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La Guérison Psychologique

Préface
. nous assistons au cours de ce processus de guérison .., extérieurement, à une normalisation du comportement et, intérieurement, à un élargissement conscientiel de la personnalité, à une reconstruction structurale et à un recentrage de celle-ci, à une conformisation du sujet à lui-même, à une synthétisation de ces divers facteurs hétérogènes, - synthèse nouvelle et chaque fois .. originale, qui ne s'effectue et qui ne peut s'effectuer que sur un plan plus élevé que celui où le sujet se débattait dans sa névrose . P.XXIII

. Jung distingue quatre plans dans l'action psychothérapeutique, celui de la confidence et de la confession, celui du transfert et de son analyse, celui de l'éducation et de l'auto-éducation, enfin celui de la métamorphose qui est l'aboutissement des trois premiers, la confession, le transfert et l'auto-éducation servant comme de tremplin à une mue mystérieuse de tout l'être. C'est cette métamorphose psychologique que Jung a décrite sous le nom de processus d'individuation. .
Mais cette métamorphose existe-t-elle en vérité ? Nous prétendons que nos malades évoluent d'eux-mêmes et que P.XXVII l'appui que nous leur apportons n'a que la vertu d'un catalyseur. II faut, toutefois, se demander s'ils ne sont pas sous l'emprise de quelque suggestion indirecte de notre part. . une de ces « transformations par suggestion », déjà bien connues depuis les études sur l'hypnotisme . interrogations .. majeures pour qui veut se mettre à l'abri de ce qui pourrait n'être qu'une illusion, qu'un désir d'action thérapeutique pris pour une réalité : l'évolutivité de nos malades, l'évolutivité psychologique de l'être est-elle une réalité ou n'est-elle qu'un pieux souhait, n'est-elle que le résultat de la projection de nos conceptions thérapeutiques, agissantes certes, mais qui s'écrouleraient avec nous et nos images ?
. Jung était parfaitement conscient du fait que dès qu'il aurait révélé ses trouvailles, il n'aurait jamais plus la certitude de retrouver des matériaux d'observation vierges de toute influence. C'est ce doute également qui l'a, pour une bonne part, incité à orienter ses recherches dans le sens qui fut le sien ces trente dernières années.
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Ainsi, l'ouvrage de Jung apporte une « ouverture », par le biais assez inattendu de la thérapeutique des névroses, sur quelque chose qui est à la fois tout nouveau et vieux comme le monde. Cette « ouverture » nécessite bien des prudences ; . car le psychothérapeute doit se garder non seulement à gauche et non seulement à droite, mais partout à la fois, de son malade, et « last but not least », de lui-même. . établir le « plateau analytique »,
qui a pour lui, dans sa confrontation relationnelle avec son malade, la même importance que le plateau aseptique opératoire pour le chirurgien.
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PREMIÈRE PARTIE LA MÉTHODE

CHAPITRE PREMIER QU'EST-CE QUE LA PSYCHOTHÉRAPIE ?

Gravité de la maladie appelée « névrose »

. le « grand air », « l'application d'hydrothérapie froide » et « l'emploi de psychothérapie » . discours .. sermoner .. influence autoritaire personnelle .. facteur de guérison .. P.3 . L'ancienne thérapie par la suggestion, selon laquelle les symptômes devaient être réprimés par une action s'exerçant en sens contraire, fut remplacée par la perspective psychanalytique de Freud, qui montra qu'en opprimant et réprimant le symptôme on n'écarte pas 1a cause de la maladie, mais que, bien au contraire, il faut voir dans le symptôme une sorte d'indicateur qui va révéler la direction dans laquelle il faut rechercher la cause pathogène. Cette conception .. fut une véritable révolution dans la thérapeutique mentale, puisque, à l'opposé de la thérapeutique suggestive, elle détermina et exigea la découverte et la prise de conscience des causes pathogènes.
Ce n'est pas par légèreté d'esprit qu'on a abandonné le traitement par la suggestion (y compris l'hypnose, etc.). Mais les succès thérapeutiques réels que l'on obtint ainsi étaient si clairsemés et si instables que la possibilité apparente d'un traitement concomitant en masse ne parvint pas à sauver le traitement suggestif. .
La prise de conscience des causes pathogènes qu'exige la perspective freudienne est devenue .. l'hypothèse de travail fondamentale de toutes les formes modernes de psychothérapie. . les processus étiologiques qui sont en jeu dans la névrose sont pour l'essentiel de nature inconsciente, et, d'autre part, l'expérience pratique a prouvé que la prise de conscience des contenus ou des processus psychiques étiologiques constitue un facteur de guérison d'une portée efficace beaucoup plus considérable que ne l'était la suggestion.
. On pensait qu'il était suffisant de voir dans les tableaux cliniques des névroses les « inventions fantasma tiques » d'une imagination exacerbée ; de cette conception découlait naturellement la thérapeutique, dont le but était tout simplement de réprimer les productions de cette imagination, à savoir les symptômes que le malade se figurait avoir. Mais ce dont on croyait pouvoir se débarrasser aisément en le stigmatisant du nom d' « imaginations » P.5 ne constituait qu'une des manifestations possibles d'un état maladif spécifique, dont la symptomatologie est d'une diversité et d'une plasticité protéiformes. A peine avait-on réprimé tel ou tel symptôme que celui-ci resurgissait sous d'autres traits, en un autre point de l'économie ; c'est dire qu'on n'avait point atteint au noyau même du mal.
. c'est la théorie dite traumatique des névroses qui eut cours pendant longtemps, et, par conséquent, la méthode dénommée cathartique s'efforça de rendre conscients au malade les éléments traumatiques qui devaient être à l'origine du mal. Cette méthode, exigeaient déjà du médecin une toute autre attitude à l'égard de son malade que la méthode suggestive, que chacun en définitive pouvait exercer pourvu qu'il disposât de la force de volonté nécessaire. . une attitude patiente et pénétrante qui devait se concentrer sur la recherche des facteurs traumatiques possibles. Seules, une observation précise et l'analyse des matériaux fournis par le malade permettaient de déceler et de constater les éléments traumatiques, afin de rendre possible l'abréaction des situations émotionnelles, au cours desquelles la névrose s'était initialement créée. . Cependant, quoique l'intervention du médecin se situe qualitativement sur un plan plus élevé qu'au cours de la suggestion, la simplicité de la théorie rendait encore possible une routine largement applicable, et en principe rien n'empêchait de mettre en même temps plusieurs malades dans cet état de détente et de relaxation au cours duquel les souvenirs traumatisants allaient être abréagis.
. Avec une expérience accrue, tout explorateur consciencieux des états névrotiques dut constater que les traumatismes, sexuels en particulier ou d'autre nature, peuvent être parfois rendus responsables de certaines formes de névrose, mais non pas de toutes. Freud lui-même dépassa bientôt l'échelon de la théorie traumatique et la remplaça par la théorie du refoulement. . une pure abréaction ne peut en aucun cas amener au but . les névroses typiques sont en somme des perturbations du développement. Freud formula cette perturbation en parlant de refoulement et de l'inconscience de souhaits infantiles et de tendances sexuelles. C'est pourquoi la théorie assigna dorénavant pour tâche au traitement de rechercher ces éléments dans les matériaux du malade. Mais comme, par définition, ces tendances en tant que telles sont inconscientes, leur présence ne put être prouvée que par des recherches étendues, aussi bien au point de vue de l'anamnèse qu'à celui de l'activité imaginative actuelle du malade.
En règle générale, les tendances infantiles apparaissaient principalement dans les rêves . Il est absolument impossible que le traitement psychanalytique soit appliqué à la fois et en même temps à plusieurs, voire à beaucoup de malades ; il est à l'opposé de toute routine plus ou moins mécanique.
. tout psychothérapie moderne .. ne saurait plus être une opération de masse, mais .. est astreinte P.7 à accorder à profusion à l'individu pris en particulier un intérêt sans partage.
Cette façon de procéder est forcément .. dévoratrice de temps. . Car les névroses sont en fait des développements gauchis qui s'étendent sur de nombreuses années, et l'on ne saurait prétendre les redresser par un procédé rapide et intensif : le temps en la matière est un facteur thérapeutique irremplaçable.
Les névroses . sont en fait des maladies lourdes et graves, .. dans leurs effets sur l'entourage et sur le style de vie des proches du malade le premier atteint. . La névrose nous oblige à élargir la notion classique de « maladie » et à concevoir, au-delà de la représentation d'un corps isolé, perturbé dans ses fonctions, l'être névrosé comme un système relationnel et social perturbé dans ses bases. .
. La psychologie individuelle d'Adler est une contribution qu'il ne faut pas sous-estimer . Certes, il y a beaucoup de choses exactes et vraies dans la théorie et la méthode de la psychanalyse ; mais, comme elle réfère pour l'essentiel sa vérité au système relationnel sur lequel repose la vie sexuelle, elle est aveugle de tout ce qui n'entre pas dans ce cadre et cette catégorie. Adler a prouvé que le nombre des névroses que l'on peut expliquer de façon toute différente et traiter avec un succès meilleur est loin d'être négligeable.
Ce développement nouveau des conceptions vise thérapeutiquement non plus seulement à la prise de conscience des teneurs et des tendances pathogènes, mais, au-delà P.9 de cette prise de conscience, à la réduction de ces mêmes tendances à des instincts « simples » et originels ; on espère ainsi rétablir l'être dans ce qu'il a de naturel, de spontané et d'intact. .
La réduction à des instincts est en soi une chose problématique, car l'homme vit depuis toujours sur un pied de guerre avec ses instincts ; ceux-ci sont entre eux comme engagés dans une lutte perpétuelle ; c'est pourquoi il faut craindre que par une réduction aux instincts, le conflit névrotique pour lequel on a traité le malade se trouve seulement remplacé par un autre conflit. (.. ex. : par une névrose de transfert ..) Pour échapper à ce danger, la psychanalyse s'efforce de dévaloriser les souhaits prétendus infantiles en les montrant et en les faisant accepter consciemment pour ce qu'ils sont ; la psychologie individuelle d'Adler, elle, répond à ce danger en remplaçant les tendances infantiles par l'instinct grégaire, qui vise à intégrer l'individu dans une collectivité.
. j'ai souligné la nécessité de continuer à individualiser la méthode de traitement et d'accepter l'irrationnel et son intégration parmi les buts qu'on lui assigne ; ceci en particulier pour s'affranchir de tout préjugé, autant que faire se peut. Car, pour toute évolution psychologique, le médecin par principe devrait laisser agir la nature et éviter avec le plus grand soin d'influencer le malade dans le sens de ses propres présupposés philosophiques, sociaux ou politiques. . chacun ne peut faire son salut qu'à sa façon. Ce qui précède ne vise en rien à un individualisme forcené, mais seulement à réaliser une condition indispensable à toute activité consciente de ses responsabilités, à savoir que chacun se connaisse, lui et son tempérament, et qu'il ait le courage d'affirmer ce qu'il est. Ce n'est que lorsqu'un individu existe selon le mode qui lui est propre qu'il est responsable et susceptible d'une saine activité ; sans cela, il n'est qu'un pâle suiveur, un être qui emboîte le pas et demeure dépourvu de personnalité propre.
. pour contribuer à éduquer un être profondément inconscient de sa propre psychologie jusqu'à ce qu'il soit capable de choisir consciemment sa voie et en même temps de ressentir sa responsabilité sociale, il faut faire appel, . à une procédure .. dévoratrice de temps. .. la prise en considération des rêves, .. faire appel à la coopération (du malade). . P.11 . dans les intervalles (des séances), il doit effectuer sur lui-même un travail que je contrôle. . j'interromps le traitement environ toutes les dix semaines afin que le malade se retrouve confronté seul avec son milieu normal. . le névrosé est un être qui a tendance à vivre au détriment d'un autre être. . Si l'on donne à chacun les indications appropriées à son cas personnel, il faut constater que la plupart des malades sont capables d'apporter dans un bref délai leur contribution au traitement, si modeste soit-elle au début. .
Dans tous les cas de névrose indubitable, une certaine éducation, et mieux une certaine auto-éducation, un certain remodelage, une certaine métamorphose de la personnalité seront indispensables, puisqu'il s'agit toujours en règle générale d'un développement gauchi, qui remonte jusque dans l'enfance de l'individu. En accord avec cette constatation, la psychothérapie doit aussi prendre en considération les perspectives des sciences de l'esprit, en particulier les perspectives pédagogiques et philosophiques . présuppose un savoir psychiatrique approfondi. D'autre part, une étude des rêves quelque peu satisfaisante exige, au point de vue symbolique, des connaissances étendues qui ne peuvent être acquises que par l'étude de la psychologie primitive, de la mythologie comparée et de l'histoire comparée des religions.
. l'objet de son activité (du psychothérapeute) ne se simplifie point, mais qu'il gagne au contraire à vue d'oil en étendue et en complexité. . P.13

CHAPITRE II MÉDECINE ET PSYCHOTHÉRAPIE

Des particularités de l'examen du malade.

. divergences qui existent dans les conceptions pathologiques entre la médecine générale, d'une part, et la psychothérapie d'autre part. .
.. ne sert de rien, quand règnent des divergences, de tenter de les camoufler de façon bienveillante, en mettant les points communs en lumière. .
. trois échelons principaux de l'intervention médicale : l'anamnèse, le diagnostic, la thérapie. .

L'anamnèse .. le praticien s'efforce d'établir de façon indiscutable les données historiques et les faits essentiels de la vie du malade. Mais cela fait, le psychothérapeute est encore loin d'être satisfait .. insuffisances des témoignages humains ; .. discerne des causes particulières d'erreur dans les dires du malade, .. ; le malade sait avec une aisance supérieure, aussi bien intentionnellement qu'à son corps défendant, mettre au premier plan des données qui semblent en elles-mêmes être parfaitement plausibles, mais qui, au point de vue de la pathogénie, peuvent bel et bien induire le médecin en erreur. (Le malade et son entourage ont tendance à mettre en avant et à décréter comme essentielle une circonstance qui n'a été qu'une banale occasion de déclenchement.) P.15
Tout l'entourage peut être englobé dans le système d'autodescription du malade et y participer dans un sens positif ou négatif, comme s'il régnait à ce point de vue, entre les différents participants d'un groupe familial, une sorte d'accord inconscient, tacite, pour faire front contre .. , le psychothérapeute, que l'on ressent en somme comme un intrus. En tout cas, le praticien doit s'attendre à ce qu'on lui taise précisément les choses les plus importantes et les plus brûlantes. C'est pourquoi le psychothérapeute s'efforcera de poser des questions, sans avoir l'air d'y toucher, sur des objets qui semblent totalement étrangers au tableau pathologique pour lequel on vient consulter.
Pour ce faire, il aura besoin, non seulement de tout son savoir professionnel, mais en outre de toute son intuition et de toutes les pensées qui lui traverseront l'esprit ; plus il étendra loin son réseau de questions, plus il aura de chances de circonscrire la nature complexe du cas devant lequel il se trouve. Car s'il y a jamais eu une maladie qui ne saurait être localisée, parce qu'elle procède de la totalité de l'homme, c'est bien la psychonévrose. . le cas présent avec lequel il se trouve confronté exige un traitement psychique allant au fond des choses .. (cf. homéo)
Au contraire même, plus le psychothérapeute se laisse impressionner par les facteurs héréditaires qu'il rencontre .. ou par les complications psychotiques possibles, plus il sera paralysé dans son action thérapeutique. Il devra donc, .. laisser passer sans trop s'y arrêter des données aussi importantes qu'une hérédité chargée, .. précisément dans les cas où ces facteurs redoutables lui seront rapportés et présentés avec une emphase plus pathétique.
.. appréciation des données anamnestiques .

Toute la démarche médicale repose au fond sur la supposition que l'examen du malade doit conduire le praticien à un diagnostic de sa maladie, .. et que la constatation du diagnostic détermine des incidences majeures au point de vue de la thérapeutique et du pronostic. 0r, la psychothérapie apporte une exception éclatante à cette règle : le diagnostic de la maladie est une chose entièrement secondaire dans la mesure où, si l'on met à part le choix plus ou moins heureux d'une étiquette terminologique, celle-ci n'entraîne aucun gain au point de vue de la thérapie et du pronostic. . Pour ce qui touche au pronostic, celui-ci dans notre domaine est à un haut degré indépendant du diagnostic. . En général le diagnostic de psychonévrose signifie que l'état du malade est à l'opposé d'une perturbation organique, et rien de plus. . j'ai même pris l'habitude de faire abstraction de tout diagnostic spécifique des névroses ; et c'est pourquoi je me suis souvent trouvé embarrassé quand l'un quelconque de mes confrères, qui croyait aux mots et à leurs vertus, me priait de lui communiquer le diagnostic spécifique qu'à son avis j'avais dû être amené à poser. . P.17 . plus indispensable, pour le prestige médical que pour leur valeur réelle.
. Certes celui-ci (le psy) fait une observation qui équivaut à un « diagnostic », mais .elle a uniquement un caractère psychologique. Cette observation d'ailleurs n'est pas destinée à être communiquée, et, le plus souvent, le praticien, pour des motifs de tact et pour ne pas hypothéquer l'avenir thérapeutique, doit la passer sous silence. Les constatations que fait le psychothérapeute vont être déterminantes pour l'orientation qu'il va s'agir de donner à la thérapeutique, . qu'un malade souffre d'hystérie, d'une névrose d'angoisse ou de phobie est de peu de poids à côté de la constatation autrement majeure qu'il s'agit, par exemple, d'un « fils à papa ». Cette dernière expression .. exprime quelque chose de fondamental quant à la teneur de la névrose et aux difficultés avec lesquelles il va falloir compter au cours du traitement. C'est pourquoi en psychothérapie la détermination de la maladie repose beaucoup moins sur le tableau clinique que sur sa teneur profonde et sur les complexes qui en forment la trame. Le diagnostic psychologique s'efforce d'être un diagnostic de complexes, et vise ainsi à formuler des données . Notre domaine est ainsi fait que la cause déterminante du mal réside dans les Complexes, qui sont des centres de forces psychiques, doués d'une certaine autonomie. Le complexe apporte la preuve de son autonomie par le fait qu'il se révèle être rebelle à la hiérarchie de la conscience, et qu'il est en état de résister avec succès aux décisions de la volonté. C'est en raison de ces données, .. que règne .. la conception que les psychonévroses et les psychoses étaient des états de possession : l'observateur naïf succombait à l'impression irrésistible que ce qui agissait dans le malade, et que nous appelons aujourd'hui des complexes, formait comme un gouvernement dissident du moi. Le contenu d'une névrose ne peut jamais être établi au cours d'un examen, même si celui-ci s'étend sur plusieurs consultations. II ne se manifeste qu'au cours du traitement tout entier, ce qui crée cette situation paradoxale que ce n'est, en quelque sorte, qu'à la fin d'un traitement qu'on est en possession du diagnostic psychologique réel, qui ne s'est révélé que petit à petit et pas à pas.
. le psychothérapeute a avantage à faire abstraction le plus possible d'un diagnostic spécifique. .. être sûr de son diagnostic différentiel entre troubles organiques et troubles psychiques et de savoir ce qu'est et ce que peut déterminer par exemple une mélancolie dite essentielle. En général, moins le psychothérapeute sait de choses d'avance, et plus le traitement a de chances d'évoluer favorablement. Rien, en psychothérapie, n'est plus délétère qu'une sorte d'attitude routinière qui prétend avoir tout compris et tout pénétré d'avance. . P.19 .
. tout psychothérapeute, pour peu qu'il ait quelques capacités, fera jouer, consciemment ou inconsciemment, en accord avec ses vues théoriques ou en biaisant avec elles, tous les registres que réclame à l'occasion un cas donné, et même si ceux-là ne figurent pas dans son arsenal théorique. A l'occasion, il utilisera un effet suggestif, quoiqu'il puisse en théorie lui être opposé ; il n'est pas davantage question de prétendre évincer les points de vue freudiens ou adlériens .
En dernière analyse non seulement tout psychothérapeute a sa méthode personnelle, mais en fait, sa méthode c'est lui. (Cela est si vrai que tout confrère qui annonce qu'il va donner des soins selon telle ou telle autorité compromet, en les limitant, les buts de sa thérapeutique.) « Ars requirit totem hominem » .. Le plus grand facteur thérapeutique de la psychothérapie réside en la personnalité du médecin ; celle-ci n'est pas une donnée a priori ; elle est diamétralement opposée à tout schéma doctrinaire ; aboutissement d'une longue expérience, elle doit comporter une virtuosité qui ne peut être que le fruit d'une lente maturation. . les théories, pour être inéluctables, n'en sont pas moins de simples moyens auxiliaires. Dès qu'on se laisse entraîner à en faire un dogme, cette rigidité est là pour étouffer un doute intérieur. I1 est certain qu'il faut d'innombrables perspectives théoriques pour rendre compte, par approximation, de la diversité chatoyante des choses de l'âme. . Un accord restrictif sur quelque théorie ne pourrait qu'engendrer une unilatéralité désertique ; . les théories, .. sont tout au plus des instruments de la connaissance et de la thérapeutique, faute de quoi elles sont bonnes à mettre au rebus.
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Avec tous ces moyens, petits et grands, on peut escompter des succès. C'est du moins ce qui apparaît si l'on considère les choses superficiellement ; mais à les voir de plus près on comprend que le moyen thérapeutique employé, . P.21 . l'objet auquel elle s'attache n'est point cette fiction qu'on appelle névrose, mais est bel et bien la totalité perturbée d'un être humain. .
. la psychothérapie en soi est aussi vieille que l'art de guérir lui-même et .. elle est toujours entrée, qu'on en ait
conscience ou non, pour une bonne moitié dans la pratique médicale.
Mais que signifie : l'homme psychique dans son entier ?
. Si nous abordons la psyché dans la perspective des sciences naturelles, elle apparaît comme un facteur biologique qui existe à côté de beaucoup d'autres. Ce facteur chez l'homme est en général identifié avec sa conscience ; . l'objet avec lequel l'homme est confronté doit passer par tout un processus comp1iqué, physio1ogique et psychique, avant de devenir enfin une donnée ou une image psychologique. C'est seulement cette dernière qui est l'objet immédiat de la connaissance. L'existence du monde exige deux conditions : la première c'est son existence et la seconde la conscience de son existence. . la psyché se connaît pour existante, .. elle se comporte en conséquence et présente une phénoménologie qui lui est propre, qu'on ne peut réduire à rien d'autre ni remplacer par rien d'autre. . la plus grande leçon de choses, les plus grands enseignements nous sont apportés par toutes les manifestations de la vie de l'âme : sciences de l'esprit, conceptions religieuses, mouvements politiques, arts, etc. P.23
. « l'homme psychique tout entier » .. ne représente pas moins que tout un monde, c'est-à-dire un microcosme .. La psyché, en toute généralité, reflète l'être, le reconnaît et tout agit en elle.
Pour accepter cette perspective il nous faut considérablement élargir la notion traditionnelle de l'âme. L'identification dont nous parlions plus haut de la psyché et de la conscience ne saurait plus résister ni à la critique ni à l'expérience. .. le philosophe C.G.Carus .. a été le premier à édifier clairement une philosophie de l'inconscient. . l'âme était encore la propriété craintivement gardée de la faculté de philosophie . L'existence d'une psyché inconsciente est à peu près aussi probable que celle d'une planète non encore découverte, mais dont l'existence est prouvée par les perturbations qu'elle exerce sur le cours d'une planète déjà connue. . L'introduction de la notion d'inconscient a élargi la notion d'âme et la formule dorénavant valable est : la psyché == la conscience du moi + l'inconscient. L'inconscient d'abord était compris de façon personnaliste, c'est-à-dire que ses contenus étaient réputés ne provenir que de la conscience du moi et de sa sphère et n'être devenus inconscients que secondairement par refoulement. Par la suite Freud a reconnu l'existence de restes archaïques dans l'inconscient et il leur attribuait la signification de survivances anatomiques. Mais avec cette idée on était encore loin d'avoir une conception suffisante de l'inconscient. . chez tout enfant la conscience grandit en l'espace de quelques années à partir de l'inconscient ; .. la conscience n'est chaque fois qu'un état temporaire, qui repose sur une performance physiologique et qui par suite est régulièrement interrompu par des phases d'inconscience, c'est-à-dire de sommeil ; .. en définitive, non seulement c'est à la psyché inconsciente que revient la plus grande durée d'existence mais aussi que c'est elle qui assure la continuité de l'être. . la psyché, au fond, c'est l'inconscient, alors que la conscience du moi ne nous apparaît plus que comme un épiphénomène temporaire. Cette essence de l'âme, cette nature de microcosme, les Anciens l'avaient attribuée à l'homme psychophysique tout entier. L'attribuer au seul domaine conscient reviendrait à surestimer sans mesure celui-ci alors que si l'on fait entrer l'inconscient en ligne de compte, les perspectives changent du tout au tout. Car l'inconscient, par définition et de la façon la plus effective, ne saurait être circonscrit. Il faut y voir un champ d'activité sans frontières, qui ne tolère pas les limites, dans les petites comme dans les grandes dimensions. Devons-nous à son propos utiliser l'expression du microcosme ? Cette question dépend uniquement du fait de savoir si l'on peut montrer l'existence dans l'inconscient de parcelles constitutives du monde, qui y résident en marge de l'expérience individuelle, c'est-à-dire si l'on y rencontre certaines constantes qui n'ont point été acquises individuellement, mais qui y sont P.25 présentes a priori. Il est aujourd'hui incontestable qu'il faut répondre par l'affirmative à cette question, car des faits de cet ordre ont été mis en évidence .. par les recherches entreprises au sujet des instincts . dès qu'on aborde la psyché dans cette perspective on craint de se heurter au problème des « représentations héritées ». Or, il ne s'agit en rien de cela mais bel et bien de certains modes fonctionnels et de certaines manières de comportement, existant a priori c'est-à-dire conditionnés de façon prénatale. Car il y a lieu de supposer que de même que le poussin sur toute la terre sort de son ouf de la même façon, de même il existe certains modes psychiques de fonctionnement, c'est-à-dire certaines manières de penser, de ressentir et d'imaginer dont on peut montrer l'existence en tous lieux et en tous les temps, indépendamment de toute tradition. Une preuve générale à l'appui de l'exactitude de cette thèse est livrée par l'extension ubiquitaire de mythologèmes parallèles .
Les mythologèmes constituent ces « parcelles constitutives du monde » .. et qui sont incluses dans la structure même de la psyché. Ils représentent ces constantes qui s'expriment en tout temps et en tous lieux, relativement identiques à elles-mêmes.

