LECTORI BENEVOLO J'ai le cour serré à cause de toi, mon frère. II Samuel 1 : 26.
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La controverse est née du préjugé singulier selon lequel rien n'est vrai que ce qui se présente ou s'est présenté sous la forme d'une donnée physique. Ainsi, par exemple, au sujet de la naissance virginale du Christ : certains y croient comme à une chose physiquement vraie, et d'autres la contestent parce qu'ils y voient une impossibilité physique. .. cette opposition est logiquement insoluble et qu'il vaudrait mieux par conséquent abandonner des débats aussi stériles.
Les deux partis en effet ont à la fois tort et raison ; ils tomberaient cependant aisément d'accord s'ils condescendaient à renoncer au mot « physique ». Car le critère d'une vérité n'est pas seulement son caractère « physique » : il est aussi des vérités psychiques, vérités de l'âme qui, dans la perspective physique, ne sauraient pas plus être expliquées que récusées ou démontrées.
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C'est à cette forme d'existence qu'appartiennent les manifestations religieuses. Elles se rapportent toutes, sans exception, à des objets qui ne sauraient être constatés physiquement. . Les expressions religieuses, si on veut les mettre en rapport avec les plans physiques, sont totalement dépourvues de sens. Elles ne seraient alors que des miracles, donc exposées au doute, et ne sauraient prouver la réalité d'un esprit, c'est-à-dire la réalité d'un sens, car le sens ne se révèle jamais qu'à partir de lui-même. (*1) Le sens et l'esprit du Christ sont pour nous présents et perceptibles.. Les miracles ne font qu'en appeler à la raison de ceux qui se révèlent incapables de saisir le sens. Les miracles ne sont que des produits de remplacement de la réalité de l'esprit, lorsque celle-ci demeure incomprise. (*2) . la présence vivante de l'esprit (est) parfois accompagnée de manifestations physiques fort singulières ; .. ces dernières ne peuvent ni remplacer ni « actualiser » la seule chose essentielle, à savoir la reconnaissance de l'esprit.
Le fait que les expressions religieuses se situent souvent à l'opposé des manifestations physiques les mieux accréditées prouve précisément l'indépendance de l'esprit en face des perceptions physiques, et une certaine autonomie des expériences de l'âme envers les données physiques. L'âme est un facteur autonome et les expressions religieuses sont des professions de foi psychiques (Profession de foi psychique, diront les uns, profession de foi spirituelle, diront les autres, selon que l'esprit en méditant inclinera davantage ou vers l'homme ou vers ses projections transcendantes et métaphysiques) qui, en ultime analyse, reposent sur des processus inconscients, transcendants. Ceux-ci sont inaccessibles à la perception physique et ne prouvent leur existence que par les professions de foi qu'ils suscitent dans l'âme. Ces manifestations religieuses sont transmises grâce au vecteur de la conscience humaine, et à cette fin travesties en des formes imagées soumises elles-mêmes à de multiples influences, de nature aussi bien extérieure qu'intérieure.
. Nous ne saurions préciser dans quelle mesure ces images, ces allégories et ces concepts sont clairs ou estompés par rapport aux objets transcendants qu'ils visent à désigner. Si, par exemple, nous prononçons le mot Dieu, nous recourons à une image ou à un concept verbal qui, au long des temps, a subi maintes métamorphoses. Et ce faisant, nous sommes absolument hors d'état d'indiquer avec quelque sécurité que ce soit - croyance mise à part - si ces métamorphoses ne touchent qu'images et concepts, ou si elles touchent l'Indicible lui-même. On peut tout aussi bien se représenter Dieu comme une vitalité éternellement agissante, un flot ininterrompu et qui se métamorphose en des formes infinies, que comme un être éternellement immobile et immuable. Notre entendement n'est sûr que d'une chose : c'est qu'il manie des images, des représentations qui dépendent de l'imagination humaine et de ses conditionnements temporels et spatiaux, et qui se sont par conséquent transformées de multiples façons au cours de leur histoire millénaire. .. ces images reposent sur quelque chose de transcendant par rapport à la conscience - un quelque chose qui fait que les manifestations en cause ne varient pas de manière chaotique et illimitée, mais laissent discerner qu'elles se rapportent toutes à quelques rares principes, je pourrais aussi bien dire archétypes. Ces archétypes sont à l'égal de la psyché ou de la matière, inconnaissables en eux-mêmes ; ce que l'homme peut uniquement faire, c'est en esquisser quelques modèles approximatifs, tout en sachant qu'ils sont insuffisants et approximatifs.
.. lorsque je m'attache à ces objets « métaphysiques ».. j'avance dans un monde d'images, et aucune de mes réflexions ne touchera à l'Inconnaissable. . Quoique tout notre monde de représentations religieuses soit constitué d'images anthropomorphes qui ne sauraient en tant que telles résister à la moindre critique rationnelle, on ne doit cependant jamais oublier qu'elles reposent sur des archétypes numineux, (Formé par R. Otto sur numen (être surnaturel sans représentation plus précise), le terme numineux exprime la majesté et la puissance invincible. Soit ce qui, dans l'homme, manifeste une présence que les anciens disaient « divine ». Voir à ce sujet R. Otto, Le Sacré) c'est-à-dire sur des soubassements émotionnels qui se révèlent impénétrables à tous les efforts de la raison critique. Il s'agit là de données psychiques auxquelles on peut se fermer, certes, mais qui ne se laissent en aucun cas réduire à néant par des preuves. .. Tertullien en appelait déjà au témoignage de l'âme dans son ouvrage : De testimonio animae.
Je.. considère aussi les récits des saintes Ecritures comme des manifestations de l'âme. nous ne savons que trop combien les extériorisations de la conscience peuvent être mirage, méprise, mensonge, caprices arbitraires ; mais on ne saurait en dire autant des manifestations de l'âme. Ces dernières se déroulent toujours en quelque sorte par dessus notre tête en donnant l'impression de traduire des réalités qui transcendent la conscience. Ces entia - ces êtres, ces entités - sont les archétypes de l'inconscient collectif qui déterminent la formation de complexes représentatifs ; ceux-ci ont un air de parenté avec les thèmes mythologiques.
De telles représentations ne sont ni trouvées ni inventées, mais jaillissent toutes faites, par exemple dans les rêves, à travers lesquels elles deviennent objets de la perception intérieure. Il s'agit de phénomènes spontanés soustraits à l'arbitraire de notre volonté ; on est en droit par conséquent de leur attribuer une certaine autonomie, qui les fera considérer non seulement comme des objets mais aussi comme des sujets dotés de lois qui leur sont particulières. On peut, naturellement, dans la perspective du conscient, les décrire en tant qu'objets et jusqu'à un certain degré les expliquer, dans la mesure même où l'on peut décrire et expliquer une créature vivante ; mais on fait ainsi abstraction de leur autonomie.
Si l'on veut rendre justice à cette dernière, il est absolument nécessaire de traiter ces représentations comme des sortes de sujets, c'est-à-dire qu'il faut leur reconnaître spontanéité et intentionnalité, bref, une manière de conscience et de libre arbitre. On observera donc leur comportement et on tiendra compte de leurs extériorisations. Ce double point de vue, qu'il convient d'avoir à l'égard de tout organisme relativement indépendant, acheminera vers un double résultat : d'une part, à comprendre ce que l'observateur fait de l'objet, d'autre part, à apprécier l'efficacité qu'exerce éventuellement sur l'observateur l'objet étudié. .
Quelqu'un se sentirait-il tenté, en considérant les images de la divinité qui peuplent notre univers représentatif, de les envisager avec cette sorte de désinvolture qui incite à dire : « ce n'est que », il se mettrait en contradiction formelle avec l'expérience qui révèle de façon impressionnante .. la luminosité extraordinaire de ces images. Leur efficacité hors pair (ce qui est la définition du mana) est telle qu'on a le sentiment, en les évoquant, non seulement de faire allusion à l'Ens realissum - à la réalité suprême -, mais en outre de nommer celle-ci et, en quelque sorte, de la créer en la nommant. De ce fait, toute tentative de discussion devient extrêmement difficultueuse.. On ne peut en effet se représenter Dieu et sa réalité qu'en utilisant des images nées le plus souvent spontanément, ou consacrées par la tradition ; or, le bon sens naïf n'a jamais procédé à leur endroit à une différenciation entre, d'une part, leur nature et leur efficience psychiques, et, d'autre part, leurs soubassements métaphysiques incommensurables. Le bon sens naïf confond en une seule et même chose l'image, figuration mentale d'une force qu'elle exprime, et l'X transcendant qu'elle évoque. Cette absence de différenciation, cette confusion semble légitimée par une évidence spontanée et ne constitue pas une interrogation ou un problème, tant qu'aucune objection sérieuse ne s'élève dans l'esprit contre l'expression en cause. Mais que surgisse un motif de critique, et il faut alors se rappeler, pour y faire face, que l'image et l'expression sont des détours psychiques, différents de l'objet transcendant qu'elles visent à préciser : elles ne sauraient l'établir, elles ne peuvent que l'évoquer. Or, dans le domaine des processus psychiques, la critique et la confrontation sont non seulement de mise, mais même inévitables.
Ce que je vais donc tenter ci-après, c'est de me confronter avec certaines représentations religieuses traditionnelles. Comme il va s'agir de facteurs numineux, ce n'est pas à mon seul intellect qu'est jeté un défi ; mon sentiment devra aussi entrer en lice. C'est pourquoi je ne puis me contenter d'user d'objectivité : je dois également laisser parler ma subjectivité et mes émotions pour décrire ce que je ressens à la lecture de certains Livres des Ecritures, ou lorsque je me souviens des impressions que m'ont laissées l'enseignement de la foi et des dogmes. . Ce que j'exprime est tout d'abord ma conception personnelle ; mais je sais par expérience que je parle en même temps au nom de beaucoup d'êtres qui ont eu des réactions et des destins semblables aux miens P.21
*1 cf. le sens de la vie abordé uniquement d'un point de vue physique.
*2 cf. les guérisseurs phillipins
REPONSE A JOB
Le Livre de Job est .. un point de repère au sein des péripéties d'un drame divin. . image pleine de contradictions de Yahvé : celle d'un dieu qui, dans ses émotions, dépasse toute mesure et souffre précisément de cette démesure. Ce dieu doit s'avouer lui- même que la colère et la jalousie le consument et qu'il lui est douloureux de le constater. La réflexion et la connaissance résident en lui à côté de l'irréflexion et de l'ignorance de soi-même, comme résident aussi la bonté à côté de la cruauté, et la force créatrice à côté de la volonté de détruire. Tous ces éléments sont présents et aucun ne gêne l'autre. Un tel état mental n'est pensable à nos yeux qu'en l'absence de toute conscience réfléchie, ou bien, si cette conscience existe, cela signifie que la réflexion y est alors occasionnelle, passive, impuissante. Un état semblable, avec les caractéristiques de cette sorte, ne peut se qualifier autrement que d'amoral. .
.. nous nous attacherons à la façon dont un homme élevé et éduqué chrétiennement de nos jours réagit aux obscurités divines qui se dévoilent et se manifestent dans le Livre de Job, comment ces obscurités agissent sur lui et comment il se confronte avec elles. . décrire une réaction subjective, afin que résonne une voix qui parle pour tous ceux qui sentent de la même manière, et afin que s'exprime l'émotion suscitée par le spectacle .. de la sauvagerie divine et de son immoralité criminelle. Même si aujourd'hui nous sommes en état de concevoir la faille déchirante, avec son cortège de souffrances, qui existe au sein même de la divinité, il n'en reste pas moins que cette dissociation et ces affres sont tellement dépourvues en Yahvé de réflexion et de vibrations humaines qu'elles demeurent moralement inefficaces. Elles n'éveillent en nous aucune compassion compréhensive, rien, sinon un affect tout aussi irréfléchi et durable qui équivaut, en notre sensibilité, à une blessure qui ne guérit que lentement. Or, de même qu'une blessure correspond à l'arme qui a frappé, une émotion reflète l'acte de violence qui a sévi.
.un paradigme à propos d'une expérience du divin et de ses modalités .. Mieux vaut s'avouer l'effet qu'elles produisent, se soumettre aux affects qu'elles déclenchent, que chercher à échapper à leur puissance par toutes sortes d'opérations intellectuelles, ou à s'en dégager, sur le plan des sentiments, par une réaction de fuite. Quoique, en s'abandonnant à l'ébranlement émotif, on imite toutes les mauvaises qualités de l'acte de violence qui nous a affecté et quoique, de cette façon, on se rende coupable des mêmes travers, il n'en demeure pas moins que c'est ainsi qu'on réalise précisément le but de tels événements : ils doivent pénétrer dans l'homme, l'atteindre en profondeur, et lui doit succomber à leurs effets. C'est pourquoi l'homme doit se trouver affecté, sinon l'efficacité de l'événement ne l'a pas atteint et le déroulement de celui-ci se serait produit en vain.
Mais .. dorénavant il devra profiter de l'occasion pour s'efforcer de connaître ce qui l'a affecté : ainsi, il transformera en un savoir la violence aveugle, et l'aveuglement affectif qu'elle a déclenché en lui. . je laisserai, .. la parole à l'affect, répondant à des injustices par des partialités injustes, afin de pouvoir comprendre en définitive pourquoi et en vue de quoi Job a été blessé et quelles sont les conséquences qui découlent de cet événement, tant pour Yahvé que pour les hommes. P.25
I
Au discours de Yahvé, Job rétorque (Job, 40 : 4,5) :
« J'ai parlé à la légère : que te répondrai-je ?
Je mettrai plutôt ma main sur ma bouche.
J'ai parlé une fois. je ne répéterai pas ;
Deux fois. je n'ajouterai rien. »
.pour un témoin qui, confronté avec la puissance créatrice infinie, éprouve encore dans la moelle des os l'épouvante d'une destruction totale, cette réponse est la seule possible. . En dépit de sa misérable petitesse et de sa faiblesse, cet homme sait qu'il est en face d'un être surhumain, d'une susceptibilité personnelle extrême, et que, par conséquent, il fera mieux dans tous les cas de s'abstenir de la moindre réflexion critique, sans même parler de certaines exigences morales que, vis-à-vis d'un dieu, on se croit en droit de ressentir.
. Job pourrait devant Lui, le Juge juste, se plaindre et affirmer solennellement son innocence. Mais il doute de cette possibilité.
« En vérité, je sais bien qu'il en est ainsi :
l'homme pourrait-il avoir raison contre Dieu ?
Quiconque s'avise de discuter avec lui
ne trouve pas à répondre une fois sur mille. (Job, 9 : 2, 3.)
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Recourir à la force ? Il l'emporte en vigueur !
Au tribunal ? Mais qui donc l'assignera ? » (Job, 9 : 19.)
Yahvé, sans motif, « a multiplié ses blessures » (Job, 9 :17) :
« . il fait périr de même justes et coupables.
Quand un fléau mortel s'abat soudain,
Il se rit de la détresse des innocents. » (Job, 9 : 22, 23.)
« Je sais », dit Job en s'adressant à Yahvé, « qu'à tes yeux je ne suis point innocent et qu'il me faut être coupable. » (Job, 9 : 28, 29). Et il constate (Job, 9 : 30, 31) :
« Que je me lave avec de la neige,
Que je purifie mes mains à la soude ?
Mais tu me plonges alors dans l'ordure,
Mes vêtements mêmes me prennent en horreur ! »
Job continue, parlant de Yahvé et se lamentant (Job, 9 :32)
« Car lui n'est pas comme moi, un homme : impossible de discuter,
de comparaître ensemble en justice. »
Cependant, Job voudrait se justifier devant Yahvé, il voudrait exprimer sa plainte ; et il Lui dit (Job, 10 : 7) :
«. tu sais bien que j e suis innocent
et que nul ne me ravira de tes mains ! »
Job voudrait « faire à Dieu des remontrances » (Job, 13 : 3) :
« Il peut me tuer : je n'ai d'antre espoir
que de justifier devant lui ma conduite. (Job, 13 : 15).
Job sait qu'il est dans « son droit » (Job, 13 : 18). Yahvé, trouve-t-il, devrait le faire comparaître, l'écouter et lui répondre, ou, au moins, lui laisser exprimer sa plainte. Appréciant justement la disproportion existant entre Dieu et l'homme, Job interroge Yahvé (Job, 13 : 25)
« Veux-tu effrayer une feuille que le vent pourchasse,
t'acharner contre une paille sèche ? »
Et il continue, à l'adresse de ses amis (Job, 19 : 6)
« Sachez que c'est Dieu qui m'opprime
Et qui m'enveloppe de son filet. »
Dieu lui « a ravi son droit » et se moque de l'injustice. Mais (Job, 27 : 2-6) :
« . tant qu'un reste de vie m'animera,
Que le souffle de Dieu passera dans mes narines,
jusqu'à mon dernier souffle, je maintiendrai mon innocence. » P.29
Son ami Elihu ne croit pas à l'injustice de Yahvé (Job, 34 :12) :
« En vérité, Dieu n'agit jamais mal,
Shaddaï (..Dieu Montagnard.. ) ne fait pas fléchir le droit »
Elihu fonde cette opinion, bien illogiquement d'ailleurs, en se référant au facteur de la puissance de Dieu (comme si la justice dépendait de la puissance) (Job, 34 : 18, 19) :
« Lui, qui dit à un roi : « Vaurien ! »
traite les nobles de méchants. »
Un homme quelconque ne manque pas « d'honorer la personne du prince et de distinguer le pauvre du riche ».
Mais Job ne se laisse pas ébranler, et prononce une sentence lourde de sens (Job, 16 : 19-21) :
« Dès maintenant, j'ai dans les cieux un témoin,
là-haut se tient mon défenseur.
Ma clameur est mon avocat auprès de Dieu,
Tandis que devant lui coulent mes larmes.
Qu'elle plaide la cause d'un homme aux prises avec Dieu,
comme un mortel défend son semblable. »
Et plus loin (Job, 19 : 25) :
« Je sais, moi, que mon Défenseur est vivant,
que lui, le dernier, se lèvera sur la terre. »
Les paroles de Job montrent clairement qu'en dépit de ce qu'il doute profondément que l'homme puisse jamais avoir raison contre Dieu, il éprouve cependant beaucoup de peine à renoncer à l'idée de s'affirmer en face de Dieu sur le terrain du droit et, par conséquent, de la morale. Savoir que l'arbitraire divin asservit le droit lui est insupportable, car il ne peut, malgré tout, abandonner sa croyance en la justice divine. Néanmoins, il doit bien , s'avouer que nul autre ne le poursuit ni ne lui inflige injustices et violences, sinon précisément Yahvé Lui-même. Il ne peut nier qu'il se trouve confronté à un dieu indifférent à tout jugement moral en ce qui le concerne et qui ne reconnaît aucune éthique ayant valeur de lien ou d'engagement. . la grandeur de Job : face à cette accumulation de difficultés, il ne met pas en doute l'unité de Dieu, mais perçoit clairement que Dieu Se trouve en contradiction avec Lui-même de façon si totale que lui, Job, est sûr de découvrir en Dieu un allié et un intercesseur contre Dieu Lui-même. Autant il est sûr du mal qui est en Yahvé, autant aussi il est certain du bien qui y réside. Or, pouvons-nous, dans un homme qui nous fait du mal, espérer découvrir aussi un allié contre ce mal ? (. Sans cette attente implicite de l'âme au cour même de l'adversaire, tous les efforts de discussion, de supplications et d'apitoiement seraient lettre morte..) Mais Yahvé n'est pas un homme : Il est la fois et indissolublement le persécuteur et l'allié contre le persécuteur, chacun des deux aspects de Lui-même étant aussi réel que l'autre. On ne saurait dire que l'être de Yahvé est dissocié : il constitue une antinomie, somme de contradictions intérieures qui est le tremplin et la condition préalable de Sa dynamique monstrueuse, de Son omnipotence et de Son omniscience. C'est en s'appuyant sur cette connaissance de Yahvé que Job s'entête à vouloir « Lui rendre compte de tous ses pas », c'est-à-dire à Lui exposer clairement son point de vue, car Yahvé, mis à part Sa colère dévastatrice, est aussi, contre Lui-même, l'avocat de la créature qui doit déposer une plainte.
La connaissance de Dieu que possède Job serait d'autant plus surprenante si l'on entendait parler ici pour la première fois de l'amoralité de Yahvé. Mais ces humeurs imprévisibles, ces accès de colère dévastateurs étaient relatés depuis bien longtemps. Yahvé s'était révélé gardien jaloux de la morale, d'une susceptibilité pointilleuse, en particulier, pour tout ce qui concerne la justice ; c'est pourquoi il fallait toujours Le louer comme « Juste », éloge qui, à ce qu'il semble, Lui tenait fort à cour. Du fait de ces circonstances et grâce à ces particularités, Yahvé possédait une personnalité distincte, qui ne se différenciait de celle d'un roi plus ou moins archaïque que par son ampleur. Sa nature jalouse et susceptible, qui, avec méfiance, sondait les cours infidèles des hommes et leurs pensées secrètes, imposa un rapport personnel entre Lui et la créature qui ne pouvait faire autrement que se sentir personnellement appelée par Lui.
C'est cela qui sépare essentiellement Yahvé de ce père souverain régnant sur l'univers qu'était Zeus : avec bienveillance et un rien de détachement, celui-ci laissait l'économie du monde se dérouler au cours des âges, selon .. et ne sanctionnait que les désordres. Zeus ne moralisait point mais régnait d'instinct. De la part des hommes, il n'attendait rien, sinon les sacrifices qui lui étaient dus ; avec eux, il ne voulait absolument rien, car il n'avait pas de projets les concernant. Certes, Zeus le père était une figure, non pas une personnalité.
Au contraire, les hommes importent à Yahvé ; ils sont même pour Lui une préoccupation constante. Il a besoin d'eux comme ils ont besoin de Lui : de façon urgente et personnelle. Zeus, certes, pouvait lancer foudre et tonnerre, mais seulement contre quelque malfaiteur qui semait le désordre : il ne reprochait rien à l'humanité prise dans son ensemble ; elle ne paraît point l'avoir intéressé en particulier. Yahvé, par contre, peut Se courroucer démesurément à propos des hommes, des individus ou du genre humain, lorsqu'ils ne se comportent pas comme Il le souhaite et l'attend ; dans Ses colères, l'idée d'ailleurs ne semble jamais L'avoir effleuré que façonner quelque chose de meilleur que cette fragile pâte humaine n'aurait dépendu que de Sa Toute Puissance. P.33
En raison de l'intensité de ce rapport personnel entre Dieu et Son peuple, il était inévitable que se développât une alliance en bonne et due forme qui s'étendrait à certaines créatures .. Psaume 89, Yahvé avait dit à David :
« Point ne profanerai mon alliance
ne dédirai le Souffle de mes lèvres.
Une fois j'ai juré par ma sainteté
mentir à David, jamais. »
Et pourtant, il advint que Lui, Yahvé, qui veillait si jalousement sur l'accomplissement des promesses et sur le respect des lois, brisa Son serment. Si pareille mésaventure survenait à l'homme moderne . ce qu'il escompte de son Dieu est qu'Il Se montre en tout point supérieur aux humbles mortels, qu'Il soit meilleur, plus élevé, plus noble que la créature, qu'Il surpasse dans tous les domaines, mais non pas en ce Il concerne l'instabilité et l'irresponsabilité morales, qui vont jusqu'au parjure.
