symbole de l'unité. » ( cf. la tradition alchimique))
Jung emploie fréquemment la notion de totalité dans le sens d' « entièreté » : « Loin de viser à être tout, tout posséder ou faire toutes les expériences, elle est corrélative aux expériences de dissociation et de morcellement. Ce n'est pas un «accomplissement total, ni une perfection ».
L'expérience du soi en résolvant la dissociation du conscient et de l'inconscient (par la conjonction des opposés) donne au sujet d'être entier.
L'expérience du soi, est une impulsion inconsciente donnant un sens à la vie et qui jaillit dans la personnalité consciente. (rappelant l'expérience unificatrice décrites par les mystiques)
C'est pourquoi le soi est aussi « l'archétype du sens » et que toute la réalité psychique intérieure de l'individu est orientée vers ce symbole.
« le comportement humain ne pourra jamais être expliqué d'une façon satisfaisante par des instincts isolés ou des mécanismes orientés, tels que la faim, la puissance, la sexualité, la conservation et la perpétuation des espèces. En d'autres termes, le but principal de l'homme n'est pas de manger, de boire, etc. mais d'être humain. » M.L. von Franz Hs.S.
Au -dessus des pulsions, ( i. R ; du spectre lumineux) « notre réalité psychique intérieure manifeste un mystère vivant qui peut être exprimé seulement par un symbole » (U.V. du spectre lumineux).
L'inconscient choisit souvent d'exprimer ce symbole par l'image de « l'Homme Cosmique » cf. les différentes traditions : Adam cosmique dans la Gnose, l'homme dans le pentagramme, l'homme total, etc.
Description du processus :
Jung insiste sur le fait que devenir conscient met le moi en danger car « la prise de conscience et le retrait des projections conduisent le moi à un état d'inflation positive ou négative (ou de déflation) qui ne se résoud que par l'établissement de l'axe Moi- Soi.
« L'intégration des contenus projetés dans les imagos parentales a pour effet d'activer l'inconscient, car ces imagos sont chargées de toute l'énergie qu'elles possédaient originellement dans l'enfance . La solitude dans la conscience de soi a la conséquence paradoxale de faire apparaître dans les rêves et les fantasmes des contenus impersonnels qui sont les matériaux dont sont faits certaines psychoses . Une chute soudaine dans un état d'orphelin, un manque de parents, peut - dans les cas où il y a une tendance à la psychose - avoir des conséquences dangereuses à cause de l'activation également soudaine de l' inconscient » (G.W. 16, § 218)
« Quand arrive ce moment, une compensation pleine de santé entre en jeu. Une réaction surgit de l'inconscient collectif, et lutte contre la dangereuse tendance à la désintégration. Elle est caractérisée par des symboles qui signalent, sans que l'on puisse s'y tromper, un processus de centration. Ce processus ne crée rien moins qu'un nouveau centre de la personnalité, dont les symboles montrent à l'évidence qu'il est surordonné au moi.. C'est un happening vital qui provoque une transformation de la personnalité. J'ai appelé le processus qui conduit à cette expérience le « processus d'individuation » (G,W, 16. § 219)
Les mandalas individuels sont des symboles d'ordre qui apparaissent principalement aux époques de désorientation ou de réorientation. Ils suggèrent un dynamisme inconscient dont les caractères sont : centre, totalité, principe d'unité, conjonction des opposés, structure quaternaire.. Ainsi le chaos devient cosmos,
Dans sa prise de conscience du soi, Jung perçut le sens de son existence et celui de la thérapie analytique.
« Je savais que j'avais atteint avec le mandala comme explication du soi, la découverte ultime à laquelle il me serait donner de parvenir. Un autre en saura peut-être davantage, mais pas moi (M.V.,p.229).
« Le centrage constitue dans mon expérience, le sommet jamais dépassé du développement, lequel se caractérise parce qu'il coïncide dans la pratique, avec l'effet thérapeutique maximum » (R. C., p. 525).
Moi-Soi
Plus les contenus de l'inconscient assimilés au moi sont nombreux et remplis de sens, plus le moi s'approche du Soi, bien que cette approximation ne puisse jamais être achevée.