. Que les névroses soient liées de quelques façons avec des perturbations instinctuelles n'a rien de bien surprenant .. Or, c'est là le point essentiel, les instincts, comme la biologie le démontre, ne sont nullement des impulsions aveugles, spontanées et isolées, mais ils sont toujours associés à des représentations typiques de situations ; .. les instincts ne peuvent même pas être déclenchés quand les conditions régnantes ne correspondent point à l'image a priori de la situation nécessaire. Les contenus collectifs qui s'expriment dans les mythologèmes représentent précisément de telles images de situations typiques, et elles sont reliées de la façon la plus intime au déclenchement des impulsions instinctuelles. C'est pour ce motif que la connaissance de ces mythologèmes possède une haute portée pratique pour le psychothérapeute. .. le destin de la psychologie empirique, .. est d'avoir un centre de gravité qui n'appartient en propre à aucune Faculté et dont l'un des traits principaux est d'être localisé entre toutes. Cela provient du fait que l'âme humaine participe à toutes les sciences et à toutes les activités, car elle constitue au moins la moitié des conditions préalables à l'existence de chacune. . P.27 .


CHAPITRE III LES PROBLÈMES DE LA PSYCHOTHÉRAPIE MODERNE

Les quatre plans d'action psychothérapeutique.

La psychothérapie, à savoir le traitement du psychisme humain et de façon plus générale encore le traitement de maux divers et variés à l'aide des matériaux mêmes de l'âme, passe aujourd'hui .. pour être identique à la psychanalyse.
. selon la volonté de son créateur il ne désigne de façon adéquate que la méthode inaugurée par Freud et qui consiste à réduire des ensembles de symptômes psychiques à certains processus instinctifs refoulés ; .. le concept de psychanalyse englobe certains postulats théoriques, à savoir la théorie sexuelle de Freud, ainsi qu'il l'a expressément exigé. Le profane n'en utilise pas moins le terme de psychanalyse sans discrimination pour toutes les tentatives modernes de serrer de plus près les problèmes de l'âme . P.29
. Adler, quant à lui, appelle sa psychologie : « psychologie individuelle », tandis que je préfère, pour ma propre façon de voir, la dénomination de « psychologie analytique », faisant ainsi appel à un concept général qui englobe la « psychanalyse » , la « psychologie individuelle », ainsi que d'autres tendances qui se font jour dans le domaine de la psychologie complexe.
. Lorsque dans un traité de pathologie on trouve pour une maladie donnée des médicaments nombreux et de nature hétéroclite, on peut en conclure qu'aucun d'eux n'est particulièrement efficace. De même, lorsque les voies d'accès à l'âme qui, nous sont proposées sont multiples et diverses, il nous est loisible de supposer qu'aucune d'elles n'est aussi sûre qu'elle le prétend de parvenir à son but ..
De fait la surabondance des psychologies contemporaines est l'expression d'un embarras. L'accès à l'âme, pour ne pas parler de l'âme elle-même, se révèle petit à petit être d'une difficulté insoupçonnée ..
. Le cabinet de consultation du médecin a imprimé son sceau indélébile sur toute la psychologie médicale et cela se manifeste non seulement dans la terminologie, mais aussi dans la structure théorique des conceptions. Partout, dès les premiers pas, on se heurte aux hypothèses scientifiques et biologiques du médecin. . Cet hiatus entre la nature et l'esprit, déjà difficilement surmontable en soi, se trouve encore accentué par une terminologie médico-biologique . P.31
. nous allons tenter de considérer l'ensemble de cette psychologie selon quatre degrés, à savoir ceux de la « confession », de la « mise en lumière », de l' « éducation » et de la « métamorphose ». Expliquons-nous maintenant sur ces dénominations pour le moins singulières.

L'antique modèle de tout traitement analytique de l'âme peut être retrouvé dans l'acte de confession. .. l'existence de cette souche commune .. tient à un entrelacement irrationnel de racines psychiques .
Dès que l'idée du péché eût jailli dans l'esprit humain, dès qu'il eût réussi à la concevoir, le dissimulé se fit, en contrepartie, une place dans le psychisme ; en langage analytique, le refoulement était apparu. .. après la dissimulation, c'est déjà le secret. La possession de secrets agit comme un poison psychique qui rend le porteur étranger à sa communauté. Ce poison, à petites doses, représente il est vrai un topique de valeur, et comme une condition préalable de différenciation individuelle au point que l'homme, .. , ressent le besoin incoercible d'inventer de toutes pièces des secrets afin de se garantir par leur possession contre un danger mortel pour l'âme, celui de se perdre purement et simplement dans l'inconscient de la communauté. C'est cet instinct de différenciation que servent, on le sait, les initiations universellement répandues et vieilles comme le monde .
Autant un secret partagé peut être fécond, autant peut être dévastatrice l'action d'un secret strictement personnel. II agit comme une tare qui aliène son infortuné détenteur de la communauté des autres hommes. Si l'on a conscience de ce qu'on dissimule, le dommage est notablement moins grand que si l'on ignore à la fois l'état de refoulement dans lequel on se trouve, et la chose refoulée. Dans ce dernier cas le contenu dissimulé n'est pas consciemment mainenu secret ; il échappe même au sujet, qui ferme les yeux sur lui ; il s'affranchit de la conscience pour devenir un complexe autonome, et va mener dans la sphère de l'âme inconsciente une espèce d'existence à part, hors de portée des ingérences et des corrections de la conscience. Le complexe forme pour ainsi dire une petite psyché fermée sur elle-même qui, comme l'expérience l'a montré, exerce pour son compte une activité imaginative singulière. L'imagination, d'ailleurs, est par excellence l'activité spontanée de l'âme ; elle fuse partout où les entraves dues à la conscience se relâchent ou cessent, comme dans le sommeil. .. sous forme de rêves. Mais à l'état de veille également nous continuons de rêver sous le seuil de la conscience, du fait de complexes refoulés ou inconscients pour tout autre motif. .. l'inconscient ne renferme pas seulement des complexes naguère conscients, devenus inconscients par refoulement ; il recèle aussi des contenus qui lui sont propres et qui, s'élevant de profondeurs inconnues, atteignent progressivement la conscience. .
Tous les contenus inconscients proches du seuil de la conscience, qu'ils émergent insensiblement des profondeurs ou qu'ils ne se soient qu'à peine enfoncés, agissent P.33 ordinairement sur la conscience. Leurs effets - puisque le contenu comme tel n'apparaît pas dans la conscience sont nécessairement médiats. La plupart des prétendus actes manqués de la conscience sont dus à des perturbations de cette nature, ainsi que tous les symptômes dits névrotiques, qui sont dans leur ensemble de nature psychogène, . Parmi les actes manqués de la conscience, formes les plus légères de névroses, citons les lapsus, oublis soudains de noms et de dates, les maladresses inattendues aux conséquenccs plus ou moins graves, y compris des accidents, certains malentendus, ce qu'on nomme les hallucinations du souvenir (on se figure avoir fait ou dit telle ou telle chose ), les fausses compréhensions de ce qu'on entend ou de ce qu'on lit, etc. Dans tous ces cas on peut établir par des recherches soigneuses l'existence d'un contenu qui de façon médiate et inconsciente a modifié en la perturbant l'activité de la conscience.
C'est pourquoi en général les dégâts suscités par un secret inconscient sont plus considérables que si ce même secret était conscient. J'ai vu de nombreux patients, dans des conditions de vie si pénibles que des natures plus faibles n'auraient résisté qu'à grand-peine au désir de se supprimer, développer une tendance normale au suicide, mais par raison l'empêcher de devenir consciente : de sorte qu'ils devenaient porteurs d'un complexe suicidal inconscient. Celui-ci suscitait à son tour toutes sortes de hasards dangereux, tels qu'un évanouissement dans un endroit exposé, une hésitation devant une automobile en marche, une méprise qui fait confondre la potion contre la toux et le sublimé, une envie soudaine de se livrer à des acrobaties périlleuses, etc. Si l'on parvient dans ces cas à rendre consciente l'impulsion au suicide, la raison secourable peut intervenir et l'entraver, la discrimination consciente dépistant et évitant les possibilités d'accident.
Tout secret personnel agit comme un péché et une faute, même si la teneur de ce secret n'a rien de répréhensible du point de vue de la morale généralement acceptée.
La dissimulation peut prendre, une autre forme, qui est faite de retenue. Ce qu'on réprime ordinairement, ce sont
les affects. Il faut d'abord ici souligner également que la réserve est une vertu salutaire, ce qui explique que la discipline de soi est un des arts moraux les plus précoces .. forme une partie du rite d'initiation, durant lequel on doit supporter héroïquement la douleur, la peur et l'abstinence ascétique. Mais alors, la réserve s'exerce au sein d'une alliance secrète, elle est pratiquée en commun. Si au contraire elle est purement personnelle, ou sans rapports avec quelque conception religieuse - elle peut, comme le secret personnel, devenir, dommageable. De là proviennent les mauvaises humeurs et les susceptibilités bien connues des gens par trop vertueux. L'affect réprimé est également quelque chose qu'on dissimule, qu'on peut se dissimuler à soi-même ; c'est un art dans lequel les hommes se distinguent particulièrement, alors que les femmes, sauf quelques rares exceptions, éprouvent une gêne naturelle à blesser un affect en le réprimant. L'affect réprimé isole et perturbe autant que peut le faire le secret inconscient ; il est ressenti lui aussi comme une faute. La nature, qui prend ombrage des secrets que nous ne partageons pas avec nos semblables, nous tient également rigueur des émotions dissimulées à autrui. La nature, à ce point de vue, a une franche horreur du vide ; c'est pourquoi à la longue rien n'est plus insupportable qu'une tiède harmonie reposant sur une répression d'affects. Les émotions refoulées sont souvent identiques au secret ; mais fréquemment il n'existe pas de secret notable, et seulement des affects maintenus inconscients, qui peuvent avoir leur origine dans des situations parfaitement conscientes.
La prédominance, dans chaque cas d'espèce, de secrets ou d'affects réprimés, conditionne probablement différentes formes de névroses. En tout état de cause, l'hystérie, très prodigue d'affects, repose essentiellement sur le secret, alors que le psychasthénique, raidi dans son attitude, souffre pour l'essentiel d'une mauvaise assimilation de ses mouvements affectifs.
Le secret et la rétention affective entraînent des dommages P.35 auxquels la nature en fin de compte répond par des maladies. Entendons-nous bien : ils n'entraînent des dommages que si le secret et la retenue sont uniquement personnels ; si, par contre, ils sont mis en commun, la nature se tient pour satisfaite et ils peuvent même alors être des vertus salutaires. Ce qui est insupportable, c'est la rétention personnelle. Tout se passe comme si l'humanité avait un droit irréfragable à connaître ce qu'il y a d'obscur, d'imparfait, de sot et de coupable en chacun, étant bien entendu que les choses qu'on dissimule par auto-défense sont presque toujours de cette sorte. Il semble qu'on pèche autant contre la nature en dissimulant ses points faibles qu'en vivant exclusivement selon ses faiblesses. Il paraît exister une sorte de conscience de l'humanité qui châtie de façon tangible quiconque n'abandonne pas en temps et lieu la fierté vertueuse de la maîtrise et de l'affirmation de soi-même, et ne prononce pas l'aveu de son humanité faillible. Faute de cet aveu, une barrière infranchissable lui interdit le sentiment vivant d'être un homme parmi les hommes.
Delà .. la portée peu commune de la confession authentique et débarrassée de toute restriction mentale ; . « Renonce à toi-même et il te sera donné. »
. les débuts de la psychanalyse ne furent en somme que la redécouverte scientifique d'une vieille vérité. Le nom même qui fut donné à la première méthode employée, celui de catharsis ou purification, désigne une notion empruntée aux initiations antiques. .. consiste pour l'essentiel à transplanter le malade, avec ou sans mise en scène hypnotique, le plus possible à l'arrière-plan de sa conscience, c'est-à-dire dans un état .. de contemplation et de méditation. Mais, .. l'objet de la méditation est donné ici par le jaillissement sporadique .. de représentations, images ou sentiments, qui se libèrent de l'invisible inconscient pour apparaître, au moins par leurs contours, au regard introspectif. De cette façon, des données refoulées ou perdues pour la conscience sont recouvrées. C'est déjà un gain - pénible certes à l'occasion - car les infériorités et même les tendances condamnables font partie de nous, comme des contributions à notre être existant et corporel : elles forment notre ombre.
Comment puis-je exister dans le monde sans projeter une ombre ? Mon être obscur fait aussi partie de mon intégralité, et quand je prends conscience de mon ombre il me souvient que je suis un homme parmi les autres et comme les autres. Dans tous les cas ce ressouvenir, d'abord muet, de la totalité personnelle rétablit l'état antérieur, d'où la névrose avait jailli, par dissociation d'un complexe devenu autonome. Se taire en pareille occasion prolonge pour le malade son isolement et ne peut amener qu'une amélioration partielle des dommages, alors que par l'acte de confession c'est comme si le sujet se jetait à nouveau dans les bras de l'humanité, libéré du fardeau de l'exil moral. La méthode cathartique vise à une confession pleine et entière qui, au-delà d'une constatation purement cérébrale de faits intellectuels, aille jusqu'à une libération des affects réprimés et à une constatation par le cour. . P.37

. la psychologie nouvelle en serait restée au degré de la confession, si la catharsis s'était confrmée être une panacée. .
Premièrement, on ne parvient pas toujours à aider le malade à se mettre assez en connexion avec son inconscient pour qu'il en perçoive les silhouettes. Au contraire, .. les sujets compliqués, au conscient fortement différencié, .. tellement ancrés dans leur conscience que rien ne leur permet de s'en déprendre. En eux se manifestent les résistances les plus opiniâtres à tout essai d'estomper la conscience ; ils veulent s'entretenir consciemment avec le médecin, décrire leurs difficultés et en discuter, sans jamais rien abandonner de leur raison raisonnante. Les confessions à faire ne leur manquent pas, et ils pensent n'avoir nul besoin de recourir à l'inconscient. De tels malades exigent toute une technique d'approche vers l'inconscient.
. Une autre limitation apparaît .. cour des problèmes du deuxième échelon, à savoir de la « mise en lumière ». Supposons que, dans un cas donné, la confession cathartique ayant eu lieu, la névrose ait disparu, c'est-à-dire que les symptômes soient devenus invisibles. Le malade, .. pourrait être abandonné à luimême. Mais . On constate que le malade, ne parvient pas à prendre du champ et à voler de ses propres ailes. Tout se passe comme si le malade se trouvait lié au médecin par la confession. Si ce lien d'apparence absurde est brutalement rompu, on assiste à une grave rechute. Il est intéressant .. de constater que dans certains cas ce lien peut faire totalement défaut ; le malade, apparemment guéri, reprend sa route ; mais l'expérience montre que, pour avoir entrevu les arrière-plans de son âme, il va poursuivre la catharsis avec lui-même, aux dépens de son adaptation extérieure à la vie : il se trouve ici lié à l'inconscient et à lui-même, au lieu de l'être au médecin. De tels malades sont victimes de la même mésaventure que celle de Thésée et de son compagnon Pirithoüs qui, descendus dans l'Hadès pour en ramener la Déesse des Enfers et fatigués par leur descente, s'assirent pour un instant et. ne purent plus se remettre debout, faisant soudainement corps avec le rocher. Semblables mésaventures en cours de traitement, singulières et imprévisibles, exigent d'être expliquées et raisonnées, réclament la « mise en lumière », tout autant que les cas cités plus haut dans lesquels le malade se révélait imperméable aux bonnes intentions de la catharsis.
. la « mise en lumière » doit s'attaquer au même point critique, celui de la fixation, . la nature de cet attachement correspondait approximativement à celle de la relation de père à enfant. Le malade entre dans une sorte de dépendance infantile, dont il ne parvient pas à se défendre en dépit de sa plus active et de sa plus clairvoyante raison. La fixation peut atteindre une force extraordinaire, si étonnante même qu'on serait en droit de lui assigner des motifs obscurs tout à fait exceptionnels. Mais comme le processus de cette liaison se déroule hors de la conscience, le malade ne sait rien en dire ; . P.39
. on se trouve en présence d'une formation névrotique, d'un nouveau symptôme, suscité de toutes pièces par le traitement. La caractéristique indéniable de la situation, c'est que l'image-souvenir du père, lourde de sentiments, a été projetée sur le médecin, à la suite de quoi celui-ci, bon gré mal gré, apparaît comme un père, et de ce fait réduit son patient, en quelque sorte, à l'état d'enfant. Bien entendu, l'infantilisme du malade ne vient pas d'être créé ; il existait depuis toujours, mais il était précédemment refoulé. Il émerge maintenant, et cherche à reconstituer la situation familiale de l'enfance, puisque voilà retrouvé un père dont le malade avait été si longtemps frustré. .. dénomination de « transfert ». Qu'une certaine dépendance à l'égard du médecin secourable intervienne, c'est là un phénomène tout à fait normal, .. Mais ce qui, dans cette dépendance, est anormal et surprenant, c'est son adhérence opiniâtre et son imperméabilité aux corrections conscientes.
. cette liaison est due à l'existence d'imaginations inconscientes. Ces fantasmes ont en majeure partie un caractère réputé incestueux ; cela sufIit à expliquer le fait qu'ils demeurent inconscients et que le malade ne soit pas en mesure de les confesser. On ne peut attendre d'une confession, .. qu'elle fasse état d'imaginations qui, .. , ont à peine frôlé la conscience. Bien que Freud parle toujours des fantasmes incestueux commes'ils avaient été refoulés, une expérience plus étendue a montré que, dans de très nombreux cas, ils n'avaient jamais appartenu en propre au conscient, ou du moins ne s'y étaient profilés qu'en silhouettes tellement estompées qu'on ne saurait prétendre qu'une intention consciente ait pu les refouler. .. il est plus probable que les imaginations incestueuses, pour l'essentiel, furent et demeurèrent toujours inconscientes, jusqu'à ce que la méthode analytique les ait tirées au jour, non sans les défigurer sensiblement. Ce n'est pas dire qu'il soit condamnable ou contre nature d'extraire quelque chose de l'inconscient. Bien entendu cette entreprise a toute l'apparence d'une opération chirurgicale, mais elle est indispensable, puisque les fantasmes incestueux détermine cet ensemble de symptômes appelé transfert, qui pour être un moment de l'art médical, n'en est pas moins anormal.
Tandis que la méthode cathartique restitue au moi des contenus qui, dans leurs grandes lignes, sont capables de conscience et devraient normalement être des parties intégrantes du conscient, la « mise en lumière » et l'explication du transfert amènent au jour des contenus psychiques qui dans leur forme primitive n'ont jamais pu accéder à la conscience. Telle est la différence essentielle entre l'échelon de la confession et celui de la mise en lumière.
.. trois catégories de cas : ceux qui sont réfractaires à la catharsis ; .. ceux qui, celle-ci effectuée, sont victimes d'une fixation dans un transfert ; ceux enfin qui ne se fixent pas à leur médecin, mais chez lesquels se crée un attachement à leur propre inconscient, tel qu'ils s'y prennent comme dans une toile d'araignée. Dans les cas de transfert, .. l'image parentale va se trouver projetée sur le médecin. Chez les sujets de la troisième catégorie, qui ne présentent de transfert, l'image parentale n'est pas projetée sur un réceptacle humain, mais demeure à l'état de représentation imaginative, celle-ci exerçant la même attirance, la même fascination, et créant les mêmes liens contraignants qu'un transfert.
Quant aux sujets .. qui ne parviennent pas à s'abandonner sans conditions à la catharsis, leur situation psychologique peut s'expliquer .. : avant le début du traitement déjà ces malades se trouvent être dans un état d'identification avec leurs parents ; P. 41 cet état leur confère une autorité, une indépendance et un esprit critique au moyen desquels ils vont s'opposer avec succès à la catharsis. Dans la majorité des cas, il s'agit de personnalités cultivées et différenciées, qui évitent de succomber comme les autres à l'activité inconsciente de l'image parentale et qui au contraire accaparent cette activité en s'identifiant inconsciemment aux parents.
En face du phénomène de transfert la seule confession est impuissante, .. praticien aidera son malade à réaliser la « mise en lumière ».
.. le médecin, .., découvre soudain cette urgence lorsqu'il se voit à l'improviste enserré dans tout un réseau de conceptions incompréhensibles et d'imaginations fantastiques. De toute nécessité, ce que le malade projette sur le médecin doit être compris, interprété et tiré au clair. Comme le malade lui-même ignore totalement ce qu'il projette, le médecin se trouve obligé, pour voir clair dans ce transfert, de soumettre à une analyse interprétative les parcelles de fantasmes dont son malade peut lui faire part. Parmi celles-ci, les rêves sont les matériaux les plus importants et les plus proches.
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La méthode freudienne de mise en lumière a ainsi abouti à une description minutieuse de la part d'ombre qui est en l'homme : .. On ne saurait imaginer contrepoison plus souverain des illusions idéalistes entretenues sur l'essence même de l'homme.
La méthode d'interprétation de Freud oblige à un retour en arrière et remonte aux causes ; c'est une explication réductive qui, si elle est maniée de façon exagérée et unilatérale, devient destructrice. Toutefois, le gain capital .. c'est la constatation que la nature humaine possède à titre inaliénable un côté obscur, qui se retrouve non seulement dans l'homme, mais aussi dans ses ouvres, dans ses institutions, dans ses convictions. Même nos visions les plus pures et nos conceptions les plus sacrées reposent sur des assises obscures ; . P.43
. il est douloureux pour le sentiment d'interpréter par leur revers ombreux des choses resplendissantes de clarté et de les replonger dans la triste fange des origines. Mais je tiens pour une faiblesse dans les belles choses et pour une débilité en l'homme, qu'elles puissent lui apparaître privées d'une parcelle de beauté si d'aventure on révèle leur ombre.
.. naïveté barbare et enfantine, qui ignore encore que rien de haut ne s'est bâti sans fondations profondes, et que l'expression « les extrêmes se touchent » fait vraiment partie des vérités définitives. L'erreur est de prétendre que la beauté limpide se trouve anéantie quand pour l'expliquer on tient compte de son ombre. . Il n'existe pas de lumière sans ombre, ni de bien sans mal, et inversement. .
Rien n'est plus inefficace que des idées purement intellectuelles. Mais quand une idée est une donnée de l'âme, quand on la retrouve dans les domaines les plus divers où elle s'est insinuée apparemment sans enchaînement causal ni historique, il faut y prendre garde. Les idées qui sont des données de l'âme représentent des forces devant lesquelles toute logique et toute morale sont impuissantes et même inopérantes : ces idées-forces peuvent plus que l'homme ligué avec tout son intellect. Il s'imagine, .. , créer ses idées, mais en réalité ce sont elles qui le créent, de sorte qu'il n'est souvent, à son insu, que leur porte-parole inconscient.
... En réduisant la fixation à ses arrière-plans obscurs, le traitement dévalorise la position du malade ; il est contraint de s'avouer ce que ses exigences ont d'infantile et de vain. Dans certains cas, cela le fera vaciller sur son piédestal d'autorité arbitraire et descendre au niveau plus modeste d'une certaine insécurité, peut-être salutaire ; dans d'autres cas encore il reconnaîtra que le fait d'imposer des exigences à autrui constituait une commodité infantile, à 1aquelle il faut substituer une plus grande responsabilité personnelle.
. armé de la conviction de sa propre carence, il se jettera dans la lutte pour la vie afin de consumer par un travail soutenu et des expériences progressives ces forces et ces nostalgies qui le poussèrent jusqu'alors à s'accrocher opiniâtrement au paradis de l'enfance ou qui l'empêchèrent d'en détacher ses regards. Ses idées morales dirigeantes seront désormais d'aspirer à une adaptation normale et de parvenir à supporter, avec longanimité, ses insuffisances personnelles ; ses aspirations devront se défendre autant que faire se peut de toute sentimentalité et de tout mirage. Par une conséquence inévitable, il se détournera de l'inconscient, lieu de ses faiblesses et de ses tentations, champ de sa défaite morale et sociale.