. on ne doit pas confronter un dieu archaïque avec les besoins de l'éthique moderne. .. pour homme de l'antiquité .. ses dieux étaient parés de toutes les vertus et de tous les vices qui bourgeonnaient à plaisir. C'est pourquoi on pouvait les punir, les enchaîner, les gruger, les enflammer de colère l'un contre l'autre, sans qu'i1s perdissent rien, au moins à longue échéance, de leur prestige. L'homme .. était tellement habitué aux inconséquences divines que lorsqu'elles survenaient, elles ne l'ébranlaient pas outre mesure. Pour Yahvé, toutefois, les choses étaient déjà différentes, car, dans les rapports religieux entre l'homme et Lui, le facteur d'un lien personnel et moral a joué très tôt un rôle important. Si bien qu'une rupture de contrat venant de Sa part devait avoir des effets blessants non seulement sur le plan personnel mais aussi sur le plan moral. C'est ce qui apparaît clairement dans la réaction de David, qui dit (Psaume 89 : 47-48-50) :
« Jusques à quand, Yahvé, seras-tu caché ? jusqu'à la fin ?
brûlera-t-elle comme un feu, ta colère ?
Souviens-toi de moi, quelle est ma durée,
pour quel néant tu as créé les fils d'Adam.
.
Où sont les prémices de ton amour, Seigneur ?
Tu as juré à David sur ta fidélité. »
Adressé à un humain, ce discours emprunterait approximativement les termes suivants : « Maintenant, ça suffit, prends enfin sur toi de mettre un terme à ces colères stupides. C'est vraiment trop grotesque pour quelqu'un comme toi d'entrer dans une telle fureur à propos de ces plantes, qui, certes, poussent de travers, un peu par ta faute, d'ailleurs. Tu n avais qu'à être un peu plus raisonnable et à cultiver ton jardinet avec soin au lieu de le piétiner. »
L'interlocuteur ne peut cependant, à propos de la rupture du contrat, oser plaider contre son partenaire tout- puissant. Il sait ce que ses oreilles lui en tinteraient si c'était lui qui foulait si fâcheusement le contrat. Mais il est obligé, car une autre attitude pourrait mettre sa vie en danger, de se replier, et de se hisser à un niveau plus élevé de raison ; ainsi, sans le savoir et sans le vouloir, il fait preuve de supériorité tant intellectuelle que morale face à son partenaire divin. Pas plus que Yahvé ne remarque qu'on Le traite avec ménagement, Il ne comprend les raisons qui Le poussent de façon permanente à exiger qu'on L'appelle « le Juste » et qu'on Le loue comme tel. Il exige de Son peuple qu'il Le loue (Non seulement qu'on Le loue, mais qu'on Le « bénisse » ce qui est encore bien plus déroutant et contradictoire. ) sous toutes Ses formes et qu'il se Le rende propice ; ce qui n'a manifestement d'autre but que de Le maintenir à tout prix de bonne humeur.
Le caractère qui surgit trait après trait et s'affirme en ces circonstances est celui d'une personnalité qui ne peut se procurer le sentiment de sa propre existence qu'à travers un objet extérieur à elle-même. La dépendance à l'égard de l'objet est totale et absolue quand le sujet ne possède pas la moindre autoréflexion ni la moindre appréciation de lui-même. Tout se passe comme si le sujet n'existait qu'en vertu du fait qu'il possède un objet lui apportant l'assurance qu'il existe. Si Yahvé était réellement conscient de Lui-même, en raison de la véritable situation, Il ne devrait pas tellement exiger qu'on loue Son esprit de justice .. mais Il est trop inconscient pour être « moral ». La morale présuppose la conscience. Ceci n'est pas pour dire que Yahvé, à l'égal d'un démiurge gnostique, soit imparfait ou mauvais : Il est chaque qualité dans la totalité de celle-ci ; Il est par conséquent la justice de façon absolue, mais aussi son contraire de manière aussi totale. C'est du moins ainsi qu'il faut se Le représenter si l'on veut dégager une image cohérente de Sa nature. Ce faisant, il nous faut rester conscient du fait que nous ne pouvons qu'esquisser une image anthropomorphique. Le mode de comportement de l'être divin permet de discerner que Ses différentes propriétés ne sont pas suffisamment en relation les unes avec les autres, de sorte qu'elles déterminent des cassures entre les actes contradictoires qu'elles inspirent : ainsi, Yahvé regrette d'avoir créé des hommes, alors que Son omniscience devait, dès l'origine, savoir ce lui allait advenir des hommes. P.37
II
Comme l'Omniscient qui sait toute choses voit dans tous les cours, et comme les yeux de Yahvé « vont par toute la terre » Zacharie, 4 : 10 (Voir aussi le Livre de la Sagesse, 1 : 10, « une oreille jalouse écoute tout, la rumeur même des murmures ne lui échappe pas. »), il est préférable que l'interlocuteur du Psaume 89 ne prenne pas trop rapidement conscience du brin de supériorité morale dont il a fait preuve en face du dieu plus inconscient que lui ; mieux vaudrait qu'il se la cache à lui-même, car Yahvé ne prise pas les pensées critiques qui pourraient diminuer de quelque façon le courant de dévotion qu'Il exige. Aussi fort que résonne Sa puissance à travers les espaces cosmiques, aussi mince et ténue est la base réelle de Son être, puisque Son propre reflet dans une conscience Lui est absolument nécessaire pour exister. L'être ne prend de valeur que dans la mesure où quelqu'un en a conscience. C'est pourquoi le Créateur a besoin de l'homme conscient, quoiqu'Il soit tenté, en vertu de Sa propre inconscience, de gêner l'homme qui s'efforce de prendre conscience. C'est pourquoi Yahvé absolument besoin des acclamations d'un petit groupe .. P.39
.si ce groupe avait l'idée soudaine de suspendre ses acclamations et ses applaudissements : cela susciterait chez Yahvé un état d'excitation marquée par une colère aveugle et destructrice, suivie de Son propre enlisement dans une solitude infernale, dans un non-être torturant, d'où renaîtrait, petit à petit, comme sortant d'un profond sommeil, une nostalgie indicible vers ce quelque chose qui rend l'être perceptible de lui-même. C'est en vertu de ces circonstances que toutes les choses naissantes et même l'homme avant qu'il ne devienne une canaille sont d'une beauté miraculeuse et suprêmement émouvante ; car, à l'état naissant, « chaque chose à sa façon » représente le trésor, la nostalgie intime, ce qui bourgeonne avec une délicatesse et une tendresse infinies, bref une image de la Bonté et de l'Amour infinis du Créateur.
Face à l'horreur indiscutable de la colère divine, à une époque où l'on savait de quoi on parlait lorsqu'on évoquait la « crainte de Dieu », il en résulta ceci : la supériorité dont les créatures humaines avaient fait preuve à certains points de vue demeura sous le manteau et inconsciente. La personnalité omnipotente de Yahvé, dépourvue en outre de tout antécédent biographique - Sa relation originelle avec Elohim ayant depuis longtemps sombré dans le Léthé - L'avait placé par-delà tous les noms des gentils et, ainsi, immunisé contre la détérioration que, depuis quelques siècles, subissait l'autorité des dieux païens. Ces derniers avaient été tout particulièrement victimes des détails de leur biographie mythologique : ces détails, aux yeux d'une faculté de jugement qui allait s'affirmant, laissèrent de plus en plus apparaître ce qu'ils offraient de déroutant et de choquant. Yahvé, Lui, n'avait ni origine ni passé ; on savait seulement qu'Il avait créé le monde - Création qui marquait en même temps le début de toute histoire - et qu'Il était en relation avec cette partie de l'humanité dont, par un acte créateur manifestement spécial, Il avait créé, à Sa propre image, l'homme originel, l'ancêtre Adam, en tant qu'Anthropos. Les autres créatures qui existaient déjà alors avaient dû être, on est bien obligé de le supposer, modelées en même temps que « toutes les bêtes sauvages et tous les oiseaux du ciel » (Genèse,2) sur le tour de potier du Créateur - je veux parler des créatures parmi lesquelles Caïn et Seth choisirent leurs épouses. Pour quiconque ne peut accepter notre conjecture, il ne demeure qu'une autre possibilité, bien plus choquante (.. au regard de la morale et de la civilisation occidentale modernes, alors que dans le passé et, de même que nous l'apprennent les ethnographes, chez de nombreuses peuplades primitives, cela n'offrirait rien de tel), à savoir qu'ils se seraient unis à leurs sours dont l'existence n'est pas accréditée par les textes, comme le supposait encore vers la fin du XIXe siècle.. Karl Lamprecht.
La providentia specialis - la providence particulière - qui, en destinant aux Juifs un père originel créé tout exprès l'image de Dieu, les avait dotés de la lourde faveur suspecte d'être « le peuple élu », leur conféra de prime abord des obligations que, de façon compréhensible, ils essayaient dans toute la mesure du possible de contourner.
Comme le peuple élu profitait de toutes les occasions pour se libérer, et que Yahvé ressentait le besoin et la nécessité vitale de fixer à Lui de manière définitive l'objet qui Lui était indispensable et qu'Il avait façonné dans ce but « à Son image », Il conclut, dès les temps les plus reculés, une Alliance .
Pour renforcer cette Alliance, et afin qu'elle demeurât présente à la mémoire, Yahvé institua le témoignage de l' arc-en-ciel. . c'était une bonne idée d'associer désormais à ces sortes d'entassements un signal qui avertirait à temps de la catastrophe possible.
Malgré ces mesures de prudence, le contrat avec David fut mis en pièces . Il était inévitable qu'en raison de l'utilisation zélée du Livre des Psaumes, un certain nombre d'esprits réfléchis trébuchent sur le Psaume 89. ..l'impression désastreuse de la rupture du contrat resta certainement vivace. .
Le Livre de Job place.. l'homme pieux et fidèle mais éprouvé par Dieu. Car c'est avec une aisance déconcertante et sans l'ombre d'un motif que Yahvé Se laissa influencer par un de Ses fils, incarnant Sa faculté de doute (Satan semble être un des yeux de Dieu « qui parcourt la terre et s'y promène » (Job, 1 ; 7). Dans la tradition persane, Ahriman est né d'une pensée de doute d'Ormazd.), et qu'Il en vint à soupçonner la fidélité de Job. En raison de Sa susceptibilité et de Sa méfiance, la seule possibilité du doute suffisait à mettre Yahvé en colère et L'entraînait à ce singulier comportement à double face dont Il avait déjà donné un échantillon au Paradis, par ce procédé avec lequel, attirant l'attention des premiers parents sur l'Arbre de la Connaissance, Il leur interdisait en même temps d'en user. Yahvé provoqua ainsi, sans en avoir l'intention, la chute et l'expulsion du Paradis.
Maintenant, c'est Son fidèle serviteur Job que Yahvé soumet .. à une épreuve de résistance morale, quoiqu'Il soit convaincu de sa fidélité et de sa solidité en face de l'épreuve, et, qu'en outre, sur la base de Son omniscience - s'Il faisait appel à celle-ci -, il Lui serait possible de parvenir à une assurance inébranlable à ce propos. P.43 Dès lors, pourquoi faut-il malgré tout que cette épreuve soit tentée, et qu'un pari sans enjeu soit engagé avec l'insinuateur dépourvu de conscience, sur le dos et aux dépens d'une créature Impuissante ? . Le comportement de Dieu est, considéré d'un point le vue humain, tellement révoltant, qu'il faut se demander si derrière cette attitude ne se cache pas un motif profondément fondé : Yahvé aurait-Il, d'aventure, une résistance secrète à l'encontre de Job ? Ceci pourrait expliquer qu'Il ait cédé si facilement à Satan ; mais alors, il faut se demander : que possède donc l'homme que Dieu n'ait point ?
A cause de sa petitesse, de sa faiblesse, de son manque de défense face au Tout-Puissant, l'homme possède.. une conscience un peu plus aiguë basée sur son autoréflexion : s'il veut survivre, il doit toujours rester conscient de son impuissance en face du Dieu Omnipotent. L'existence de ce dernier n'est pas soumise à cette mesure de prudence, car Il ne Se heurte nulle part à un obstacle insurmontable susceptible de L'inciter à hésiter et ainsi à réfléchir sur Lui-même.
Yahvé aurait-Il été saisi au soupçon que l'homme détient une lumière infiniment faible, certes, mais plus concentrée que la Sienne, à Lui, Dieu ? . Que les hommes se soient comportés autrement qu'on ne s'y attendait n'était déjà que trop fréquent. Il est possible aussi que le fidèle Job ait pu avoir quelque idée de derrière la tête.
. Sa plainte légitime ne trouve pas d'écho auprès du Juge réputé pour Sa justice. Le droit le plus élémentaire lui est refusé, afin que Satan ne soit point dérangé dans son jeu maléfique. .. des actes monstrueux se sont abattus sur Job dans le laps de temps le plus bref .. Yahvé ne témoigne pas de la moindre trace d'opposition, de scrupule, de regret, de sympathie : Il ne fait preuve que de cruauté, de cynisme, d'indifférence. On ne peut davantage retenir la circonstance atténuante que constituerait l'inconscience, puisque Yahvé viole, de la façon la plus flagrante, au moins trois des lois qu'II a dictées sur le mont Sinaï.
A son martyre, les amis de Job .. ne donnent que des leçons de morale, sur une note par trop humaine, c'est-à-dire de façon obtuse.P.45
Enfin, on ne voit pas clairement pourquoi le martyre de Job et le pari divin s'interrompent brusquement. .. pas perdre de vue les arrière-plans de tout ce déroulement : il ne serait pas impossible que s'y fasse jour, peu à peu, une sorte de compensation des souffrances injustement encourues, compensation qui ne saurait laisser Yahvé indifférent même s'Il n'en avait qu'une très vague intuition. Dans l'intimité de ses tortures, sans le savoir ni le vouloir, la créature injustement martyrisée s'est trouvée avoir accès à une supériorité de la connaissance divine que Dieu Lui- même ne possédait point. Certes, si Yahvé avait fait appel à Son omniscience, Job ne l'aurait pas devancé.
Job discerne l'antinomie intérieure de Dieu, et, de ce fait, la lumière de sa connaissance personnelle atteint elle- même à la numinosité divine. .. la possibilité d'un tel développement repose sur le caractère de l'homme fait à l'image de Dieu, similitude dont il ne faut guère chercher les fondements dans la morphologie de l'homme. Yahvé Lui-même avait paré à la possibilité de cette erreur par l'interdiction de Le représenter en image.
Job, en ne se laissant pas détourner de soumettre son cas à Dieu, même sans espoir d'être entendu, détermine une confrontation qui constitue cet obstacle à l'occasion duquel l'essence de Yahvé doit se révéler en toute lumière. C'est à ce dramatique point culminant que le jeu cruel s'interrompt. Mais quiconque escompterait que la colère de Yahvé va se retourner contre le calomniateur serait profondément déçu. Yahvé ne pense ni à faire rendre compte à Son fils, Satan, par lequel Il S'est laissé convaincre, ni à accorder à Job, au moins par l'explication de Sa propre conduite, une certaine satisfaction morale. Au contraire, Il continue à pourfendre les airs dans l'orage de Sa Toute-Puissance et Il accable de Ses reproches le vermisseau humain à demi piétiné (Job, 38 : 2) :
« Quel est celui qui brouille (obscurcit) mes conseils
par des discours dénués de sens ? »
. qui obscurcit quels Conseils ? Car c'est précisément dans la conclusion du pari de Dieu avec Satan que réside l'obscurité. . à moins de supposer que ce ne soit Yahvé Lui-mêrne qui ait provoqué Satan, afin d'engendrer tout ce développement dramatique.. P.47. Naturellement, dans l'omniscience, un tel développement eût été prévu, et il serait possible que le mot « Conseil » fît allusion à ce savoir absolu et éternel. .. l'attitude de Yahvé n'en apparaîtrait que plus inconséquente et plus incompréhensible, car alors Il aurait pu éclairer Job.
. Yahvé semble bien .. adresser Ses reproches à Job. Or, où réside la culpabilité de ce dernier ? La seule chose qu'on pourrait lui reprocher, c'est l'optimisme avec lequel il croit possible d'en appeler à la justice divine. En cela il a effectivement tort.. : Dieu ne Se soucie pas le moins du monde d'être juste ; Il prône Sa puissance qui prime le droit. C'est précisément cela qui ne pouvait pas entrer dans la tête de Job parce qu'il voyait en Dieu un être moral. De la Toute-Puissance de Dieu il n'a jamais douté, mais il avait en outre espéré en Sa Justice. Il a d'ailleurs lui-même rétracté son erreur en discernant que la nature divine est pétrie de contrastes et il a remis ainsi à leur exacte place la Justice et la Bonté de Dieu. .
.. la réponse à la question de Yahvé s'énonce ainsi : c'est Yahvé Lui-même qui a obscurci son propre Conseil et qui témoigne d'un manque de compréhension ; mais, inversant en quelque sorte les rôles, Il reproche à Job Ses propres actes. Il ne saurait être permis à l'homme d'avoir un avis Le concernant, Lui, Yahvé, et, en particulier, d'accéder à une compréhension qui Lui fait personnellement défaut. .Yahvé proclame la puissance du Créateur du monde devant Sa misérable victime qui.. n'est déjà que depuis longtemps et trop profondément convaincue d'être livrée à des violences surhumaines. Yahvé, grâce à Son omniscience, pourrait .. savoir combien.. sont inadaptées et déplacées pareilles tentatives d'intimidation. . voir que Job.. n'a jamais mis en doute la Toute-Puissance de Dieu, pas plus qu'il n'aura jamais été capable d'infidélité envers son Dieu.
Yahvé prend si peu en considération ce qu'est le vrai Job.. se demander s'il n'existe pas derrière ce drame une autre motivation beaucoup plus importante pour Lui. Job n'est en somme que le mobile extérieur qui va donner à Dieu l'occasion d'une confrontation intrapsychique et d'une explication avec Lui-même. P.49
. Yavhé glisse tellement à côté de Job.. à quel point I1 est intérieurement préoccupé de Lui-même. L'emphase avec laquelle Il met en relief Son Omnipotence et Sa Grandeur n'a absolument aucun sens à l'adresse d'un homme tel que Job. .. une attitude de ce genre n'a de sens et ne devient compréhensible qu'à l'adresse d'un témoin qui en doute.
Cette pensée de doute est incarnée par Satan qui, après avoir mis à exécution son ouvre sinistre, s'en est retourné dans le sein paternel afin d'y poursuivre son entreprise rongeante... ce n'est pas une nuance de regret ou de repentir - sans même parler d'un sursaut de révolte morale - qui pointe dans Sa conscience, c'est au contraire une intuition obscure, un quelque chose qui met Sa Toute-Puissance en question- (A ce sujet, Yahvé est d'une susceptibilité particulière car la « puissance » est son grand argument. Par l'omniscience cependant, on devrait savoir que la puissance n'excuse rien.) . Yahvé S'est laissé abuser par les propos mensongers de Satan. Néanmoins, il ne prend pas .. conscience de cette faiblesse, car Satan continue à être traité avec une patience et des égards surprenants. . c'est au dépend de Job que l'on glissera sur les intrigues de celui-là.
Job, pour son bonheur, s'est aperçu pendant l'allocution qu'il y allait de tout autre chose que de son droit. Il a compris.. : qu'il est momentanément impossible de discuter les problèmes de droit ; .. Yahvé, démesurément imbu de Ses propres préoccupations, ne s'intéresse nullement à la requête de Job ; comme Dieu désire que Satan disparaisse d'une façon ou d'une autre, il Lui semble que le plus sûr moyen d'obtenir ce résultat soit de soupçonner que Job nourrit des opinions révolutionnaires ; ainsi, tout le problème se trouve engagé sur une voie différente . l'incident avec Satan.. demeure inconscient.
. ?us ignorons si Job a l'intuition de la manière dont Yahvé violente ainsi Son omniscience ; mais son silence et sa soumission ouvrent la porte à plusieurs interprétations. P.51 C'est sans doute la raison pour laquelle Job ne peut rien faire de mieux qu'annuler aussitôt.. ses exigences et ses appels au droit, et c'est pourquoi il répond par les paroles .. « Je mettrai plutôt ma main sur ma bouche. »
Tout se déroule comme s'Il avait devant Lui, à la place de Job, un être de puissance qui mériterait qu'on lui jetât un défi. Ceci se révèle dans l'apostrophe réitérée (Job, 38 : g, et 40 : 7) :
« Ceins tes reins comme un brave :
Je vais t'interroger et tu m'instruiras. »
N'est qu'alerté par la peur et l'effroi que l'on fait ainsi étalage de sa force, e son pouvoir, ae son courage, ae son invincib11ité.
B, 40 : 8, 9) :
« Veux-tu vraiment casser mon jugement?
me condamner pour assurer ton droit ?
Ton bras a-t-il une vigueur divine,
Ta voix peut-elle tonner pareillement ? »
L'homme livré à l'arbitraire, sans défense et sans droit, que l'on sature de la constatation de son propre néant à chaque occasion, apparaît à Yahvé si manifestement dangereux qu'il doit être pilonné avec l'artillerie la plus lourde. Ce qui L'excite transpire dans le défi qu'Il jette à Job tel qu'Il le suppose (Job, 40 : 12-14) : P.53
« D'un regard, ravale l'homme superbe,
écrase sur place les méchants.
Enfouis-les ensemble dans le sol,
rends muets leurs visages dans le cachot
Et moi-même je te rendrai hommage,
de pouvoir triompher par ta dextre. »
.. Job reçoit un défi comme s'il était Dieu en personne. Pourtant, dans la métaphysique d'alors, aucun second dieu n'existait, hormis Satan, qui possède l'oreille de Yahvé.. Satan est le seul qui puisse faire disparaître le sol de sous les pieds de Dieu, qui puisse L'aveugler et L'amener à commettre des violations éclatantes. Satan, en vérité, est pour Yahvé un partenaire et un adversaire formidable, et qui, à cause de leur lien d'étroite parenté, est tellement compromettant que son existence doit être tenue secrète. Yahvé en personne doit le cacher au plus profond de Lui- même et le dissimuler à la conscience qu'Il pourrait en prendre, et, dans l'espoir de reléguer en « un lieu caché » ce visage redouté afin de Se maintenir en état d'inconscience, dresse le misérable serviteur de Dieu comme un vil épouvantail qu'il faut abattre.
. c'est par suite d'un nouvel élément que le conflit prend de l'acuité pour Yahvé.. :.. un mortel qui, par son attitude morale, se trouve élevé, sans le savoir ni le vouloir, jusqu'au delà des étoiles, d'où il peut même discerner l'autre face de Yahvé, le monde abyssal des « tessons ». (C'est une allusion à une représentation de la philosophie kabbalistique. Ces « tessons » ou « coquilles », en hébreu Kelipoth, forment les dix pôles opposés aux dix Sephiroth, les dix échelons de la révélation de la force créatrice divine. Les dix « coquilles », qui recèlent les dix puissances mauvaises et obscures, étaient originellement mêlées à la lumière des Sephiroth. Le Zohar décrit le mal comme un sous-produit du processus vital des Sephiroth. C'est pourquoi les Sephiroth devaient être purifiés du mélange maléfique des « coquilles ». L'exclusion de celles-ci eut lieu lorsque furent brisés les vases, comme cela est expliqué dans les écrits de la Kabbale .. C'est à travers ce processus que les puissances du mal acquirent une existence propre et réelle.)