Une ligne de démarcation doit être tracée entre le moi et les figures inconscientes, démarcation dans laquelle, d'une part, le moi est doté de limites raisonnables selon les normes humaines générales, et d'autre part les figures de l'inconscient ( le Soi, l'anima et l'animus ) sont dotées d'une autonomie et d'une réalité relatives de nature psychique. Abolir ces figures ne fait que renforcer l'inflation du moi. « On ne se débarrasse pas des faits en les déclarant irréels. » Aïon
Dans la pratique, par défaut ou inadéquation d'affectivité subjective, une idée collective importante en elle-même, sera représentée le plus souvent dans un rêve par un attribut secondaire, par un aspect déprécié d'elle-même (un dieu figuré par son attribut thériomorphe ;cf rêve avec l'animal femme) ou dans son contexte archétypique.
Dans un premier temps, à l'instar des orientaux, il présente d'abord le Soi comme le véritable centre de la personnalité et le moi comme devant sacrifier ses valeurs et ses buts, afin de se soumettre à l'orientation qui vient du soi. Ces sacrifice, provoqués par la reconnaissance de l'ombre, ont les traits de ce qu'on appellera plus tard une castration symbolique. Elle en diffère cependant, puisqu'elle ne se termine pas par la seule acceptation des limites et de la mort, mais qu'elle débouche sur une relation vivante avec l'inconscient.
Ces abandons, ces pertes et ces deuils que la personnalité vit au fur et à mesure qu'elle devient consciente donnent au sacrifice du moi la même ampleur que la mort du moi enseignée dans les traditions orientales.
Dans un deuxième temps, Jung marquera nettement la différence entre ces traditions et l'expérience analytique.
« Il ne peut être question d'une totale extinction du moi, car le foyer du conscient serait détruit et il en résulterait une complète inconscience » (G.W. 9/2, § 79).
Il ne s'agit pas d'une mort du moi, mais du sacrifice de sa toute puissance. Non seulement, le moi ne disparaît pas, mais se dégageant des états imaginaires, il naît à sa réalité propre. Il est le sujet de nos choix et de nos engagements ; le seul responsable de la décision.
« Le moi est doté d'un pouvoir, d'une force créatrice, conquête tardive de l'humanité, que nous appelons volonté » (H.D.A., 90)
C'est pourquoi , au cours du processus d'individuation, Jung insiste quant à la nécessité d'ancrer le moi dans la vie concrête (cf. dans Ma Vie), professionnelle, affective.
Le moi et le soi sont interdépendants.
Jung pointe le danger rationnaliste de la non-reconnaissance du soi, et le danger « mystique » de l'absorption du moi dans le soi. (C.G. Elie Humbert) Induisant, tout deux, une inflation du moi.
Dans le premier cas (assimilation du soi par le moi) une sphère vitale doit être ménagée au rêve et la prétention du moi endiguée par une défaite morale. (Il ne s'agit pas d'un relâchement de la moralité mais d'une activité morale dans une autre direction.) (Cf. rêves de Catherine D. avec le chaman)
Dans le second par contre(assimilation du moi par le soi) le caractère archétypique du Soi en exercant une détermination sans limites sur la conscience, met le moi dans un espace et un temps absolus. C'est la réalité qui doit alors être défendue contre un état de rêve « éternel »
Projection :
« Comme on le sait, ce n'est pas le sujet conscient qui projette, mais l'inconscient ». Nous pouvons donc découvrir la projection, mais pas la créer.
La projection isole le sujet, puisque sa relation avec l'environnement est illusoire et transforme le monde environnant. Elle le mène ainsi à « un état autoérotique ou autistique dans lequel on rêve un monde dont toutefois la réalité reste inaccessible ». AÏON p.21
« Plus les projections interposées entre le sujet et son environnement sont nombreuses, plus il devient difficile au moi de percer à jour ses illusions. »
« Il est souvent tragique de voir à quel point d'évidence un homme gâche sa propre vie et celle des autres sans pouvoir, pour rien au monde, discerner dans quelle mesure toute la tragédie vient de lui-même et se trouve sans cesse alimentée et entretenue par lui-même. »