Le problème qui dorénavant se pose au malade est celui de son éducation en tant qu'homme social ; ..
La connaissance pure et simple, qui, pour beaucoup de natures moralement affinées, possède une force de motivation suffisante, est par contre impuissante chez d'autres sujets doués d'une imagination morale moindre. Pour ces derniers, sans l'aiguillon d'une situation extérieure pénible et urgente, l'entendement seul est insuffisant, .. P.45
.. les sujets spirituellement différenciés .. d'une part acquiescent, .. à la vérité d'une explication réductive mais .., d'autre part, ne vont parvenir à se contenter de la dévalorisation pure et simple de toutes leurs attentes et de tous leurs idéaux. .. la force qui émane de l'entendement demeure insuffisante. La méthode de « mise en lumière » suppose donc des natures affinées, capables de tirer elles-mêmes les conclusions morales qui découlent de leurs constatations psychologiques. .. la mise en lumière, .. va au delà de la seule confession sans interprétation, car, .. elle forme l'esprit, éveillant ainsi peut-être des forces jusque là assoupies, qui pourront intervenir de façon secourable. Il n'en reste pas moins que la « mise en lumière » dans de nombreux cas abandonne à eux-mêmes des êtres qui, pour être clairvoyants, n'en sont pas moins encore comme des enfants incapables. En outre, le principe explicatif capital de Freud, celui du plaisir et de sa saltisfaction, est, .. , unilatéral et par suite insuffisant ; il est faux de vouloir expliquer tous les hommes dans cette vue ; tous sans aucun doute présentent cet aspect, mais il n'est pas chez tous l'essentiel. . En général, les êtres pour qui l'adaptation et la profession sociales n'offrent pas de difficultés relèvent du principe du plaisir plus que ceux qui sont restés en deçà de leurs capacités d'adaptation et qui, à cause de cette insuffisance sociale, aspirent ardemment à la puissance et à l'estime. Le fils aîné qui marche dans les traces du père et qui parvient à la puissance sociale subira les affres de sa luxure, tandis que le cadet, qui se sent opprimé et lésé par son père et par son frère, éprouvera l'aiguillon de l'ambition et du besoin de se faire valoir ; il soumettra tout à cette passion, de sorte que pour lui la concupiscence ne sera pas un problème, ou du moins .. d'ordre vital.
. Adler, .. a montré de façon convaincante que de nombreux cas de névrose sont expliqués mieux et plus exactement par l'instinct de puissance que par le principe du plaisir. .. montrer au malade de quelle façon celui-ci a « arrangé » ses symptômes, utilisé sa névrose pour atteindre à une importance fictive, et comment son transfert et ses autres fixations servent sa volonté de puissance et représentent une « protestation virile» contre l'oppression dont il sent victime en imagination. .. psychologie de l'opprimé et du raté social, animés de la seule passion de se faire valoir. Ce sont des névrosés, car ils se croient avec persévération victimes d'oppression et se mettent en campagne, à grand renfort de fictions, contre des moulins à vent, rendant eux-mêmes impossible, avec un rare bonheur, l'accès au but qui incarne leur suprême aspiration.
. il en appelle donc lui aussi à l'entendement. Mais la caractéristique d'Adler est de ne pas placer en l'entendement des espoirs démesurés et d'avoir reconnu, en marge de celui-ci, la nécessité de l'éducation sociale. Tandis que Freud est le chercheur et le savant interprétateur, Adler, est essentiellement l'éducateur. Il prend ainsi en charge le passif de l'héritage freudien en s'attachant à secourir chez le malade le côté enfant, chétif et incapable, qui subsiste en dépit d'une estimable compréhension, et en essayant, par tous les moyens d'éducation, d'en faire un être normalement adapté. Cela repose évidemment sur la conviction qu'il n'est pas de but plus légitime, pas de nécessité plus impérieuse, pour la nature humaine, et pas de condition plus propre à lui permettre de s'accomplir, que l'adaptation et la normalisation sociales. .. P.47
.. l'école adlérienne .. large activité sociale qu'elle a déployée et .. son détachement de l'inconscient .. dont elle semble, .. jusqu'à nier l'existence. .. une réaction inéluctable, qui correspond, comme je le montrais plus haut, à la volteface naturelle de chaque malade tendu vers son adaptation et sa guérison. Car, s'il est vrai que l'inconscient n'est rien d'autre que le réceptacle de toutes les turpitudes ténébreuses et nauséabondes de la nature humaine, y compris les sédiments de la fange préhistorique, on ne voit vraiment pas pourquoi on s'attarderait plus que de raison dans le voisinage de ce marécage qui a menacé de vous enliser. Pour le savant ce marais représente un univers bourré de merveilles, mais l'homme ordinaire a tous motifs de lui tourner le dos. .
Les tendances éducatives de l'école adlérienne interviennent là où Freud s'arrête, et elles répondent ainsi au besoin compréhensible du malade de chercher, maintenant qu'il a l'intelligence de son mal, les voies d'une existence normale. II ne lui suffit évidemment pas de, savoir de quoi provient sa maladie, car ce n'est qu'exceptionnellement que l'intelligence des causes entraîne spontanément la suppression du mal. Il ne faut pas perdre de vue que les fallacieux modes de vie névrotiques se transforment en autant d'habitudes enracinées qui, en dépit de toutes les résolutions, ne cèdent le terrain que remplacées par d'autres habitudes consécutives à un entraînement assidu. C'est la tâche de toute une éducation. Le malade, au sens propre du terme, doit être « attiré » dans d'autres voies, ce qui suppose à l'ouvre une volonté éducatrice. .
Dans le développement historique de notre psychologie, chaque phase, qui correspond à une étape du traitement individuel, porte en soi un cachet singulier : celui du définitif. La catharsis, dans laquelle on s'ouvre et s'épanche radicalement, donne à penser que maintenant .., qu'on a vidé tout son sac, que tout est connu, que chaque angoisse est revécue, qu'on a versé le tribut de toutes ses larmes et que dorénavant on peut repartir du bon pied. La « mise en lumière », avec tout autant de conviction, prétend : nous savons maintenant d'où provenait la névrose, les souvenirs les plus reculés sont déterrés, les dernières racines extirpées ; le transfert apparaît pour ce qu'il fut : une imagination illusoire en vue de satisfaire à la nostalgie du paradis de l'enfance, ou une rechute dans le roman familial naguère vécu ; la voie vers une existence dépouillée de mirages, c'est-à-dire vers la normalité, se trouve ainsi ouverte. L'éducation enfin souligne qu'en dépit de toutes les confessions effectuées et d'une mise en lumière poussée l'arbre mal venu persévère encore dans ses malformations et qu'il faut tout l'art d'un bon jardinier pour le mettre normalement en espalier. Ce n'est qu'alors qu'on pourra parler d'adaptation normale.
.. une prétention au définitif est inhérente à chaque phase du traitement . Chacun semble captivé par cette séduction du définitif qui émane de la phase, quelle qu'elle soit, où il se trouve, et c'est de là que provient la confusion des opinions P.49 .
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Pourtant chacun ne porte le flambeau de la connaissance qu'une courte traite jusqu'au prochain relais. Si l'on parvenait à comprendre ces relèves autrement que sur le plan personnel, si l'on s'accordait, par exemple, que nous ne sommes pas les créateurs personnels de nos vérités, mais seulement leurs exposants, les porte-parole de nécessités psychiques contemporaines, pas mal d'amertume .. serait évité et notre regard serait libre pour l'étude des enchaînements profonds et suprapersonnels de l'âme humaine.
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Tout organisme vivant est histoire vécue ; elle inclut jusqu'à l'existence des animaux à sang froid qui, sous-entendus, se perpétuent en nous. Ainsi les trois phases de la psychologie analytique .. ne sont pas des vérités se détruisant ou se remplaçant les unes les autres ; bien mieux, elles représentent des aspects principaux d'un même problème central et ne comportent aucune contradiction interne, .

Il en est de même de la quatrième phase, celle de la métamorphose. . elle comble une lacune laissée béante .. ne fait que répondre à un nouveau besoin, ..
Pour présenter les buts assignés à la phase de la métamorphose et pour expliquer ce que nous entendons par cette désignation .. demandons-nous quel besoin de l'âme humaine a échappé aux phases précédentes, ou en d'autres termes, à quoi peut prétendre un être une fois qu'il a atteint à l'adaptation et à la sociabilité ? Etre un homme normal, on ne saurait rien se représenter de plus utile et de plus nécessaire. Mais, dans la notion « d'homme normal » , comme dans celle d'adaptation, il y a implicitement la restriction à une moyenne, dont l'affirmation ne paraît être une amélioration souhaitable qu'à l'individu qui .. demeure en difficulté, qui se heurte aux exigences quotidiennes sans arriver à les maîtriser, qui est incapable, en raison par exemple d'une évrose, de fonder une existence normale. « L'homme normal » est le but idéal des infructueux, de tous ceux qui sont demeurés au-dessous du niveau général d'adaptation. Mais pour les êtres dont les possibilités vont bien au delà .. l'idée ou la contrainte morale . P.51de ne devoir être rien que normal représente l'image même d'un lit de Procuste, d'un ennui insupportable et mortel, d'un enfer stérile et sans espoir. .. il existe autant de névrosés malades de n'avoir été que normaux, que de névrosés malades de ne pas avoir atteint cette normalité. .
L'homme éternellement ne trouve sa satisfaction et son accomplissement que dans ce qu'il ne possède pas encore ; .
Les besoins et les nécessités des hommes sont d'une infinie diversité ; ce qui pour l'un réalisera une libération sera l'asservissement de l'autre. Cette diversité se retrouve aussi dans ce qui touche à la normalité et à l'adaptation. . il n'y a dans la réalité psychologique ni recette passe-partout, ni norme généralement valable. Il n'y a que des cas individuels révélant des besoins et des prétentions si divers, que l'on ne peut au fond savoir d'avance dans quelle voie un cas s'engagera ; le médecin a donc avantage à renoncer à toute opinion préalable ; . le rapport du médecin à son patient est une relation personnelle dans le cadre impersonnel du traitement médical. .. le traitement est le produit d'une influence réciproque, interférence de la nature entière du patient et de celle du médecin. Au cours du traitement a lieu la rencontre de deux réalités irrationnelles, de deux êtres qui ne sont point des entités exactement circonscrites, car à côté de sa conscience peut-être délimitée, chacun entraîne dans son orbe toute une nébuleuse d'inconscience aux contours inconnus. C'est pourquoi, pour le résultat d'un traitement psychique, la personnalité du médecin et celle du malade ont infiniment plus d'importance que les dires et les arrière-pensées du médecin, quoique leur ensemble forme un élément de trouble ou de guérison qui ne doit point être sous-estimé. La rencontre de deux personalités est comme la réunion de deux corps chimiques différents : si une combinaison a lieu, les deux corps s'en trouvent modifiés. Comme nous devons nous y attendre, dans tout traitement psychique réel, le médecin exerce une influence sur son malade. Mais cette influence ne peut avoir lieu que lorsqu'il est lui-même affecté par son malade. Avoir de l'influence est synonyme d'être affecté. Il ne sert de rien au médecin d'esquiver l'influence du malade .. Inconsciemment l'influence du malade l'atteint tout de même, engendrant des modifications dans l'inconscient du médecin, des perturbations et même des préjudices psychiques étroitement professionnels, . Un des phénomènes les plus connus de cette espèce, provoqué par le transfert, est le contre-transfert. Mais souvent l'effet de ces influences est de nature bien P.53 plus subtile ; je ne sais le formuler autrement que par la vieille idée de la transmission d'une maladie à un être bien portant qui doit avec sa santé réduire le démon malsain, ce qui n'est pas sans être préjudiciable à son propre bien-être.
Entre le médecin et son malade existent des facteurs irrationnels de relation qui entraînent de part et d'autre des changements insensibles ; au cours de ceux-ci la personnalité la plus stable et la plus forte l'emporte sur l'autre. . Freud lui-même, reconnaissant ces faits, a admis le bien-fondé de mon exigence, que le médecin lui-même se fasse analyser. . le médecin figure tout autant que le malade « dans l'analyse ». Tout autant que lui il est un élément constitutif du processus psychique appelé traitement, et par suite aussi exposé que lui aux influences transformatrices. .. dans la mesure où le médecin se montre réfractaire à cette influence il se prive de celle qu'il peut avoir sur son malade ; et dans la mesure où il ne se laisse influencer qu'à son insu, naît dans le champ de sa conscience un vice de perspective qui lui interdit de voir son malade avec exactitude. Dans les deux cas le résultat du traitement est compromis. Le médecin est donc astreint à la même tâche que celle à laquelle il désire astreindre son malade : à être, par exemple, un être socialement adapté, ou dans le cas opposé un être foncièrement inadapté. Le but thérapeutique peut .. s'exprimer en mille formules diverses selon l'observance de chacun. L'un croit qu'il faut surmonter l'infantilisme : il a donc surmonté son infantilisme propre. L'autre croit à l'abréaction des affects : il a donc abréagi ses propres affects. Un troisième croit à la prise de conscience intégrale : il doit donc être parvenu à la conscience de son Soi, ou tout au moins tendre constamment à réaliser en lui son credo thérapeutique, pour s'assurer une saine influence sur son malade. Toutes ces idées thérapeutiques directrices impliquent des exigences morales importantes .. « Sois celui que tu es réellement. ». La quatrième phase de la psychologie analytique exige donc l'application au médecin lui-même, et comme en retour, du système professé dans chaque cas par celui-ci, avec la même absence de ménagements, avec la même suite dans les idées, la même endurance dont le médecin témoigne à l'égard de ses malades. Mais si l'on songe à l'attention soutenue, à l'esprit critique avec lesquels le médecin de l'âme doit suivre son patient pour ne pas perdre la trace de ses errements, de ses fausses conclusions, de ses cachotteries infantiles, et pour les tirer au jour, on avouera que ce n'est pas une mince tâche que de se soumettre à la même procédure. La plupart du temps on ne se trouve pas assez intéressant - et d'ailleurs qui nous rétribuerait de ces efforts introspectifs ? En outre, le mépris de l'âme humaine réelle est partout si puissant que s'observer et s'occuper de soi-même passe déjà presque pour maladif. Manifestement nous ne flairons pas une grande santé dans notre âme personnelle, et rien qu'à nous tourner vers elle nous croyons sentir des relents de chambre de malade. Toutes ces résistances, le médecin doit les surmonter en lui-même, car qui donc pourrait, sans être soi-même éduqué, éduquer autrui ? Qui donc pourrait apporter des clartés, « mettre en lumière », s'il se débat encore dans ses propres ténèbres ? .
Le passage de l'éducation à l'éducation de soi-même est le progrès logique qui parfait les trois phases précédentes. L'exigence impliquée par la phase de la métamorphose, P.55 à savoir que le médecin doit se métamorphoser afin d'être capable de métamorphoser son malade, est, .. une exigence plutôt impopulaire ; .. peu pratique, .. s'occuper de soi-même est soumis à un préjugé désagréable, .. il est souvent bien douloureux de devoir soi-même satisfaire à toutes les attentes qu'on place pourtant le cas échéant dans son nalade. .. le médecin consciencieux à l'égard de sa propre personnalité découvrira promptement qu'il existe des choses dans sa nature qui se refusent catégoriquement à toute tendance normalisatrice ou qui, en dépit d'une mise en lumière persévérante et d'abréactions poussées, n'en continuent pas moins, de façon la plus gênante, leur ronde fantomatique. Que fera-t-il, lui, de ces choses ? Il sait bien, .. ce que le malade devrait en faire. Mais qu'en fera-t-il, lui, de toute la force de ses convictions quand cela l'atteint lui-même, ou quand cela tombe sur un de ses proches immédiats ? .. il découvrira en lui une infériorité qui le rend scabreusement proche de ses malades et qui peut-être attente même à son autorité. . Cette question quasi « névrotique » l'atteindra intimement, .. Il découvrira ainsi que les réponses aux suprêmes questions qui l'inquiètent au même titre que ses malades, ne sauraient faire l'objet d'aucun traité, que chercher à les faire résoudre par les autres est enfantin et rejette dans l'infantilisme, et qu'enfin, lorsqu'aucune réponse ne peut être trouvée, la question doit de nouveau être refoulée.

. le développement récent de la psychologie analytique conduit au monumental problème des facteurs irrationnels de la personnalité humaine, qu'il place au premier plan la personnalité du médecin lui-même comme facteur de guérison ou d'aggravation et qu'il exige le perfectionnement intérieur du médecin, l'auto-éducation de l'éducateur. Ainsi les étapes successives qui jalonnèrent objectivement l'histoire de notre psychologie, la confession, la mise en lumière et l'éducation, passent sur le plan subjectif, .. ce qui a été pratiqué sur le malade doit être pratiqué sur le médecin, afin que la personnalité de celui-ci n'exerce pas en retour une influence défavorable sur son patient. Force est donc au médecin de ne plus esquiver ses propres difficultés sous prétexte qu'il soigne les difficulté des autres .
. problème inéluctable l'attitude éthique du médecin. L'auto-critique et l'étude de soi-même, indissolublement liées à ce problème, rendront nécessaire une tout autre conception de l'âme que la conception biologique .. l'âme de l'homme, sans conteste, n'est pas seulement un objet de la médecine d'orientation scientifique ; elle n'habite pas seulement le malade, mais aussi le médecin ; elle n'est pas seulement objet, elle est aussi sujet ; elle est non seulement une fonction cérébrale, mais bien la condition primordiale de notre conscience.
Dès lors, ce qui était précédemment une méthode de traitement médical devient une méthode d'auto-éducation ; .. Ce n'est plus le diplôme médical mais la qualité humaine qui devient décisive. Tournant d'importance, car il place toute l'instrumentation de l'art psychothérapeutique qui, s'exerçant sans relâche au P.57 contact du malade, s'est affiné et systématisé, au service de l'auto-éducation, du perfectionnement de soi-même. De ce fait la psychologie analytique .. , va au delà d'elle-même .. Nous connaissions la maîtrise et la soumission psychiques, mais nul développement méthodique de l'âme et de ses fonctions. Notre culture est encore toute jeune et les cultures jeunes ont besoin de tout l'art du dressage pour dégrossir tant bien que mal la sauvagerie barbare et récalcitrante. A un échelon culturel plus élevé c'est le -développement qui doit remplacer et qui remplacera la contrainte. Mais cela présuppose une voie, une méthode, . dès l'instant où une psychologie d'origine médicale prend pour objet le médecin lui-même, elle cesse d'être uniquement une méthode de traitement pour des malades. Elle s'adresse maintenant des êtres sains, ou, entendons-nous, à des êtres qui ont la prétention morale de jouir de la santé de l'âme et dont ainsi le mal est tout au plus le mal dont souffre chacun. . P.59