Job a-t-il conscience de ce qu'il voit ? Il est assez sage et assez perspicace pour ne pas le trahir. Mais on peut se livrer à mainte supposition à travers ses paroles (Job, 42 :
« Je sais que tu es tout-puissant :
Ce que tu conçois, tu peux le réaliser. »
En fait, Yahvé peut tout et se permet aussi absolument tout, sans sourciller P.55 : Il peut apparemment en toute fierté projeter Son ombre sur un homme et en demeurer inconscient aux dépens de ce dernier. . Le meurtre et l'assassinat commis à Son instigation ne L'effleurent même pas d'un remords. .. Il pourra, dans Sa qualité de grand seigneur féodal, dédommager Ses serfs des dégâts.. : « Tes fils, tes filles ont été anéantis ? Ce n'est pas grave, je t'en donne d'autres, et de meilleurs. »
Job, répondant à l'interrogation antérieure de Yahvé.. continue.. :
« J'étais celui qui brouille tes conseils,
par des propos dénués de sens.
Aussi ai-je parlé sans intelligence,
les merveilles qui me dépassent et que j'ignore.
Je ne te connaissais que par ouï dire,
Mais maintenant mes yeux t'ont vu.
Aussi je retire mes paroles,
je me repens sur la poussière et sur la cendre. » (Job, 42 : 3-6.)
Avec intelligence, Job accueille et amortit les paroles agressives de Yahvé en faisant comme s'il était réellement le partenaire vaincu. Cependant, si clair que soit en apparence son discours, il peut aussi être à double sens. Car, en vérité, Job a pris une bonne leçon en vivant des « merveilles » qui le « dépassent ». ce n'est que « par ouï-dire » qu'il connaissait Yahvé, alors que maintenant, encore plus que David, il a fait l'expérience de Sa réalité : enseignement qui vous pénètre vraiment jusqu'à la moelle et qu'il vaut mieux ne pas oublier. Avant cette expérience, il était naïf, il rêvait même d'un « bon Dieu », souverain bienveillant et juge juste ; il s'était imaginé qu'une « alliance » est un rapport juridique et que l'un des partenaires de pareil traité peut s'appuyer sur les droits qui lui ont été accordés. P.57 Il avait pensé que Dieu aurait été loyal et fidèle, ou tout au moins, juste, et qu'll reconnaîtrait .. certaines valeurs éthiques ; et qu'Il Se sentirait engagé par la position que Lui-même avait prise vis-à-vis du droit. Job a dû se rendre compte que Yahvé, non seulement n'est pas un homme, mais, en un certain sens, est moins qu'un homme - selon ce qu'Il a dit Lui-même de Léviathan, le crocodile (Job, 41 : 26) :
« Tout ce qui est élevé le craint ;
i1 est roi au-dessus de tous les fiers animaux. »
L'inconscience est un état proche de la nature et de l'animalité. Comme tous les dieux anciens, Yahvé possède sa symbolique animale.. cf. Horus et de ses quatre fils. Des quatre animalia de Yahvé, un seul a face humaine : il s'agit de Satan, le parrain de l'homme pour ce qui concerne l'esprit. La vision d'Ezéchiel attribue au dieu animal trois-quarts d'animalité et un quart seulement de nature humaine, tandis que le dieu « supérieur », à savoir celui qui est situé au-dessus du trône de saphir, a « une apparence humaine » (Ezéchiel, 1 : 26). Cette symbolique explique ce qui, dans le comportement de Yahvé, est ~ considéré d'un point de vue humain ~ intolérable ; c'est la conduite d'un être essentiellement inconscient, conduite que l'on ne saurait soumettre à des critères moraux : Yahvé est un « phénomène » ; et non pas « un homme », ainsi que le dit Job. (On doit considérer la supposition naïve selon laquelle le Creator Mundi serait un être de conscience comme un préjudice lourd de conséquences ; cette supposition naïve a, en effet, donné lieu aux errements logiques les plus incroyables. Ainsi, le non sens de la privatio boni (l'absence du bien) n'aurait jamais été nécessaire si on n'avait pas été obligé de supposer qu'il était impossible que la conscience d'un dieu bon puisse jamais créer le mal L'inconscience et l'irréflexion divines, au contraire, rendent possible une conception qui libère l'action divine du jugement moral et qui ne fait pas jaillir de conflit entre la bonté et l'épouvante.)
.. Yahvé s'est enfin calmé. La mesure thérapeutique de l'acceptation sans résistance a fait ses preuves, une fois de plus.
Néanmoins, Yahvé témoigne encore de quelque nervosité à l'encontre des amis de Job. « Car », leur dit-Il, « vous n'avez pas bien parlé de moi » (Job, 42 : 7). La projection de Son complexe de doute s'étend donc.. comme si quelque chose.. pendait de leur opinion. Mais que des hommes soient en état de penser, et, par-dessus le marché, de penser à Son propos, sur Son compte, irrite secrètement Yahvé P. 59 ; cela est même insidieusement redoutable et devait, doit être évité à tout prix : cela ressemble par trop à ce que souvent produit soudain Son fils errant (Satan) , et qui L'atteint, Lui, Yahvé, de façon si désagréable en Son point faible. ..
. l'omniscience progresse peu à peu vers sa réalisation ; .. une connaissance menace de se faire jour en Lui, connaissance qui entraîne à sa suite une sorte d'angoisse d'auto- destruction. ..
.. Nous n'arrivons pas à croire que .. la question soulevée par le pari divin en réponse au tour de fripon de Satan soit résolue par la révérence profonde et par le sage silence de Job devant la Toute-Puissance de la présence divine. Job a moins répondu à l'événement qu'il ne s'y est adapté, et sa réaction souple témoigne d'une maîtrise assez remarquable de lui-même, mais une réponse catégorique fait toujours défaut.
Qu'est- il advenu.. de l'injustice morale qu'a soufferte Job ? La créature serait-elle à ce point indigne aux yeux de Yahvé qu'on ne saurait envisager pour elle la possibilité de subir un tort moral ? . Yahvé aspire manifestement à conquérir les suffrages de l'homme, et .. Il Se soucie fort de savoir que l'homme parle de Lui « en bons termes ». Yahvé compte sur la loyauté de Job dont Il dépend en un certain sens ; la preuve de cette loyauté Lui importe tant qu'Il(Job ?) ne recule devant aucune épreuve effrayante. Cette attitude rehausse la valeur de l'homme et lui confère un poids presque divin . La dualité de l'attitude de Yahvé qui, d'une part, piétine sans le moindre scrupule la vie et le bonheur humains, et pour qui, d'autre part, il semble que l'homme doive être un partenaire, place l'homme dans une situation réellement inextricable : .. Yahvé Se comporte de façon absolument déraisonnable, à l'image des catastrophes de la nature et autres désastres imprévisibles, et Il veut à la fois être aimé, honoré, supplié et loué comme étant le Juste. Il réagit avec susceptibilité au moindre mot qui laisserait supposer .. critique la plus légère..
L'homme ne peut se soumettre à un tel Dieu que dans la crainte et le frisson. P.61Indirectement, il ne peut que tenter, par des éloges massifs et par une obéissance ostentatoire, de se rendre propice le souverain absolu. .. un rapport de confiance semble totalement exclu. Il ne saurait même être question d'escompter une satisfaction morale de la part d'un être aussi fruste et inconscient que Yahvé. c'est comme si Yahvé s'exclamait : « Me voici, le Créateur de toutes les forces de la nature, forces invincibles et dévastatrices qui ne sont soumises à aucune loi morale ; et ainsi, je suis également une puissance amorale de la nature, une personnalité simplement phénoménale, qui ne saurait voir son propre dos.»
.. l'homme, en dépit de son impuissance, est levé au rang de juge de la divinité. . Quiconque en a l'audace peut discerner combien Yahvé élève involontairement Job en le traînant dans la poussière. .. donnant.. à l'homme, après coup, cette satisfaction dont nous déplorons.. l'absence dans le Livre de Job, Yahvé Se juge Lui-même.
Le poète a fourni une preuve magistrale de discrétion en baissant le rideau au moment même où son héros, en se prosternant devant la majesté divine proclame qu'il connaît inconditionnellement 'la déclaration solennelle du démiurge. Aucune autre impression ne doit subsister, car en fait l'enjeu est trop gros : ce qui menace n'est rien moins qu'un scandale dans la métaphysique. il n'est personne qui ne dispose d'une formule salvatrice de remplacement mettant la conception monothéiste de Dieu à l'abri d'une catastrophe. un Grec.. utilisât au détriment de Yahvé pour Le discréditer et Lui préparer un destin comparable à celui que subissaient alors les dieux grecs. .
L'esprit inconscient des hommes voit juste, même si la raison consciente est aveuglée et impuissante : le drame .. s'est déroulé de toute éternité ; la dualité de la nature de Yahvé est devenue manifeste et quelqu'un ou quelque chose a vu et enregistré cela. Une telle révélation, qu'elle parvînt à la conscience des hommes ou non, ne pouvait demeurer sans conséquences. P.64
III
. le Livre de Job se situerait à une époque sensiblement proche du Livre des prétendus Proverbes de Sa1omon (IV et III siècles av. J.-C.). Or, nous trouvons dans ces derniers un symptôme de l'influence grecque qui .. a atteint le domaine de la culture juive.. Le symptôme de cette influence est l'idée de la Sophia, de la Sapientia Dei ou Sagesse de Dieu, un pneuma ou esprit de nature féminine, presque personnifié, co-éternel et préexistant à la Création (Proverbes, 8 : 22-31) :
Yahvé m'a créée au début de ses desseins,
avant ses ouvres les plus anciennes.
Dès l'éternité je fus fondée,
dès le commencement, avant l'origine de la terre.
Quand l'abîme n'était pas, je fus enfantée,
quand n'étaient pas les sources jaillissantes.
.
Quand il affermit les cieux j'étais là,
.
Quand il affermit les fondements de la terre
j'étais à ses côtés comme le maître d'ouvre,
faisant ses délices, jour après jour,
m'ébattant tout le temps en sa présence,
m'ébattant sur la surface de la terre
et mettant mes délices à fréquenter les enfants des hommes. »
Cette Sophia, qui partage déjà certaines qualités essentielles avec le Logos johannique, se rapproche d'une part de la Hokhma, la Sagesse de la littérature hébraïque, mais d'autre part dépasse à un tel degré les traits de cette dernière que l'on ne peut pas ne pas penser à la Shakti hindoue. . une source ultérieure.. est.. Ecclésiastique (Livre biblique composé aux environs de l'an 200 av. J.-C.). La Sagesse y dit d'elle-même (24 : 3-18) :
Je suis issue de la bouche du Très-Haut
et comme une vapeur j'ai couvert la terre.
J'ai habité dans les cieux
et mon trône était une colonne de nuée.
Seule j'ai fait le tour du cercle des cieux,
J'ai parcouru la profondeur des abîmes.
Dans les flots de la mer, sur toute la terre,
chez tous les peuples et toutes les nations, j'ai régné.
.
Avant les siècles, dès le commencement il m'a créée,
éternellement je subsisterai.
Dans la tente sainte, en sa présence, j'ai officié ;
C'est ainsi qu'en Sion je me suis établie,
et que dans la cité bien-aimée j'ai trouvé mon repos,
qu'en Jérusalem j'exerce mon pouvoir.
.
J'y ai grandi comme le cèdre du Liban,
comme le cyprès sur le mont Hermon.
.
et mes fleurs sont des produits de gloire et de richesse.
Je suis la mère du pur amour,
De la crainte, de la connaissance et de la digne espérance,
Je suis donnée à tous mes enfants,
De tout éternité à ceux qui ont été désignés par Lui. »
. La Sagesse s'y désigne elle-même comme étant le Logos, le Verbe de Dieu. En tant que Ruah - esprit de Dieu -, elle a, au commencement, présidé à l'incubation des profondeurs. Ainsi que Dieu, elle a son trône au ciel. En tant que pneuma cosmogonique, elle imprègne le ciel et la terre et toute créature. P.67 Le Logos de l'Evangile selon Jean lui correspond..
La Sophia est par excellence le numen féminin de la « métropolis », la ville- mère Jérusalem. Elle est la mère- amante, une image d'Ishtar, la divinité païenne de la ville. Ceci est confirmé par la comparaison détaillée de la Sagesse avec des arbres comme le cèdre, le palmier, le térébinthe, l'olivier, le cyprès, etc. Ces arbres sont.. des symboles de la divinité sémitique de l'amour et de la mère. Il y avait toujours à côté de son autel, dans les lieux élevés, un arbre sacré. Dans l'Ancien Testament, les chênes et les térébinthes sont des arbres d'oracles. L'arbre représente aussi (dans la tradition babylonienne) Tammuz, le fils-amant, tout comme Osiris, Adonis, Anubis et Dyonisos, les dieux de l'Asie Mineure voués à une mort précoce. Tous ces attributs symboliques apparaissent aussi dans le Cantique des Cantiques, où ils caractérisent le sponsus et la sponsa - l'époux et l'épouse. La vigne, la grappe, la fleur de la vigne et le vignoble y jouent un rôle important. L'amant est comme un pommier. C'est du haut des montagnes (lieux de culte de la déesse mère), « repaire des bons, montagnes des léopards » que la bien-aimée doit descendre (Cantique des Cantiques 4 : 8) ; son sein est « un verger de grenadiers » et des « plus rares essences .. »
Comme le Saint-Esprit, la Sagesse est donnée en présent à tous les élus de Dieu, ce dont s'empara la doctrine du Paraclet.
Dans les écrits apocryphes.. apparaissent encore plus clairement la nature spirituelle (pneumatikos) de la Sophia, ainsi que son caractère cosmogonique formateur, ce qui la rapproche de la Maya : « La Sagesse est un esprit qui aime les hommes. » (Livre de la Sagesse, 1 : 6) , « ami des humains » (Ib., 7 :23) ; elle est « l'ouvrière de toutes choses » (Ib., 7 : 21) « qui peut tout, surveille tout » P.69 (Livre de la Sagesse, 7 : 23). « En elle, en effet, habite un esprit intelligent, saint » (Ib., 7 : 22 « elle est un souffle de la puissance divine, une effusion toute pure de la gloire du Tout-puissant » (Ib., 7 :25), un reflet de la lumière éternelle, un miroir sans tache de l'activité de Dieu »,.. un être « subtil » qui « traverse et pénètre tout grâce à sa pureté ».. Elle est en commerce intime avec Dieu, « le maître de l'univers l'a aimée ».. car « qui plus que la Sagesse est ouvrière de l'univers ? » (Ib.,8 :6). En tant que psychopompe, conductrice des âmes, elle mène vers Dieu et assure l'immortalité (Ib.,6 :18..)
Le Livre de la Sagesse est emphatique à propos de la justice de Dieu.
« La sagesse vaut mieux que la force. »
. le Livre de la Sagesse touche ici au point sensible ; .. montrer comment le Livre de Job se situe par rapport à la modification qui venait de se produire dans la personnalité de Yahvé, à savoir l'apparition de la Sophia..P.71
.. le drame divin se déroule entre Dieu et Son peuple qui, à Lui, Dieu, incarnant le dynamisme masculin, Lui est confié ainsi que Lui serait confiée une femme, sur la fidélité de laquelle Il veille jalousement.
.. la connivence de Yahvé. Son consentement à abandonner Job à l'entreprise criminelle de Satan prouve qu'Il doute de Job, parce qu'Il projette sur un bouc émissaire Sa propre tendance à l'infidélité. Il y a lieu en effet de soupçonner que Yahvé Se dispose à relâcher le lien matrimonial avec Israël, tout en Se dissimulant à Lui-même cette intention. L'infidélité, flottante et indécise, que flaire Yahvé L'incite, par le moyen de Satan, à dénoncer un coupable ; ce coupable, Il le découvre, comme par un fait exprès, chez le plus fidèle des fidèles, ..Yahvé est devenu incertain de Sa propre fidélité.
. Yahvé S'est souvenu d'un être féminin qui ne Lui est pas moins précieux que l'homme ; être féminin qui est pour Lui une amie et une compagne depuis l'aube des temps, la première-née parmi toutes les créatures de Dieu, reflet sans souillure de Sa magnificence éternelle, artisan féminin de la Création plus proche et plus intime de Son cour que les descendances nées ultérieurement du protoplaste, l'homme originel formé à l'image de Dieu. C'est sans doute une dira necessitas - une funeste nécessité - qui imposait cette réminiscence de la Sophia ; les choses ne pouvaient plus continuer comme elles étaient ; le Dieu « juste » ne pouvait plus continuer à perpétrer Lui-même des injustices, et le Dieu « omniscient » ne pouvait plus Se comporter comme une créature illogique et étourdie. L'autoréflexion devient une nécessité impérative, et pour cela, il faut la sagesse : Yahvé doit Se rappeler Son savoir absolu. Car, si Job discerne Dieu, Dieu doit bien Se discerner Lui-même. Il n'était pas possible que dans toute la création la double nature de Yahvé.. ne reste ignorée que de Yahvé Lui-même. Quiconque reconnaît Dieu agit sur Dieu. L'échec de la tentative faite tour précipiter Job dans la déchéance a modifié Yahvé. P.73
. essayons de reconstituer les conséquences de cette modification de Dieu.. avant la chute.. Adam, a enfanté avec l'aide du Créateur, Eve, son pendant féminin.. de même que Dieu avait tiré de la matière originelle l'Adam androgyne, et, avec celui-ci, cette part de l'humanité semblable à Dieu qu'est le peuple d'Israël.. son premier fils (à Adam)(comme Satan) fût un malfaiteur, un assassin aux yeux du Créateur, ce qui répétait sur terre le prologue qui avait eu lieu dans le ciel. .qu'un modèle ait existé pour Abel précocement disparu, Abel que Dieu préférait à Caïn, Abel agriculteur entreprenant. Ce modèle aurait-il été un autre fils de Dieu, de nature plus conservatrice que Satan, un fils de Dieu qui n'était pas errant, qui ne s'était pas voué à des pensées novatrices et obscures, qui restait tendrement lié à son père par l'amour filial, qui n'avait d'autres opinions que les opinions paternelles, et qui s'était cantonné dans le cercle intime de l'économie céleste ? .le reflet terrestre ce modèle, Abel, a été retiré « en hâte d'un milieu dépravé ». (pour reprendre les paroles du Livre de la Sagesse 4 :14), afin qu'il s'en retournât auprès du Père éternel, tandis que Caïn doit vider jusqu'à la lie, au sein de l'existence terrestre, la malédiction de sa mentalité progressiste d'une part, et de son infériorité morale d'antre part.
Si le père originel, Adam, est à l'image du Créateur, il y a lieu de penser que son fils Caïn est à l'image du fils de Dieu, Satan, et c'est pourquoi on peut valablement supposer qu'Abel, le préféré de Dieu, avait aussi sa correspondance dans la place supra-céleste. Les premiers incidents concrets regrettables et inquiétants qui se produisirent tout au début d'une Création en apparence satisfaisante et réussie, soit la chute dans le péché et le fratricide, doivent nous alerter..
. le Créateur qui à la fin de chaque journée se déclarait satisfait de Son ouvre a négligé de décerner son approbation sur ce qui s'est passé le lundi. . ce qui favorise un argumentum ex silencio - un argument à partir du silence. P.75
..c'est la séparation définitive des eaux supérieures et inférieures, en interposant dans l'intervalle la solide coupole du firmament. .. le dualisme inévitable qui en résulta. s'adaptait mal à une conception générale monothéiste, parce qu'il mettait l'accent sur une dualité métaphysique. Cette faille.. a donné lieu à .. des tentatives renouvelées de ravaudage.. on s'est même efforcé de la cacher, voire de la nier. Quoi qu'il en soit, cette faille s'est manifestée dès les tout premiers temps du Paradis, par une singulière inconséquence du Créateur, dont le programme original était de faire apparaître au dernier jour de Son ouvre l'homme comme l'être le plus intelligent, comme le roi la Création.
Où cette singulière inconséquence échappa à Dieu, ou Il fut Lui-même dupe de la création du serpent, antérieure à celle d'Adam, créature qui se révéla notablement plus intelligente et plus consciente que celui-là. .. c'est son fils Satan qui était à l'ouvre, car Satan est un intrigant, « faiseur de manigances » et « empêcheur de tourner en rond » qui se plaît à susciter des incidents malencontreux. . c'est parmi eux (les serpents) que Satan s'est choisi, afin de s'y glisser, la forme d'un serpent d'arbre. A partir de ce moment.. le serpent est l'animal spirituel. Puis le serpent devient également le symbole préféré pour expliquer le Noûs (l'esprit, l'entendement) ; ainsi, le serpent est promu à de grands honneurs et il est amené également à symboliser le second fils de Dieu, parce que l'on comprend celui-ci comme étant le Logos libérateur du monde.
Une légende.. rapporte que le serpent appelé Lilith a été au Paradis la première femme d'Adam, avec laquelle ce dernier aurait conçu l'armée des démons. Cette légende suppose également un traquenard qui aurait donc surpris le Créateur du monde. Les saintes Ecritures ne reconnaissent d'ailleurs qu'Eve comme femme légitime. Il n'en demeure pas moins singulier que, fait à l'image de Dieu, l'homme originel possède dans la tradition, à l'égal de son prototype céleste, deux femmes. De même que Dieu a pour épouse légitime Israël, tout en possédant de toute éternité comme intime compagne un pneuma féminin, de même Adam a pour femme d'abord Lilith (la fille ou l'émanation de Satan), en tant que correspondance (satanique) de la Sophia. Quant à Eve, elle correspondrait au peuple d'Israël. NatureIlement, nous ignorons comment il s'est fait qu'on ait appris si tardivement que la Ruah Elohim, « l'esprit de Dieu », non seulement était féminin, mais menait aussi une existence relativement indépendante aux côtés de Dieu, et qu'une relation entre Yahvé et la Sophia existait depuis bien avant l'union de Dieu et d'Israël. P.77.
. la vie familiale de nos premiers parents ne fut pas uniquement tressée de lis et de roses, ni bercée d'une joie sans mélange : leurs deux premiers fils incarnent le type des frères ennemis, car il semble qu'en ce temps-là régnait encore la coutume de réaliser concrètement des motifs mythologiques. (De nos jours, on trouve cela choquant, et c'est pourquoi, lorsque par hasard cela survient, on le nie.) Nos premiers parents peuvent s'attribuer chacun équitablement une part des charges héréditaires : qu'Adam se souvienne de sa princesse démoniaque et qu'Eve n'oublie point qu'elle fut la première à avoir cédé aux séductions du serpent. (Qu'Eve ait été ainsi trompée ou bafouée avant la lettre jetterait une lumière singulière sur la culpabilité dont on a chargé le sexe féminin. Si la légende de LiIith était véridique, Eve aurait eu.. quelque motif de faire des siennes au Paradis. Nous serions ainsi redevables non plus à Eve uniquement, mais aussi à Adam et à son infidélité - du moins à ses fréquentations douteuses et à sa première progéniture de démons - de la chute, du bannissement, et de toutes les calamités du monde. La libération contemporaine de la femme prendrait de la sorte un nouvel aspect ; elle deviendrait, outre la libération d'un asservissement social, la libération d'une fausse culpabilité) . Comme pour ce qui advint ensuite, on peut soupçonner déjà ici que l'omniscience n'a pas été poussée jusqu'à ses conséquences, c'est-à-dire que Yahvé n'a pas pris conscience de Son savoir absolu et potentiel, et que, par suite, après coup, Il fut tout étonné des résultats. Ce phénomène se constate bien aussi au niveau des humains, chaque fois que l'on ne veut pas s'interdire la jouissance de ses propres émotions et que l'on s'abandonne à celles- ci exagérément et aveuglément ! Il faut avouer qu'un accès de colère ou un coup de cafard possèdent leurs charmes secrets. Si tel n'était point le cas, la plupart des hommes auraient déjà atteint à quelque sagesse.