CHAPITRE IV DE L'ESSENCE DES RÊVES

La psychologie médicale se . voit confrontée avec une infinité de données irrationnelles .. en perpétuel changement, l'âme l'humaine constituant en effet la chose plus opaque, la plus impénétrable, . on doit admettre que tous les phénomènes psychiques sont situés les uns par rapport aux autres dans une sorte d'enchaînement causal, en prenant ce terme dans son sens le plus large ; et cependant il est recommandable, .. de garder présent à l'esprit que la causalité en fin de compte ne constitue qu'une vérité statistique. C'est pourquoi .. il n'est peut-être pas contre-indiqué d'envisager au moins la possibilité d'une irrationalité absolue, bien qu'il faille tout d'abord, .. envisager chaque fois la perspective causale. .. tenir compte d'une des distinctions classiques, celle de la cause efficiente et de la cause finale. Dans l'ordre psychique, il n'est pas nécessairement plus fructueux de se demander pourquoi et comment telle chose s'est produite, que de rechercher dans quel but elle a eu lieu.
. Le rêve traite réellement de la santé et de la maladie. En vertu de sa provenance inconsciente, il puise au trésor des perceptions subliminales ; c'est pourquoi il livre à l'occasion des indications fort précieuses. J'ai pu en constater souvent la valeur dans certains cas où le diagnostic différentiel entre symptômes organiques et syndrome psychogène était difficile. Certains rêves sont d'importance aussi pour le pronostic.
. collectionner des protocoles de rêves ; .. constater que, dans un matériel onirique donné, apparaissent des signes avant-coureurs se rapportant à l'éclosion ultérieure d'une maladie aiguë ou même dénonçant une fin fatale, tous événements que rien, hors du rêve, ne permettait de pressentir. . décrire les aspects fondamentaux de la psychologie du rêve, de son interprétation, afin de permettre même au profane de se rendre compte de la méthode que nous employons et des problèmes qu'elle rencontre. . P.61
Le rêve est une parcelle de l'activité psychique involontaire, possédant juste assez de conscience pour être remémorée à l'état de veille. Parmi les manifestations psychiques, c'est sans doute le rêve qui apporte le plus de données « irrationnelles ». Il semble comporter un minimum de ces rela tions logiques et de cette hiérarchie des valeurs qui caractérisent les autres contenus de la conscience ; pour cette raison il est difficile à pénétrer et à comprendre. Les rêves satisfaisant à la fois la logique, la morale et l'esthétique comptent parmi les exceptions. En règle générale le rêve est un produit extraordinaire et étrange qui se distingue par un bon nombre de « mauvaises qualités » : manque de logique, moralité douteuse, forme souvent disgracieuse, absurdités manifestes ou non-sens. C'est pourquoi on le récuse volontiers comme étant stupide, sans signification ni valeur.
Toute interprétation d'un rêve se hasarde à conférer un sens psychologique à certains contenus psychiques de ce rêve. Cette interprétation ne va pas sans danger, car le rêveur, en règle générale, comme la plupart des hommes, témoigne d'une sensibilité souvent étonnante, non seulement pour des remarques fausses, mais surtout en premier lieu pour celles qui sont justes. Comme il n'est possible que dans des conditions tout à fait particulières d'analyser un rêve sans la collaboration du rêveur, ce ne sera qu'au prix d'efforts inhabituels que l'on trouvera en général le tact nécessaire pour éviter de blesser inutilement l'amour-propre d'autrui. . la compréhension des rêves est quelque chose de si difficile que depuis très longtemps je me suis donné pour règle, lorsque quelqu'un me raconte un rêve et me demande mon avis, de me dire tout d'abord in petto : « Je n'ai vraiment pas la moindre idée de ce que ce rêve peut signifier. » Après cette constatation préalable on peut se mettre au travail de l'analyse proprement dite.
. Mais comment procéder si l'on cherche .. à « mettre à nu » une structure interne et significative dans le rêve ? Au premier abord, il ne saurait être question d'espérer trouver des formes univoques et des lois qui les ordonnent, ni de comportement « normal» du rêve, si toutefois on excepte les rêves « typiques» bien connus, comme par exemple le cauchemar. Pour n'être pas rares, les rêves d'angoisse ne sont pas du tout la règle. A côté d'eux il est des motifs oniriques typiques qui sont aussi connus du profane, comme par exemple voler, monter des escaliers ou faire une ascension, se promener insuffisamment vêtu, perdre ses dents, ou encore des thèmes comme la foule, l'hôtel, la gare, le chemin de fer, l'avion, l'automobile, les animaux effrayants (serpents), etc. Ces motifs sont très fréquents mais ne suffisent en aucun cas pour permettre de conclure que la texture du rêve obéit à une ordonnance.
Il est des personnes qui de temps à autre refont le même rêve ; c'est particulièrement le cas durant l'adolescence, mais ce phénomène peut parfois s'étendre sur plusieurs dizaines d'années. Il s'agit le plus souvent de rêves très impressionnants, en présence desquels on éprouve le sentiment qu'ils doivent « vraiment signifier quelque chose » . Ce sentiment est justifié dans la mesure ou, même en étant prudent à l'extrême, on ne peut s'empêcher d'admettre qu'une certaine situation psychique se reproduit de temps à autre, provoquant le rêve. Mais une « situation psychique » est un ensemble de circonstances qui,.. P.63 comporte un certain sens. (Cela présuppose, bien entendu, qu'on ne se raccroche pas à l'hypothèse, qui n'a jamais été démontrée, selon laquelle tous les rêves tiennent à des lourdeurs gastriques, au décubitus dorsal, etc.) De tels rêves incitent effectivement à supposer la présence d'un certain enchaînement causal. II faut dire la même chose des thèmes fondamentaux qui se répètent plusieurs fois au cours de séries prolongées de rêves ; là aussi on ne peut s'empêcher d'avoir l'impression que « cela signfie quelque chose ».
Mais comment parvenir à une signification plausible et comment vérifier l'exactitude de notre interprétation ? Une première méthode, qui toutefois ne serait pas scientifique, consisterait à prédire à l'aide d'une clé des songes des événements futurs et à vérifier la justesse de la prophétie en observant si l'événement prédit survient ou non ; mais ceci suppose la condition, loin d'être vérifiée, que la tâche des rêves soit de prédire l'avenir.
Une autre possibilité de déceler directement le sens d'un rêve consisterait .. à partir de l'apparition de thèmes relatifs à des événements vécus dans la jeunesse, à reconstruire des tranches du passé à titre de confirmation a posteriori. Quoique ce soit possible dans une certaine mesure, ce procédé n'aurait une valeur décisive que s'il permettait de prendre connaissance de faits qui ont réellelent eu lieu mais qui étaient restés inconscients pour le rêveur ou, le cas échéant, qu'il ne voudrait absolument pas révéler. Si aucun terme de cette alternative n'est en cause, il s'agit d'un simple souvenir dont l'apparition en rêve ne sera contestée par personne et qui, en outre, n'a qu'une importance toute relative en ce qui concerne une fonction signifiante du rêve, puisque le rêveur aurait pu tout aussi bien nous renseigner consciemment à ce sujet. .
C'est à Freud que revient le grand mérite d'avoir frayé une piste à l'exploration du rêve. Il a reconnu en premier lieu que nous ne pouvons faire aucune interprétation sans la collaboration du rêveur. Car les mots dont se compose le récit du rêveur n'ont pas seulement un sens mais plusieurs. Si quelqu'un, par exemple, rêve d'une table, on ne saura pas pour autant ce que la « table » du rêve signifie, .. nous ignorions : .. que cette « table» est précisément « la table » à laquelle était assis le père du rêveur, alors qu'il refusa à son fils toute aide financière et le chassa de la maison comme un incapable. La surface luisante de cette table le fascinait comme un symbole de son incapacité catastrophique, tant à l'état de veille que dans les rêves nocturnes. . nous avons besoin de l'aide du rêveur pour limiter la diversité des significations verbales au contenu psychique essentiel et par là convaincant. Toute personne qui n'assistait pas à cette scène peut douter que la « table » représente un moment culminant et douloureux de la vie du sujet. Mais le sujet n'en doute pas, et moi, son analyste, non plus. Pour ces raisons, l'analyse du rêve est en tout premier lieu une expérience vécue, qui tout d'abord n'a d'évidence que pour deux personnes. Dès que nous sommes parvenus à établir que la « table» du rêve rappelle vraiment cette table fatale avec tout ce qui s'y rattachait, nous avons analysé non pas encore le rêve, mais au moins ce motif isolé dans ce qu'il a d'essentiel ; autrement dit, nous avons reconnu le contexte subjectif auquel se rattache le mot « table» dans ce rêve.
Nous sommes parvenus à ce résultat par la récolte méthodique des associations du sujet. Pour le reste, je dois récuser la procédure à laquelle Freud soumet les contenus du rêve, parce qu'elle trahit trop l'idée préconçue que le rêve est la réalisation de « désirs refoulés ». L'existence de tels rêves n'est pas une preuve suffisante pour croire que tous les rêves sont la satisfaction de désirs ; ils ne paraissent pas l'être davantage que ne le sont toutes les pensées de la vie consciente. On n'a aucune raison d'admettre que les processus inconscients sur lesquels se base le rêve soient plus limités ou plus monotones dans leurs formes ou leurs P.65 contenus que les phénomènes conscients. .
Pour établir le sens du rêve, j'ai mis au point, .. un procédé que je désigne par le terme d'établissement du contexte et qui consiste à rechercher grâce aux associations du rêveur, pour chaque détail saillant du rêve, dans quelle signification et quelle nuance il lui apparaît. ... Le résultat obtenu par cette méthode n'est pas toujours un texte immédiatement compréhensible, mais ne constitue souvent qu'une première et précieuse indication, qui comporte encore de nombreuses possibilités. J'ai traité autrefois un jeune homme qui me raconta dans l'anamnèse qu'il était fiancé, de façon heureuse, avec une jeune fille de « bonne famille ». Le personnage de cette jeune fille revêtait soudans les rêves un aspect très désavantageux. Il résulta du contexte que l'inconscient du patient reportait sur la personne de sa fiancée toutes sortes d'histoires scandaleuses, provenant d'une autre source ; cela lui paraissait absolunent incompréhensible et à moi également tout d'abord. La répétition constante de ces combinaisons me contraignit néanmoins à conclure qu'il existait chez ce jeune homme, en dépit de sa résistance consciente, une tendance inconsciente à faire apparaître sa fiancée sous un aspect équivoque. Le patient me dit que si une chose semblable était vraie, cela représenterait pour lui un véritable désastre. Sa névrose aiguë avait débuté quelque temps après les festivités des fiançailles. Quoiqu'ils fussent inconcevables, les soupçons concernant la fiancée me semblèrent constituer un point d'une importance si capitale que je conseillai au patient de prendre des renseignements. Ceux-ci prouvèrent que les soupçons étaient fondés ; le « choc » de cette désagréable surprise n'abattit pas le patient, qui fut au contraire guéri de sa névrose et en même temps de sa fiancée. Ainsi donc, la restitution du contexte comportait une « incongruité inconcevable », et conférait de ce fait aux rêves une signification apparemment insensée ; .
L'établissement du contexte est un travail simple et presque mécanique, qui n'a qu'une valeur préparatoire. (Ce travail n'en est pas moins infiniment délicat. C'est bien plus une récolte ou « une pêche miraculeuse » que le sec établissement d'un protocole ; cette phase du travail analytique exige au moins la moitié de l'art de l'analyste, qui doit savoir être un parfait accoucheur et qui doit être en mesure de faciliter des évocations spontanées et fécondes.) La confection, à l'aide de ce matériel, d'un texte lisible, c'est-à-dire la véritable interprétation du rêve, est, par contre, dans la règle, une tâche plus difficile. Elle présuppose .. une compréhension psychologique, une faculté de pénétration intuitive et de combinaison, une connaissance du monde et des hommes et, en outre, un savoir spécifique, reposant autant sur des connaissances étendues et approfondies que sur une certaine « intelligence du cour ». Toutes ces conditions, et même la dernière, sont de mise pour l'art du diagnostic médical en général. . Il faut s'interdire de donner aux motifs oniriques un sens stéréotypé. Seules sont justifiées les interprétations spécifiques auxquelles on parvient par l'examen soigneux du contexte. Même en possédant une grande expérience dans ce domaine, on n'en est pas moins constamment obligé de confesser son ignorance devant chaque nouveau rêve et, en renonçant à toute idée préconçue, de se préparer à quelque chose de tout à fait inattendu.
Pour .. la forme des rêves, on peut y trouver de tout, depuis l'impression fugitive comme l'éclair, jusqu'aux élucubrations les plus interminables. P.67 Il y a néanmoins une prédominance de rêves « moyens » dans lesquels on peut reconnaître une certaine structure ; celle-ci n'est pas sans analogie avec celle d'un drame. Le rêve commence, par exemple, par une indication de lieu comme : « Je suis dans la rue, c'est une avenue » (1) ; ou : « Je me trouve dans un grand bâtiment qui rappelle un hôtel »(2) ; etc. Il s'y ajoute souvent une indication concernant les personnages de l'action, par exemple : « Je me promène avec mon ami X dans un parc public. A un carrefour, nous rencontrons tout à coup Madame Y » (3) ; ou bien : « Je suis assis dans un compartiment de chemin de fer avec mon père et ma mère» (4) ; ou encore : « Je suis en uniforme, de nombreux camarades de service m'entourent » (5) ; etc. Les indications de temps sont plus rares. J'appelle exposition cette phase du rêve. Elle indique le lieu de l'action, les personnages et fréquemment la situation initiale.
Dans la deuxième phase se noue l'action ; par exemple (1 ) : « Je suis dans la rue, c'est une avenue. Dans le lointain apparaît une automobile qui s'approche rapidement. Sa façon de rouler est bizarrement incertaine et je me dis que le chauffeur doit être ivre » ; ou bien (3) : « Madame Y semble très excitée et tient à me murmurer quelque chose que mon ami X ne doit pas entendre ». La situation se complique d'une manière ou d'une autre et il apparaît une certaine tension, car on est incertain de ce qui va se passer.
La troisième phase est la culmination ou la péripétie. II se passe quelque chose de décisif ou bien la situation change du tout au tout. Par exemple (1) ; « Tout à coup, c'est moi qui suis dans l'automobile et, apparemment, qui suis le chauffeur ivre. Cependant je ne suis pas ivre, je ne suis qu'étrangement incertain et embarrassé, comme si la direction ne répondait plus. Je ne suis pas capable de ralentir l'auto qui roule rapidement et j'arrive avec un grand fracas contre un mur » ; ou bien encore (3) : « Madame Y devient subitement pâle comme une morte et tombe à terre ».
La quatrième et dernière phase est la lyse, la solution ou le dénouement élaboré par le rêve. (Il ya certains rêves où cette quatrième phase manque, ce qui peut représenter un problème spécial qu'il n'y a pas lieu de discuter ici.) Par exemple (1) : « Je remarque que la partie antérieure de l'automobile est écrasée. C'est une auto que je ne connais pas et qui appartient à quelqu'un d'autre. Moi-même, je ne suis pas blessé. Je réfléchis avec une certaine angoisse à ma responsabilité » ; ou bien (3) : « Nous avons l'impression que Madame Y est morte, mais ce n' est probablement qu'une syncope. Mon ami X dit : 'il faut que j'aille chercher un médecin' ». La dernière phase reflète le dénouement auquel le rêve, finalement, entendait parvenir. Dans le rêve (1 ), la confusion apparente paraît être suivie d'une nouvelle réflexion, ou plutôt celle-ci devrait survenir puisque le rêve est compensatoire. Dans le rêve (3), le résultat consiste dans la réflexion qu'il serait indiqué d'invoquer le secours d'une tierce personne qui soit compétente. Le premier sujet (1) est un homme qui a un peu perdu la tête dans des circonstances familiales difficiles et qui craignait une catastrophe. Le deuxième sujet (3) se demandait s'il avait raison de recourir à l'aide d'un psychothérapeute à cause de sa névrose. Avec ces indications, l'analyse du rêve n'est naturellement pas terminée ; on n'a fait qu'esquisser la situation initiale.
Cette division en quatre phases peut être appliquée pratiquement à la plupart des rêves sans difficulté spéciale, ce qui confirmerait que le rêve a en quelque sorte une structure « dramatique ».
Autant il est vrai qu'on ne saurait isoler les rêves de la conscience du rêveur, avec sa texture spécifique, et de la situation particulière dans laquelle se trouve le sujet, autant il est vrai aussi que les racines du rêve s'enfoncent profondément dans les arrière-plans obscurs et difficilement connaissables d'où émergent les phénomènes de conscience. Faute d'une expression plus précise, nous donnons à cet arrière-plan obscur le nom d'inconscient. Nous n'en connaissons pas l'essence en soi, nous ne pouvons qu'en constater certains effets, dont la texture nous permet de risquer certaines conclusions sur la nature de l'âme inconsciente. En sa qualité d'expression extrêmement fréquente P.69 et normale de l'âme inconsciente, c'est le rêve qui nous fournit le matériel d'expérience le plus riche pour l'exploration de l'inconscient.
Comme le sens de la plupart des rêves ne coïncide pas avec les tendances de la conscience, mais fait apparaître de singulières divergences, nous devons admettre que l'inconscient, matrice des rêves, a son fonctionnement indépendant. C'est ce que je désigne par autonomie de l'inconscient. Non seulement le rêve n'obéit pas à notre volonté, mais souvent il s'oppose même très nettement aux intentions de la conscience. Cette opposition peut cependant ne pas être toujours aussi frappante. Parfois le rêve ne s'écarte que dans une faible mesure de l'attitude de la tendance consciente, y apportant de simples modifications, de simples retouches ; il y a même des cas où il peut occasionnellement coïncider avec le contenu et la tendance de la conscience. Pour caractériser d'un mot et à la fois tous les modes de comportement du rêve, le seul concept acceptable qui se soit présenté à mon esprit est celui de compensation. C'est le seul qui me paraisse les résumer tous avec pertinence. La compensation doit être strictement distinguée de la complémentation. Le complément est un concept trop limité et trop limitatif qui ne suffit pas à expliquer de façon satisfaisante la fonction du rêve ; en effet, il indique uniquement qu'une chose vient pour ainsi dire obligatoirement s'ajouter à une autre et la compléter. La compensation au contraire, ainsi que le nom le dit, est l'affrontement, la comparaison, la confrontation, de différentes données ou de différents points de vue, d'où peut résulter un redressement ou un équilibre.
Dans cette perspective, existent trois possibilités. Si l'attitude consciente à l'égard d'une situation donnée de la vie est fortement unilatérale, le rêve adopte un parti opposé. Si la conscience se tient aux environs du « juste milieu », le rêve se contente d'exprimer des variantes. Si l'attitude de la conscience enfin est « correcte » (adéquate), le rêve coïncide avec cette attitude et en souligne les tendances, sans perdre pour autant l'autonomie qui lui est propre. Comme on ne sait jamais avec certitude de quelle façon on doit apprécier la situation consciente d'un patient, une analyse des rêves sans la participation et les associations du rêveur est exclue a priori. Même lorsque nous connaissons la situation consciente nous ignorons encore l'attitude de l'inconscient. Ce dernier étant non seulement la matrice des rêves, mais aussi celle des symptômes psychogènes, la question de l'attitude inconsciente revêt une importance pratique considérable. Même si je juge et si chacun avec moi juge appropriée mon attitude consciente, l'inconscient peut, en effet, « être d'un autre avis ». Cette contradiction est importante, notamment dans les cas de névrose, parce que l'inconscient est tout à fait capable de provoquer une quantité de troubles désagréables : actes manqués, souvent lourds de conséquences, ou symptômes névrotiques. Ces troubles proviennent d'une dysharmonie entre « conscient » et « inconscient ». « Normalement» l'harmonie devrait exister ; mais en réalité elle fait très souvent défaut, ce qui donne lieu à une multitude imprévisible de discordances psychogènes allant de l'innocent lapsus linguae aux accidents et aux maladies graves. C'est à Freud que revient le mérite d'avoir attiré l'attention sur ces corrélations.
Quoique la compensation vise, dans la plupart des cas, à rétablir un équilibre psychique normal, et agisse ainsi comme une sorte de régulation autonome du système psychique, il serait dangereux de se contenter sans plus de cette constatation, car les compensations, dans certaines conditions et dans certains cas (par exemple dans les psychoses latentes ), peuvent entraîner (par prédominance des tendances destructrices), un dénouement fatal, tel qu'un suicide ou d'autres actions anormales qui sont comme « prédéterminées » dans le plan de l'existence de certains individus tarés.
Le traitement des névroses se propose de rétablir approximativement l'harmonie entre « conscient » et « inconscient ». On peut parvenir à ce but, on le sait, de manière bien diverse : par la pratique du « naturisme », par la P.71 méthode de persuasion, par l'éducation de la volonté, ou enfin par « l'analyse de l'inconscient ».
Les méthodes simples échouent souvent . C'est à ce moment d'incertitude que la fonction compensatrice des rêves apporte une aide bienvenue. Ce n'est pas que les rêves des hommes modernes indiquent directement les moyens thérapeutiques appropriés, comme cela est rapporté des rêves survenant au cours de l'incubation dans temple d'Esculape ; mais ils éclairent la situation du patient d'une manière qui peut favoriser considérablement le processus de guérison.
Ils rappellent des souvenirs, des réflexions, des événements vécus, ils éveillent des choses qui dormaient dans la personnalité et découvrent des traits inconscients dans les relations avec l'ambiance. C'est pourquoi il est rare qu'un sujet qui a la persévérance de se soumettre à ce travail qu'est l'analyse de ses rêves avec l'appui d'un spécialiste compétent ne voie pas son horizon s'élargir et s'enrichir. C'est précisément à la fonction compensatrice que l'analyse des rêves, conduite pertinemment, doit de découvrir de nouveaux points de vue et d'ouvrir de nouveaux chemins qui aident à sortir de l'angoissante stagnation.
Mais l'idée de « compensation » ne caractérise que de façon générale la fonction du rêve. Quand on contemple des séries comportant plusieurs centaines de rêves, ainsi que cela est le cas lors de traitements prolongés et difficiles, l'attention de l'observateur est attirée peu à peu par un phénomène qui, dans le rêve isolé, reste caché derrière la compensation. C'est une sorte de processus évolutif de la personnalité. Au début, les compensations apparaissent comme l'égalisation, chaque fois actuelle, d'attitudes unilatéraIes ou comme les contrepoids de certains déséquilibres momentanés. Avec du recul, une connaissance et une expérience plus approfondies montrent que ces actions compensatrices apparemment isolées obéissent à une sorte de plan. Elles semblent se relier l'une à l'autre et être soumises, dans un sens profond à un but comme, si bien qu'une longue série de rêves n'apparaît plus comme une succession purement fortuite d'événements isolés et incohérents, mais comme un processus de développement ou d'organisation, évoluant par étapes méthodiques. J'ai désigné ce phénomène inconscient, s'exprimant spontanément dans le symbolisme de longues séries de rêves, par le terme de processus d'individuation.
. je renvoie au tome II et à : Psychologie et Alchimie, .. une étude sur la structure des séries de rêves, avec mention spéciale du processus d'individuation.
.. l'analyse du rêve exige, entre autres qualités, un savoir spécifique. .. un profane intelligent, disposant de quelques connaissances psychologiques, d'une certaine expérience de la vie et d'un certain entraînement, est à même de diagnostiquer, de façon pratiquement exacte, la compensation incluse dans un rêve, je pense, par contre, qu'il lui est impossible de comprendre la nature du processus d'individuation qui est, .. , à la base de la compensation psychologique, sans avoir de solides connaissances dans les domaine de la mythologie, du folklore, de la psychologie des primitifs et de l'histoire comparée des religions.
Tous les rêves n'ont pas la même importance. . Si on les examine de plus près, les « petits» rêves sont les fragments de l'imagination courante de chaque nuit ; ils proviennent de la sphère subjective personnelle et trouvent une explication suffisante dans les faits de la vie quotidienne. C'est pourquoi on les oublie facilement, car leur validité ne dépasse pas les variations quotidiennes de l'équilibre psychique. Les rêves P.73 importants, en revanche, restent souvent toute la vie dans le souvenir, et il n'est pas rare qu'ils soient la gemme la plus précieuse du trésor où l'âme renferme les joyaux de ses expériences. . Parfois c'était le premier rêve dont ils se souvenaient et qui était survenu entre la troisième et la cinquième année de leur vie. .. ils diffèrent des autres rêves par une particularité. Ils contiennent, en effet, des formations symboliques que l'on rencontre aussi dans l'histoire de l'esprit humain, sans que le sujet qui rêve - c'est là le point crucial - soupçonne l'existence de ce parallèle. Cette particularité se retrouve aussi dans les rêves du processus d'individuation ; ils contiennent des motifs mythologiques, des mythologèmes que j'ai appelés archétypes. Ce terme désigne des formes spécifiques et des corrélations d'images, avec concordance qui se retrouvent non seulement à toutes les époques et dans toutes les zones, mais aussi dans les rêves individuels, dans les jeux de l'imagination, les visions et les idées délirantes. Leur apparition fréquente dans des cas individuels comme leur ubiquité ethnique prouvent que l'âme humaine est seulement pour une part actuelle, subjective et personnelle, et pour une autre part collective et objective.
C'est pourquoi nous parlons, d'une part, d'un inconscient personnel et, d'autre part, d'un inconscient collectif ; ce dernier représente une couche plus profonde que l'inconscient personnel, qui est proche du conscient. Les « grands » rêves, c'est-à-dire les rêves « importants », prennent leur origine dans cette couche profonde de l'inconscient collectif. Outre l'impression subjective qu'ils laissent, leur importance s'affirme déjà dans leur conformation plastique souvent pleine de puissance poétique et de beauté. De tels rêves surviennent, en général, à des moments décisifs de la vie, par exemple dans la première enfance, à la puberté, vers le milieu de la vie (trente-six, quarante ans) et à l'heure de la mort. Leur interprétation comporte souvent des difficultés considérables, parce que les matériaux associatifs que le rêveur peut livrer sont d'un faible secours. En effet les formations archétypiques ne se rapportent plus à des expériences personnelles, mais plutôt à quelque chose qui rappelle les idées générales, dont la signification principale réside dans leur sens intrinsèque caractéristique et non plus dans un rapport personnel quelconque ayant trait à des faits vécus par le sujet. Ainsi un jeune homme rêva d'un grand serpent qui montait la garde auprès d'une coupe en or, sous une voûte souterraine. II avait vu une fois, il est vrai, un serpent géant dans un jardin zoologique, mais il était incapable d'indiquer ce qui pouvait l'avoir incité à faire un pareil rêve, en dehors des réminiscences des contes de fées. A en croire ce contexte, le rêve ne devait avoir qu'une signification indifférente, alors qu'en fait il était accompagné d'affects des plus violents. Ce contexte était donc bien peu satisfaisant, puisqu'il ne rendait compte en rien de la tonalité émotionnelle vibrante. Dans un pareil cas, il faut recourir au thème mythologique, dans lequel le serpent ou le dragon, le trésor et la caverne représentent une des épreuves auxquelles doit se soumettre le héros. Dès lors, il apparaît clairement qu'il s'agit ici d'une émotion collective, c'est-à-dire d'une situation typique et pathétique qui n'est pas, en premier lieu, une expérience personnelle, qui ne devient vécue que secondairement ; à l'origine il s'agit d'un problème humain général, qui n'a pas encore frappé l'attention subjective et qui, pour ces motifs, se fraie par le rêve, de façon objective, un chemin jusqu'à la conscience.
Un homme dans la force de l'âge se sent encore jeune et éloigné de la vieillesse et de la mort ; mais vers trente-six ans environ, il dépasse le zénith de la vie sans avoir conscience de l'importance que cela revêt. Si c'est un homme dont la disposition intime et les dons ne tolèrent pas un degré trop poussé d'inconscience, il aura peut-être la P.75 chance de reconnaître l'importance de ce moment grâce à un rêve archétypique qui s'imposera à son esprit. C'est en vain qu'il essaiera, à l'aide d'un contexte personnel soigneusement élaboré, de comprendre le rêve, car celui-ci s'exprime en des formes étranges et mythiques dont le rêveur ignore la signification. Le rêve se sert de figures collectives parce qu'il a pour but d'exprimer un problème humain éternel, se répétant indéfiniment, et non point un déséquilibre personnel.
Tous ces moments de la vie individuelle, où les lois générales de la destinée humaine percent sous les intentions, les espoirs et les conceptions de la conscicnce personnelle, sont en même temps des stations du processus d'individuation. En effet, ce dernier est la réalisalion spontanée de l'homme total. L'homme, en tant que conscient de son moi, n'est qu'une partie de sa totalité vitale et son existence ne représente pas la réalisation de ce tout. Plus son moi est purement et simplement le moi, plus il se sépare de l'homme collectif qu'il est également, et plus il entre même en opposition avec lui. Mais, comme tout ce qui vit tend à l'unité, l'attitude inévitablement unilatérale de la vie consciente est constamment corrigée et compensée par les composantes essentielles de l'humaine condition, dans le but final d'intégrer l'inconscient dans le conscient, ou mieux d'assimiler le moi à une personnalité plus étendue.
Ces considérations sont inévitables si l'on veut comprendre ce que signifient les « grands » rêves. Ceux-ci, en effet, utilisent de nombreux thèmes mythologiques qui caractérise la vie du héros, cette personnalité humaine plus grande que celle du commun des mortels et de nature semi-divine. II s'agit d'aventures dangereuses, d'épreuves comme celles qu'on rencontre dans les initiations. Il y a des dragons, des animaux secourables et des démons. On y rencontre le Vieux Sage, l'Homme-Bête, le Trésor caché, l'Arbre magique, la Fontaine, la Caverne, les Jardins défendus par un haut mur, les Processus de transmutation et les Substances de l'Alchimie, toutes choses qui n'ont aucun point de contact avec les banalités de la vie quotidienne. La raison d'être de cette imagerie tient au fait qu'il s'agit de réaliser une partie de la personnalité qui n'a pas encore existé, qui se trouve seulement en train de devenir.
Si les rêves produisent des compensations si essentielles, pourquoi donc ne sont-ils pas compréhensibles ? . le rêve est un événement naturel ; or, la nature n'est nullement disposée à dispenser ses fruits en quelque sorte gratuitement et à les offrir à l'homme conformément à son attente. On prétend souvent que la compensation reste inefficace si le rêve n'est pas compris. Cela n'est pas certain, car il ya beaucoup de choses qui agissent sans qu'on les comprenne. Mais nous pouvons, sans aucun doute, augmenter considérablement l'efficacité par la compréhension, ce qui se révèle souvent nécessaire, parce que la voix de l'inconscient peut n'être pas entendue -« Quod natura relinquit imperfectum, ars perficit ! » (l'art parachève ce que la nature laisse inaccompli, ..)
.. le contenu essentiel de l'action onirique est une sorte de compensation nuancée pour une attitude unilatérale, erronée, déviée ou défectueuse de la conscience.
Une de mes malades hystériques, une aristocrate qui se croyait, à tort, infiniment distinguée, rencontrait en rêves une série de poissonnières sordides et de prostituées ivres. Dans les cas extrêmes, les compensations peuvent être si menaçantes que l'angoisse qu'elles suscitent entraîne l'insomnie.
Le rêve peut donc désavouer le sujet avec la pire cruauté ou à l'inverse le réconforter moralement d'une façon apparemment très charitable. Le premier cas se présente fréquemment chez les personnes ayant une trop bonne opinion d'elles-mêmes, comme la patiente qu'on vient de mentionner ; le second cas chez celles qui se croient trop humbles. Dans le rêve il peut arriver non seulement que l'orgueilleux soit humilié, mais aussi qu'il soit élevé à un rang invraisemblable, et par là confine au ridicule ; de même l'humble peut être humilié de façon invraisemblable .. . (En passant ainsi à l'extrême et à l'absurde, c'est en définitive le même effet compensateur qui sera atteint.) P.77
De nombreuses personnes .. tirent facilement la conclusion, par la suite tenace comme un préjugé, que le rêve vise effectivement un but moral, qu'il met en garde, réprimande, console, prédit, etc. Se persuadant aisément de l'omniscience de l'inconscient, elles se laissent volontiers entraîner à abandonner aux rêves l'initiative des décisions nécessaires, et elles sont d'autant plus déçues en constatant que les rêves deviennent de plus en plus insignifiants. L'expérience m'a montré que lorsqu'on a quelque connaissance de la psychologie du rêve, on a tendance à surestimer l'inconscient, ce qui nuit à la force de la détermination consciente. Or, il ne faut pas oublier que l'inconscient ne fonctionne de façon satisfaisante que lorsque la conscience remplit sa tâche jusqu'aux limites du possible. Quand il en aura été ainsi, le rêve pourra peut-être pourvoir à ce qui manque encore ou venir en aide alors que les meilleurs efforts ont échoués. Si l'inconscient était effectivement supérieur à la conscience, on ne verrait pas bien en quoi consisterait l'utilité de celle-ci, on se demanderait même pourquoi le phénomène de conscience a fait nécessairement apparition cours de l'évolution phylogénétique. .
En explorant la psychologie du rêve, nous rencontrons des problèmes philosophiques et même religieux d'une portée considérable, problèmes à la compréhension desquels le phénomène du rêve a apporté des contributions décisives. Nous ne sommes pas en droit, néanmoins, de nous vanter, dès aujourd'hui, de posséder, de ces faits difficiles à intrepréter une théorie ou une explication qui soit satisfaisante à tous points de vue. C'est que nous ne connaissons pas encore suffisamment la nature de l'âme inconsciente. . P.79

CHAPITRE V PSYCHOTHÉRAPIE PRATIQUE

FONDEMENTS GÉNÉRAUX Les séries oniriques et le thématisme psychologique.

La psychothérapie . s'est révélée, petit à petit, être dans un certain sens un procédé dialectique, c'est-à-dire un dialogue, ou une discussion entre deux partenaires. La dialectique était originairement l'art de la conversation chez les philosophes antiques, mais de bonne heure on désigna par ce terme un procédé servant à la création de nouvelles synthèses. Une personne forme un système psychique, qui, dans le cas où elle influence une autre personne, entre en interaction avec un deuxième système psychique. . obligation .. de convenir qu'il était possible de soumettre à des interprétations divergentes les mêmes matériaux d'expérience. Différentes écoles se développèrent . Chacune de ces méthodes repose sur des présupposés psychologiques particuliers et obtient ses résultats psychologiques propres, qu'il est difficile et souvent presque impossible de comparer. .
Si l'on s'efforce d'apprécier objectivement ces faits en apparence contradictoires, on est obligé de constater qu'il faut conférer à chacune de ces méthodes et à chacune de ces théories une certaine légitimité ; . situation comparable à celle de la physique moderne, qui possède deux théories contradictoires de la lumière. La physique ne juge pas cette contradiction insurmontable ; . P.81
La psyché étant de nature infiniment plus compliquée que la lumière, on a besoin de nombreuses antinomies pour décrire, .. l'essence du psychique. .. formuler une des antinomies fondamentales par la proposition suivante : La psyché dépend du corps et le corps dépend de la psyché. .
L'existence de contradictions valables prouve que l'objet étudié offre des difficultés peu communes à l'esprit de recherche et que, .. , on ne saurait émettre, provisoirement que des opinions de valeur relative. L'opinion émise n'est recevable que dans la mesure où l'on indique à quel système psychique on s'est référé .
. la psychothérapie un cas privilégié de dialectique, ce qui souligne .. que l'influence psychique exercée procède d'une interaction de deux systèmes psychiques. L'individualité des sytèmes psychiques étant variable à l'infini, il en résulte une variabilité infinie des opinions émises, relativement valables. Si l'individualité était d'une unicité totale, c'est-à-dire si un individu était foncièrement différent de n'importe quel autre, la psychologie, en tant que science, serait une impossibilité ; .. Mais comme l'individualité n'est que relative, comme elle n'est que complémentaire de la conformité et de la similitude des hommes, cet état de choses rend possibles des affirmations de valeur générale, c'est-àdire des constatations scientifiques.
. Le second principe contradictoire et fondamental de la psychologie serait donc : l'individuel ne signifie rien dans la perspective du général et le général ne signifie rien dans la perspective de l'individuel. .
Le praticien se trouve en face de son malade « en situation », dans une situation où il est facilement tenté de se percevoir en tant qu'autorité médicale ; si dans cette situation relationnelle il prétend, abusé par cette soi-disant autorité, connaître l'individualité qui lui fait vis-à-vis et pouvoir exprimer à son sujet des jugements valables, il témoigne ainsi tout au plus de son absence de sens critique, car il n'est nullement en état de juger de la personnalité globale de son partenaire. .
Mais comme le vivant ne se présente jamais qu'en des formes individuelles et comme je ne puis juger de l'individualité d'autrui qu'à travers ce que j'ai trouvé dans ma propre individualité, je suis exposé au danger ou bien de violenter mon vis-à-vis, ou bien d'être victime de la suggestion qui émane de lui. Le praticien doit donc bon gré mal gré, dans la mesure même où il désire réellement traiter psychiquement un être individuel, renoncer à toute prétention de savoir préalable et infaillible, à toute autorité, à toute volonté d'influence, qu'elle soit massive et délibérée ou, pire P.83 encore, inconsciente et insidieuse. Il va falloir nécessairement s'engager dans un procédé dialectique qui consiste en une comparaison des données respectives. Cette confrontation, cependant, ne sera possible que si le praticien donne à son patient l'occasion de décrire, aussi complètent que faire se peut, ses matériaux sans les avoir au préalable enserrés dans l'étroitesse de ses propres présupposés, personnels ou professionnels. Grâce à cette description le système psychologique du malade entre en relations avec celui du praticien, ce qui n'est pas sans exercer une certaine influence sur ce dernier. Cet effet est l'unique réponse dont le praticien puisse, d'un point de vue individuel et en toute légitimité, faire acte en face de son malade.
Ces réflexions de principe doivent entraîner une attitude au moins implicite et très particulière du thérapeute, qui me paraît indispensable dans tous les cas de traitement individuel, .. Tout comportement qui s'en, écarte tombe par le fait même dans la thérapeutique suggestive dont le principe peut s'énoncer : « L'individuel ne signifie rien dans la perspective du général ». Appartient donc à la thérapeutique suggestive toute méthode qui prétend disposer d'un savoir sur autrui, et qui, pour l'appliquer, va interpréter l'individualité à traiter en fonction de ce savoir. . Dans la mesure où la thèse de l'insignifiance de l'individu constitue une vérité, les méthodes suggestives, les procédés techniques et les présupposés théoriques de quelque nature qu'ils soient sont parfaitement possibles et garantissent des succès sur l'homme pour autant qu'il relève de l'humaine condition ; . Les mouvements politiques eux-mêmes peuvent avec un certain droit prétendre être des psychothérapies à grande échelle ! De même qu'une déclaration de guerre guérit certaines névroses obsessionnelles, de même que certains lieux miraculeux ont pu depuis toujours faire disparaître des syndromes névrotiques, de même les mouvements de masse plus ou moins considérables peuvent avoir une action curative sur l'individu.
. Le Mana est une force médicinale ou curative universellement répandue qui rend productifs les hommes, les bêtes et les plantes et qui confère la puissance magique aux chefs et aux Medicine-men. La notion de Mana, .. incarne ce qui est extraordinairement agissant, ce qui est absolument impressionnant. Tout ce qui est impressionnant est donc « médecine» à l'échelon primitif. (Cf. Guérisseurs Philippins) .. les vertus et les dons sont essentiellement des distinctions individuelles qui ne sont pas l'apanage de l'homme en tant qu'espèce. C'est pourquoi les foules humaines sont toujours portées à une psychologie grégaire, à la Stampede aveugle, à des réactions de populace, faites de brutalité épaisse et de sensiblerie hystérique. L'homme collectif a des qualités primitives et c'est pourquoi il doit être traité par des méthodes techniques. . A ce point de vue le vieil hypnotisme ou le magnétisme animal, .. ont été du même secours que de nos jours une analyse techniquement irréprochable ou qu'un traitement d'amulettes par un medicine-man, .. Ce qui importe, c'est la méthode à laquelle croit le thérapeute dans chaque cas d'espèce. Sa croyance à la méthode qu'il applique est déterminante. S'il y croit vraiment il fera son possible pour son malade avec sérieux et persévérance P.85 ; ses efforts accomplis librement et son dévouement auront une efficacité curative dans les limites du domaine psychique où 1'homme collectif jouit de suzeraineté.
.. l'antinomie qui oppose l'individuel au général.
Cette antinomie n'est pas seulement un critère philosophique, c'est aussi un critère psychologique, car il existe d'innombrables êtres qui, non seulement, sont collectifs pour l'essentiel mais dont l'ambition particulière est de n'être rien d'autre que collectifs. Cela correspond d'ailleurs aux tendances courantes de l'éducation qui volontiers considèrent comme synonymes les notions d'individualité et d'anarchie. Dans ce cadre l'individuel se trouve opprimé, minimisé et refoulé et les névroses qui s'y rencontrent révèlent comme causes psychologiques des tendances et des contenus individuels. Il existe aussi, .. , une « surestimation de l'individuel » qui fait sienne l'antithèse : « Le général ne signifie rien dans la perspective de l'individuel. » On peut par suite partager les psychonévroses d'un point de vue psychologique ( et non pas clinique) en deux grands groupes ; l'un renferme les êtres collectifs dont l'individualité est insuffisamment développée, l'autre les individualistes dont l'adaptation collective est demeurée atrophique. Selon ces deux groupes .., il faut envisager deux attitudes thérapeutiques opposées : .. il ne saurait exister d'autre voie de guérison pour un individualiste névrosé que de l'aider à reconnaître l'homme collectif qui sommeille en lui et la nécessité de l'adaptation collective ; il est par suite justifié de l'aider à revenir à l'échelon où les vérités collectives sont valables. D'autre part, l'expérience psychothérapeutique connaît cet être collectivement adapté, qui possède tout et qui fait tout ce que l'on peut exiger raisonnablement comme garantie de santé et de normalité, et qui est cependant malade. Ce serait une faute de l'art, qui pour être grave n'en est pas moins fréquemment commise, de prétendre normaliser des êtres de cette sorte, c'est-à-dire de vouloir les ramener au niveau moyen. Cela reviendrait .. à détruire tout ce qui en eux est germe et promesse de développement individuel.
Puisque l'individuel, .. représente l'unicité, l'imprévisible et l'ininterprétable absolu, le thérapeute en face de lui doit renoncer à tous ses présupposés et à toutes ses techniques et se borner à un procédé purement dialectique, c'est-à-dire à une attitude qui sait se dépouiller de toute méthode.
. Le thérapeute n'est plus le sujet agissant mais un co-participant à un processus de développement individuel.
. les analystes aussi possèdent des complexes qui agissent comme autant de taches aveugles, déterminant autant de conduites préjudicielles. Le psychothérapeute est acculé à cette conclusion dans tous les cas où il ne parvient plus à interpréter les matériaux de son malade ou à guider celui-ci du haut de quelque chaire ou de quelque tour d'ivoire, indépendamment de sa propre personnalité, mais où il est contraint de remarquer que ses idiosyncrasies ou son attitude particulière entravent l'évolution du malade, entravent sa guérison. Pour le plus grand dommage du malade, le praticien P.87 .. , par une sorte d'inertie psychique, s'efforçait d'empêcher son sujet de prendre conscience de tout ce dont, désireux de ne pas se l'avouer et de ne pas en convenir lui-même, il n'avait pas une claire connaissance. L'exigence selon laquelle l'analyste doit lui-même être analysé atteint sa culmination dans la conception de l'analyse en tant que procédé dialectique, au sein duquel l'analyste entre en relation avec un autre système psychique, questionnant autant que répondant, non plus dans l'attitude d'un supérieur, d'un devin, d'un juge ou d'un conseiller, mais participant tout autant au processus dialectique que .. le patient.
L'idée du procédé dialectique a une autre source dans l'interprétabilité multiple des données symbo1iques. Silberer a distingué les deux interprétations psychoanalylique et anagogique, dites encore analytico-réductive et synthético-herméneutique. (De Hermenenein=interpréter). Montrons ce qu'il faut entendre par là grâce à l'exemple de ce qu'on appelle la fixation infantile à l'imago parentale, qui est une des sources les plus importantes des données symboliques. La conception analytico-réductive affirme que, dans ce phénomène, l'intérêt (appelé (Libido) inverse son cours et remonte vers des matériaux et des réminiscences infantiles où il se fixe, dans la mesure où il s'en est jamais libéré. La conception synthétique ou anagogique au contraire prétend qu'il s'agit de parcelles de la personnalité capables de se développer, se trouvant encore dans un état infantile, en quelque sorte dans le giron maternel. On peut montrer que les deux interprétations sont exactes. On pourrait presque dire qu'elles reviennent au même. Dans la pratique cependant il en résulte une différence énorme, selon que le praticien interprète dans un sens régressif ou dans un sens progressif. Ce n'est pas chose simple dans chaque cas d'espèce de trouver la perspective juste .. La constatation qu'il existe des contenus essentiels qui indubitablement ne sont pas univoques a montré ce que l'application insouciante de théories et de méthodes pouvait avoir de scabreux et a ainsi contribué à faire naître le procédé dialectique, à côté des méthodes suggestives .
. Le vieil hypnotisme et la thérapeutique suggestive .. savaient déjà que l'effet curatif dépendait d'une part de ce qu'on appelait le rapport - dénommé « transfert » .. d'autre part de la force persuasive et entraînante qui émanait de la personnalité du médecin. Dans la relation médecin-malade, nous assistons .. à la confrontation, sous de multiples faces, de deux systèmes psychiques .. dans la mesure où l'individualité représente un fait irréductible, la relation médecin-patient comporte un processus dialectique.
. P.89
.. le médecin .. espérer que sa personnalité est suffisamment stable pour pouvoir servir de point de repère à son malade. Il lui faut envisager sérieusement .. qu'il est possible que la personnalité du malade puisse être, à l'occasion, supérieure à la sienne par l'intelligence, le cour, l'étendue et la profondeur.
.. c'est la règle suprême du procédé dialectique d'accorder à l'individualité du malade la même dignité et les mêmes droits à l'existence qu'à celle du médecin ; .. les différentes phases du développement du malade doivent être considérées comme valables, pour autant qu'elles ne se corrigent pas les unes les autres. Dans la mesure où un être serait purement collectif, la suggestion peut avoir prise sur lui et le transformer au point qu'il paraisse tout différent de ce qu'il était au préalable. Mais, dans la mesure où il est individuel, il ne peut parvenir qu'à ce qu'il est et qu'à ce qu'il fut toujours en puissance. Dans la mesure où la « guérison » signifie qu'un être malade va se changer en un être bien portant, la guérison comporte donc une transformation. Là où cela est possible, c'est-à-dire là où les circonstances n'exigent pas un trop grand sacrifice de personnalité, il est bon, dans une perspective collective, de transformer le malade thérapeutiquement. Mais lorsqu'un patient se rend compte que la guérison, grâce à une transformation, exige un trop grand sacrifice de personnalité, le médecin peut et doit renoncer à la transformation et ainsi semble-t-il à l'ambition de guérir : placé devant cette alternative, ou bien le médecin doit refuser d'intervenir ou bien il ne peut que se résoudre à faire appel au procédé dialectique. .
.. le médecin ne doit préjuger en rien de la voie de guérison individuelle, qui, .. , doit rester totalement libre ; la guérison n'entraînera alors aucune transformation hétérogène de la personnalité ; il se produira un processus que j'ai nommé processus d'individuation, c'est-à-dire que le malade deviendra ce qu'il est au tréfonds de lui-même. Dans le pire des cas, il se résoudra, ayant compris le sens de sa maladie, à s'en accommoder. Plus d'un malade m'a avoué avoir appris à être reconnaissant à ses symptômes névrotiques, ceux-ci lui indiquant, comme un baromètre, quand et où il s'écartait de sa voie individuelle ou lorsqu'il laissait inconscientes et négligées des choses importantes.