. Dans un état de plérome (C'est-à-dire dans un état de plénitude divine.) ou .. de bardo, les mondes déroulent P. 79 de façon souveraine le jeu de leurs interactions ; mais à partir de la Création, c'est-à-dire à partir du moment où l'univers pénètre dans une phase d'événements successifs et distincts qui se déroulent dans le temps et dans l'espace, les événements commencent à se heurter, leurs rouages à se gripper, leurs enchaînements à grincer.
Dissimulé et protégé par les franges du manteau paternel, Satan met de-ci, de-là un accent qui est erroné d'un certain point de vue mais pertinent de tel autre, en sorte que surgissent des complications qui, semble-t-il, n'étaient pas esquissées dans le plan du Créateur et qui par conséquent, sont comme autant de surprises. Tandis que les créatures inconscientes - animaux, végétaux, minéraux- fonctionnent.. de manière satisfaisante, la destinée de l'homme va constamment tout de guingois. .. au début, le niveau de sa conscience n'est qu'imperceptiblement plus élevé que celui des animaux, ce qui explique pourquoi son libre arbitre se révèle extrêmement borné. Mais Satan s'intéresse à lui, fait avec lui des expériences à sa façon.., tandis que les anges sataniques lui enseignent des arts et des sciences apanages jusque-là du plérome et réservés à la perfection de celui-ci. (Satan aurait alors déjà mérité le nom de « Lucifer » !) Les extravagances singulières et imprévues de l'homme excitent les affects de Yahvé, et L'entortillent en quelque sorte dans Sa propre création. Les interventions divines deviennent des nécessités impérieuses ; mais elles n'ont chaque fois, de façon suprêmement irritante, qu'un succès passager, et même la sanction draconienne de submerger tout ce qui vit (à l'exception des élus).. n'a point d'effet durable : la Création, après comme avant, se révèle infectée.
Il est singulier de voir que Yahvé en cherche toujours la cause du côté des hommes, qui Lui semblent ne pas vouloir obéir, et n'incrimine jamais Son fils Satan. Cette fausse orientation prise par Yahvé ne peut qu'exacerber Sa nature, par elle-même déjà irritable, de sorte que chez l'homme la crainte de Dieu sera élevée à la dignité de principe général et sera même considérée comme le début de toute sagesse. Ce développement historique révèle.. que les hommes se disposent. à élargir leur conscience par l'acquisition d'une certaine sagesse en s'entourant tout d'abord de prudence et de réflexion (parabole de l'intendant infidèle, Luc, 16 : 8) Yahvé a manifestement perdu de vue, depuis les jours de la Création, qu'Il devait faire bon ménage, dans la plénitude, avec la Sagesse, la Sophia. En lieu et place apparaît l'Alliance avec le peuple élu, qui, de la sorte, se trouve acculé à un rôle féminin. Le « peuple » d'alors était un groupement d'hommes, société patriarcale.P.81
. le mariage divin avec Israël était essentiellement une affaire d'hommes, comparable .. à la fondation.. de la Cité grecque. L'infériorité de la femme était un point établi une fois pour toutes. La femme passait pour un être moins parfait que l'homme, ce dont témoigne déjà, au Paradis, la vulnérabilité d'Eve succombant aux tentations du serpent. La perfection est un desideratum, une aspiration et un besoin masculins, tandis que la femme, par nature, vise à la « complétude ».
En fait, encore aujourd'hui, l'homme peut supporter, mieux et plus longtemps, une perfection relative, tandis qu'en règle générale, la femme s'en trouve assez mal, cette perfection relative pouvant même lui devenir dangereuse. Lorsque la femme aspire à la perfection, elle devient infidèle à elle-même, elle oublie son rôle complémentaire qui est de créer un ensemble complet, imparfait en lui-même, mais qui constitue un pendant et un contrepoids tellement indispensables à la perfection. . la perfection .. représente.. un état terminal désespérément stérile. Ex perfecto nihil fit - du parfait (ou de l'achevé) rien ne sourd, disent les maîtres anciens, tandis qu'à l'opposé, « l'imparfait » porte en lui les germes d'une amélioration future. Le perfectionnisme aboutit toujours à une impasse, alors qu'un ensemble complet est toujours dénué de valeurs sélectives.
Il y a en Yahvé, à l'origine de l'union avec Israël, un projet perfectionniste. De ce fait, cette interrelation.. d'« Eros » se trouve exclue. Le manque d'Eros, c'est-à-dire de relations basées sur un sentiment des valeurs, apparaît en toute clarté dans le drame de Job : c'est l'admirable paradigme de la Création qui est un monstre - qu'on le remarque - et non pas l'homme ! Yahvé n'éprouve aucun Eros à l'adresse de l'homme, n'a pas de relation avec lui, mais ne l'utilise qu'en vue du seul but auquel l'homme doit collaborer. Ce qui ne L'empêche pas d'être méfiant et jaloux comme seul un époux peut l'être ; mais en réalité Il n'a en vue que Son projet, et non pas l'homme.
Au fur et à mesure que Yahvé S'éloigne de la Sagesse, Son besoin de la fidélité du peuple élu croît en importance. . Malgré Sa conviction quant à la fidélité de Job, Yahvé, sans 1'ombre d'une hésitation, donne Son accord autorisant les pires tourments. On déplore ici plus que jamais le manque de cette amitié à l'égard des hommes qui est le propre de la Sophia. Job lui-même aspire à une sagesse introuvable. P.83
Le drame de Job marque le point culminant .. :.. il incarne une pensée devenue mûre dans l'humanité d'alors, pensée dangereuse qui adresse de bien grandes exigences à la sagesse des dieux et des hommes. .. Job est conscient de cette exigence, mais il n'est pas assez informé en ce qui concerne cette Sophia, co-étemelle à Dieu. Comme les hommes se sentent livrés à l'arbitraire de Yahvé, Ils ont besoin de la Sagesse. Yahvé Se heurte à l'homme qui résiste, qui s'affirme, qui s'agrippe à son droit, jusqu'à ce qu'il soit contraint de céder à la force brutale. Dès lors, l'homme a discerné le visage de Dieu et Sa brutalité inconsciente. Dieu reconnu, cette reconnaissance continue à agir, non seulement en Yahvé, mais aussi dans l'homme, et, ainsi, ce sont les hommes .. qui, effleurés par la main légère d'une Sophia préexistante, ont contrepoids à Yahvé, compensent Son attitude, et provoquent la renaissance simultanée de la Sagesse. Cette Sagesse, personnifiée à un très haut degré, ce qui met en relief son autonomie, se révèle à eux comme une aide amicale et comme un avocat qui plaide en leur faveur auprès de Yahvé, et leur montre l'aspect lumineux, bon et juste de leur Dieu, devenant ainsi digne d'être aimé.
.. Yahvé exila du Paradis compromis (prévu dans le plan initial comme devant être parfait) Adam et Eve .. dans le monde intermédiaire.. des limbes des « coquilles », Il (les) avait créés à l'image de Son être masculin et de l'émanation féminine de celui-ci. On ne saurait préciser.. ce qui, chez Eve, représente les traits de la Sophia, et quelle part d'elle-même est inspirée de Lilith. C'est à Adam, à tous points de vue, que revient priorité à ce sujet. Eve est secondairement tirée de son flanc. C'est pourquoi elle n'a droit qu'à la seconde place. . la réapparition de la Sophia dans l'espace divin signale la venue d'un nouvel acte de création. N'est- elle pas l'artisan en chef ? Elle réalise les idées de Dieu en leur conférant une forme matérielle, ce qui représente.. une prérogative de l'être féminin. Son existence aux côtés le Yahvé signifie l'éternel hierosgamos - l'éternel mariage divin, au sein duquel les mondes sont conçus et enfantés.
La réapparition de la Sophia annonce qu'un changement décisif est imminent : Dieu entend Se renouveler dans le mystère du mariage céleste (comme les principaux dieux égyptiens l'ont fait de tout temps) et veut S'incarner dans l'homme. Il utilise pour cela, en apparence, l'exemple égyptien de l'incarnation du dieu dans le pharaon... copie de l'éternel hierosgamos pléromatique - mariage divin dans la plénitude céleste. Toutefois, il ne serait pas correct de supposer que cet archétype se répète en quelque sorte mécaniquement. . les situations archétypiques ne se reproduisant qu'en réponse à des sollicitations particulières. Le motif profond qui amène Dieu à se faire homme doit être cherché dans Sa confrontation avec Job. . P.86
IV
. la décision de devenir homme semble utiliser le vieil exemple égyptien . L'approche de la Sophia signifie nouvelle création. Mais cette fois, ce n'est pas le monde qui doit être modifié, c'est Dieu qui entend métamorphoser Sa propre essence. L'humanité ne doit plus.. être anéantie ; au contraire, il importe.. qu'elle soit sauvée. .. influence de l'amitié de la Sophia à l'endroit des humains : il n'est plus question de créer des hommes nouveaux, sinon un seul, l'Homme-Dieu. .. Le deuxième Adam, mâle, ne doit plus, comme le premier, être engendré directement par la main du Créateur, mais naître des entrailles d'une femme appartenant à l'humanité.
.. la seconde Eve correspond à « la femme et son lignage », lignage par lequel la tête du serpent sera écrasée. .. Adam passe originairement pour être androgyne, « la femme et son lignage » - ou sa semence- sont l'équivalent d'un couple d'êtres humains .. Marie, la Vierge, est choisie comme vase immaculé pour la naissance prochaine de Dieu. Son autonomie et son indépendance vis-à-vis de l'homme sont soulignées par sa virginité, principe sine qua non du processus. .. « fille de Dieu » .. elle est libérée.. de la souillure du péché originel. C'est pourquoi son appartenance au status ante lapsum - à l'état de la Création avant la chute- est évidente. .. Le caractère immaculé et divin de son état permet de discerner.. qu'elle incarne l'imago Dei .. mais aussi qu'elle incarne, en tant que fiancée de Dieu, le prototype de cette dernière, c'est-à-dire la Sophia. .. Marie « bénie entre toutes les femmes » est une amie des pécheurs que sont tous les hommes et un intercesseur en leur faveur. Comme la Sophia, elle est une médiatrice qui mène vers Dieu et qui assure aux hommes le salut de l'immortalité. Son Assomption est le modèle de la résurrection corporelle des hommes. .
Il faut remarquer les mesures inhabituelles de précautions qui entourent la gestation de Marie : abrogation de la macula peccati, virginité perpétuellement renouvelée. Grâce à cela, la mère de Dieu se trouvera manifestement préservée des embûches de Satan. De ces précautions, on peut conclure que Yahvé a fait appel à Son omniscience qui comporte une connaissance claire des tendances perverses auxquelles se complaît Son fils ténébreux. P.89 .. ses mesures extrêmes de protection entraînent des conséquences inévitables.. la libération du péché originel, par le fait même, met également la Vierge en marge de l'humanité ordinaire dont le trait commun est précisément le péché originel, avec, par conséquent, la soif de rédemption qu'il entraîne.
Le status ante lapsum est synonyme d'existence paradisiaque, c'est-à-dire pléromatique et divine. Marie .. est élevée pour ainsi dire au rang de divinité, et par cela, sa totale humanité se trouve privée de quelque chose : elle ne concevra pas son enfant comme toutes les autres mères, dans le péché.. On n'a jamais vu.. que de ce fait l'incarnation réelle de Dieu est mise en question ou que, du moins, elle n'est réalisée que partiellement. Tous deux, la mère et le fils, ne sont pas réellement des hommes, mais des dieux.
. c'est en même temps bafouer le principe féminin de non perfection et de complémentarité dans la mesure où, à force de perfectionnements, le principe féminin en est réduit à quelques restes. : Phoebo propior lumina perdit ! - Près de Phébus, il perd son éclat ! Ainsi, plus l'idéal féminin est incurvé dans la direction du masculin, plus la femme perd la possibilité de compenser l'aspiration masculine à la perfection ; ceci tend à créer un état, idéal dans la perspective foncièrement masculine, mais qui,.. est menacé d'énantiodromie. Par-delà l'idéal, il n'y a point de voie vers un avenir, à moins que ne s'accomplisse une volte-face équivalant alors à une catastrophe de l'idéal qu'aurait pu éviter l'idéal féminin de « complétude ». C'est par l'effet du perfectionnisme de Yahvé que l' Ancien Testament s'est poursuivi dans le Nouveau ; bien que le principe féminin ait été accepté, reconnu et promu en dignité, il n'est pas parvenu à s'imposer ni à percer à travers la domination patriarcale. Il fera donc. encore, parler de lui. P.91
V
Le premier enfant du couple originel, perverti par Satan, a fort mal tourné. C'était un eidolon - une figure de Satan ; et seul leur plus jeune fils, Abel, était agréable au regard de Dieu. En Caïn, l'image de ce dernier était défigurée ; en Abel, au contraire, elle était infiniment moins floue. De même que l'Adam originel est pensé représenter l'image de Dieu, de même il semble qu'Abel fut créé à l'image du fils de Dieu véritablement réussi.. ce fils de Dieu étant la préfiguration de l'Homme-Dieu.. En tant que Logos, il est préexistant à la Création, et co-éternel à Dieu.. de même essence.
.
Le nouveau fils de Dieu, le Christ, doit d'une part, comme Adam, être un homme chtonien, une créature de la terre, c'est-à-dire assujetti à la douleur et à la mort et, d'autre part, il ne doit pas être comme Adam une simple image de Dieu, mais être Dieu Lui-même, engendré par Dieu en tant que père, et rajeunissant le père en tant que fils.
. il est le Logos (synonyme de Noûs, l'esprit) qui, au même titre que la Sophia, est l'un des principaux artisans de la Création.. (« Tout fut par lui et sans lui rien ne fut. » Jean, 1 : 3)
Quoiqu'il s'agisse avec la naissance du Christ d'un événement historique et unique, il n'en demeure pas moins que celle-ci avait toujours été virtuellement existante dans l'éternité. Le profane en la matière a toujours eu beaucoup de difficultés à se représenter l'identité d'un fait intemporel et éternel avec un événement unique et historique. (« synchronicité ») Il doit s'habituer à la pensée que le « temps » est une notion relative qui doit au fond être complétée par cette autre notion d'une existence « concomitante » de tous les événements historiques dans le bardo ou plérome. Ce qui est présent dans le plérome comme « décours » éternel et potentiel apparaît dans le temps sous forme de séquences apériodiques, c'est-à-dire de répétitions multiples et irrégulières. Pour n'en donner qu'un exemple : Yahvé a un bon fils et un fils taré. A ces prototypes correspondent Abel et Caïn, mais aussi Jacob et Esaü, et dans tous les temps et en tous lieux sur la terre, le thème des frères ennemis qui, avec des variantes modernes innombrables, scinde encore les familles et donne du fil à retordre au psychothérapeute. . tout aussi instructifs .. à propos du thème des deux femmes préfiguré dans l'éternité. C'est pourquoi de tels faits, lorsqu'ils apparaissent sous forme de variantes modernes, ne doivent pas être simplement tenus pour des incidents personnels, des humeurs individuelles ou des idiosyncrasies relevant du hasard ; il y a lieu d'y voir une réminiscence du processus pléromatique essentiel qui a éclaté en événements individualisés dans le temps, et représentatifs d'une composante ou d'un aspect inéluctable du drame divin.
Lorsque Yahvé créa le monde à partir de Sa matière primitive, de ce qu'on appelle « le néant », Il ne pouvait faire autrement que S'immiscer et S'incorporer Lui-même secrètement dans la Création, dont Il est ainsi chaque élément. De là vient la conviction que l'on peut connaître Dieu à partir de Sa Création. P.95 .Yahvé ne pouvait faire autrement, cela ne limite en rien l'étendue de Son Omnipotence ; cela équivaut au contraire à reconnaître implicitement que toutes les possibilités étaient inscrites en Lui et que par conséquent il n'y en avait point d'autres que celles qu'Il exprime Lui-même.
Le monde entier est le monde de Dieu et Dieu est dans tout l'univers aux tout premiers commencements ;
.. pourquoi.. l'Incarnation ? Dieu, de facto, était déjà en chacun et en tout, et pourtant, il y a lieu de penser que quelque chose doit avoir manqué puisque, pour ainsi dire, une seconde entrée dans la Création, une seconde imprégnation de celle-ci doit être mise en scène. Comme la Création est universelle, qu'elle embrasse les brouillards infinis de la voie lactée aussi bien que la vie organique infiniment variable et susceptible des différenciations les plus subtiles, on a quelque peine à discerner où pouvait résider un manque. Que Satan ait mêlé partout son influence corruptrice est certes regrettable.. mais ne change toutefois fondamentalement rien à l'essentiel.
. le Christ devait apparaître pour libérer l'humanité du mal. Mais si l'on songe que le mal a été originellement insinué par Satan et que celui-ci continue à le distiller dans la Création en permanence, il semble qu'il eût été infiniment plus simple que Yahvé rappelât à l'ordre énergiquement une fois pour toutes ce practicle joker (mauvais plaisant), et qu'II dérobât la Création à son influence maléfique, extirpant ainsi la racine même du mal. . on aurait évité toutes les conséquences imprévisibles qu'entraîne une anthropomorphose de Dieu. . Dieu devient homme. Cela ne signifie rien de moins qu'une métamorphose de Dieu qui va bouleverser le monde. Cela représente quelque chose de comparable à ce que fut, en son temps, la Création, à savoir une objectivation de Dieu : lors de la Création, Dieu Se manifesta dans la nature de façon générale ; maintenant, Il veut Se manifester de manière bien plus spécifique, en devenant homme précisément.
. une tendance à évoluer dans cette direction a toujours existé. Car, lorsque apparurent les hommes manifestement créés avant Adam en même temps que les mammifères supérieurs, le jour suivant Yahvé modela par un acte créateur particulier un homme qui était à l'image de Dieu. Ce fut la première préfiguration de l'Incarnation. P.97 Yahvé prit en Sa possession particulière ce peuple formé des descendants d'Adam et. anima de Son esprit des prophètes choisis parmi ce peuple. .. événements préparatoires.. indices de l'Incarnation.
Toutefois, dans l'omniscience, résidait déjà de toute éternité la connaissance de la nature humaine de Dieu et celle de la nature divine de l'homme. . Ces.. préfigurations de l'Incarnation semblent à première vue totalement incompréhensibles.. puisque toute création qui se produisit ex nihilo - de rien - est création de Dieu et que, par conséquent, l'homme également, comme toute créature, ne peut être que Dieu devenu concret. Néanmoins, des préfigurations ne sont point en elles-mêmes des événements de la Création, et elles ne sont que des échelons dans le processus de prise de conscience. Or on n'a compris que fort tard.. que Dieu est de façon absolue le réel ; étant toute la réalité, en premier comme en dernier lieu, forcément et au maximum, Il n'en est pas moins homme. La compréhension de cette donnée de base est un processus séculaire.
VI
. Dieu ne tient pas compte de Son Omniscience et .. Il ne la met pas à contribution. .. Yavhé a été à tel point fasciné et captivé par Ses actes créateurs successifs qu'Il en a oublié Son omniscience. . P.99
A l'époque de Job, Yahvé est encore grisé par la puissance et la grandeur colossale de Sa Création. .. Yahvé semble avoir totalement oublié ce que cela signifie que d'avoir été créé à l'image de Dieu ; sans quoi, Il n'eût pas ignoré aussi absolument la dignité humaine de Job.
. Par rapport aux autres humains, les « enfants d'Israël » sortent moins du rang ; et, après Job, nous n'entendrons plus parler de nouvelles alliances. Des sentences de sagesse semblent à l'ordre du jour et une chose toute neuve apparaît : des messages apocalyptiques. Tout cela indique des actes de connaissance métaphysique, ce qui signifie que des contenus inconscients constellés sont tout prêts à faire irruption dans la conscience. .
. le comportement de Yahvé jusqu'à la réapparition de la Sophia.. Sa conduite ne s'accompagne que d'une conscience inférieure. Partout et toujours nous regrettons Son absence de réflexion et Son manque de considération pour Son savoir absolu. Son état de conscience semble à peu près réduit à une awareness primitive .. « un conscient simplement perceptif.». L'état d'awareness ne connaît ni réflexion ni P.101 globalité. L'être dans cet état perçoit simplement et agit aveuglément, sans qu'aucune intégration consciente et réfléchie soit effectuée par le sujet, dont l'existence individuelle demeure dès lors problématique. D'un tel état psychologique, nous dirions aujourd'hui qu'il est « inconscient », et, aux yeux de la loi, il correspond juridiquement à « l'état d'irresponsabilité ». Mais le fait que le conscient n'exécute pas certains actes de pensée ne signifie pas que ceux-ci n'existent point ; ils se déroulent simplement de façon inconsciente et se feront jour indirectement dans des rêves, des visions, des révélations, dans des modifications « instinctives » du conscient, autant de phénomènes psychologiques à travers la nature desquels on peut reconnaître qu'ils proviennent d'un « savoir » inconscient et qu'i1s ont été formés par des déductions et des jugements inconscients. .
... la défaite morale qu'Il S'est attirée et qu'Il a subie en face de Job n'a tout d'abord pas donné lieu en tant que telle à une prise de conscience en Lui. .. Lucifer savait mieux et plus souvent que son père faire usage de l'omniscience. (Lucifer, fils et « flambeau de l'Aurore », étoile brillante.) P.103
La victoire du plus faible, de la victime violentée, est d'une lumineuse évidence : Job fit preuve d'une plus haute tenue morale que Yahvé et la créature, à ce point de vue, avait dépassé le Créateur. Comme c'est toujours le cas lorsqu'un événement extérieur effleure un savoir inconscient, celui-ci, à cette occasion, a une chance de passer de l'état préconscient à l'état conscient. L'événement en question donne au sujet l'impression d'un « déjà vu » et, comme dans un jaillissement, le savoir préexistant surgit. .Cela crée une situation qui exige réellement réflexion et méditation. C'est pour ce motif que la Sophia intervient. Elle protège l'éclosion d'un retour sur Soi-même, devenu indispensable, et par là, elle rend possible la décision de Yahvé de devenir homme Lui-même.. Yahvé doit devenir un homme, semblable à l'homme à l'encontre duquel Il a été injuste. Lui, le gardien de la justice, sait que toute injustice doit être rachetée, et la Sagesse sait que Lui aussi est soumis à la loi morale. Sa créature L'ayant dépassé, Yahvé Se doit de Se renouveler.
. rien ne peut se passer sans modèle préexistant. Le dieu mourant jeune, ainsi que le fratricide.. P.105
.. le destin d'Abel constitue comme la réminiscence d'un événement métaphysique qui s'est déroulé entre Satan et un autre fils de Dieu, diaphane et plus dévoué à son père. Les traditions égyptiennes nous en fournissent des illustrations. . Abel est un élément constitutif essentiel du drame mythique relatif au fils. Le cours dramatique et bref du destin d'Abel peut sans doute être un paradigme valable pour la vie et la mort d'un dieu devenu homme.
. le mobile immédiat qui a déterminé l'incarnation de Dieu. la nécessité pour Yahvé d'accéder à une différenciation plus poussée de Son être conscient. Mais pour que cela se réalise, il a fallu que se créent une situation tendue à l'extrême et une péripétie débordante d'affects, sans lesquelles un niveau plus élevé de conscience n'est jamais obtenu.