. manifestation de l'inconscient. C'est ce dernier qui, au cours du processus individuel de développement, s'installe au premier plan de l'intérêt. II faut en chercher le motif profond dans le fait que l'attitude de la conscience en mal de névrose est une attitude contre nature, totalement unilatérale, et que seuls peuvent l'équilibrer des contenus compensateurs et complémentaires de l'inconscient. P.91 .. l'inconscient a dans ce cas une signification particulière en tant qu'il corrige l'unilatéralité de la conscience ; .. la nécessité de prendre en considération les points de vue et les suggestions proposés par les rêves, suggestions qui doivent remplacer les régulateurs collectifs en faillite, à savoir les conceptions traditionnelles, les habitudes, les préjugés de nature intellectuelle et morale. La voie individuelle est astreinte à la connaissance des lois inhérentes à l'individu, sinon les opinions arbitraires du conscient induisent l'individu en erreur et le détachent de la terre nourricière des instincts individuels.
.. il semble que la poussée vitale qui s'exprime dans l'édification et dans la mise en forme individuelle d'un être vivant crée ou constitue elle-même dans l'inconscient un processus qui se décrit, à mesure qu'il se présente partiellement à la conscience, dans une suite d'images comparables aux thématisme d'une fugue. Les personnes douées d'une aptitude naturelle à l'introspection sont en état de percevoir sans trop de difficultés au moins des parcelles de cette suite autonome ou indépendante d'images, la plupart du temps sous forme d'impressions et d'imaginations visuelles ; elles se leurrent d'ailleurs fréquemment, pensant s'être donné ces imaginations, alors qu'en réalité elles ont jailli spontanément dans leur esprit. Ce caractère involontaire ne peut plus être nié lorsque le fragment imaginatif, .. , acquiert un caractère obsédant : ainsi d'une mélodie qui vous poursuit, de représentations phobiques ou de tics de valeur symbolique. Ce sont les rêves qui se rapprochent le plus des suites inconscientes d'images et qui, lorsqu'on en étudie des séries suffisamment longues, laissent entrevoir de façon souvent étonnamment transparente la continuité du courant de l'imagerie inconsciente. La continuité se révèle dans la répétition de ce qu'on peut appeler des motifs thématiques. Ceux-ci peuvent se rapporter à des personnes, des animaux, des objets ou des situations. Cette continuité, .. donnée essentielle, se traduit par le fait que sans cesse resurgit un motif de cette sorte dans une série onirique assez longue.
Dans une série onirique .. répartie sur une durée de deux mois, le motif de l'eau se présenta vingt-six fois. .. :

1er rêve : une lame de fond envahit les terres.
2e rêve : contemplation d'une mer calme, unie comme un lac.
3e rêve : le rêveur se trouve sur un rivage et regarde pleuvoir sur la mer.
4e rêve : un voyage en mer est évoqué indirectement par une expédition en terre lointaine.
5e rêve : voyage de Suisse en Amérique.
6e rêve : de l'eau est versée dans une cuvette.
7e rêve : le rêveur contemple l'étendue infinie de la mer au lever du soleil.
8e rêve : le rêveur est en bateau.
9e rêve : voyage vers une terre lointaine et sauvage.
10e rêve : le rêveur est à nouveau en bateau.
11e rêve : il descend le cours d'un fleuve.
12e rêve : il suit le bord d'un ruisseau.
13e rêve : il se trouve sur un navire.
14e rêve : il entend une voix qui lui crie : « C'est là-bas la route de la mer, il nous faut aller au bord de la mer. »
15e rêve : il se trouve sur un bateau qui fait route vers l'Amérique.
16e rêve : il est à nouveau sur un bateau.
17e rêve : il se dirige en auto vers un bateau.
18e rêve : à bord d'un navire, il fait le point.
19e rêve : il voyage le long du Rhin.
20e rêve : il est dans une île en mer.
21e rêve : il est à nouveau sur une île.
22e rêve : il descend avec sa mère le cours d'un fleuve.
23e rêve : il est au bord de la mer.
24e rêve : il recherche un trésor caché dans les profondeurs des mers.
25e rêve : son père l'entretient de la terre d'où provient l'eau. P.93
26e rêve : enfin, il descend le cours d'une petite rivière qui se jette dans un fleuve.

Cet exemple illustre la continuité du thème inconscient .. Grâce à des comparaisons multiples on parvient à établir ce qu'indique, au fond, le motif de l'eau. . la mer représente régulièrement un lieu où converge et d'où diverge toute la vie psychique, ce que j'ai appelé l'inconscient collectif. L'eau mouvante évoque le courant vital et le flux de l'énergie. Toutes les idées qui se trouvent à la base des motifs constituent des représentations imagées de caractère dit archétypique, c'est-à-dire des images originelles symboliques à partir desquelles l'esprit humain s'est édifié et différencié. Ces images originelles sont difficilement définissables pour ne pas dire vagues. Les concevoir de façon trop étroite ou trop intellectuelle revient à restreindre leur ampleur naturelle. Il ne s'agit pas de concepts scientifiques, dont on est en droit d'exiger une précision univoque, mais de visions originelles de l'esprit primitif caractérisées par une universalité souveraine, qui ne désignent jamais quelques contenus particuliers, mais dont toute la portée réside dans leur richesse relationnelle. .
Au cours des séries oniriques prolongées, il est fréquent que différents motifs se relaient les uns les autres. Ainsi, à partir du dernier rêve cité, le motif de l'eau passa petit à petit à l'arrière-plan en faveur d'un motif nouveau, celui de la femme inconnue. .
Ce motif présente une phénoménologie intéressante .. exposer grâce à une série onirique qui s'est étendue sur trois mois. .. le motif n'est pas apparu moins de cinquante et une fois. Il s'agissait tout d'abord d'une pluralité de formes féminines indéterminées ; puis de la stature incertaine d'une femme assise sur un escalier. Elle apparut alors voilée et lorsqu'elle enleva son voile son visage resplendit comme le soleil. Elle apparut ensuite sous forme de femme nue vue de dos, debout sur un globe. Elle se scinda ensuite à nouveau en une pluralité de nymphes dansantes, qui se transformèrent en prostituées atteintes de maladies vénériennes. Un peu plus tard l'inconnue apparaît dans un bal et le rêveur lui glisse de l'argent. Puis elle est syphilitique. A partir de ce moment au motif de l'inconnue se joint le motif du dédoublement que .. l'on rencontre également dans les rêves. Une sauvage .. se dédouble. Elle devait être faite prisonnière, mais elle est en même temps cette femme nue et blonde qui se tenait sur le globe, ou une jeune fille ayant un capuchon rouge, ou une nurse, ou une vieille femme. Elle est fort dangereuse, membre d'une bande de brigands ; elle n'est pas tout à fait humaine mais a quelque chose d'une idée abstraite. Elle est un guide féminin qui conduit le rêveur sur une haute montagne. Mais elle est aussi un oiseau, quelque chose de semblable à un marabout ou à un pélican. Elle veut s'approprier un homme. Elle est la plupart du temps blonde et fille d'un coiffeur, mais possède aussi une brune sour hindoue, qui est manifestement son ombre. Sous la forme de guide blonde de montagne, elle explique au rêveur qu'une partie de l'âme de sa sour lui appartient. Elle écrit une missive au rêveur, mais elle est la femme d'un autre. Elle ne parle pas et on ne lui adresse pas la parole. Sa chevelure est tantôt noire, tantôt blanchie. Elle a des imaginations singulières, inconnues du rêveur. Peut-être est-elle la femme inconnue de son père, mais non sa mère. Elle prend avec lui un avion qui s'écrase au sol. Elle est une voix qui se métamorphose en femme. Elle explique au rêveur qu'elle est un tesson, un fragment, voulant indiquer probablement qu'elle est une parcelle d'âme. Elle a un frère prisonnier à Moscou. P.95 Sous son aspect obscur et vil, elle est une servante sotte, dont il faut se méfier. L'inconnue apparaît fréquemment dédoublée sous la forme de deux femmes qui accompagnent le rêveur dans une excursion à la montagne. La guide blonde de montagne lui apparaît une fois en vision. Elle lui apporte du pain, s'occupe d'idées religieuses, connaît la voie qu'il devrait faire sienne ; il la rencontre dans une église sous les traits d'un guide spirituel. Elle semble sortir d'une caisse obscure, et de chien peut devenir femme. Une fois elle est même un singe. Le rêveur dessine .. son portrait en rêve ; mais ce qui apparaît sur le papier est un idéogramme abstrait et symbolique, indiquant principalement la trinité, autre motif qui se présente fréquemment dans les rêves.
Le motif de la femme inconnue désigne ainsi une figure inconsciente de caractère contradictoire à l'extrême et qu'il est impossible, en fait, de rapporter à un être féminin normal. C'est bien davantage un être fabuleux qui se trouve décrit, une espèce de fée au caractère singulièrement chatoyant. Il existe, .. , de bonnes et de méchantes fées, qui peuvent également se métamorphoser en animaux, se rendre invisibles, être d'un âge indéterminé, tantôt jeunes, tantôt âgées ; leur nature est plus proche de celle des elfes que de celle des hommes, avec tous les caractères des âmes parcellaires, séduisantes, dangereuses et douées d'un savoir supérieur.
.. ce motif est identique aux représentations parallèles de la mythologie, où nous rencontrons cet être elfique sous toutes sortes de formes .. ce monde fabuleux des mythes n'est autre chose qu'une création de toutes pièces de la fantaisie inconsciente, exactement comme le rêve ! Il est fréquent que ce motif de la femme inconnue succède à celui de l'eau. De même que l'eau évoque en général l'inconscient, de même la figure de la femme inconnue est une personnification de l'inconscient, .. désignée .. anima. Cette figure ne se rencontre en principe que chez les hommes et elle ne se met à paraître de façon claire que lorsque les propriétés de l'inconscient commencent à devenir problématiques pour le malade. Chez l'homme, l'inconscient a un indice féminin chez la femme un indice masculin ; .
.. tous les motifs qui surgissent au cours du processus d'individuation, c'est-à-dire à partie du moment où les matériaux du malade ne se laissent plus réduire à des présupposés généraux, valables seulement pour l'homme collectif. Il existe de nombreux motifs, que nous rencontrons également, sans exception, dans la mythologie. .. le développement psychique individuel produit tout d'abord quelque chose qui ressemble étrangement au monde fabuleux des anciens. Il est, par suite, parfaitement compréhensible qu'on ait l'impression que le chemin individuel régresse vers la préhistoire humaine, qu'il prend à rebours l'histoire du développement spirituel, qu'il se passe quelque chose de fort incongru, susceptible de contrecarrer l'intervention thérapeutique. Car on assiste à des choses semblables dans les perturbations psychotiques, en particulier dans la forme paranoïde de la schizophrénie qui grouille, à formations mythologiques. L'appréhension qu'il puisse s'agir d'un développement faussé, conduisant dans un monde imaginatif morbide et chaotique, est toute proche. Un pareil développement peut devenir dangereux, chez un être dont la personnalité sociale est d'une stabilité douteuse ; toute intervention psychothérapeutique peut d'ailleurs, à l'occasion, se heurter à une psychose latente et du même coup la faire passer à l'état floride. Jouer en dilettante et hors de toute critique avec les méthodes psychothérapeutiques, c'est donc jouer avec le feu et c'est formellement à déconsei1ler. Cela devient particulièrement dangereux lorsque la couche mythologique de la psyché se trouve mise à nu ; car ses contenus exercent en règle générale une fascination P.97 étonnante sur le malade ; cette fascination explique la puissante influence des représentations mythologiques sur l'humanité.
Il semble ici que le processus de guérison mobilise ces forces pour ses propres buts. Les représentations mythologiques avec leur symbolique singulière plongent dans la profondeur de l'âme humaine, dans des soubassements historiques auxquels ne parviennent jamais ni notre raison, ni la volonté, ni les bonnes intentions ; ces représentations mythologiques en effet proviennent de ces mêmes profondeurs et parlent une langue qui, pour ne pas être comprise par notre raison actuelle, n'en fait pas moins vibrer ce qu'il y a de plus intérieur dans l'homme. Ce qui pourrait nous effrayer à titre de régression représente un « reculer pour mieux sauter », une réunion et une intégration de forces qui, dans le cours du développement, vont susciter un nouvel ordre.
La névrose a cet échelon est essentiellement un mal de l'âme .. C'est pourquoi il est fréquent de voir des psyhotérapeutes chercher refuge en dernière analyse, .. dans l'une .. des religions ou des confessions existantes. .. ces tendances .. reposent sur un instinct très sûr puisque les religions actuelles renferment encore les restes vivants des âges mythiques. Jusqu'à la profession de foi politique qui a recours, à l'occasion, à la mythologie, comme le prouvent la croix swastika, .. Ce n'est pas seulement le christianisme avec sa symbolique du salut mais bien toutes les religions sans exception, jusqu'aux formes magiques des religions primitives, qui constituent des psychothérapies, qui traitent et guérissent les souffrances de l'âme et les maux du corps d'origine psychique. . Lorsque certains médecins donc ont recours aux représentations mythiques de quelque religion, ils agissent en accord avec le sens historique. Mais ils ne peuvent le tenter qu'avec les patients pour lesquels les restes mythiques inclus dans les religions sont encore vivants. . Lorsque je soigne des catholiques pratiquants, j'attire toujours leur attention sur la confession et les moyens de grâce qu'offre l'église. . dans tous ces cas là, je m'abstiens d'employer le procédé dialectique, car il serait dénué de sens de pousser un développement individuel au delà des besoins du malade. Si le malade parvient à trouver le sens de son existence et la guérison de son instabilité et de sa désunion dans le cadre d'une forme déjà existante de profession de foi - y compris la profession de foi politique - le médecin a tout lieu de s'en satisfaire : c'est du malade qu'il doit se soucier en première ligne et non pas de ce qu'il advient du nouveau bien portant.
Cependant, il existe de nombreux patients qui ignorent toute conviction religieuse .. Ces cas, en principe, sont réfractaires à toute espèce de conversion. . Dans ces cas il ne reste P.99 d'autre ressource que de s'atteler au développement dialectique des matériaux mythiques, qui sont vivants dans le malade lui-même, au delà de toute tradition historique. . L'âme est un domaine à part avec ses lois propres. .. Le psychique doit être reconnu, .. comme un phénomène sui generis. .
. quand on se demande simplement pourquoi certaines situations vitales ou certaines expériences sont pathogènes, on découvrira que la conception que se forge le sujet en présence d'une situation donnée joue un rôle déterminant dans cette pathogénie.
Certaines choses paraissent dangereuses ou impossibles ou nuisibles, parce que quelque conception est là aux aguets, qui les fait apparaître dans la tonalité correspondante. Pour certaines personnes, par exemple, la richesse est qualifiée de bien suprême et la misère de plus grand des fléaux, quoique la richesse ne soit pour personne le bonheur suprême, ni la pauvreté une cause de dépression mélancolique. Mais on est sous l'emprise de ces conceptions, et ces conceptions sont motivées par certains présupposés spirituels, par exemple par ce qu'on appelle « l'esprit du temps », ou par certaines convictions religieuses ou irréligieuses. Celles-ci jouent souvent, .. dans les conflits moraux, un rôle déterminant. Dès que l'analyse de la situation psychique d'un patient touche au domaine de ces présupposés spirituels, on se trouve au beau milieu de l'empire des idées générales. Le fait que tant d'êtres normaux ne critiquent jamais leurs présupposés spirituels .. ne prouve nullement que ceux-ci soient valables ou présents, ne serait-ce qu'inconsciemment, chez tous les hommes, ou encore qu'ils ne puissent devenir la source des plus graves cas de conscience. Les préjugésgénéraux hérités d'une part, la désorientation morale et relative à la conception des choses d'autre part, constituent souvent, .., les raisons profondes de perturbations accusées de l'équilibre psychique. A des malades de cette sorte le médecin n'a absolument rien à offrir, sinon la possibilité d'un développement spirituel individuel. Ce sont d'ailleurs ces cas qui obligent le spécialiste à élargir considérablement ses connaissances .. afin de pouvoir rendre justice au symbolisme des contenus psychiques.
.. grave péché d'omission si mon exposé donnait l'impression que cette thérapeutique .. n'exige rien qu'un vaste savoir. La différenciation morale de la personnalité médicale est tout aussi importante. . P.101 .. Un psychothérapeute qui est lui-même un névrosé soignera immanquablement sa névrose à lui chez son patient. . dans le domaine du procédé dialectique .. le médecin est contraint de sortir de son anonymat et de rendre compte de lui-même, tout comme il l'exige de la part de son patient. Je ne sais quelle est la plus grande difficulté, d'acquérir le savoir suffisant, ou de parvenir à renoncer à son autorité et à son anonymat professionnels. .
De même que le médecin, .. , est exposé aux infections .. , de même le psychothérapeute risque les infections psychiques qui ne sont pas moins dangereuses. Ainsi d'une part, il court le danger fréquent de se trouver impliqué et empêtré dans la névrose de son malade, et d'autre part, s'il se ferme de façon exagérée à l'influence de son patient, il se prive de toute efficacité thérapeutique. C'est ainsi entre Charybde et Scylla que se situe le risque, mais aussi la possibilité de l'effet curatif.
. Les cas les plus simples sont ceux qui n'ont besoin que d'un peu de sens commun et d'un bon conseil. . Puis viennent les malades dont la guérison ne nécessite qu'une confession, qu'une abréaction, plus ou moins poussée. Les névroses graves exigent en général une analyse réductive de leurs symptômes et de leurs états. .. c'est la nature du cas qui décidera si l'analyse doit avoir lieu surtout dans les perspectives de Freud ou surtout dans celles d'Adler. Saint Augustin distingue deux péchés capitaux : l'un est la concupiscentia, la convoitise, et l'autre la superbia, l'orgueil. Le premier correspond au principe freudien du plaisir et le deuxième à la volonté de puissance et de supériorité d'Adler. .. deux groupes humains manifestant des exigences différentes : ceux dont la caractéristique est la recherche infantile du plaisir se préoccuperont pour la plupart plus de la satisfaction des désirs et des instincts incompatibles que du rôle social qu'ils pourraient jouer ; ce seront fréquemment des personnes bien situées, même favorisées par le succès, qui socialement parlant sont arrivées. Ceux en revanche qui veulent « dominer » sont la plupart du temps des êtres qui sont en réalité dans une situation inférieure ou qui, à tout le moins, s'imaginent ne pas jouer le rôle auquel la vie les appelait. Ce sont fréquemment des hommes dont l'adaptation sociale se heurte à des diffIcultés et qui tentent de draper leur infériorité dans des fictions de puissance. . Lorsqu'on est en présence de personnes cultivées, la décision est facile à prendre. Je recommande aux patients de lire quelque chose de Freud et quelque chose d'Adler. En général ils trouvent rapidement d' eux-mêmes celui des deux qui leur convient le mieux.
Tant qu'on se meut dans le domaine de la psychologie névrotique proprement dite il est impossible de se passer des points de vue tant freudiens qu'adlériens.
Cependant, quand l'analyse commence à devenir monotone et que des répétitions se manifestent, annonçant, à qui juge sans parti pris, qu'on a atteint une stagnation, ou quand apparaissent des contenus mythologiques dits archétypiques, P.103 il est temps d'abandonner le traitement analytique et réductif et de traiter les symboles de façon anagogique et synthétique, c'est-à-dire d'employer le procédé dialectique, qui achemine vers l'individuation.
Les méthodes d'influence, dont font également partie les méthodes analytiques réclament que l'on voie le malade aussi fréquemment que possible. . Une fois qu'on a pu atteindre la phase du traitement synthétique il y a avantage à espacer les consultations. .. le malade devant apprendre à trouver lui-même son chemin. Cela signifie tout d'abord qu'il doit chercher lui-même à comprendre ses rêves, afin que les contenus de l'inconscient soient intégrés de façon progressive à la conscience : tant il est vrai que le motif de la névrose provient de l'opposition entre l'attitude consciente et la tendance inconsciente. Cette dissociation sera surmontée grâce à l'assimilation des contenus de l'inconscient. Le temps entre les consultations ne s'écoulera donc pas sans profit. . en outre, il apprend ainsi à s'appuyer sur lui-même au lieu de s'agripper au médecin.
Le travail que le patient effectue par une assimilation progressive des contenus de l'inconscient le conduit en définitive à l'intégration de sa personnalité et ainsi à la suppression de la dissociation névrotique. .

CHAPITRE VI MOYENS ET BUTS DE LA PSYCHOTHÉRAPIE

Le dessin comme facteur de l'auto-évolution de l'être.