VII
Par eschatologie, il faut comprendre pour l'essentiel que le Christ n'est pas seulement un homme mais qu'il est Dieu en même temps et que, par conséquent, il subit aussi, en marge de sa destinée humaine, une destinée divine. Les deux natures se compénètrent de telle sorte que toute tentative de les disjoindre détériore l'une et l'autre : la nature divine surpasse l'homme, et l'homme en tant que personnalité empirique demeure à peine saisissable. .
En ce qui concerne le côté humain du Christ, si l'on peut parler d'un aspect uniquement humain, la philanthropie est l'un des traits qui apparaît avec le plus de clarté. . la Sophia personnifie la nature féminine ; car la Sophia est le modèle immédiat et historique de l'esprit créateur -, que symbolise P.109 la colombe, l'oiseau de la déesse d'amour. C'est aussi le plus souvent la déesse d'amour qui est la mère du dieu voué à une mort précoce. .
A côté de l'amour des hommes, on remarque, dans le caractère du Christ, une certaine tendance à l'emportement, accompagné, comme c'est souvent le cas chez les natures émotives, d'un manque corrélatif d'autoréflexion. Nulle part on ne rencontre l'indication qu'il se soit jamais étonné sur lui-même. Il semble ne pas s'être confronté avec lui-même. Il n'y a qu'une exception importante à cette règle, le cri désespéré sur la croix : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as- tu abandonné? » .. au moment où Dieu fait l'expérience vécue de l'homme mortel et subit ce qu'Il a laissé endurer à Son fidèle serviteur Job, Son essence humaine atteint au divin. . P.111
. « Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie. Nul ne va au Père que par moi ». Que pourrait être, que pourrait signifier une religion dépourvue de mythe, alors que précisément une religion a la signification, si signification elle a, d'être la fonction qui nous relie au mythe éternel ? .. supposer que le Christ n'était qu'un mythe, c'est-à-dire, dans cette acception, l'équivalent d'une fiction. Or, le mythe n'est pas une fiction, car il est composé de données qui se répètent constamment et que l'on peut observer toujours à nouveau. Le mythe survient à l'homme et se produit en lui, et les hommes, à l'égal des héros grecs, ont des destins mythiques. le caractère mythique d'une vie exprime précisément qu'elle a une portée humaine générale. Psychologiquement, il est parfaitement possible que l'inconscient, à savoir un archétype, s'empare totalement d'une créature, déterminant sa destinée jusque dans les menus détails. En l'occurrence, des manifestations parallèles objectives, c'est-à-dire non psychiques, peuvent surgir, qui expriment également l'archétype. Il ne semble pas seulement, mais c'est un fait, que l'archétype s'accomplit psychiquement dans l'individu et aussi extérieurement à lui, de façon objective. Je suis tenté de supposer que cela s'est passé ainsi en ce qui concerne le Christ et sa personnalité. La vie du Christ est précisément comme elle doit être pour être à la fois la vie d'un dieu et elle d'un homme. Elle est un symbolum ~ un symbole ~, la synthèse de natures hétérogènes, un peu comme si l'on avait fondu en une personnalité unique Job et Yahvé. L'intention de Yahvé de devenir homme, qui a résulté de Sa confrontation avec Job, s'accomplit dans la vie et la souffrance du Christ. P.113
VIII
.
L'inefficacité relative de Satan s'explique d'une part . le Christ dit : « Je voyais Satan tomber du ciel comme l'éclair. » Cette vision concerne l'entrée dans le temps d'un événement métaphysique : la séparation historique et (jusqu'à nouvel ordre) définitive de Yahvé d'avec Son fils ténébreux. . Manifestement, Satan a perdu la sollicitude paternelle et a été envoyé en exil. .Quoiqu'il ait été éloigné de la cour céleste, il a tout de même conservé sa domination sur le monde sublunaire. Il n'est pas jeté directement en enfer, mais sur la terre, et ce n'est qu'à la fin des temps qu'il doit être enfermé et mis définitivement hors d'état de nuire. La mise à mort du Christ ne doit pas être imputée à Satan, car la mort en holocauste apparaît, à travers les préfigurations d'Abel et de tous les dieux morts précocement, comme un destin choisi par Yahvé, d'une part en rachat de l'injustice subie par Job, et d'autre part comme un encouragement en faveur d'un développement moral et spirituel plus poussé de l'humanité. Car il est hors de doute que la signification de l'homme se trouve accrue si Dieu Lui-même devient homme.
Par suite de la limitation relative du rôle de Satan, Yahvé, en S'identifiant à Son aspect lumineux, est devenu un Dieu bon et un père aimant. Certes, I1 n'a pas pour autant perdu Sa nature colérique. Le Christ a une confiance parfaite en son Père et il se sait même ne former qu'un avec Lui ; néanmoins, il ne peut éviter de glisser dans le « Notre Père » une prudente requête (et mise en garde) : « Et ne nous soumets pas à la tenta ion, mais délivre-nous du mal. » C'est-à-dire que Dieu est prié non seulement de ne pas nous inciter à la tentation du mal mais surtout de nous en délivrer.
Ainsi, la possibilité que Yahvé puisse retomber dans Ses errements passés, en dépit de toutes Ses mesures de précaution et malgré Son intention expresse de devenir un summum bonum ~ bien suprême ~, n'est pas si invraisemblable . Le bon sens humain considère déloyal, pis même, immoral à l'extrême, de séduire de petits enfants et de les entraîner à des actions susceptibles de devenir dangereuses pour eux, serait ce uniquement dans le but de mettre à l'épreuve leur force de résistance morale ! Or, la différence entre enfants et adultes est infiniment plus faible de celle qui existe entre Dieu et Ses créatures .. P.117 si pareille supplication ne figurait pas dans le Notre Père, le simple fait de la formuler devrait être considéré comme un blasphème, car il est inconcevable de supposer qu'un Dieu de bonté et summum bonum soit capable de telle inconséquence.
. c'est malheureusement une constatation de l'expérience générale que surgissent des affirmations particulièrement positives et catégoriques là où plane un léger doute latent à l'arrière-plan. Le doute qu'éprouve le Christ, inavoué mais non moins clair pour cela, va être à ce point de vue confirmé .. dans l'Apocalypse.
Il semble même que .. la tentative d'aider le bien à triompher de façon absolue et définitive doive entraîner une accumulation dangereuse du mal, et par là- même, amener à une catastrophe. . Comme Satan aura été enfermé transitoirement puis finalement anéanti et jeté dans « l'étang de feu, de soufre embrasé ».. la destruction du monde ne sera pas l'ouvre de Satan mais constituera un « act of God » non influencé par Satan.
. On a peine à supposer que l'incarnation de Dieu dans le Christ Son fils ait été acceptée tacitement par Satan ; cette incarnation doit certainement avoir excité la jalousie au suprême degré et éveillé en lui le désir, d'une part, de singer le Christ (rôle qui lui convient particulièrement bien en sa qualité d'esprit simiesque opposé) et, d'autre part, d'incarner le dieu P.119 obscur. .Ce plan sera mis à exécution à travers le personnage de l'Antéchrist, et cela après que se sera écoulé le millénaire astrologiquement prévu et dont la durée est attribuée au règne du Christ.
Dans cette attente.. s'exprime un doute relatif à la valeur immédiate et définitive, ainsi qu'à l'efficacité universelle de l'ouvre de rédemption. .
IX
. il nous faut nous demander ce qu'il advient de l'incarnation de Dieu après la mort du Christ.
.. L'Eglise catholique.. suppose que le dogme, avec l'assistance du Saint Esprit, peut continuer à se développer et à s'épanouir. Cette conception se trouve en parfait accord avec la doctrine du Christ relative au Saint-Esprit et, de ce fait, avec la continuation progressive de l'Incarnation. Le Christ est d'avis que quiconque croit en lui, c'est-à-dire croit qu'il est le Fils de Dieu, peut également accomplir les ouvres que lui fit. Le Christ rappelle à ses disciples qu'il leur a été dit qu'ils sont des dieux . Les croyants, ou les élus, sont enfants de Dieu, et ainsi « cohéritiers du Christ »
Lorsque le Christ abandonne le théâtre terrestre, il est entendu qu'il priera son Père d'envoyer aux siens un appui (le « Paraclet ») qui demeurera en toute éternité auprès d'eux et avec eux. Or, cet appui et conseiller est le Saint-Esprit envoyé par le Père. ..
Puisque le Saint-Esprit représente la troisième personne de la Trinité et que Dieu tout entier est toujours présent en chacune des trois personnes, le fait que la créature soit habitée par le Saint-Esprit ne signifie rien moins que le rapprochement du croyant du statut de fils de Dieu. On comprend donc sans difficulté le rappel : « Vous êtes des dieux. » Cette action déifiante du Saint Esprit vient naturellement au-devant de l'imago Dei qui est propre à l'élu. . Barnabé et Paul, à Lystra, aient été identifiés respectivement à Zeus et à Hermès : « Les dieux, sous forme humaine, sont descendus parmi nous ! » . Tertullien.. désigna le sublimiorem Deum - le dieu suprême - comme une sorte de « mancipem quendam divinitatis, qui ex hominibus deos fecerit ». (« dispensateur de divinité qui, des hommes, fait des dieux. »)
L'incarnation de Dieu dans le Christ a besoin d'être continuée et complétée, dans la mesure où le Christ, en conséquence de la parthénogénèse qui le situe en marge du péché originel, ne fut point un homme de chair, et c'est pourquoi il a représenté, comme il est dit dans Jean.. une « lumière » qui certes brilla dans les ténèbres, mais ne fut pas discernée. Il resta en dehors P.123 au dessus de l'humanité réelle. Or, Job, lui, était un homme du commun . de même que l'homme a souffert en Dieu et par Lui, Dieu doit souffrir par l'homme. En dehors de cela, il ne saurait avoir de « réconciliation » entre les deux.
. Leur humble origine (dans la classe des mammifères) ne les empêche pas d'entrer dans un étroit rapport de parenté avec Dieu comme père et avec le Christ comme « frère ». Au sens figuré, il s'agit même d'une « parenté par consanguinité », . Ces modifications profondes apportées au statut humain sont directement produites par l'ouvre rédemptrice du Christ. La rédemption ou salut a des aspects divers, en particulier celui d'un rachat des méfaits de l'humanité, effectué grâce au sacrifice et à la mort du Christ. Son sang nous purifie des conséquences catastrophiques du péché. Le Christ réconcilie Dieu avec l'homme et libère ce dernier de la fatalité - la colère de Dieu et la malédiction éternelle - qui le menace. ... de telles représentations présupposent encore et toujours Dieu le père sous les traits d'un Yahvé menaçant, et qu'il importe donc de se rendre propice.
La mort de Son Fils (en tant qu'homme) dans les souffrances devrait Lui apporter réparation de l'injure : Il a subi « un tort moral » et serait au fond tenté de Se venger de la plus terrible des façons. Nous trébuchons ici à nouveau sur la disproportion existant entre un créateur du monde et ses créatures qui, à sa grande colère, ne se conduisent jamais conformément à son attente. . P.125 .. Le comportement de Yahvé envers Ses créatures est aux antipodes de toutes les exigences de raison dénommée « divine », raison dont la possession doit différencier l'homme de l'animal. . Certes, Il a doté Ses créatures humaines d'une certaine conscience et, par conséquent, à un degré correspondant, de libre arbitre Mais Il pourrait aussi bien savoir que de ce fait Il expose l'homme à la tentation de se laisser séduire par les mirages d'une indépendance et d'une autonomie pleines d'embûches. Le risque ne serait pas trop grand si l'homme ne relevait que d'un créateur empli de bonté et de bienveillance. Mais Yahvé ne tient pas compte de Son fils Satan, alors qu'Il est Lui-même, à l'occasion, victime de ses ruses et de ses traquenards. Comment pourrait Il dès lors escompter que l'homme, avec sa conscience limitée et son savoir combien imparfait, s'en tirât mieux que Lui ? En outre, Yahvé néglige le fait que plus un homme possède de conscience, plus il est séparé de ses instincts (qui lui donnaient au moins un certain flair lui permettant de soupçonner la sagesse cachée de Dieu) et plus, de ce fait, il est livré à toutes les possibilités d'erreurs. L'homme alors n'est certainement pas à la hauteur des ruses de Satan ni à même de leur résister, puisque son Créateur Lui-même ne peut ou ne veut pas faire barrage à cet esprit puissant.
X
Le fait de « l'inconscience » divine jette une lumière singulière sur la doctrine du salut : l'humanité ne sera en aucune manière libérée de ses péchés, pas même si la créature est baptisée on ne peut plus selon les règles, et ainsi lavée et purifiée ; elle sera libérée de la peur des conséquences du péché, à savoir de la colère de Dieu. Ainsi, l'ouvre de rédemption se propose de libérer l'homme de la crainte de Dieu, ce qui est certainement possible dans le cas où la croyance en un père bienveillant, qui a délégué son propre fils pour sauver le genre humain, refoule ce Yahvé qui fait clairement preuve de « persévération » et S'obstine dans Ses affects dangereux.Une telle croyance présuppose cependant un manque de réflexion ou un sacrificium intellectus - un sacrifice de l'intelligence-, et il nous faut nous demander si nous pouvons encore assurer la responsabilité de l'un ou de l'autre. Car nous ne devons pas oublier que c'est le Christ lui-même qui nous a enseigné à utiliser au mieux les talents qui nous ont été confiés et à ne pas les enterrer. . P.127 . c'est un devoir pour nous d'être vigilants, critiques, conscients de nous-mêmes, afin que nous ne soyons pas sollicités par la tentation, et que nous puissions « éprouver les esprits » qui tendent à nous prendre sous leur coupe « pour voir s'ils viennent de Dieu » (Jean..), et aussi pour que nous nous trouvions à même de discerner les fautes que nous commettons.
Echapper aux traquenards subtils de Satan exigerait rien de moins qu'une intelligence surhumaine. Ces obligations aiguisent immanquablement l'entendement, l'amour de la vérité, le désir de connaissance, qui peuvent aussi bien être des vertus humaines originelles que des effets de cet esprit « qui scrute tout jusqu'aux profondeurs de la divinité » . Ces forces intellectuelles et morales sont elles-mêmes de nature divine et, par conséquent, on ne doit ni ne peut s'en laisser amputer. .
Le fait que l'éthique chrétienne entraîne dans une collision de devoirs plaide en sa faveur. En créant des conflits insolubles et par là une afflictio animae - une affliction de l'âme -, elle rend l'homme plus proche de la connaissance de Dieu : tout ce qui est heurt des contraires émane de Dieu et L'exprime ; c'est pourquoi l'homme doit assumer ses contraires : lorsqu'il l'a fait, Dieu avec Ses antinomies S'est emparé de lui, c'est-à-dire S'est incarné. L'homme est empli du conflit divin. : c'est à bon droit que nous unissons l'idée de la souffrance un état au sein duquel les contraires s'entrechoquent douloureusement et que nous reculons à l'idée de désigner une telle expérience comme un état de rédemption.
. le symbole majeur de la foi chrétienne, la croix, à laquelle est suspendue la figure torturée du Sauveur depuis bientôt deux mille ans . Cette image est complétée par celle des deux larrons, dont l'un ira en enfer, tandis que l'autre ira au paradis.
.Comment ce résultat inéluctable de la psychologie chrétienne peut- il signifier le salut. si justement la prise de conscience des contraires, quelque douloureuse qu'elle puisse être au moment où elle se produit, n'impliquait, n'apportait la perception immédiate d'une délivrance. D'une part, c'est la libération d'un état angoissant d'inconscience obtuse et impuissante, et, d'autre part, la perception intime de l'opposition inhérente à Dieu, à laquelle l'homme peut participer pour autant qu'il ne se soustrait pas à la blessure de cette épée tranchante qu'est le Christ. C' est précisément au sein du conflit le plus extrême et le plus menaçant que le chrétien peut faire l'expérience de la rédemption vers le divin, dans la mesure où, supportant la tension et ne s'effondrant point, il assume le fardeau d'être un élu ; P.129 c'est aussi, et uniquement de cette façon, que se réalise en lui l'imago Dei, l'incarnation de Dieu.
La septième invocation du Notre Père « et délivre-nous du mal ».. sens.. la prière du Christ à Gethsémani : « Mon père, s'il est possible, que cette coupe passe loin de moi. » Sur le plan des principes, il ne semble pas correspondre à l'intention de Dieu d'épargner à l'homme le conflit et, partant, le mal. Il est humain, certes, d'exprimer un pareil désir, mais il ne faut pas l'élever à la dignité d'un principe, car celui-ci serait en opposition à la volonté divine et ne reposerait que sur la faiblesse et la crainte humaines. Ces dernières, en un certain sens, sont légitimes, car pour rendre le conflit complet, le doute et l'insécurité doivent continuer de planer sur le problème de savoir si, en définitive, l'homme n'est pas en face d'exigences démesurées.
Comme l'image de Dieu imprègne toute la sphère humaine et qu'involontairement l'humanité s'applique à décrire celle-là, il ne serait pas impensable que le schisme existant depuis quatre cents ans dans l'Eglise, de même que le partage actuel du monde politique en deux camps, exprimât le contraste non discerné, inconscient, inhérent à l'archétype régnant.
La conception traditionnelle de l'ouvre de rédemption correspond à une façon unilatérale de considérer les choses. on peut considérer 1'ouvre d'apaisement et de réconciliation non plus comme le rachat d'une faute commise par l'homme à l'encontre le Dieu, mais au contraire en tant que la réparation d'une injustice commise par Dieu à l'encontre de l'homme. Cette dernière conception me semble mieux adaptée aux rapports réels de puissance. L'agneau peut certes troubler l'eau du loup, mais ne saurait lui infliger d'autre dommage. Ainsi, la créature peut décevoir le Créateur, mais il serait à peine croyable qu'elle puisse Lui infliger un préjudice torturant. Cela n'est possible qu'au Créateur qui dispose de la puissance, vis-à-vis de la créature impuissante. .
Qu'est-ce que ce père qui préfère laisser égorger son fils plutôt que pardonner, avec quelque grandeur d'âme, à ses créatures qui furent mal conseillées et perverties par Satan qui lui appartient ? Qu'est-ce qui doit être démontré par ce sacrifice cruel et archaïque du fils ? Serait ce, d'aventure, l'amour de Dieu ? Ou Sa rancune ? . Son omniscience et Son omnipotence n'aient nul besoin d'avoir recours à une procédure aussi cruelle, et qu'en outre Il donne ainsi un bien mauvais exemple aux puissants de la terre. . P.131
. Mais s'il préfère ne pas lire le Psaume89.. s'il préfère reculer devant les difficu1tés, les choses n'en resteront pas là. Qui a volé volera et, en particulier, commettra des infidélités, des indélicatesses, en ce qui touche à la connaissance de soi. Or cette dernière, sous la forme de l'examen de conscience, est une exigence de l'éthique chrétienne ; c'étaient des gens très pieux que ceux qui ont affirmé que la connaissance de soi prépare la voie à la connaissance de Dieu.
XI
La croyance à Dieu en tant que summum bonum est impossible à une conscience qui réfléchit. Une tête pensante ne se sent nullement libérée de la crainte de Dieu .
. le Christ est une figure numineuse au suprême degré. . est venu dans le monde, qu'il a souffert et qu'il est mort pour sauver les hommes menacés par Dieu.
. singulière semble l'ouvre de salut entreprise par Dieu. Il ne fait en réalité rien d'autre que sauver l'humanité de Lui-même, en intervenant Lui-même sous les traits de son propre fils. . l'irréflexion indubitable de la conscience divine suffit parfaitement à expliquer le comportement singulier de Dieu. C'est pourquoi la crainte de Dieu passe à juste titre pour le début de toute sagesse. Et, à l'opposé, il serait erroné de ne voir dans l'éloge dithyrambique de la bonté, de l'amour et de la justice de Dieu que des démarches propitiatoires ; il faut reconnaître à ces qualités qu'elles sont aussi des expériences originelles, car Dieu est une coincidencia oppositorum - une conjonction de contraires. Donc, les attitudes les plus opposées sont légitimes : l'angoisse devant Dieu comme l'amour de Dieu.
Pour un conscient différencié, il devient difficile à la longue d'aimer Dieu comme père plein de bonté qu'il faut en même temps craindre à cause de Ses colères imprévisibles, de Ses emportements, de Son instabilité, de Son injustice, de Sa cruauté. . la défaite morale de Yahvé dans Sa confrontation avec Job ait eu ses secrètes conséquences : d'une part, l'élévation non intentionnelle de l'homme, et d'autre part, une inquiétude de l'inconscient de celui-ci.
La première de ces deux conséquences demeure tout d'abord comme un effet qui n'est ni perçu ni réalisé consciemment, une simple donnée, mais qui n'en est pas moins enregistrée par l'inconscient. Et c'est en cela que réside le germe de la tension inquiète de l'inconscient, car celui-ci reçoit de ce fait une potentialité accrue en face du conscient : l'homme est alors davantage dans son inconscient que dans son conscient. En ces circonstances, il se développe une pente de l'inconscient vers le conscient, et l'inconscient fait irruption dans le conscient sous forme le rêves, de visions, de révélations.
. La vision, comme le rêve, est un phénomène assez rare, mais naturel, et il ne doit être qualifié de « pathologique » que lorsqu'on a fait la preuve de sa nature maladive. D'un point de vue purement clinique, il faut dire que les visions d'Ezéchiel sont de nature archétypique, et ne P.135 sont en rien défigurées maladivement. .. Il n'y a aucun motif de les voir sous l'angle pathologique. Ces visions sont le symptôme de ce qu'il existait déjà un inconscient partiellement séparé du conscient. La première grande vision est constituée par deux quaternités bien ordonnées et synthétisées, c'est-à-dire par deux représentations de la totalité comme nous en observons également aujourd'hui fréquemment en tant que phénomène spontané. Leur quintessence est représentée par « quelque chose. un être ayant apparence humaine » .. Ezéchiel eut ici la vision du contenu essentiel de l'inconscient, à savoir l'idée d'un homme supérieur, en face duquel Yahvé succomba moralement, et tel qu'Il devait le devenir plus tard.
Siddharta Gautama le Bouddha.. attribua à la différenciation maximale de la conscience la suprématie . conséquence logique des doctrines du purusha et de l'atman et provient de l'expérience intérieure qu'apporte la pratique du yoga.
Ezéchiel a perçu dans ce symbole que Yahvé Se rapproche de l'homme. les quatre séraphins du trône de Dieu sont devenus à bon droit les emblèmes des évangélistes, car ils forment la quaternité qui exprime la totalité du Christ.