. Je me suis toujours senti attiré par la confrontation des opinions et la recherche des perspectives d'ensemble. A longue je n'ai jamais réussi à me fermer à ce que peuvent avoir respectivement de justifié des opinions divergentes. De telles opinions n'auraient jamais vu le jour et n'auraient jamais pu réunir leur cohorte d'adhérents si elles ne correspondaient pas à une psychologie particulière, à un certain tempérament, à une donnée psychique de base plus ou moins répandue. Répudier une de ces opinions .. ce serait nier ce tempérament particulier, cette donnée spécifique . L'écho d'approbation que Freud a éveillé par sa théorie sexuelle, « causaliste », des névroses et par son opinion que l'activité psychique est centrée pour l'essentiel sur les désirs infantiles et sur leur satisfaction devrait convaincre .. que cette façon de penser et de sentir est en accord avec une disposition relativement très répandue. .. courant d'idées qui, .. s'est manifesté .. en même temps en d'autres lieux, ..
Le succès qu'Adler, .. a rencontré .. témoigne de la valeur explicative essentielle que possède, aux yeux d'un grand nombre de personnes, le besoin de se faire valoir, résultant d'une infériorité ainsi compensée. . pas besoin de nous étendre ici sur les conditionnements psychologiques collectifs et sur les conditions sociales qui donnent toute leur résonance aux conceptions adlériennes .
Ce serait une erreur impardonnable de fermer les yeux à la vérité des conceptions freudiennes et adlériennes ; mais il serait tout aussi impardonnable de tenir l'une d'elles pour la seule et unique vérité. .
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S'il est aujourd'hui quelque domaine où la modestie soit de mise, c'est bien celui de la psychologie appliquée, où il nous faut consentir à bon nombre d'opinions contradictoires leurs valeurs intrinsèques ; car nous sommes fort dépourvus de connaissances bien assises sur l'objet fondamental de notre science : l'âme humaine elle-même. . P.107
Les succès n'enseignent rien ou très peu au psychothérapeute, car ils ne font pour l'essentiel que l'enferrer dans ses erreurs. Les échecs par contre sont des expériences extrêmement précieuses : à leur occasion ou en eux-mêmes la voie vers une vérité meilleure peut se découvrir ; bien plus, ce sont eux qui nous obligent à modifier notre concepion et notre méthode.
.
C'est avec les malades d'un certain âge, au delà de la quarantaine, que j'ai renontré les principales difficultés. En présence de sujets plus jeunes, je m'en tire en général en utilisant les perspectives déjà connues, car c'est la tendance de Freud aussi bien que celle d'Adler d'amener leurs malades à l'adaptation et à la norme. Les deux points de vue s'appliquent de façon parfaitement adéquate aux êtres jeunes sans qu'on décèle en eux d'éléments résiduels perturbateurs. . on peut presque parler d'une psychologie du matin et d'une psychologie de l'après-midi de la vie. Dans la règle, la vie de l'homme jeune est placée sous le signe d'une expansion générale comportant la conquête de buts visibles ; sa névrose semble provenir principalement de ce qu'il hésite dans sa démarche, cherche des biais et repousse ses aspirations. La vie de l'homme vieillissant par contre est sous le signe de la contraction, du maintien du niveau atteint et des limites assignées à l'expansion. Sa névrose repose principalement sur une persistance intempestive de l'attitude juvénile. Si le jeune névrosé se refuse à la vie, le névrosé d'âge mûr tourne le dos à la mort. . pour l'adolescent névrosé qui, par ses hésitations, transforme une dépendance originairement normale de ses parents en un rapport incestueux et contre nature. On conçoit que chez l'homme jeune la névrose, les résistances, le refoulement, le transfert et les fictions, etc., en dépit de toutes les ressemblances de surface, aient des significations souvent inverses de celles qu'elles ont chez l'homme d'âge. .. C'est pourquoi l'âge du malade me paraît être une indication de toute première importance.
Il existe aussi des indications variées au sein de la phase juvénile de la vie. Ce serait à mon avis une faute de l'art que de traiter selon les points de vue freudiens un adolescent répondant au type adlérien, c'est-à-dire infructueux, imprégné du besoin infantile de se faire valoir ; ce serait de même un grave malentendu de voir sous l'angle des préceptes adlériens un adolescent dont l'ambition est courronée de succès et dont la psychologie est encombrée de concupiscence. Les résistances du malade peuvent dans les cas douteux être de précieux guides. Si paradoxal que cela paraisse aux yeux des spécialistes, j'ai tendance à prendre au sérieux les résistances profondes. Car .. P.109 l'opinion du médecin en la matière n'est pas cessairement supérieure à celle du malade ou à la sagesse sa complexion profonde - complexion qui peut lui être totalement inconsciente. ..
. J'ai désigné deux attitudes fondamentales différentes, l'attitude extravertie et l'attitude introvertie. Ces attitudes psychiques fondamentales, de même que la prédominance fréquente d'une quelconque des fonctions psychologique semblent être des indications essentielles, dont il faut tenir compte au cours du traitement .
. rappeler qu'il est des hommes d'attitude essentiellement spirituelle et d'autres d'attitude essentiellement matérialiste ; il faut se garder de croire qu'une telle attitude puisse être une sorte de malentendu qui s'est établi par hasard. Elle est même fréquemment une passion innée que nulle critique et nulle persuasion ne parvient à extirper. Cela n'empêche point qu'il existe des cas où un matérialisme d'apparence indéniable ne représente au fond qu'une manière d'éluder un tempérament religieux. De nos jours, on le sait, on s'attache davantage aux cas contraires, où la piété dissimule mal un matérialisme patent ; .
.. l'expression « indication » ne signifie malheureusement guère plus qu'une mise en garde contre l'étroitesse d'esprit et l'unilatéralité.
La psyché humaine est d'une monstrueuse duplicité. Dans chaque cas d'espèce il faut se demander si une attiude ou un prétendu habitus est intrinsèque et authentique ou si d'aventure il ne serait pas la compensation de son contraire. Je dois avouer que je me suis à ce point de vue si fréquemment trompé qu'en présence d'un cas concret je fais abstraction, autant que faire se peut, de tout présupposé relatif à la structure théorique des névroses et aux devoirs et pouvoirs du malade. Je laisse autant que possible l'expérience pure et simple décider des buts thérapeutiques. .
En psychothérapie toutefois il me semble recommandable que le médecin ne s'assigne point de but trop défini. Comment le connaîtrait-il mieux que ne font la nature et l'instinct de conservation du malade ? Les grandes décisions de la vie humaine sont en général bien davantage soumises aux instincts et autres facteurs inconscients et mystérieux qu'à l'arbitraire conscient et aux ratiocinations bien intentionnées. Ce qui à l'un va comme un gant blesse le voisin ; chacun porte sans doute en lui-même sa forme prédestinée de vie, une forme irrationnelle contre laquelle aucune autre ne saurait prévaloir.
.. cela n'empêche pas, quand les circonstances s'y prêtent, de se proposer d'abord d'aider le malade, autant qu'il est possible, à normaliser et à rationaliser ce qui peut l'être dans sa vie. Si le succès thérapeutique est satisfaisant on peut en rester là. Mais s'il n'en est rien la thérapeutique, bon gré mal gré, doit s'orienter selon les P.111 données irrationnelles du malade. Ici il nous faut prendre la nature pour guide et ce que le médecin fait alors est moins un traitement qu'un développement des germes créateurs du malade.
Ma contribution personnelle à la thérapeutique s'insère là où, le traitement cessant, le développement commence ; ... Un tiers environ de mes cas ne souffre d'ailleurs d'aucune névrose cliniquement assignable, mais seulement de l'inutilité, du vide et de l'absurdité de leur existence. ... Deux bons tiers .. sont dans la deuxième moitié de leur existence. Cet ensemble .. de sujets oppose aux méthodes rationnelles de traitement une résistance toute spéciale ; sans doute parce qu'il comprend en majorité des individus souvent .. doués et bien arrivés, que la normalisation laisse froids. Dans la plupart de mes cas les ressources de la conscience sont épuisées - .. « je suis bloqué, je sèche, j'y perds mon latin ». Cela m'oblige à me mettre en quête de nouvelles possibilités. Car je ne sais que répondre à la question .. : « Que me conseillez-vous, que dois-je faire ? »
Je ne le sais pas plus que lui. Je ne sais qu'une chose c'est que si ma conscience ne voit plus devant elle aucune voie praticable et reste embourbée, mon âme inconsciente réagira à ce marasme bientôt insupportable.
Cette stagnation est un phénomène psychique qui s'est répété un si grand nombre de fois au cours du développement de l'humanité qu'il est devenu le motif de nombreux contes et mythes dans lesquels existent une mandragore cachée pour ouvrir la porte close ou un animal secourable qui aide à découvrir la voie cachée. En d'autres termes : la stagnation est un événement-type qui n'a pas manqué d'entraîner au cours des âges des réactions et des compensations typiques. Nous sommes donc en droit d'attendre avec quelque probabilité que surgisse quelque manifestation analogue dans les réactions de l'inconscient, - par exemple dans les rêves.
. non pas, .. , par engouement pour le rêve .. mais tout simplement par embarras. .. je m'efforce de trouver quelque chose dans les rêves, eux qui livrent .. des fantasmes et dont les allusions valent mieux que rien. . Je partage tous les préjugés contre l'interprétation des rêves, quintessence d'incertitude et d'arbitraire. Mais d'un autre côté je sais que lorsqu'on médite un rêve assez longtemps, allant au fond des choses, lorsqu'on le conserve par devers soi, l'examinant de temps en temps sous ses différentes faces, il s'en exprime en général toujours quelque chose. Ce quelque chose naturellement n'est pas un résultat scientifique avec lequel on pourrait .. ra tionaliser mais c'est un avertissement d'importance pratique qui indique au patient l'orientation de son acheminement inconscient. Que m'importe que le résultat de la méditation sur le thème onirique soit soutenable scientifiquement et logiquement inattaquable ? Rechercher cet achèvement logique, ne serait-ce point poursuivre un but secondaire auto-érotique ? Je dois être pleinement satisfait que cela parle au malade et donne de la pente, du courant à sa vie. Le seul critère que je doive reconnaître réside dans l'efficacité ou P.113 l'inefficacité de mes efforts. .. ce désir de toujours prétendre savoir pourquoi et comment quelque chose agit, doit être réservé aux heures de loisir.
Infiniment variés sont les contenus des rêves initiaux, c'est-à-dire des rêves situés au début d'une entreprise de cette sorte. Fréquemment ils ramènent au passé, remémorant des souvenirs oubliés ou périmés. Car ces stagnations et ces désorientations se produisent fréquemment lorsque la vie et la conduite affectent un mode par trop exclusif. Ce qu'on appelle une perte soudaine de libido peut alors survenir : toute l'activité antérieure perd son intérêt, tourne à l'absurde. Les buts qu'elle s'était assignés perdent brusquement tout attrait. Ce qui chez certains n'est qu'humeur passagère devient chez d'autres état chronique. Il est fréquent que, pour ces derniers, des possibilités virtuelles du développement de leur personnalité se trouvent ensevelies quelque part dans le passé .. Le rêve peut en révéler la trace.
Dans d'autres cas le rêve renvoie à des facteurs du présent dont la conscience n'aurait jamais supposé qu'ils puissent être problématique ou conflictuels : mariage, position sociale, etc.
. La difficulté réelle commence lorsque le rêve ne concerne plus des faits palpables ou des relations tangibles ; cela est fréquent en particulier lorsqu'il cherche à appréhender par prémonition quelque élément futur. .. de pressentiment et de « recognition ». Ces rêves ne font en quelque sorte que subodorer des possibilités : aussi est-il très difficile de les rendre plausibles à un tiers ; .. C'est pourquoi j'ai l'habitude de dire .. : « Je ne crois guère .. mais ne perdez pas cette trace de vue. »
.. le seul critère de notre intervention est son effet actif, sans que dans la plupart des cas nous soyons à même de déceler le pourquoi de cette efficacité.
Cela est vrai en particulier des rêves qui manifestent quelque chose que l'on pourrait appeler une « métaphysique inconsciente », à savoir une démarche mentale analogue à la pensée mythologique ; . Je n'en juge que d'après l'effet qu'ils ont sur le malade. ..
Dans un long rêve initial d'un de mes cas « normaux », la maladie d'un enfant de la sour du rêveur jouait un rôle principal. Il s'agissait d'une fillette de deux ans.
En réalité, cette sour avait perdu un petit garçon des suites d'une maladie quelque temps auparavant mais en dehors de ce décès tous ses autres enfants étaient bien portants. La donnée du rêve, l'enfant malade, demeurait d'abord impénétrable, sans correspondance avec la réalité. Comme il n'existait point de relations très suivies entre le rêveur et sa sour, cette image n'évoquait rien de bien personnel. Il lui vint soudain à l'esprit que deux ans auparavant il s'était mis à des études sur l'occultisme au cours desquelles il avait également découvert la psychologie. L'enfant manifestement incarnait un intérêt pour les choses de l'âme, - idée à laquelle je ne serais jamais venu de moi-même. Considéré d'un point de vue purement théorique, cette image onirique peut signifier tout ou rien. Une chose ou un fait d'ailleurs a-t-il jamais en soi une signification ? Il est certain que c'est toujours l'homme qui interprète, qui « signifie », c'est-à-dire qui assigne un sens ; . Que l'étude de l'occultisme soit une chose maladive, voilà une idée neuve et intéressante pour P.115 le malade et qui lui en imposa ; elle vint en somme à point nommé et reçut son adhésion immédiate. Là est le fait décisif : qu'elle agisse, - quel que soit le mode d'action que pense pouvoir y retrouver notre humble avis. Pour le malade, cette pensée à laquelle il s'arrête représente une critique qui entraîne une certaine modification de l'attitude. Par des modifications insensibles de cette sorte, qu'on ne pourrait mettre en ouvre rationnellement, un mouvement s'empare des choses, et voilà déjà la stagnation, en principe du moins, surmontée.
.. ce songe suggérait que les études occultes du rêveur étaient maladives, et dans ce sens je puis parler de « métaphysique inconsciente », quand le rêveur par le truchement de son rêve fait cette idée sienne. Je fais en outre un pas de plus : non seulement je donne au malade l'occasion d'associer à son rêve les idées qui pour sa part lui viennent à l'esprit, mais je saisis moi-même l'occasion d'en faire autant : je lui communique les idées et les opinions qui ont surgi en moi. S'il se glisse des effets suggestifs, ils sont les bienvenus car on sait qu'on ne se laisse suggérer que ce à quoi on est insensiblement préparé. Si d'aventure on se fourvoie au cours de l'interprétation de ce rébus, cela est sans gravité ; car, à l'occasion des rêves suivants, l'erreur, telle un corps étranger, se trouvera expulsée. Il n'est pas utile de prouver que mon interprétation des rêves est exacte - ce serait une tentative assez vaine -, il me faut simplement rechercher avec le malade ce qui est efficace, je serais presque tenté de dire ce qui est réel.
Il est pour moi, par suite, d'importance capitale d'avoir des connaissances aussi étendues que possible en psychologie des primitifs, en mythologie, en archéologie et en histoire comparée des religions, ces domaines me livrant des analogies de valeur inestimable, grâce auxquelles il est possible d'enrichir les associations de mes malades. Nous pouvons ainsi ensemble faire des rapprochements entre des choses apparemment insignifiantes et des témoinages de la plus haute importance, ce qui augmente considérablement les possibilités d'efficacité. Car, pour le profane ayant fait de son mieux dans sa sphère personnelle et rationnelle sans parvenir cependant à trouver un sens à sa vie, il est d'une portée immense de pouvoir pénétrer dans une sphère irrationnelle de la vie et de l'expérience vécue. L'aspect des choses banales et quotidiennes s'en trouve modifié et cette modification renouvelle leur éclat. Une grande part de notre sentiment des choses, en définitive, dépend de la façon dont nous les considérons et non de ce qu'elles sont en elles-mêmes. ...
. en procédant de la sorte le médecin, au fond, s'abandonne au fantasmique de concert avec son malade.
. je vais même jusqu'à faire effort pour imaginer en compagnie de mon malade. Car je ne tiens pas l'imagination en mince estime. Elle me paraît être, en dernière analyse, la force créatrice maternelle, génératrice de l'esprit viril.
. Certes, il existe des fantasmes dénués de toute valeur, médiocres, impénétrables, maladifs et bien peu satisfaisants, dont la nature stérile sera ressentie promptement par toute personne douée de bon sens ; .. Toute ouvre humaine a sa source dans l'imagination créatrice. . P.117
Normalement, la fantaisie ne s'égare pas, étant trop solidement et trop intimement liée au tronc fondamental des instincts humains et animaux. De façon surprenante, elle retombe toujours sur ses pieds. L'activité créatrice de la force imaginative arrache l'homme à son assujettissement au « Rien que » et l'élève sur le plan du jeu. Et l'homme, comme le dit Schiller, « n'est pleinement lui-même que dans le jeu ».
L'effet thérapeutique que je cherche à obtenir est la création, chez le sujet, d'un état d'âme dans lequel il commence à faire l'expérience de sa propre nature, à expérimenter avec les éléments de celle-ci, d'un état où rien n'est plus fixé et pétrifié pour toujours et sans espoir, d'un état d'âme enfin fait de fluidité, d'aptitude à la métamorphose et au devenir. . il ne faut pas voir dans ma façon de procéder une démarche sans but et sans limites. Car je me fais toujours une règle de ne jamais dépasser, à une phase donnée du traitement et de l'évolution en cours, le sens attaché à un moment impressionnant et efficient qu'on vient provisoirement d'atteindre, et je m'efforce simplement, dans chaque cas d'espèce, de fair prendre une conscience aussi pleine que possible de ce sens au malade, qui en perçoit ainsi les indications suprapersonnelles. Ces dernières sont d'importance. En effet, lorsqu'un événement survient dans la vie d'un être et que, réagissant à cet événement, il en est affecté comme s'il était le seul à qui cela arrive, alors qu'en réalité c'est là une expérience tout à fait générale de la vie, manifestement, son attitude est fausse, à savoir bien trop personnelle, et elle l'exclut de la communauté humaine. De même il est nécessaire d'avoir une conscience du présent qui ne soit pas seulement personnelle, mais aussi suprapersonnelle, et qui ressentant la continuité historique, en tienne compte. Si abstraite que semble cette exigence, elle n'en exprime pas moins une nécessité des plus pratiques : un grand nombre de névroses par exemple proviennent, en première ligne, de ce que, rompant avec une tradition lointaine, les chimères puériles du siècle des lumières empêchent de percevoir les exigences religieuses de l'âme. .. il ne s'agit plus .. de professions de foi, mais bien plus de l'attitude religieuse, qui est une fonction psychique d'importance inestimable. Et précisément pour la fonction religieuse, la continuité historique est indispensable.
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Tant que j'aide mon patient à découvrir les éléments efficaces, les moments créateurs de ses rêves, et tant que je m'efforce de lui faire entrevoir le sens général de ses symboles, il se trouve encore dans un état d'enfance psychologique, à savoir dans un état de dépendance par rapport aux rêves qu'il aura ou n'aura pas, et des lumières qu'ils pourront lui procurer. Une fois les rêves rapportés, le patient va dépendre encore de la compréhension de l'analyste qui peut laisser à désirer ou se tarir, et de son savoir qui l'assistera avec plus ou moins de bonheur dans la recherche de conclusions salutaires. Il se trouve donc encore dans un état passif peu enviable où tout a un aspect d'incertitude et de précarité. Ni le patient ni l'analyste ne savent où mène l'expédition. . A cette phase nous ne devons point escompter d'effets considérables, l'insécurité étant trop grande. En outre il faut compter avec le danger fréquent que ce qui a été tissé pendant le jour durant la nuit ne se défasse. Le danger est alors que rien ne tienne, que rien ne demeure. Dans cette situation il n'est pas rare qu'apparaisse quelque rêve particulièrement coloré ou quelque personnage bizarre, .. : « .. si j'étais peintre, j'en ferais un tableau ! » Ou encore les rêves parlent de photographies, P.119 d'images peintes ou dessinées, de manuscrits enluminés, ou de cinéma.
.. en pareil cas j'invite mes malades à peindre réellement ce qu'ils ont vu en rêve ou en imagination. . il
ne s'agit pas en l'occurrence d'esthétique ; il s'agit que le malade s'exprime, et il le fera souvent avec d'autant plus de profit qu'il lui en aura coûté plus d'efforts. .
. il ne s'agit pas de sujets qui auraient encore à démontrer leur utilité sociale, mais de personnes qui ne trouvent plus dans cette utilité ni leur signification, ni un accomplissement et qui se sont heurtées à la profonde et dangereuse interrogation sur le sens même de leur vie individuelle. Être une particule de la masse n'a de sens et de charme que pour celui qui n'y est pas encore parvenu, mais n'en a plus pour celui qui l'a été jusqu'à complête satiété. La portée que peut revêtir le sens de la vie individuelle sera peut-être niée par celui fui demeure en tant qu'être social un sous-adapté et elle le sera toujours par celui dont l'ambition suprême est de constituer des troupeaux. Mais quiconque ne fait partie ni des premiers ni des seconds rencontrera tôt ou tard cette pénible question du sens de la vie.
Lorsqu'à l'occasion un de mes patients produit des choses belles et artistiques .. je les considère exactement comme si elles étaient sans valeur dans une perspective purement artistique. Cette indifférence esthétique est même essentielle ; sinon, les patients s'imagineraient être des artistes et le but de ces productions serait complètement manqué. II ne s'agit point d'art ; plus précisément, il ne doit point s'agir d'art ; il s'agit de quelque chose qui diffère de l'art et même le surpasse, à savoir d'une efficacité vivante sur le malade lui-même. Ce qui, sous l'angle de la vie en société, est le moins apprécié devient ici crucial, à savoir le sens de la vie individuelle, pour l'expression et la réalisation duquel le patient s'efforce de traduire de l'indicible en des formes visibles, enfantines et maladroites.
.. pourquoi incité-je mes malades, à un certain stade de leur développement, à s'exprimer par le pinceau, le crayon ou la plume ? Avant tout, pour déclencher en eux une action. Dans l'état psychologique décrit plus haut, qui ressemble à un état enfantin, le patient a un comportement passif. Par la reproduction imagée, il passe à l'activité ; représentant effectivement les images qu'il a perçues tout d'abord passivement, il accomplit ainsi une démarche qui est celle d'un acte personnel. Non seulement il en parle, mais il les inscrit dans un acte du moi. Psychologiquement il y a une énorme différence . Son imagerie ne lui semblant pas réellement insensée, le seul fait de s'en occuper renforce son pouvoir efficace. En outre, prêter une forme matérielle à l'image oblige à considérer attentivement chacune de ses parties, qui pourront de la sorte développer pleinement leur force évocatrice. Ainsi, le pur fantasme se marie à un élément de réalité, ce qui confère plus de substance, plus d'efficience à l'imagination. En réalité, il émane de ces images que l'on P.121 a redessinées soi-même un pouvoir singulier bien difficile à décrire. Il suffit, par exemple, qu'un patient ait constaté quelquefois combien la confection d'une image symbolique le libère d'un état psychique misérable pour qu'il se rabatte sur ce moyen chaque fois que son état d'âme laisse à désirer. C'est là une acquisition de valeur inestimable, c'est un germe d'indépendance, une transition vers la maturité psychologique. Avec cette méthode .. : patient se rend indépendant par auto-création. Il n'est plus maintenant à la merci de ses rêves, ou à la merci du savoir de son médecin ; en se peignant il se modèle lui-même. Car ce qu'il dépeint, ce sont des fantasmes agissants, manifestations de forces qui, s'élaborant en lui, vont l'agir. Or, ce qui agit en lui relève de lui-même ; c'est lui-même : non plus dans le sens de son malentendu passé, où il tenait son Moi pour sa réalité entière, où il lui donnait toute l'extension du Soi, mais dans un sens nouveau, qui lui était étranger jusqu'alors ; dans un sens où son Moi, reconnu comme instance psychologique partielle, devient l'objet des forces profondes agissant en lui. En d'innombrables images, il s'efforce de représenter de façon exhaustive ce pouvoir agissant, pour découvrir enfin que c'est un élément foncièrement étranger, un Éternel Inconnu, qui constitue l'assise et le tréfonds de notre âme.
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Mais tout cela n'était-il pas connu depuis longtemps ? Si, je le crois également. Mais lorsque je sais quelque chose, il s'en faut de beaucoup que l'autre en moi en prenne, de ce fait, connaissance. Est-ce que, dans la réalité .., je ne vis pas comme si je n'en savais rien ? La plupart de mes patients le savaient mais ne le vivaient point. Pourquoi ne le vivaient-ils pas ? Sans doute pour le motif même qui nous pousse à vivre d'après le Moi : à savoir à cause d'une surestimation de la conscience.
Pour l'adolescent encore inadapté et en quête de succès, il est de la dernière importance de se constituer un moi aussi efficace que possible, c'est-à-dire d'éduquer sa volonté. S'il n'est pas un authentique génie il doit se garder de croire à une force agissante en lui et non identique à sa volonté. Il doit éprouver qu'il est un être de volonté et doit minimiser en lui et se convaincre qu'il a soumis à sa volonté tout ce qui ne cadre pas avec elle ; sans cette illusion son adaptation sociale a peu de chances de réussite. (Cf. le « je veux vouloir »)
Il en va tout autrement pour l'être qui a atteint la deuxième moitié de l'existence, qui n'a plus besoin d'éduquer sa volonté consciente, qui a besoin bien davantage, pour saisir intelligiblement le sens de sa vie individuelle, de l'expérience de sa propre nature. L'utilité sociale, dont il reconnaît le caractère nécessaire, ne saurait plus pour lui être un but. Il ressent son activité créatrice, dont l'inutilité sociale lui est évidente, comme un travail sur lui-même et comme un bienfait envers lui-même. Cette activité le libère de façon croissante de son indétermination psychologique maladive et il conquiert une solidité intérieure et une confiance nouvelle en lui-même. Ces derniers gains en retour profitent à sa vie sociale. Car un être intérieurement consolidé et confiant en lui-même sera autrement à la hauteur de ses tâches sociales que quelqu'un qui est en mauvais termes avec son inconscient.
. La plupart des images dont j'ai parlé ont en commun un caractère primitif et symbolique qui procède autant du dessin que de la couleur. Les couleurs, en général, sont d'une intensité barbare. Souvent domine un archaïsme indéniable. Ces propriétés révèlent la nature des forces plastiques sur lesquelles reposent ces dessins. Il s'agit de tendances irrationnelles et symboliques dont le caractère ancien, archaïque, est tel que l'on peut sans peine leur trouver des parallèles en archéologie ou en histoire comparée des religions. .. ces images P.123 proviennent pour l'essentiel de ces régions de la psyché que j'ai appelées régions de l'inconscient collectif. Sous cette dénomination, je conçois une sorte de fonctionnement psychique, inconscient, humain en toute généralité, qui est non seulement la source de nos images symboliques modernes, mais aussi de toutes les productions analogues du passé humain. Ces images naissent d'un besoin naturel et contribuent à le satisfaire. C'est comme si la psyché qui plonge ses racines jusque dans le primitif le plus reculé s'exprimait par ces images et trouvait ainsi une possibilité de coopérer avec la conscience qui lui était devenue étrangère ; par là ses exigences se trouveraient comblées et de ce fait cesseraient d'interférer de façon perturbatrice dans la conscience. Je dois ajouter que la seule activité plastique est en soi insuffisante. Le processus évolutif exige en outre une compréhension intellectuelle et émotionnelle des représentations qui puisse les intégrer à la conscience, à la fois rationnellement et moralement. Elles doivent être soumises à un travail synthétique d'interprétation. .
. Il s'agit de rien moins que d'un processus vital de l'âme se déroulant en dehors de la conscience, qu'il nous est donné ici d'observer indirectement. Nous ignorons encore à quelles profondeurs inconnues pénètre notre regard. .. il semble que cette évolution aboutisse à recentrer la personnalité. C'est ce que tendent à indiquer de nombreuses images que le malade ressent comme capitales. Dans cette translation intérieure qui aboutit à recentrer la personnalité, ce que nous appelons le Moi paraît se déplacer vers une position périphérique. Cette transformation paraît être suscitée par l'émergence de la partie historique de l'âme. Le but de cette opération demeure tout d'abord obscur. Nous ne pouvons que constater son important retentissement sur la personnalité consciente. C'est le fait que cette métamorhase amplifie le sentiment de la vie et qu'elle en entretient le cours qui nous oblige à conclure qu'en elle réside une ppportunité singulière. On parlera peut-être d'une nouvelle illusion. . Y-a-t-il pour l'âme quelque chose que nous puissions appeler une illusion ? Et ce qu'on serait tenté de nommer ainsi n'est-il pas précisément pour l'âme une forme importante de la vie, une chose indispensable, comme l'oxygène pour l'organisme ? Ce que nous qualifions d'illusion est peut-être une réalité psychique d'importance extrême. L'âme en vérité se soucie nettement fort peu de nos catégories du réel. Pour elle en première ligne est réel ce qui agit. Quiconque veut étudier l'âme ne doit pas la confondre avec sa propre conscience, sinon il obscurcit à son propre regard l' objet de sa recherche. Il faut au contraire découvrir et reconnaître combien l'âme est différente de la conscience pour pouvoir l'en différencier. Il est infiniment probable que ce que nous appelons une illusion est précisément pour l'âme une réalité ; rien n'est plis incommensurable que la réalité de l'âme et les réalités de notre conscience . Dans la sphère de l'âme, comme dans tous les domaines de notre expérience, les choses efficaces sont des réalités, quel que soit le nom que l'homme se plaît à leur donner. Ce dont il s'agit, c'est de saisr ces réalités autant que possible comme telles et non de les dénaturer par quelque nouveau baptême. Ainsi, l'esprit dans la perspective de l'âme reste l'esprit, même si on le dénomme sexualité. . P.125