La fermentation inquiète de l'inconscient se prolonge . Daniel a une vision de quatre animaux et d'un « Ancien », auquel se joint, « venant sur les nuées du ciel, comme un fils d'homme ».. Ici le « fils d'homme » n'est plus le prophète, mais, indépendamment de ce dernier, le fils de « l'Ancien », à qui échoit la tâche de rajeunir le Père. P.137
Le Livre d'Hénoch . est encore plus circonstancié. .. récit .. de cette incursion préfigurative des fils de Dieu dans le monde des hommes, que l'on a dénommée « la chute des anges ». . Les anges, parmi lesquels Azazel se distingua particulièrement, enseignèrent aux hommes les sciences et les arts. Ils se révélèrent des éléments particulièrement efficaces de progrès et contribuèrent à élargir et à développer la conscience humaine, comme déjà Caïn le méchant avait représenté le progrès face à Abel. Ils agrandirent par cela la signification de l'homme de façon « gigantesque », ce qui indique qu'il y eut alors une inflation de la conscience culturelle. Or, une inflation est toujours menacée par un contrecoup émanant de l'inconscient, contrecoup qui d'ailleurs ne manqua pas de se produire sous la forme du déluge. Mais au préalable, les géants ayant « dévoré tout le fruit du travail des hommes. se tournèrent contre les hommes pour les dévorer » puis même « se dévorèrent la chair entre eux » se mirent à en boire le sang, tandis que les hommes de leur côté mangeaient les animaux, de sorte qu' « alors la terre accusa les violents »
L'invasion du monde des hommes par les fils de Dieu eut ainsi des conséquences redoutables. l'homme, et de très loin, n'était pas la hauteur de la surpuissance divine. .. comment Yahvé Se comporta en cette occurrence au sujet des géants. . P.139
. Ce n'est que lorsqu'après que les géants eurent été engendrés depuis longtemps et se furent déjà mis à massacrer les hommes et à les dévorer que quatre archanges entendirent, comme par hasard, les cris et les plaintes des hommes, et découvrirent ce qui se passait sur terre. On ne sait vraiment de quoi il faut le plus s'étonner : est-ce sur l'organisation relâchée des cohortes angéliques ou est-ce sur le manque d'information suffisante dans le ciel ? . ce n'est que sur leur intervention que sera déclenchée une vaste action de représailles ; mais celle-ci n'est pas réellement une punition juste, car Yahvé submerge d'emblée toute créature vivante, à l'exception de Noé et de ses proches. Cet intermède prouve que les fils de Dieu, en quelque manière, sont plus vigilants, plus avancés et plus conscients que leur Père. Il n'en faut qu'estimer davantage la métamorphose ultérieure de Yahvé. .
Indubitablement, la réminiscence de la Sophia contribue à cet accroissement de Sa conscience. Parallèlement à cela, la révélation de la structure métaphysique devient plus explicite. chez Ezéchiel et Daniel.. des allusions à la quaternité et au Fils d'Homme, Hénoch donne .. des récits détaillés et clairs : le monde des ténèbres, sorte d'Hadès, est partagé en quatre cavités qui servent au séjour des esprits défunts jusqu'au jugement dernier. Trois de ces cavités sont obscures, la quatrième est lumineuse et contient une « source d'eau lumineuse » : c'est la cavité des justes.
. domaine expressément psychologique, celui de la symbolique des mandalas auquel appartiennent les proportions 1 à 3 et 3 à 4. L'Hadès d'Hénoch, réparti en quatre, correspond à une quaternité chtonienne dont on peut présumer qu'elle se situe à l'opposé d'une autre P.141 quaternité, elle pneumatique ou céleste. La première quaternité correspond dans l'alchimie au quaternio des éléments, et la seconde, à un aspect quadruple, c'est-à-dire global de la divinité.. Barbelo, .. Mercurius quadratus ou les dieux à quatre visages.
. La vision décrit une différenciation essentielle de l'image de Dieu : Dieu a quatre visages, plus précisément quatre anges de Sa face, c'est-à-dire quatre hypostases ou émanations, dont l'une, en accord avec les constatations et exclusivement occupée à tenir éloigné le fils de Dieu .. qui se présente sous une formule pluraliste, Satan.
Les Satans se trouvent toujours dans la sphère céleste car la chute de Satan n'a pas encore eu lieu. .trois anges exercent des fonctions sacrées, c'est-à-dire bienfaisantes, alors que le quatrième est combatif et doit se charger de la défense contre Satan. . P.143
. Le dédoublement et la séparation de la quaternité en une quaternité supérieure et une quaternité inférieure indique qu'une scission métaphysique s'est déjà produite, comme l'indique également déjà le bannissement des Satans de la cour céleste. La dissociation pléromatique, pour sa part, décrit le symptôme d'une scission allant beaucoup plus loin au sein de la volonté divine : le Père veut devenir Fils, Dieu devenir homme, le côté amoral aspire à n'être que bonté, et l'inconscient à être consciemment responsable. Mais tout ceci existe encore seulement in statu nascendi- à l'état naissant.
L'inconscient d'Hénoch s'en trouve puissamment agit et révèle ses contenus en des visions apocalyptiques. En outre, cela l'incite à entreprendre une peregrinatio, c'est-à-dire un voyage vers les quatre régions cardinales du ciel, et vers le milieu de la terre, ce qui l'amène à dessiner lui-même, par ses déplacements, un mandala .
. Hénoch, l'homme, est non seulement le réceptacle de la révélation divine, mais il va dorénavant en même temps se voir impliqué dans le drame divin, . dans la même mesure où Dieu s'apprête à devenir homme, l'homme, plongé dans le décours pléromatique, s'en trouve en quelque sorte baptisé et rendu participant à la quaternité divine (c'est-à-dire crucifié avec le Christ). . P.145
.
Les deux monstrueux arguments de Yahvé, devront eux-mêmes se tenir pour convaincus : Léviathan et Béhémoth seront taillés en pièces et dévorés . ( « et jetés, l'un dans l'abîme de la mer, et l'autre dans la terre du désert »). Hénoch. est assimilé par le mysterium divin, inclus dans celui-ci. est emporté et prend sa place au ciel. P.147
Dans le « ciel des ciel », il voit la maison de Dieu toute en blocs de glace, entourée d'un cercle de feu et de fleuves de feu vivant, et sur laquelle veillent des créatures ailées qui ne dorment jamais. .. « La Tête des jours », accompagnée de sa quaternité (Michaël, Gabriel, Raphaël, Phanuel) sort et s'adresse ainsi à Hénoch.. :
« Toi, tu es le Fils de l'Homme qui a été engendré pour la justice, et la justice demeure sur toi, et la justice de la Tête des jours ne t'abandonnera pas.»
. le fils de l'homme et .. sa signification soient toujours en relation avec la justice. Celle-ci apparaît comme un leitmotiv et desiderata de première importance. Or, ce n'est que là où l'injustice menace, ou bien là où elle a déjà lieu que cela offre un sens de souligner à ce point la justice. .
La justice qui régnera sous la souveraineté du Fils est soulignée à un tel degré qu'on a l'impression que, précédemment, sous la domination du Père, l'injustice a dû tenir le haut du pavé, et que ce n'est qu'avec le Fils qu'une époque de Droit est apparue. .
Que le grand âge de Dieu se trouve souligné est en rapport logique avec l'existence du fils ; mais cela ne va sans insinuer la pensée que ce Père âgé pourrait passer quelque peu à l'arrière-plan, et abandonner de plus en plus à Son Fils le gouvernement du monde des hommes - changement de régime dont on espère un ordre plus juste. . le souvenir de quelque injustice criante à la face du ciel.. trouble le rapport de confiance de l'homme à l'égard de Dieu. Dieu Lui-même veut avoir un fils, et en général, on souhaite un fils afin qu'il remplace le père. . ce Fils doit être absolument juste, et cela bien avant de posséder toute autre vertu. Dieu et les hommes veulent échapper à l'injustice aveugle. . P.149
. « Je sais, moi, que mon Défenseur est vivant. ».. Cette affirmation hautement singulière ne peut se rapporter.. qu'au Yahvé bienveillant. Mais l'interprétation chrétienne qui y voit une anticipation du Christ, est légitime dans la mesure où l'aspect bienveillant de Yahyé s'incarne en tant que Sa propre hypostase dans le Fils de l'homme, celui-ci se révélant, dans le récit d'Hénoch, représentant de la justice et, dans le christianisme en général, le Rédempteur. ( Jung a écrit.. « celui qui justifie ». Au sens théologique du terme, justifier est un acte religieux par quel l'homme se voit absous et libéré de ses péchés.) En outre, le Fils de l'Homme est préexistant et c'est pourquoi Job peut légitimement en appeler à lui. De même que Satan tient le rôle de l'accusateur et du calomniateur, le Christ, l'autre fils de Dieu, assume le rôle de l'avocat et du défenseur.
. l'intensité et.. l'exclusivisme avec lesquels non seulement la doctrine du Christ mais aussi celle de l'Eglise .. affirmèrent la bonté du Père céleste bienveillant, la libération de l'angoisse, Dieu en tant que sommum bonum et le mal comme privatio boni, on peut mesurer combien la figuration de Yahvé est incompatible avec une conscience religieuse et combien un tel paradoxe doit paraître intolérable à cette dernière. .
L'instabilité intérieure de Yahvé est la condition préalable non seulement de la Création du monde, mais aussi du drame pléromatique, dont l'humanité forme comme le chour tragique. La confrontation avec Sa créature oblige le Créateur à se modifier. (Les fameux problèmes du contre-transfert, qui modifient l'analyste, procèdent donc d'une situation et d'un arrière-fond archétypiques) . P.151
. l'apostrophe « fils d'homme » contient l'allusion que l'incarnation et la quaternité de Dieu sont pour ainsi dire, au niveau du plérome, ce qui doit advenir de façon absolue à l'homme, et non pas seulement au Fils Dieu prévu de toute éternité, ceci grâce à la métamorphose de Dieu et au fait qu'Il devient homme. .. chez Henoch.. anticipation intuitive.. il devient un Fils de l'Homme dans le plérome, et son enlèvement sur un char (comme Elie) préfigure la résurrection des morts. . une simple révélation qui nulle part ne s'enracina. .. on ne saurait voir.. le christianisme, comme un novum (une nouveauté) absolu. Si quelque chose a jamais été préparé historiquement, porté et soutenu par les conceptions existantes du monde environnant, c'est bien le christianisme. P.153
XII
Jésus se présente tout d'abord comme un réformateur juif et comme le prophète d'un dieu exclusivement bon. Par cela, il sauve la cohésion religieuse menacée. .. Il préserve l'humanité de la perte de la communauté avec Dieu, et il la préserve de se perdre purement et simplement dans le conscient et dans ce qu'elle a de platement « raisonnable ». Cela n'aurait entraîné rien moins qu'une dissociation entre le conscient et l'inconscient, et ainsi un état antinaturel, voire même pathologique, ce que l'on a dénommé une perte de l'âme, danger dont l'homme, de toute éternité, se trouve toujours à nouveau menacé. L'homme, toujours à nouveau et dans le mesure grandissante, est exposé au danger de ne pas discerner les données et les nécessités irrationnelles de sa psyché, à celui de s'imaginer pouvoir tout dominer par la volonté et la raison, faisant ainsi, en quelque sorte l'addition sans l'hôtelier ».
. le Dieu de bonté est à ce point inconciliant et implacable qu'II ne Se laisse apaiser qu'au prix du sacrifice d'un homme ! .
C'est à un double titre que le Christ apparaît comme un médiateur : il aide l'homme en face de Dieu et il tempère l'angoisse que la créature ressent vis-à-vis de cette entité. .. important position intermédiaire entre ces deux extrêmes, difficilement conciliables, Dieu et l'homme. . Il ne lui manque, à lui, ni l'humain ni le divin, et c'est pourquoi il a été caractérisé très tôt par des symboles de la totalité, car il a été perçu et compris comme embrassant la totalité et unissant les contraires. La quaternité du Fils de l'Homme, signifiant une conscience différenciée, lui était de même attribuée (pensons à la croix et au tétramorphe). . une différence importante : Ezéchiel et Hénoch, tous deux porteurs du titre de « Fils de l'Homme », sont de communs mortels, tandis que le Christ, pas sa filiation, sa conception et sa naissance, est un héros et un demi-dieu dans le sens antique. . L'infection par le mal fut exclue dans son cas grâce aux préparatifs de l'Incarnation. D'où le Christ se situe davantage sur le plan divin que sur le plan humain. Il incarne exclusivement la bonne volonté de Dieu.. P.157
A l'origine, le péché a pénétré dans la Création en provenance de la cour céleste, apporté par Satan, ce qui fâcha tellement Yahvé qu'en définitive il ne Lui fallut rien de moins que le sacrifice de Son propre fils pour Le réconcilier avec les hommes. .. Yahvé ne prend toujours pas de mesures pour bannir Satan de Son entourage. Selon Hénoch, c'est un archange.. Phanuel, qui a la charge de tenir éloignées de Yahvé les insinuations sataniques et ce n'est qu'à la fin des temps que Satan, sous forme d'une étoile, doit être enchaîné, jeté dans l'abîme et détruit.
Bien que l'on suppose en général que le sacrifice du Christ, dans son unicité, ait rompu la malédiction du péché originel et définitivement réconcilié Dieu avec les hommes, le Christ n'en semble pas moins avoir ressenti à cet égard un certain nombre d'appréhensions. . Certes, il assure à ses disciples qu'il sera toujours présent.. bien plus : qu'il sera en eux. Toutefois, cela ne paraît pas lui suffire et il leur promet.. que lorsqu'il aura rejoint son Père, il leur enverra pour le remplacer un autre ..- Paraclet (avocat, conseiller juridique). la « situation juridique » n'est pas éclaircie au point de dissiper tous les doutes.
La délégation du Paraclet révèle encore un autre aspect. Cet esprit de vérité et de connaissance, c'est le Saint Esprit par lequel le Christ a été engendré ; c'est l'esprit de la procréation physique et spirituelle qui, dorénavant, établira sa demeure dans le sein de la créature humaine. Mais comme le Saint-Esprit est la troisième personne de la divinité, le fait implique très exactement que Dieu va se trouver engendré dans la créature humaine. Cela entraîne une profonde modification du statut de l'homme.. élevé, dans un certain sens, à la filiation divine. Par là, l'homme, en dépit du péché qui le marque, prend la position du médiateur, du conciliateur, qui va unifiant Dieu et créature. . « En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui croit en moi fera, lui aussi, les ouvres que je fais. Il en fera même de plus grandes ». P.159
Que l'Esprit Saint prenne demeure en l'homme est synonyme d'incarnation progressive de Dieu. Le Christ, comme fils engendré de Dieu.. est un premier rejeton et un paradigme divin qui sera suivi d'autres incarnations du Saint-Esprit dans l'homme réel. Mais ce dernier contribue aux ténèbres du monde et c'est pourquoi se crée, avec la mort du Christ, une situation critique. : lors de l'anthropomorphose de Dieu, les ténèbres et le mal furent soigneusement tenus à l'écart. . il n'est nullement probable que le lien entre Dieu et l'homme se rompt avec la mort du Christ ; au contraire, la continuité de ces relations est soulignée en toute occasion et confirmée encore de façon circonstanciée par la délégation du Paraclet.
Mais plus cette révélation prend forme et plus la collision avec le mal s'approche et devient inéluctable. A partir d'une intuition qui s'est fait jour de bonne heure, se développe l'attente que la manifestation lumineuse et sereine sera suivie d'une manifestation tout aussi sombre : qu'au Christ succédera un Antéchrist. .
Pourquoi cette mansuétude énervante à l'adresse de Satan ? D'où provient cette projection obstinée du mal sur les hommes que Yahvé a créés si faibles, si faillibles et si bêtes qu'ils ne sont naturellement pas de taille à tenir tête à Ses fils méchants ? Pourquoi ne pas attaquer le mal à sa racine ?
. Si Dieu avait fait un retour sur Lui-même, Il aurait été contraint de voir dans quel état de dissociation Il Se mettait en devenant homme. Il aurait dû Se demander ce qu'il était advenu de Son côté obscur grâce auquel Satan échappe continuellement à la punition méritée. Aurait-Il pu croire alors qu'Il était entièrement transformé et dépouillé de Son amoralité ? Même Son fils, incarnation de Son côté le meilleur et le plus lumineux, n'a pu, a ce point de vue, Lui faire entièrement confiance. Or, voici qu'il délègue aux hommes P.163 « l'Esprit de Vérité » grâce auquel ceux- là vont découvrir bien assez vite ce à quoi il faut s'attendre lorsque Dieu S'incarne en S'identifiant à Son seul aspect lumineux, lorsqu'Il croit être le bien même ou, du moins, souhaite être pris pour tel : il faut s'attendre à une énantiodromie de grand style. . efficacité de « l'Esprit de Vérité ».
. le Paraclet.. se soustrait à tout contrôle. incombe la tâche d'habiter dans l'individu, d'agir en lui pour lui rappeler ce que le Christ a enseigné et pour l'acheminer vers la clarté. . Paul appartient au nombre de ceux chez qui l'inconscient, en proie à l'inquiétude, occasionna des extases riches de révélations. La vie du Saint-Esprit se révèle précisément par le fait qu'il est actif et qu'il exerce des efficacités qui non seulement confirment ce qui est déjà existant mais qui, en outre, mènent au-delà. Ainsi, il existe déjà dans les paroles du Christ l'indication d'idées qui outrepassent « l'esprit chrétien » traditionnel. : « Mon ami, si tu sais ce que tu fais, tu es bienheureux, mais si tu ne le sais pas, tu es un maudit et tu es un transgresseur de la Loi. ». trahit un autre point de vue éthique que celui qu'on aurait attendu. Le critère moral, ici, réside dans la conscience et non pas dans la loi ou la convention. A ce sujet.. le Christ choisit.. Pierre, qui possède peu de maîtrise de lui-même et un caractère instable, pour en faire le roc et le fondement de son Eglise. . P.163
. une tendance à englober le mal dans une perspective morale et plus différenciée. Par exemple : bien est ce qui voile de façon raisonnable le mal ; mal est l'inconscience des actes. . à côté du bien, le mal sera aussi pris en considération, je veux dire où il ne sera plus primé d'emblée suivant l'hypothèse fort douteuse que.. on sait avec exactitude ce qu'est le mal.
L'attente de l'Antéchrist, elle aussi, semble un prolongement de la révélation. le diable, en dépit de sa chute et de son exil, reste tout de même le « prince de ce monde » et qu'il demeure flottant dans l'air ambiant. En dépit de ses maléfices et en dépit de l'ouvre divine de rédemption au bénéfice de l'humanité, il possède encore une position de puissance importante qui maintient sous sa domination toute créature sublunaire. . situation.. « critique ».. elle ne correspond pas à ce que, d'après le contenu de la bonne nouvelle, on était raisonnablement en droit d'attendre. Le mal n'est nullement enchaîné, même si les jours de sa domination sont comptés. Dieu hésite encore à employer la force contre Satan. On doit supposer qu'Il ne sait manifestement toujours pas comment et combien Son propre côté sombre et obscur favorise l'ange du mal. Mais cette situation ne peut naturellement à la longue rester cachée à « l'Esprit de Vérité » qui a pris demeure dans l'homme. C'est pourquoi celui là perturbe l'inconscient de l'homme et suscite, dès les débuts du christianisme, une autre grande révélation.. l'Apocalypse de Jean. P.165
XIII
. « Dieu est lumière, en Lui point de ténèbres » . « Quiconque est né de Dieu ne commet pas le péché » ( Qui ne commet aucun péché ?) Jean prêche le message de l'amour. Dieu Lui-même est amour. L'amour parfait chasse la peur. Mais Jean doit mettre en garde contre les faux prophètes.. il est celui qui annonce la venue de l' Antéchrist.
Il parle comme s'il connaissait non seulement un état dépourvu de péché nais aussi un amour parfait .
Jean est un peu trop sûr de lui et c'est pourquoi il risque la dissociation. Car en pareils cas, en effet, il se crée dans l'inconscient une contre position qui, à l'occasion, peut exploser dans le conscient sous forme de révélation. La révélation, si elle se produit, prend la forme d'un mythe plus ou moins subjectif, parce qu'elle compense entre autres l'unilatéralité d'une conscience individuelle. . opposé de la vision d'un Ezéchiel ou d'un Hénoch dont la situation de conscience.. caractérisée par une ignorance.. se trouve compensée .. par une forme plus ou moins objective et de valeur plus ou moins générale de matériaux archétypiques.
C'est à ces conditions.. que correspond l'Apocalypse. Dans la vision du début apparaît déjà une figure qui inspire la peur : le Christ, comme fondu avec « l'homme de grand âge », qui ressemble à un homme et au Fils d l'Homme. « De sa bouche sort une épée effilée à double tranchant » .
. sept messages adressés aux Eglises de la province d'Asie. . P.169
. Ce « Christ » apocalyptique se comporte plutôt à la manière d'un boss, d'un patron de mauvaise humeur et conscient de sa toute-puissance, qui ressemble parfaitement à l'autre face, à « l'ombre » d'un évêque prêchant l'amour.
. une vision de Dieu dans le style d'Ezéchiel. . Le symbole d'Ezéchiel est modifié.. : pierre, verre, cristal, toutes choses mortes et rigides, substances qui proviennent de l'inorganique, caractérisent la divinité. . penser à la préoccupation des époques postérieures où « l'homme » plein de mystère.. - l'homme exhaussé -.. caractérisé comme.. pierre non pierre (. « .. pierre qui n'est pas pierre, la pierre légère, celle que le vulgaire n'aime pas. ») où, dans l'océan de l'inconscient, surgissaient et scintillaient d'innombrables yeux. .. il s'introduit ici une psychologie johannique, psychologie de l'auteur. P.171
. L'agneau ne présente plus sous les traits humains de « l'Ancien ».une forme purement thériomorphe.. monstrueuse, comme l'un des nombreux autres animaux porteurs de cornes de l'Apocalypse : il a sept yeux et sept cornes. Bien qu'il soit représenté « comme égorgé » il ne se comporte pas par la suite en victime innocente, mais témoigne au contraire de beaucoup de vivacité.
En ouvrant les quatres premiers sceaux, il donne leur essor aux quatre sinistres cavaliers de l'Apocalypse. . cinquième sceau.. les supplications des martyrs implorant vengeance. Le sixième sceau.. apporte une catastrophe cosmique et tous se cachent devant « la colère de l'Agneau. Car il est arrivé, le Grand Jour de sa colère. »
Je vois dans cet épisode.. l'explosion des sentiments négatifs refoulés et accumulés depuis longtemps, comme on en observe souvent lorsqu'un être veut faire l'ange et prétend n'exister que conformément à l'image de la perfection.
. l'auteur.. s'est donné une peine immense pour rendre vrai en lui, de façon exemplaire, ce qu'il prêchait aux autres chrétiens. Il a dû exclure à cette fin tous les sentiments négatifs qui s'agitaient en lui et, conséquence d'un manque en ce cas secourable d'autoréflexion, il parvint à les oublier. Ces sentiments négatifs, dès lors, ayant totalement disparu de la surface du conscient, n'en continuent pas moins à ronger et à fermenter sous le manteau et créent, avec le temps, un réseau très ramifié de ressentiments et de pensées de vengeance qui, un beau jour, explosent dans le conscient sous forme de révélation. . C'est une véritable orgie de haine, de colère, d'appétit de vengeance, de frénésie aveugle de destruction, qui culmine en entassements fantastiques d'images propres à susciter l'épouvante ; rien ne parvient ni à exprimer suffisamment ni à endiguer ce flot qui inonde de sang et recouvre de feu un monde en faveur de la rédemption duquel on vient tout juste d'accomplir les plus grands efforts, dans l'espoir de le ramener à l'état originel d'innocence et de communauté d'amour avec Dieu. P.173
L'ouverture du septième sceau ..
« un signe grandiose apparut au ciel : c'est une Femme !
le soleil l'enveloppe et la lune est sous ses pieds et douze étoiles couronnent sa tête ; elle est enceinte et crie dans les douleurs et le travail de l'enfantement. un énorme Dragon rouge feu. est en arrêt devant la Femme en travail et s'apprête à dévorer son enfant aussitôt né. »
. ce nouvel épisode.. est spontané et.. a échappé à la tentation de servir un but éducatif. . un élément du hieros gamos, le mariage divin dont le fruit est un enfant divin menacé du destin d'Apollon, le fils de Léto qui fut également poursuivi par le dragon.(Le serpent Python.)
. « une Femme » ; une femme en toute généralité, ni déesse, ni vierge éternelle. aucune mesure qui l'aurait soustraite à sa féminité pleine et entière, à l'exception.. des attributs à la fois cosmiques et naturels qui lui sont assignés, et qui l'impriment du sceau d'une anima mundi - d'une âme du monde -, ce qui la rend l'égale de l'homme cosmique originel. Elle est la créature originelle féminine. En haut, les étoiles ; en bas, la lune ; au milieu le soleil, l'Horus du lever et l'Osiris du couchant, entourés par la nuit maternelle.. ce symbole dévoile tout le secret de la « femme » ; elle renferme en ses profondeurs obscures le soleil de la conscience « virile » qui, comme l'enfant, se dégage de la mer nocturne de l'inconscient, et qui, comme le vieillard, s'y enfonce à nouveau. La femme ajoute l'obscurité à la clarté, elle signifie le hieros gamos, le mariage divin des contraires et réconcilie la nature avec l'esprit. P.175
Le fils qui naît de ce mariage céleste est forcément une complexio oppositorum ~ rapprochement, complémentarité des contraires -, un symbole unificateur, une totalité de vie.
Or dans l'inconscient, est présent tout ce qu'a répudié le conscient ; et plus le conscient est chrétien, plus l'inconscient se donne des allures païennes.. dans le paganisme rejeté gisent encore des valeurs d'une importance vitale, c'est-à-dire (comme cela se produit si fréquemment) « lorsqu'on a vidé l'enfant avec l'eau du bain ». (. lorsqu'on détruit l'essence précieuse alors qu'on entendait seulement se débarrasser d'un inconvénient.) L'inconscient n'isole et ne différencie pas ses objets comme le fait le conscient. .
Jean est subjugué par l'archétype du Fils divin, et c'est quoi il retrouve son action dans son propre inconscient ; en d'autres termes, il voit comment Dieu naît à nouveau dans son inconscient (en partie païen), Dieu naissant indiscernable du Soi de Jean, l'enfant divin étant symbole de l'un autant que de l'autre, de même que l'est précisément le Christ.
. le conscient de Jean était fort éloigné de concevoir le Christ comme un symbole. Pour le chrétien croyant, le Christ représente tout, sauf un symbole : par symbole, j'entends une expression, la meilleure possible, pour quelque chose d'inconnaissable ou qui n'est pas encore connaissable. P.179
. Le Christ n'aurait pas fait la moindre impression sur ceux qui croyaient en lui s'il n'avait, en même temps, exprimé quelque chose qui vivait et agissait en eux. .
. cette donnée.. avalise l'affirmation que non seulement quiconque croit en Jésus-Christ est contenu en lui, mais qu'aussi le Christ habite dans le croyant, qui devient alors l'homme parfait à l'image de Dieu, l'Adam second. . Il s'agit de la « sur-ordination », de la prééminence de l'homme « parfait», c'est-à-dire total (qui se compose de la totalité de la psyché, conscient et inconscient), au-dessus du Moi, qui, lui, ne représente que le conscient et ses contenus, mais ignore l'inconscient, quoiqu'il dépende de celui-ci de multiples façons et qu'il soit souvent influencé de manière décisive par lui. C'est le rapport du Soi et du Moi qui se reflète dans la relation du Christ et de l'homme. .
Ce parallélisme latent jusqu'alors en jean explose dans la conscience sous forme d'une vision. Que cette explosion soit authentique nous est confirmé par l'utilisation, invraisemblable.. pour un chrétien de ces temps-là, de matériaux mythologiques païens où l'on trouve même vraisemblablement des influences astrologiques. (non si il était un Essénien) . remarque essentiellement païenne : « Mais la terre vint au secours de la Femme. » . la Sophia cosmique. pourrait facilement passer pour être la mère de l'enfant divin, (Le fils correspondrait alors au fils de la Sagesse..) . P.181
. Si la vision de Jean était un rêve moderne, on n'hésiterait pas à interpréter la naissance de l'enfant divin comme une prise de conscience du Soi. . elle a animé l'archétype de la Vierge Mère divine et de la naissance de son fils amant, et a amené l'archétype en confrontation avec la conscience chrétienne..
L'image que Jean a du Christ est troublée par ses sentiments négatifs qui font du Christ un vengeur cruel qui, en réalité, n'a plus rien de commun avec le rédempteur. Il faut se demander.. si la figure du Christ que Jean nous propose dans l'Apocalypse n'est pas beaucoup plus l'expression de l'homme Jean avec son ombre compensatrice. l'image du Christ telle qu'elle nous apparaît dans l'Apocalypse.. ce juge et vengeur demeure une sombre figure. On peut supposer que c'est là le motif qui a poussé Jean à assimiler le nouveau-né à un personnage vengeur, et à estomper ainsi son caractère mythologique d'adolescent divin, gracieux, adorable, tels que nous les figurent Tammouz, Adonis et Balder. La beauté printanière et ensorcelante de l'enfant divin présente précisément une de ces valeurs de l'antiquité dont nous ressentons tellement l'absence dans le christianisme.
En tant que totalité, le Soi, par définition, est toujours une complexio oppositorum, et sa façon d'apparaître se fait d'autant plus obscure et menaçante que le conscient revendique une nature lumineuse exclusives, élevant par là même des exigences d'autorité morale. .. Jean.. un homme, c'est-à-dire faillible. Si l'Apocalypse était plus ou moins une affaire personnelle de Jean, et, par conséquent rien d'autre que l'explosion de son ressentiment personnel, le personnage de l'Agneau en colère aurait été parfaitement adéquat. .P.183 (les choses étant ce qu'elles ont), l'enfant nouveau-né aurait dû offrir un aspect positif perceptible, car il aurait été, en fonction de toute sa nature symbolique, compensé par la désolation lamentable apportée par l'explosion de passions refoulées, puisqu'il est bien le fils de la conjunctio oppositorum du monde diurne empli de soleil et du monde nocturne de la lune. Il serait intervenu comme médiateur entre le Jean aimable et le Jean avide de vengeance, et serait ainsi apparu en tant que rédempteur bienfaisant tempérant les extrêmes. .
Mais le problème de Jean n'est pas un problème personnel. Il ne s'agit pas de son inconscient personnel, ni d'explosions capricieuses : il s'agit de visions grandioses qui proviennent d'une bien plus grande et plus vaste profondeur, à savoir de l'inconscient collectif. Les problèmes de Jean s'expriment trop en des formes collectives et archétypiques pour qu'il soit licite de les réduire à une simple situation personnelle. . Jean, en tant que chrétien, était sous l'influence d'une évolution collective archétypique et c'est pourquoi il faut tenter d'expliquer Jean à partir de celle-ci.
Certes, il avait aussi sa psychologie personnelle. l'imitatio Christi.. détermine dans l'inconscient l'apparition d'une ombre correspondante inversée. Le fait que Jean ait eu des visions est déjà le témoignage évident d'une tension peu commune régnant en lui entre un conscient et un inconscient contradictoires. . sur les confins de la mort -, et au déclin d'une longue vie bien remplie, le regard s'ouvre sur des lointains insoupçonnés. Un tel homme ne vit plus dans les intérêts de la vie quotidienne ni dans les péripéties des relations personnelles, mais dans la contemplation d'immenses étendues à travers le temps et dans le mouvement séculaire des idées. . Ce qui explose en lui, c'est la tourmente des temps, l'intuition d'une énantiodromie monstrueuse, qu'il ne parvient pas à comprendre autrement que comme la destruction définitive de ces ténèbres que la lumière apparue avec le Christ n'avait ni comprises ni incluses. Mais il n'a pas vu que la puissance de destruction et de vengeance est précisément cette obscurité, ces ténèbres dont le dieu devenu homme s'était dissocié. . P.185 La passion qui éclate dans sa révélation, l'Apocalypse, ne figure nulle part du détachement lassé ou de la sagesse illuminante de l'âge avancé ; car cette passion est infiniment plus qu'un simple ressentiment personnel ; elle est l'esprit de Dieu Lui-même qui pénètre dans une fragile et mortelle enveloppe humaine, créant et exigeant à nouveau dans le cour de l'homme la crainte devant la divinité insaisissable.
XIV
Le flot de sentiments négatifs semble inépuisable. De la mer montent des monstres munis de cornes (c'est-à-dire doués de puissance) qui sont autant d'horribles enfantements des profondeurs. Face à cette surpuissance écrasante des forces des ténèbres et de la destruction, il est compréhensible que la conscience humaine angoissée cherche autour d'elle une montagne d'asile, un lieu de calme et de sécurité où se réfugier. vision de l'Agneau sur la montagne de Sion, où les cent quarante quatre mille élus et sauvés sont réunis autour de lui. Ce sont les vierges - « ceux-là, ils ne se sont pas souillés avec des femmes ». Ce sont ceux qui, à la suite de la mort précoce du Fils de Dieu, ne sont jamais entièrement devenus des hommes, mais ont volontairement renoncé à participer au destin humain, et qui, de ce fait, ont eu une attitude négative à l'égard d'une continuation de l'existence sur la terre. (Au fond, ils appartiennent en propre au culte de la « Grande Mère », car ils correspondent aux Galles, prêtres émasculés de ce culte. S'en référer à ce propos au singulier passage de Matthieu.. « d'eunuques qui se sont eux-mêmes rendus tels en vue du Royaume des Cieux », comme les prêtres de Cybèle qui, à la suite de son fils, le dieu Attis, se châtraient volontairement.) . Jean croit à la prédestination en accord avec une autorité supérieure .
« Car tout se qui se crée
Mérite d'être anéanti »
dit Méphisto.
. « Craignez Dieu ! » Il n'est plus question de l'amour de Dieu. Or, il n'y a lieu de craindre que ce qui terrifie.
Le Fils de l'homme tient dans ses mains une faucille aiguisée.. la vendange dont il s'agit est un bain de sang inimaginable :
« Et il en (« de la cuve de la colère de Dieu ») coula du sang qui monta jusqu'au mors des
chevaux sur une distance de mille six cents stades. (trois cents kilomètre) »
Du temple du ciel sortent les sept Anges porteurs des « sept fléaux, les derniers, puis des sept coupes » plein de la colère de Dieu, qu'ils vont dorénavant répandre sur le monde. . anéantissement de Babylone.
Babylone est la correspondance chtonienne de la Sophia, la Femme solaire, avec, il est vrai, un renversement de son indice moral. Si les élus, pour honorer la Grande Mère, la Sophia, se transforment en « vierges », cette métamorphose détermine dans l'inconscient, par compensation, d'abominables fantasmes d'impudicité. C'est pourquoi la destruction de Babylone ne signifie pas seulement l'extermination de la fornication, mais la suppression de la joie de vivre elle-même.
« Le chant des harpistes et des trouvères
et des joueurs de flûte ou de trompette
chez toi ne s'entendra jamais plus ;
les artisans de tout métier
chez toi ne se verront jamais plus ;
lumière de la lampe
chez toi ne brillera jamais ;
la voix du jeune époux et de l'épousée
chez toi ne s'entendra jamais plus. »
. penser au sort désastreux qui a atteint notre art moderne.
Des symboles comme Jérusalem, Babylone, etc., sont naturellement toujours surdéterminés, c'est-à-dire qu'ils possèdent plusieurs aspects significatifs et qu'ils sont susceptibles d'être interprétés selon différentes perspectives.
.
L'anéantissement de toute beauté et de toute joie de vivre, la souffrance inimaginable de toute créature sortie un jour des mains d'un créateur prodigue pourraient.. inspirer à un cour sensible la plus profonde des mélancolies. .
C'est le Christ.. monté sur un cheval blanc.. avec l'épée qui sort de sa bouche.. tue « la Bête » et avec elle « le faux prophète » - probablement le reflet ou le pendant obscur qui est soit le sien, soit celui de Jean, c'est-à-dire dire aussi l'ombre. . La libération de Satan après cette durée (milles ans).. correspond à l'énantiodromie de l'aiôn chrétien, c'est-à-dire à l'Antéchrist. P.191
Dès lors, le hieros gamos déjà annoncé .. les noces de l'Agneau et de « son épouse » se déroulent. .
Cette vision finale, qui, . est interprétée comme exprimant les rapports de l'Eglise avec le Christ, a la signification d'un « symbole unificateur » représentant par conséquent la perfection et la totalité ; d'où la quaternité qu'expriment la forme carrée de la ville, les quatre fleuves du paradis, les quatre Evangélistes.. les « quatre vivants » . le cercle représente l'arrondi du ciel et la nature de l'essence (pneumatique ou spirituelle) qui embrasse le tout de la divinité, le carré se rapporte à la terre. Le ciel est masculin, mais la terre est féminine. . Dieu trône dans le ciel, et la Sagesse sur la terre. la Sophia coïncide avec la terre. la Sophia coïncide aussi avec la quaternité de l'apparition divine chez Ezéchiel. De même que la Sophia signifie et présente la réflexion de Dieu Lui-même, les quatre séraphins, eux, représentent le conscient de Dieu avec ses quatre aspects fonctionnels. . les multiples yeux qui voient.. concentrés sur les quatre animaux. Ils représentent une synthèse des quatre parties de la « luminosité » inconsciente.
. le hieros gamos unit Yahvé et la Sophia.. rétablissant ainsi l'état de plérome du début, la description parallèle de Dieu et de la ville indique leur nature commune : ils sont originairement une seule et même chose, une entité originelle hermaphrodite, un archétype de la plus grande universalité.
. ce tableau fina1 devrait signifier la solution définitive de l'épouvantable conflit de l'existence. La solution décrite ne consiste pas en une réconciliation des contraires, mais dans l'écartèlement définitif des antagonistes, au cours duquel les hommes qui sont prédestinés peuvent se sauver en s'identifiant à l'aspect lumineux et spirituel de Dieu. Mais pour ce faire, une condition inéluctable semble être le refus de la reproduction et, de façon plus générale, de toute vie sexuelle. P.194
XV
. La « révélation » a été enfantée et vécue par un chrétien de la première heure qui, guide et lumière, en tant qu'autorité, dut mener une vie exemplaire et apporter à la communauté le modèle des vertus chrétiennes, de la foi vraie, de l'humilité, de la patience, du dévouement, de l'amour altruiste et du renoncement à toutes les délices de ce monde.
A la longue, une telle attitude peut devenir excessive, même pour le meilleur. L'irritabilité, la mauvaise humeur, les explosions d'affects, sont les symptômes classiques d'une attitude chronique par trop vertueuse.
. de nombreux rêves compensateurs de chrétiens croyants qui se trompaient eux-mêmes sur leur complexion spirituelle réelle, et qui se figuraient dans un autre état d'esprit que celui qui était réellement le leur. .. l'Apocalypse.. les affects décrit(s) sont adéquats. P.197
. nul besoin de penser .. psychopathe déséquilibré. .. un homme religieux passionné, ayant au demeurant une psyché en ordre. Jean devait avoir avec Dieu des rapports d'une intensité telle que celle-ci le prédestinait à une irruption de l'inconscient excédant de très loin tous les plans personnels. L'homme réellement religieux auquel est donné en même temps dès le berceau la possibilité d'un élargissement peu commun de son conscient doit s'attendre à de semblables dangers.
Le but des visions de l'Apocalypse n'est pas de faire savoir à l'homme banal appelé Jean combien il dissimule d'ombre sous ses dehors lumineux, mais d'ouvrir le regard du visionnaire qu'il est à l'immensité de Dieu, car celui qui aime reconnaîtra Dieu. On peut dire que c'est précisément parce que Jean aimait Dieu et faisait son possible pour aimer aussi ses contemporains que cette gnose, cette connaissance de Dieu, s'abattit sur lui, et c'est pourquoi, comme Job, il a vu l'épouvantable sauvagerie de Yahvé ; il a fait par conséquent l'expérience vivante que son évangile de l'amour est unilatéral, et il l'a complété par celui de la peur : Dieu peut être aimé et doit être craint.
Du même coup, l'horizon du visionnaire s'élargit bien au-delà de la première moitié de l'aiôn chrétien : le visionnaire pressent que, après un millénaire, l'ère de l'Antéchrist commencera, ce qui indique clairement que le Christ n'est pas vainqueur dans l'absolu. Jean devance les alchimistes et Jacob Bohme ; il ressent peut-être son implication personnelle dans le drame divin, en anticipant sur cette possibilité de la naissance de Dieu dans 1'homme dont les alchimistes, Maitre Eckhart .. eurent le pressentiment. .. il circonscrit le programme de toute l'ère des Poissons, avec son énantiodromie dramatique et sa sombre fin. . Le verseau enflamme les forces vives de Lucifer.
... Dieu a un double aspect terrible : une mer de grâce voisine avec un lac rougeoyant de feu, et la lumière de l'amour se répand sur un sombre brasier dont il est dit ardet non lucet - il brûle mais n'éclaire pas. P.199
XVI
. Une décision prise dans un moment d'irréflexion par une tête hérostratique peut suffire à déclencher la catastrophe mondiale. (Hérostrates détruisit, en l'an 365 av. J. C., le temple d'Artémis à Ephèse, dans le but d'immortaliser son propre nom.) . Ce n'est pas la nature, mais le « génie de l'humanité » qui a noué et installé pour celle-ci la hart fatale par laquelle elle peut, à tout moment, s'exécuter elle-même. Cela n'est qu'une autre façon de parler de ce que Jean appelle « la colère de Dieu ». . P.201
. combien peu l'être se confronte et s'explique avec des objets dotés d'un caractère numineux et combien pénible est la confrontation quand on ose l'entreprendre. La numinosité d'un objet rend toujours plus difficile son abord par la pensée, l'affectivité se mettant toujours de la partie. On est toujours pour ou contre, on participe nécessairement, et une « objectivité absolue » est, en la matière, encore plus difficile à atteindre qu'en toute autre.
.
L'agnosticisme prétend ne posséder aucune notion relative à Dieu ou à tout autre objet métaphysique ; .. il commet l'erreur d'ignorer qu'on ne possède jamais une conviction métaphysique, mais qu'on est possédé par elle. .. ces deux points de vue opposés - agnostique et religieux - sont tous deux possédés par la raison, qui incarne à leurs yeux l'arbitre suprême, indiscutable. Mais qui est « la raison » ? Pourquoi serait-elle l'instance suprême ? Ce qui est, ce qui existe, ne signifie-t-il pas une instance située au-dessus des jugements de raison.
. le fait qu'il existe des expressions d'ordre métaphysique.. Cette donnée nous fournit la base empirique solide de laquelle il faut partir. Elle est objective, réelle, et constitue un phénomène psychique. Dans cette constatation sont naturellement incluses absolument toutes les affirmations qui existèrent jamais, même les plus contradictoires, qui portèrent ou portent encore un caractère numineux. Dans cette perspective, on aura à tenir compte de toutes les expressions d'ordre religieux. P.203
XVII
Revenons à la confrontation de nous-mêmes et de nos idées avec ce concept paradoxal de Dieu mis à nu par la teneur de l'Apocalypse ! e christianisme strictement évangélique n'a que faire d'une pareille confrontation, car il a apporté comme postulat essentiel de son enseignement 1ne notion de Dieu qui, à l'opposé de la figure de Yahvé, coïncide avec l'essence même de la bonté. . la question de savoir si l'idée d'un Dieu de bonté est encore susceptible de se concilier avec pareilles atrocités (cf. guerre mondiale) devient brûlante.
. Quel peut être le rapport de cet homme avec Dieu ? Comment supporte-t-il l'existence d'une contradiction insupportable dans la nature de la divinité ? Quoique nous ne sachions rien de sa prise de position consciente et lucide, je pense. en dégager une indication dans la vision de la Femme- Soleil qui enfante.
L'essence paradoxale de Dieu écartèle l'homme lui aussi entre des pôles contraires, et le livre à un conflit apparemment insoluble. . Il existe par exemple des collisions de devoirs dont nul ne sait comment il faudrait les résoudre. Le conscient sait seulement : tertium non datur! - pas de troisième terme! (Une troisième possibilité n'existe pas encore, la synthèse n'est pas donnée) C'est pourquoi alors le médecin conseille .. d'attendre, pour voir si l'inconscient .. ne créerait pas un rêve qui lui proposât une troisième solution irrationnelle, par conséquent inattendue et imprévisible
. apparaissent effectivement dans les rêves des symboles de nature unificatrice, . thème de l'Enfant- Héros et celui de la quadrature du cercle, c'est-à-dire de la conciliation des contraires. .
.. l'objet.. de la philosophie hermétique désigne l' « enfant » d'une part du nom de « pierre » .. d'autre part, elle le nomme homunculus .. (.. « fils des philosophes ») ou filius sapientiae .. ou même homo altus - homme exhaussé. . P.207
. ce thème apparaît dans les rêves d'hommes modernes, travesti en des formes et des situations correspondantes, à travers lesquelles on comprend qu'il s'agit toujours de l'harmonisation du clair et de l'obscur . C'est sur cette question que les alchimistes ont peiné.. c'est encore cette question qui oppresse l'homme d'aujourd'hui. .
Pour l'homme moderne, le problème n'est plus déplacé et investi dans la matière, comme pour les alchimistes. (Toute l'agitation moderne ne serait-elle pas en partie un travestissement matériel et concrétiste de ce problème de fond, l'Apocalypse à venir ?). le médecin et psychologue doit prendre la parole en cette affaire.
. thérapie des névroses.
. la nature de ces « représentations supérieures » qui décident, de façon infiniment importante pour la vie quotidienne, de notre comportement éthique. Ces « représentations supérieures » constituent en dernière analyse les principes qui déterminent explicitement ou implicitement les décisions d'ordre moral dont dépend le bien-être ou le malaise de notre existence. Toutes ces dominantes culminent dans un concept positif ou négatif de Dieu. (Psychologiquement parlant, toute idée de quelque chose d'ultime relève du concept de Dieu, qu'il s'agisse d'éléments premiers ou derniers, des plus hauts ou des plus bas. Le nom que l'on y consacre ne change rien à la chose.)
Depuis que Jean,.. fit.. l'expérience vivante de ce conflit dans lequel mène directement le christianisme, ce conflit n'a plus cessé pour l'humanité : Dieu voulait et veut devenir homme. C'est .. pourquoi Jean fait l'expérience dans sa vision d'une deuxième naissance ayant pour mère la Sophia, naissance qui est caractérisée par une conjunctio oppositorum ; .. naissance divine.. P.209.. le filius sapientiae, essence d'un processus d'individuation. .
La conciliation des contraires est déjà esquissée dans le symbolisme du destin du Christ, dans la scène de la crucifixion où le médiateur est suspendu entre les deux larrons dont l'un ira au paradis et l'autre en enfer. Comme il n'était pas possible qu'il en fût autrement, l'opposition, dans la perspective chrétienne, devait résider entre Dieu et l'homme ; dès lors, ce dernier courait le danger de se trouver identifié avec tout le côté obscur.
. L'opposition entre Dieu et l'homme qui règne dans la conception chrétienne est sans doute un héritage de l'Ancien Testament. En dépit de la gnose de Job, la crainte de Yahvé était encore trop grande pour que l'on ait osé transférer l'antinomie au sein de la divinité elle-même. Mais à partir du moment où on laisse subsister l'opposition entre Dieu et l'homme, on arrive à la conclusion chrétienne : omne bonum a Deo, omne malum ab homine, ( Tout le bien vient de Dieu, tout le mal vient de l'homme.) , ce qui situe la créature de façon absurde en opposition à son créateur et confère à l'homme, à proprement parler, une valence cosmique ou démoniaque dans le mal. L'effroyable volonté destructrice qui explose au long de l'extase de Jean nous donne une idée de ce que cela signifie quand on place l'homme en opposition à un Dieu de bonté : on charge celui-là de ce qui est l'ombre en Dieu, ombre qui, dans le Livre de Job, se trouvait encore à sa place légitime. Dans les deux cas, l'homme se trouve identifié avec le mal ; dans le premier, cela a pour effet que l'homme s'arc-boute contre le bien, dans le second, qu'il s'efforce d'atteindre à la perfection de son Père dans le ciel.
La décision de Yahvé de devenir homme est un symbole du développement qui doit s'instituer quand l'homme prend conscience de l'image de Dieu avec laquelle il se trouve confronté. ( Le concept de Dieu en tant qu'idée de la totalité inclut également l'inconscient, c'est-à-dire, à l'opposé de ce qui se passe pour le conscient, comprend également la psyché objective que contrecarrent si souvent l'intentionnalité et la volonté du conscient. La prière, par exemple, renforce le potentiel de l'inconscient, d'où ses efficacités souvent inattendues.) Dieu agit à partir de l'inconscient de homme et contraint celui-ci à chercher à harmoniser et à unifier les influences constamment contradictoires émanant de son inconscient, auxquelles son conscient est sans cesse exposé. L'inconscient veut à la fois deux choses contradictoires : séparer et unifier. P.211 C'est pourquoi 1ornme, dans ses tentatives d'unification de lui.même, peut toujours compter sur l'appui d'un avocat métaphyligue, 'inconsent veut pénétrer dans le conscient et s'y incorporer )ur parvenir à la lumière, en même temps qu'il se 'ée à lui-même tous les obstacles possibles, car d'un autre Ité il préférerait demeurer inconscient : ce qui revient dire que Dieu veut devenir homme, mais ne le veut 'as tout à fait 1. L « est-à-dire qu'II entend garder, en tant qu'instance psychique, Son individualité divine (N. ( e conflit au sein de la nature de Dieu st tellement considérable que Son incarna tion ne peut être rachetée, aux yeux de la colère éprouvée par l'ombre divine, que par le sacrifice rédempteur de Lui.même.
Dieu a d'abord incarné le bien, afin, comme nous e créer une base aussi résistante que possible pour l'assimilation ultérieure de l'autre versant de la nature humaine. La] a promesse du Paraclet nous autorise à conclure que Dieu veut devenir ztièrement homme, c'est-à.dire qu'il veut se recréer et renaître dans Sa propre créature pleine d'obscurité dans l'homme non libéré du péché originel. L'
Engendré par un père « inconnu » et né de la sapientia, tel est l'homme supérieur et complet.. qui représente notre totalité transcendante à la conscience dans la personne du puer oternus .. (L'enfant éternel, « au visage changeant, à la fois blanc et noir ».) . « Tant que vous ne serez pas comme de petits enfants. », au cour desquels les contrastes gisent tout proches les uns des autres. Certes, il ne s'agit pas de l'enfant inconscient que l'on voudrait rester, mais de l'enfant né grâce à la maturité de l'âge d'homme. Par anticipation, le Christ .. a fait aussi allusion au principe d'une morale du mal.
. le problème à résoudre d'abord et immédiatement n'est pas, .. , l'unification des contraires ; à l'inverse, il s'agit bien plus d'incarner l'aspect lumineux et bon, de dompter la concupiscence, et de consolider la civitas Dei - la cité de Dieu - en prévision de l'avènement de l'Antéchrist. L'Agneau transformé en bélier démoniaque ouvre un nouvel évangile, l'évangile éternel qui, par-delà 1'amour de Dieu, a pour teneur la crainte de Dieu. P.215
. l'Apocalypse s'achève, comme le processus d'individuation classique, par le symbole du hieros gamos, ici le mariage du fils avec la mère- fiancée. Mais le mariage a lieu dans le ciel où « rien de souillé ne peut pénétrer », par delà le monde dévasté. La lumière s'unit à la lumière ; c'est là le programme de 1'aiôn chrétien, programme qui doit être accompli avant que Dieu puisse S'incarner dans la créature humaine. . P.217
XVIII
Dorénavant, tout dépend de l'homme : une monstrueuse puissance de destruction est mise entre ses mains, et la question est de savoir s'il peut résister à l'envie de l'utiliser, et s'il peut la dompter grâce à l'esprit d'amour et de sagesse. Par sa seule force il en sera à peine capable. Il a besoin d'un « Défenseur » au ciel, précisément de l'enfant, ravi par Dieu, qui détermine la « guérison » de l'homme en faisant s'amalgamer en une totalité cet homme demeuré jusque là fragmentaire. Quelle que soit la signification intrinsèque du Soi, totalité de l'homme, ce Soi constitue empiriquement une image du but de la vie, créée spontanément par l'inconscient au-delà des désirs et de toutes les craintes du conscient. Le Soi représente le but de l'homme total, à savoir la réalisation de sa totalité et de son individualité, avec ou contre sa volonté.
La dynamique de ce processus, c'est l'instinct, qui veille que tout ce qui fait partie d'une vie individuelle y figure précisément, avec ou sans l'assentiment du sujet, qu'il ait conscience de ce qui se passe ou qu'il en soit inconscient. Naturellement, cela fait subjectivement une énorme différence si l'être sait pertinemment ce qu'il vit, ou s'il comprend ce qu'il fait, ou s'il se déclare responsable de ce qu'il projette et de ce qu'il exécute, ou s'il n'en est rien. La différence qui existe entre la conscience d'un état et l'absence de celle-ci, une parole du Christ l'a formulée .. « Si tu sais ce que tu fais, tu es bienheureux, mais si tu ne le sais pas, tu es un maudit et un transgresseur de la Loi. »
Confrontée à la justice de la nature et du destin, l'inconscience n'a jamais valeur d'excuse ; au contraire, elle est passible d'une lourde peine car toute la nature inconsciente semble aspirer à la lumière de la conscience à laquelle pourtant elle répugne tant.
Certes, la prise de conscience de ce qui est caché et de ce qui est gardé secret nous met en face d'un conflit insoluble ; c'est du moins ce qu'il semble à la conscience. Mais les symboles nés de l'inconscient qui apparaissent dans les rêves insistent sur la confrontation des éléments contraires, et les images du but décrivent leur harmonisation réussie. Ici vient à notre rencontre et à notre secours une aide empiriquement constatable qui émane de notre nature inconsciente. C'est la tâche du conscient de comprendre ces allusions. Quand ce n'est pas le cas, le processus d'individuation ne s'en continue pas moins ; à cette différence près que nous en serons victimes et que nous serons traînés par le destin vers ce but inévitable que nous aurions pu atteindre d'un pas viril, si nous avions consacré à temps de la peine et de la patience pour comprendre les numina, les avertissements mystérieux du chemin du destin.
La véritable question, dorénavant, est de savoir si l'être humain est capable de se hisser à un niveau moral plus élevé, c'est-à-dire à un plan de conscience plus haut, pour se trouver au niveau de la puissance surhumaine que les anges déchus ont fait tomber en ses mains. Mais il ne sait que faire de lui-même et il ne peut pas progresser tant qu'il n'est pas mieux averti de sa propre nature. De ce point de vue, règnent malheureusement une ignorance effrayante et une répulsion non moins à agrandir et à approfondir le savoir relatif sa propre nature. . C'est l'homme coupable qui est apte et par conséquent choisi pour devenir le lieu de l'incarnation progressive, et non pas l'homme innocent qui se refuse au monde et qui refuse de payer à la vie son juste tribut ; car, en ce dernier, le dieu obscur ne trouverait point l'espace dont il a besoin. P.221
.. il n'y pas seulement lieu d'aimer Dieu, mais qu'il y a aussi lieu de le craindre. Il nous emplit de bien mais aussi de mal ; sans cela, il n'y aurait pas lieu de Le craindre ; et parce que Dieu veut devenir homme, la résolution de Ses propres antinomies doit se produire dans l'homme. Ceci implique pour la créature une responsabilité nouvelle.
L'homme ne peut plus chercher d'échappatoires dans sa prétendue petitesse et sa prétendue insignifiance, car le dieu obscur a mis entre ses mains les produits de la guerre chimique et de la bombe atomique.. Puisqu'il est ainsi devenu d'une puissance quasi divine, il ne peut plus persévérer aveugle et inconscient. Il doit acquérir du savoir sur la nature de Dieu et sur ce qui se passe dans la métaphysique, afin de se mieux comprendre lui-même et, par là, arriver à reconnaître Dieu.
XIX
.
. les apparitions de la Vierge Marie. Le fait en particulier que c'étaient souvent des enfants qui avaient ces visions de Marie pouvait donner à penser ; .. en pareilles occurrences, c'est toujours l'inconscient collectif qui est en jeu. (Jung veut dire par-là qu'il s'agit d'un problème « dans l'air », et d'intérêt général ; s'il se manifeste plus aisément à travers des enfants, c'est que ceux-ci sont plus immédiatement réceptifs à l'inconscient que l'adulte, en qui des stratifications conscientes beaucoup plus nombreuses, des affirmations de structure psychologique, des rigidités et des pétrifications bloquent et recouvrent la vie de l'inconscient spontanée dans son essence) Que Dieu veuille devenir homme à travers une mère humaine est un fait connu de l'antique théologie égyptienne des Pharaons : et que l'être divin primitif embrasse aussi bien le féminin que le masculin était déjà une notion des âges préhistoriques. .
. L'union nuptiale dans le thalamus ( La chambre nuptiale) signifie le hieros gamos, et celui-ci, à son tour, constitue le prologue de l'Incarnation, c'est-à-dire la naissance de ce sauveur considéré, depuis l'Antiquité, comme le filius solis et lunae et.. comme le filius sapientio, et comme la correspondance du Christ. . le vou de voir naître un sauveur, un pacificateur, .. un médiateur qui apporte la paix parmi les ennemis. Quoiqu'il soit depuis toujours déjà né dans le plérome, sa naissance temporelle ne peut se produire que par la perception que l'homme en aura, que par la reconnaissance et la proclamation que l'homme en fera. . P.225
.
Le protestantisme a manifestement perdu contact avec les développements archétypiques considérables qui ont lieu dans l'âme de la créature comme au sein de la masse, et aussi avec les symboles qui semblent destinés a compenser la situation actuelle indéniablement apocalyptique du monde. .. (il) paraît avoir perdu la compréhension du Saint-Esprit qui agit dans l'intimité secrète de l'âme. .
. Je ne sous-estime l'âme en aucune façon, .. et je ne m'imagine surtout pas que le décours psychique peut se trouver dissous en je ne sais quelle vaine buée par quelque explication que ce soit. L'accusation de psychologisme reflète une pensée magique encore primitive, accusation avec laquelle on espère pouvoir faire disparaître la réalité de la psyché comme d'un coup de baguette magique,.. « Vous êtes toujours là ! Non, c'est inouï. Disparaissez donc ! Nous avons déjà tout éclairé. » (Gothe, 1er Faust, 2ème partie..)
. je tiens la psyché pour réelle. . P.227
. Dieu est une donnée manifestement psychique et non pas physique, c'est-à-dire qu'elle n'est constatable que psychiquement et non pas physiquement.
. le dogme de l'Assomption .. constitue une pierre de scandale pour 1'entendement dénué de sens psychologique. . Qu'il s'agisse d'un fait physiquement impossible ne change absolument rien à l'affaire puisque toutes les affirmations d'ordre religieux sont autant d'impossibilités physiques. . Les affirmations religieuses concernent toutes sans exception la réalité de l'âme et non la réalité du monde physique. .
. après cette proclamation, le protestantisme se trouve réduit de façon assez odieuse à n'être qu'une religion d'hommes qui ne reconnaît pas de représentation métaphysique de la femme, . pas porté assez d'attention aux signes du temps qui démontrent que la femme est en train d'acquérir son droit à l'égalité avec l'homme. Or ce statut d'égalité rend indispensable pour la femme son ancrage métaphysique sous forme d'une femme « divine » à savoir de la fiancée du Christ. P.229 De même que l'on ne peut remplacer la personne du Christ par je ne sais quelle organisation, de même on ne saurait remplacer la fiancée par l'Eglise. Le féminin exige une représentation tout aussi personnifiée que le masculin.
. En tout cas, sa position (Assomption de Marie) satisfait aux besoins de l'archétype, Ce nouveau dogme signifie un espoir renouvelé d'accomplissement de l'aspiration à la paix et à un équilibre entre des contraires qui font régner une tension menaçante bouleversant l'âme dans ce qu'elle a de plus profond. Chacun participe à cette tension et chacun en fait l'expérience dans la forme individuelle de sa fébrilité, et cela d'autant plus, qu'il distingue moins la possibilité de lui trouver une solution par des moyens rationnels. Rien d'étonnant .. si se lève dans les profondeurs de l'inconscient collectif et en même temps dans les masses, l'espoir, mieux, 1'attente d'une intervention divine. .
. l'attitude catholique.. laisse le champ libre au processus séculaire de développement du symbole archétypique et impose celui-ci dans sa forme originelle, sans souci des difficultés de compréhension ou des objections critiques. Par cela, l'Eglise catholique révèle son caractère maternel en laissant l'arbre qui pousse hors de sa matrice se développer selon la loi qui lui est propre.
Le protestantisme .. s'accorde avec l'esprit paternel.l'esprit, le pneuma, en conformité avec sa nature originelle de souffle, est souple et coule perpétuellement en un flot vivant, tantôt comparable à l'eau, tantôt au feu. .P.231
. la chrétienté se compose de deux camps séparés ou mieux, d'un couple fraternel désuni.
Une critique purement négative n'est pas constructive. Elle n'est justifiée que dans la mesure où elle est créatrice. .. .
. il ne peut se contenter de désavouer aux yeux du monde une sour qui lui semble être devenue une cause de problèmes. Il doit s'efforcer de lui rendre justice même quand elle lui est peu sympathique, s'il ne veut pas perdre sa propre estime de lui. Même. . P.233
.
Lorsqu'il s'agit de vérités qui sont ancrées au plus profond de l'âme, ce dont quiconque possède l'ombre d'une compréhension ne peut douter, l'acheminement de cette tâche vers sa solution doit être possible. .. une liberté d'esprit .. est indispensable. .
Par la dogmatisation de 1'Assomption de Marie, l'attention est attirée sur le hieros gamos dans le plérome, et celui-ci à son tour signifie,., la naissance future de l'Enfant divin qui, en accord avec la tendance divine à l'incarnation, choisira l'homme banal (l'homme empirique) pour lieu de naissance. Ce processus métaphysique est connu en psychologie de l'inconscient sous le terme de processus d'individuation. Dans la mesure où ce dernier se déroule en règle générale de façon inconsciente, ainsi qu'il l'a toujours fait, il ne signifie plus ni moins que la transformation d'un gland en chêne, d'un veau en vache et d'un enfant en adulte. Mais si ce processus d'individuation est rendu conscient, le conscient doit alors être confronté avec l'inconscient, en vue de trouver un équilibre entre les contraires. Logiquement, cela n'est pas faisable, de sorte que l'on est dépendant des symboles, qui rendent possibles l'union et l'harmonisation des contraires. Ces symboles sont créés spontanément par l'inconscient et seront amplifiés par le conscient et sa méditation. Les symboles centraux de ce processus décrivent le Soi, c'est-à-dire la totalité de l'homme, qui se compose d'une part de ce dont il a conscience et d'autre part des contenus de l'inconscient. Ce Soi est l'homme complet (Anthropos teleios signifie mot à mot « (l'homme) qui a atteint son terme », à qui rien ne manque, achevé, complet, accompli, parfait.. Ce terme s'appliquait aux initiés.) dont le symbole est l'Enfant divin ou ses synonymes. . P.235
La différence entre le processus d'individuation naturel se déroulant inconsciemment et ce même processus rendu conscient est considérable. Dans le premier cas, la conscience n'intervient nulle part ; c'est pourquoi la terminaison de l'évolution demeure aussi obscure que son début. Dans le deuxième cas, par contre, tant d'obscurités se trouvent amenées à la lumière que, d'une part, toute la personnalité s'en voit éclairée, comme passée aux rayons X, et que, d'autre part, le conscient, immanquablement, gagne en ampleur et en profondeur. Dans cette confrontation du conscient et de l'inconscient, il faut veiller à ce que la lumière qui brille dans les ténèbres ne soit pas seulement perçue et comprise des ténèbres, mais qu'elle comprenne aussi les ténèbres. Le filius solis et luno est aussi bien le symbole que la possibilité de l'harmonisation des contraires. Il est l'Alpha et l'Omega du processus, le médiateur et l'intermédiaire. .
Ce n'est qu'au moyen de la psyché que nous pouvons constater que la divinité agit sur nous ; ce faisant, nous sommes incapables de distinguer si ces efficacités proviennent de Dieu ou de l'inconscient, c'est-à-dire que nous ne pouvons trancher la question de savoir si la divinité et l'inconscient constituent deux grandeurs différentes. Tous deux sont des concepts limites pour des contenus transcendantaux. Mais on peut constater empiriquement, .. qu'il existe dans l'inconscient un archétype de la totalité qui se manifeste spontanément dans les rêves, etc., et qu'il existe une tendance indépendante du vouloir inconscient qui vise à mettre d'autres archétypes en rapport avec ce centre.
C'est pourquoi il ne m'apparaît pas improbable que l'archétype de la totalité possède aussi de lui-même une position centrale qui le rapproche singulièrement de l'image de Dieu. La ressemblance est encore soulignée par le fait que cet archétype crée une symbolique qui, de tous temps, a servi à caractériser et à exprimer de façon imagée la divinité. . l'image de Dieu ne coïncide pas, .. , avec l'inconscient en toute généralité, mais avec un contenu particulier de celui-ci, à savoir avec 1'archétype du Soi. C'est ce dernier que nous ne savons plus séparer empiriquement de l'image de Dieu. Certes, on peut arbitrairement postuler une différence de ces deux grandeurs, mais cela ne sert de rien ; au contraire, cela ne contribue qu'à séparer l'homme et Dieu, ce qui contrecarre l'incarnation de Dieu. Assurément, la foi a raison lorsqu'elle fait voir et sentir intimement à l'homme la nature infinie et inaccessible de Dieu ; mais la foi enseigne aussi la proximité, mieux, la présence immédiate de Dieu, et c'est précisément cette proximité qui doit être empiriquement ressentie pour garder sa valeur et ne pas être privée de toute signification.
Ce n'est que ce qui agit sur moi que je reconnais comme réel. Ce qui n'agit pas sur moi pourrait aussi bien ne pas exister. Le besoin religieux est aspiration et exigence de totalité ; par conséquent, il s'empare des images de totalité qu'offre l'inconscient et qui, indépendamment de la conscience, montent des tréfonds de la nature de l'âme.
XX
. avec les archétypes, .. nous n'avons pas seulement affaire à de simples objets de la représentation. Ce sont aussi des facteurs autonomes, c'est-à-dire que nous avons affaire à des sujets vivants ; dès lors, il nous est loisible de comprendre la différenciation de la conscience comme l'effet de l'intervention provenant de dynamismes trancendantalement conditionnés. Dans ce cas, ce seraient les archétypes qui accompliraient la métamorphose primaire. . il est impossible, .. d'étudier le mode de comportement d'un archétype en dehors de l'influence du conscient qui observe. .. on ne saura jamais répondre à la question de savoir si le processus de différenciation de la conscience commence dans le conscient ou par l'archétype. (C'est-à-dire, en ce cas, dans l'inconscient)
.. vouloir priver l'archétype de son autonomie, ou rabaisser la conscience à n'être simple machine. Mais on ne se trouve en total accord avec l'expérience psychologique que si l'on concède à l'archétype une certaine marge d'autonomie et, au conscient, un certain degré, correspondant à la marge précédente, de liberté créatrice. Il en résulte naturellement une interaction entre ces deux facteurs relativement autonomes qui nous oblige, dans la description et l'explication des phénomènes, à faire apparaître tantôt un facteur, tantôt l'autre, comme sujet agissant, et cela même lorsque Dieu est en passe de devenir homme.
La solution qui a régné jusqu'à présent a évité cette difficulté en ne reconnaissant que le seul Homme-Dieu, le Christ. Mais, du fait que la troisième personne divine, le Saint. Esprit, devienne immanente à l'homme, voici que s'opère la « christification » d'un grand nombre et, dès lors, le problème se pose de savoir si ce grand nombre constitue autant d'hommes-Dieu en totalité. Une telle transformation amènerait des heurts bien pénibles, même abstraction faite de l'inflation inévitable à laquelle succomberait aussitôt le commun des mortels, non libérés du péché originel. Dans ce cas, on fait bien de se remémorer Paul et sa dissociation de conscience : d'un côté, il se sent l'apôtre directement appelé et illuminé par Dieu, d'un autre côté l'homme pécheur qui ne parvient ni à arracher « l'écharde de sa chair » ni à se libérer de l'ange satanique qui le tourmente. Ce qui veut dire que même l'homme illuminé reste celui qu'il est, et qu'il n'est jamais davantage que son Moi limité vis-à-vis de Celui qui vit en lui, dont la forme ne possède pas de frontières discernables, qui l'enserre de toutes parts, profond comme les fondements de la terre, étendu à l'infini comme le ciel. P.241
APPENDICE.
. je critiquais l'idée de la privatio boni ; . L'expérience psychologique montre qu'à tout ce que nous appelons « bien » se trouve opposé un « mal » tout aussi substantiel. Si le « mal » n'existait point, tout qui existe serait obligatoirement « bon ». D'après le dogme, ni le « bien » ni le « mal » ne peuvent avoir leur origine dans l'homme, puisque le « mal », en tant que l'un des fils de Dieu, préexistait à homme. L'idée de la privatio boni ne commença à jouer un rôle dans l'église qu'après Manès. .. Clément de Rome professait que Dieu régentait le monde avec une main droite et une main gauche. La main droite signifiait le Christ, et la gauche Satan. La conception de Clément est manifestement monothéiste puisqu'il réunit dans un Dieu unique les principes opposés.
Plus tard, .. le christianisme devint dualiste dans la mesure où la part des éléments opposés, personnifiée par Satan se trouve dissociée et où Satan se voit banni dans un état d'éternelle malédiction. Le voilà le problème central. Il est d'une signification essentielle et il est à l'origine de la doctrine chrétienne du salut. Si le christianisme a la prétention d'être une religion monothéiste il ne peut se passer de l'hypothèse que les contraires sont unifiés en un Dieu. Mais ceci pose un grave problème religieux : le problème de Job. .
. Job, qui attend aide et assistance de Dieu contre Dieu lui-même. . P.245
POSTFACE DE HENRY CORBIN
. Mais on se ferme le sens du livre, si on l'aborde comme un ouvrage de critique biblique ; il n'était même pas besoin que Jung se défendît d'être un exégète professionnel. Il ne s'agit pas d'une exégèse technique des textes, mais d'une autre exégèse : l'exégèse d'une âme et des âmes, et de leur secret le plus personnel. . C'est la force à la fois immense et vulnérable du livre, la force de l'homme seul en tête à tête avec la Bible.