DEUXIÈME PARTIE ÉVOLUTION


SIXIÈME LETTRE. - Dr JUNG AU Dr LOY 11 février 1913
. ce qu'est la psychanalyse. .
La psychanalyse tout d'abord se présente comme une méthode, avec ce que le mot méthode suppose aujourd'hui d'exigence rigoureuse. .. la psychanalyse n'est pas une anamnèse .. essentiellement une méthode qui vise à étudier les associations inconscientes, associations que l'on ne saurait atteindre par un simple interrogatoire du conscient. La psychanalyse n'est pas davantage une méthode d'examen, .. .La psychanalyse n'est pas non plus une méthode cathartique qui aiderait à faire abréagir, avec ou sans hypnose, des traumatismes réels ou fantasmatiques.
La psychanalyse est une méthode qui sert à réduire analytiquement les contenus psychiques à leur expression la plus simple et à découvrir la ligne de moindre résistance qui mène vers le développement harmonieux de la personnalité. La névrose contrarie l'évolution cohérente de la vie, car des tendances contradictoires se mettent à la traverse de l'adaptation psychologique, rendue ainsi difficile. .
En ce qui concerne l'application technique de la psychanalyse, il n'y a pas de schémas mais seulement des principes où chaque psychanalyste va puiser ses règles artisanales. La seule que je retienne est de manier la psychanalyse comme s'il s'agissait d'une conversation courante entre gens raisonnables et d'éviter tout semblant de mise en scène médicale.
Le principe essentiel de la technique psychanalytique est d'analyser les contenus psychiques qui vont se présenter spontanément dans chaque cas d'espèce. Toute intentionnalité de la part de l'analyste qui viserait à créer de force un cours schématique du traitement serait une lourde faute de l'art. Le prétendu hasard constitue la loi et l'ordonnance de la psychanalyse.
Au début d'une psychanalyse, il y aura naturellement d'abord une anamnèse et un diagnostic. Puis le processus analytique qui va suivre se développera de façon très différente d'un individu à l'autre. Il est presque impossible de donner des règles. Ce que l'on peut dire, c'est que très souvent, dès le début, une série de résistances devront être surmontées, des résistances contre la méthode ou la personne de l'analyste. Les malades qui n'ont pas la moindre idée de ce qu'est la psychanalyse devront en être quelque peu informés ; .. lever des malentendus .. ..répondre à des objections qui émanent de la critique scientifique. Les malentendus reposent sur une interprétation arbitraire, sur une connaissance toute superficielle ou une ignorance flagrante des faits.
.. « tout savoir » gênera les progrès du traitement. . l'analyste va avoir, dans l'inconscient de ces sujets, un allié infatigable. Les premiers rêves déjà montreront toute l'indigence de la critique à laquelle s'adonne le sujet, de sorte qu'il ne restera bientôt, de toute la construction artificielle du scepticisme dit scientifique, qu'un misérable reliquat de vanité personnelle. .
Le mieux est de laisser les malades entamer et poursuivre leurs récits et de se contenter de leur montrer un rapprochement ici et là. Quand tous les matériaux conscients auront été rapportés et qu'ils commenceront à s'épuiser, on passera aux rêves qui vont livrer les teneurs inconscientes. Quand les sujets prétendent ne pas avoir de rêves ou les oublier, P.153 c'est en général qu'il existe encore des matériaux conscients qui devraient être rapportés et discutés mais que le sujet, pour des motifs de résistance, conserve par devers lui.
Une fois qu'on en a terminé avec le conscient, on en arrive aux rêves qui, comme vous le savez, sont l'objet principal de l'analyse.
Comment procéder au cours de l' « analyse », comment se comporter et que dire ou ne pas dire à son malade, cela dépend :
1° de ses matériaux,
2° des connaissances du médecin,
3° de la capacité de compréhension du malade.
.. on ne peut et doit entreprendre une analyse que sur la base d'une formation solide, .. Sans cette formation solide on ne fera que du gâchis.
. En ce qui concerne la question de la moralité et de l'éducation, .. celles-ci font partie d'un stade avancé de l'analyse, stade auquel elles sont abordées de façon toute naturelle. Que surtout on ne transforme pas la psychanalyse en recette toute faite !

HUITIÈME LETTRE. - LE Dr JUNG AU Dr Lay 18 lévrier 1913.

. différentes conceptions théoriques à propos des résultats de l'analyse, pour ne pas parler de la foule des dissidences individuelles. A côté de la conception purement causaliste de Freud s'est développée la conception purement finaliste d'Adler : elle semble être en opposition alors qu'en réalité elle ne constitue qu'un complément essentiel .. P.157 .. Ma position est intermédiaire et tient les deux perspectives pour valables. . problème de l'efficacité thérapeutique de la psychanalyse . l'amour que le malade porte au médecin est vrai, .. mais n'exprime qu'une constatation de phénomènes transitoires au cours de l'analyse et ne constitue ni un but ni un axe de la thérapie analytique. .
Le but du traitement est d'amener le malade à vouloir guérir pour lui-même, pour réaliser sa propre destinée et non en quelque sorte pour procurer un avantage au médecin. Certes, il serait thérapeutiquement très maladroit d'interdire, au malade qui veut guérir pour témoigner sa sympathie au médecin, de le faire. (En cours de route les perspectives se réajusteront dans l'esprit du malade. Il est bien certain qu'un traitement psychothérapeutique est une chose tellement délicate, difficile et lourde, pour le praticien aussi, que celui-ci a le droit et même le devoir de faire flèche de tous bois et d'aider son malade en laissant agir les motivations de tous ordres qui sont encore utilisables et agissantes en lui.)
Ce qui est essentiel, c'est que le malade soit au courant des forces qui l'animent. Ce n'est pas à nous à prescrire au malade les voies selon lesquelles il va devoir guérir. Naturellement il me semble ( du point de vue psychanalytique pur!) que s'exerce sous roche, quand le malade est astreint à guérir par amour pour le médecin, une influence suggestive peu légitime. Car, dans un certain sens, c'est faire ainsi violence au malade et cette violence comme toute autre se vengera cruellement à l'occasion. La formule : « Tu peux et dois devenir bienheureux » n'est pas plus recommandable dans le cadre de la thérapeutique .. que dans le cours banal de la vie. Elle contredit les principes mêmes du traitement analytique qui visent à éviter toute violentation et à tout laisser germer et jaillir de la personne même du malade. . Quand le médecin exige de son malade qu'il guérisse par amour pour lui, le malade sera aisément tenté de compter sur une réciprocité de bons services .. Je ne puis que crier casse-cou à ceux qui utilisent ou seraient tentés d'utiliser de pareils procédés. Un levier beaucoup plus puissant - et aussi à la fois beaucoup plus sain et moralement beaucoup plus précieux - qui peut soulever un désir de guérison est la reconnaissance par le malade de la situation réelle dans ce qu'elle a de fondamental, l'acceptation des choses comme elles sont et comme elles devraient être. Quiconque possède une fibre humaine tant soit peu précieuse déduira de ce tour d'horizon qu'il ne fait pas bon rester empêtré dans les boues marécageuses d'une névrose.
.. effet curateur de la personnalité . la personnalité exerce une action curatrice, grâce au fait que le malade devine intuitivement la personnalité du médecin, et non pas qu'il mime, en quelque sorte par amour du médecin, un état de guérison. Le médecin ne peut pas empêcher que le malade ne commence à régler son comportement vis-à-vis de ses conflits comme le fait à leur endroit le médecin lui-même, car rien n'est plus fin ni plus subtil que « l'Einfühlung » que la faculté de pénétration intuitive d'un névrosé. C'est d'ailleurs à cela que sert tout transfert sérieux. Quand le médecin se rend artificiellement aimable à son malade, c'est comme s'il lui subtilisait à bon compte toute une série de résistances que le malade, en fait, aurait dû surmonter une à une, dont il se trouve privé, et sur lesquelles il lui faudra revenir par la suite pour les surmonter P.159 réel1ement. .
.. le médecin ne doit pas s'interdire parler des avantages qui succèdent aux affres d'une psychanalyse ; mais il ne doit pas promettre ou laisser entrevoir comme récompense le don de son amitié, voire de sa personne, s'il n'est pas fermement décidé à tenir sa promesse.
. l'axe évolutif de moindre résistance est la résultante de toutes les nécessités du sujet et non pas seulement de sa paresse naturelle. C'est un préjugé de croire que l'axe de moindre résistance coïncide avec le sentier de la paresse. . La paresse est un avantage momentané, mais elle conduit à des conséquences qui vont déterminer les pires résistances. C'est pourquoi la paresse, dans son ensemble, ne trace en aucune manière l'axe évolutif de moindre résistance. Quand on dispose de l'énergie nécessaire, la ligne évolutive de moindre résistance peut parfaitement passer par un sommet! ( Dans ces problèmes de dynamique intime, l'axe évolutif de moindre résistance auquel Jung fait allusion ne coïncide avec aucune force psychologique prise à part, - paresse ou luxure, etc. Le problème pour chaque individu est bien plutôt de construire, mutatis mutandis, son parallélogramme des forces et de prendre conscience de sa résultante, qui seule sera l'axe évolutif en question. ..)Cet axe d'ailleurs n'est pas synonyme non plus d'un déploiement inconsidéré de l'individualité, d'une existence sans frein. Quiconque s'y adonnerait constaterait vite de façon douloureuse qu'il est loin de se mouvoir dans l'axe le plus aisé de son évolution, car l'homme est aussi un être social, et non pas seulement une poignée d'instincts égoïstes, comme on se plaît parfois à le décrire. .
L'homme, en tant qu'animal de troupeau, n'a pas à se soumettre en principe à des lois imposées du dehors mais porte sa loi sociale a priori en lui comme une nécessité innée. .
Partant, la ligne de moindre résistance n'est pas du tout en soi-même synonyme d'éviction du déplaisir ; la ligne de moindre résistance est la résultante d'un balancement judicieux entre le plaisir et le déplaisir. Une activité qui n'entraîne que du désagrément déterminera de l'épuisement et de l'insuccès. L'être humain doit pouvoir se réjouir de son existence, sinon l'effort de vivre ne vaut pas la peine d'être fait.
Vers quelle direction s'orientera la vie du malade, voilà une chose que nous ne saurions décider. Nous ne saurions nous imaginer le savoir mieux que la nature même du malade .
La psychanalyse n'est qu'un moyen de déblayer les pierres qui encombrent les voies de la nature et non pas une méthode .. grâce à laquelle on insérera chez le malade des éléments qui n'étaient pas en lui auparavant. C'est pourquoi il vaut mieux renoncer à toute volonté de directive et s'efforcer de mettre en relief tout ce que l'analyse amène au jour afin que le malade soit en état de le discerner clairement P.161 et d'en tirer des conclusions valables. Il douterait à la longue de ce qu'il n'aurait pas acquis lui-même et ce qu'il aurait accepté par l'influence d'une autorité n'aurait pour effet que de le maintenir dans un état infantile. Or, il faut l'aider à parvenir à prendre lui-même en mains les destinées de sa vie ; .
.. renoncer aux préjugés de maîtres d'école qui prétendent corriger la nature et lui imposer « nos vérités » bornées. .. abandonner l'espoir de pouvoir jamais « savoir mieux » et montrer la route. Les détours et les errements sont nécessaires. .
C'est une question brûlante que d'apprécier l'importance que peut atteindre l'influence suggestive de l'analyste sur son malade. .
. un cas.. : une femme fort intelligente avait dès le début des imaginations de transfert étendues qui s'exprimaient par des représentations érotiques, .. elle ne voulait absolument pas en convenir ; naturellement elle se trahissait par ses rêves, où ma personne apparaissait toutefois sous les traits de personnages qu'il n'était pas toujours commode de déchiffrer. .. « Vous voyez bien là que la personne dont on rêve en réalité est remplacée dans le rêve manifeste par une autre personne qui la masque. » . elle ne put éluder plus longtemps la vérité de cette règle. mais elle transforma aussitôt son acceptation en un nouveau traquenard : dans les jours qui suivirent elle m'apporta un rêve où nous apparaissions elle et moi dans une situation manifestement lascive. . sa première association à propos de ce rêve fut d'exprimer l'insidieuse question : « N'est-ce pas, comme vous me le disiez, c'est bien toujours ainsi que cela se passe : la personne dont on rêve vraiment est toujours remplacée dans le rêve manifeste par une autre » .. la malade avait utilisé la règle que je lui avais communiquée comme une formule protectrice, à l'abri de laquelle elle pouvait exprimer ouvertement ses imaginations, en quelque sorte sans dommages et impunément.
Cet exemple vous montre comment les malades utilisent les connaissances nouvelles qu'ils acquièrent au cours de leur traitement. Ils les utilisent pour créer de nouveaux symboles. .. quiconque croit à des symboles fixes se prend lui-même dans ses propres filets. .A ce point de vue ne sont probants que les rêves qui proviennent de personnes qui, de façon certaine, n'ont été soumises à aucune influence. Dans ces derniers cas, il faut tout au plus exclure la possibilité de phénomènes télépathiques. . P.163
Si nous tenons compte du facteur de suggestion, il ne faut tout de même pas aller trop loin dans cette voie. Le malade n'est pas un sac vide dans lequel on pourrait bourrer ce qu'on voudrait ; il apporte avec lui ses contenus individuels qui résistent avec entêtement à toute suggestion et qui s'insinuent sans relâche au premier plan. Du fait des « suggestions » analytiques, ce sont, d'après mon expérience, les expressions des contenus qui sont modifiées mais non pas les contenus eux-mêmes. Or, l'expression est une chose interchangeable à l'infini, alors que le contenu est rigide, très difficilement attaquable et seulement à la longue. .
. les malades utilisent pratiquement toujours dans leurs rêves, à des degrés divers, les expressions qu'ils ont acquises au cours de l'analyse : des expressions symboliques précédemment rencontrées et interprétées donnent matière à la formation de nouveaux symboles pour les rêves à venir. Ainsi, par exemple, il n'est pas rare que des situations sexuelles qui apparaissaient dans des rêves précédents sous des traits symboliques resurgissent, « sans déguisement », dans des rêves ultérieurs, constituant, notez nouvelles expressions analysables et symboliques idées d'autre nature, dissimulées par elles. Le rêve, relativement fréquent, d'une cohabitation incestueuse n'est en rien un contenu exprimé sans voiles, mais constitue un rêve aussi symbolique et analysable que tous les autres. .
Il est parfaitement possible que le malade égare le médecin par des tromperies intentionnelles ou des maquillages . Mais par une pareille attitude, c'est à lui-même que le malade nuit le plus, car toute tromperie ou toute omission se soldera par une augmentation ou une multiplication de ses symptômes. Les défigurations intentionnelles sont pour le malade d'un désavantage si perceptible qu' .. il ne pourra s'empêcher de renoncer à une pareille attitude. . P.165

DIXIÈME LETTRE. - Dr LE JUNG AU Dr Lay Mars 1913.

. le transfert est actuellement le problème central de l'analyse.
.. Freud conçoit le transfert comme une projection sur le médecin d'imaginations infantiles. Dans cette perspective, le transfert est un rapport infantilo-érotique. Extérieurement et superficiellement cependant, cela n'est pas toujours visible. Tant qu'il s'agit de ce qu'on appelle un transfert positif, on peut en règle générale discerner sans difficulté le contenu infantilo-érotique du transfert. Mais quand il s'agit d'un transfert dit négatif, ce qu'on perçoit, ce sont des résistances violentes qui se travestissent parfois en des formules théoriques, à allure critique ou sceptique. En un certain sens, ce qui est déterminant en la matière, pour ce qui est de la forme que va revêtir le transfert, c'est l'attitude habituelle du malade vis-à-vis de l'autorité, c'est-à-dire en dernier ressort vis-à-vis du père. Que le transfert soit positif ou négatif, le médecin est traité comme s'il était le père, à l'égard duquel on a un tendre penchant ou dcs sentiments à base de rébellion. Conformément à cette conception, il faut constater que le transfert dans l'analyse est une source importante de résistance dès qu'il s'agit de réduire et de dissoudre l'attitude infantile. Or le transfert, quelle que soit sa forme, doit être dissous puisque le but de l'analyse est d'aider le malade à atteindre à son autonomie mentale. Vous trouverez peut-être que ce but est très ambitieux. Certes, il l'est, sans être pourtant chimérique, car il correspond à un trait qui caractérise en propre notre époque, celui de la tendance individualiste, terme qu'on pourrait employer pour caractériser toute l'époque contemporaine. Quiconque ne croit pas à la validité d'un tel but dans l'analyse .. sera tenté de ne s'attaquer qu'aux formes négatives de transfert, laissant par ailleurs le malade dans un rapport positif avec le père ou son substitut, conformément à l'idéal d'une époque révolue. .. cf. Eglise catholique .. P.169 Je n'hésite pas à croire que de nombreux individus se sentent relativement mieux dans un état de contrainte que dans un état de responsabilité personnelle.
Nous serions très injustes à l'égard de nos névrosés si nous étions tentés de les faire rentrer tous dans la catégorie des êtres inaptes à la liberté. Nombreux sont ceux .. qui n'ont nul besoin d'être rappelés à leurs responsabilités et à leurs devoirs sociaux, mais qui au contraire sont destinés à être les porteurs de nouveaux idéaux de culture. Ils sont névrosés tant qu'ils se plient à une autorité et refusent la liberté à laquelle ils sont voués. Tant que nous considérerons la vie de façon purement rétrospective, comme cela est le cas dans les écrits de l'école psychanalytique viennoise, nous ne rendrons jamais justice à ces cas-là et ne leur apporterons point la guérison escomptée. Car, de la sorte, nous ne saurions en faire que des enfants dociles, favorisant ainsi ce qui les rend malades, à savoir un conservatisme arriéré et leur soumission à une autorité. . la force qui pousse les malades capables de liberté à sortir de leurs relations paternelles conservatrices n'est en rien un souhait infantile d'insubordination ; elle exprime la puissante aspiration vers une personnalité propre, dont la conquête est pour eux une tâche vitale inéluctable. cf. psychologie d'Adler. .
Pour les malades infantilement insubordonnés, le tranfert positif signifie tout d'abord une conquête essentielle de haute portée curative ; pour les autres, les malades infantilement dociles, il constitue une régression dommageable, une façon commode d'éviter les devoirs de la vie. Inversémment, le transfert négatif constitue pour les premiers une insubordination exacerbée, donc une reculade de plus et une fuite devant un devoir vital, alors que pour les seconds le transfert est un progrès de portée salutaire.
Le transfert, .. doit donc être selon les cas apprécié de façon fort différente. Le processus psychologique appelé « transfert » - qu'il soit négatif ou positif - consiste en ceci que le malade investit de la libido dans la personnalité du médecin, c'est-à-dire que le médecin va constituer une valeur émotionnelle. ( .. j'entends par ce terme de libido quelque chose d'analogue que les Anciens désignaient par le principe cosmogonique de l'Éros ; .. en langage moderne et en toute généralité : énergie psychique.) Dès qu'il y a transfert, le malade se sent attaché à son médecin par inclination ou par opposition et il ne peut s'empêcher de refléter en quelque manière, voire d'imiter l'attitude du médecin. De ce fait le malade s'adapte nécessairement, de façon plus ou moins intuitive. .. le médecin ne saurait empêcher cela, car l'intuition va de l'avant de façon sûre et comme instinctive, en dépit de tous les jugements conscients, quelle que soit leur puissance. Si le médecin est lui-même névrosé ou insuffisamment adapté aux nécessités de la vie extérieure ou de sa propre personnalité, le malade imitera cette carence qui se reflétera dans sa propre attitude ; vous en imaginez les conséquences.
Partant, il me semble insuffisant de ne voir dans le transfert qu'une transférence d'imaginations infantiles et érotiques ; certes, cela figure dans le transfert .. ; mais j'y vois surtout .. l'expression de la faculté intuitive de pénétration et un processus d'adaptation. A ce point de vue les imaginations infantiles et érotiques peuvent être comprises, en dépit de leur indiscutable valeur de réalité, bien plus comme des matériaux comparatifs ou des images analogiques, qui font allusion à quelque chose d'encore incompris, que comme des souhaits autonomes et indépendants. En cela me semble résider le motif essentiel de leur inconscience : le malade, qui ignore entièrement quelle doit être la bonne attitude, cherche, par la voie de comparaisons analogiques P.171 avec les matériaux de son expérience précédente, donc infantile, à arrêter dans ses grandes lignes le profil de ses rapports avec le médecin. Il n'est pas étonnant que .. il fasse appel au mode de relations le plus intime qu'il ait connu dans sa jeunesse, pour trouver la formule exacte de ses relations avec son médecin, car ces relations sont elles aussi fort intimes, quoiqu'elles soient aussi différentes des relations sexuelles que peuvent l'être les relations d'un enfant avec ses parents ! . et si nous retrouvons au cours de l'analyse cette formule relationnelle parents-enfant, c'est qu'elle est utile et qu'elle va servir à rendre au malade cette immédiateté du sentiment et de l'appartenance humaine qui a été ruinée par l'intrusion de jugements sociaux (entre autres dans la perspective de la volonté de puissance) et de valeurs sexuelles. Les appréciations purement sexuelles, comme .. tous les jugements de valeur d'un conservatisme usé, poussiéreux, qui par leur rigidité et l'absence de critique .. suppriment à un degré assez poussé tout ce qui est en relation purement humaine et immédiate, et par là déterminent une accumulation de libido qui peut aisément donner lieu à des formations névrotiques. Par l'analyse des contenus infantiles qui meublent les imaginations de transfert, le malade est ramené au souvenir de ses relations d'enfant qui, dépouillées de leurs traits puérils, lui donneut une image belle et claire de ce qu'est l'immédiateté humaine par delà toute appréciation purement sexuelle. Quand je vois interpréter le monde relationnel de l'enfant de façon rétrospective et sur un mode purement sexuel, je ne puis m'empêcher de dénoncer là une méprise, quoiqu'il ne soit nullement question de nier l'existence, à cet âge déjà, de certaines teneurs sexuelles.
En résumé, je dirai ceci du transfert positif : la libido du malade s'empare de la personne du médecin sous forme d'attentes, d'espérances, d'intérêt, de confiance, d'amitié et d'amour. Le transfert détermine tout d'abord une projection sur le médecin d'imaginations infantiles qui ont souvent une note érotique dominante. A ce stade, le transfert a dans la règle une nature expressément sexuelle, en dépit de l'inconscience relative de cette composante. Mais ce processus à base de sentiment est au service d'une signification plus haute, celle de la pénétration intuitive ; elle va servir de pont entre le malade et le médecin, elle va aider le patient à prendre conscience des insuffisances de son attitude . Par le rappel de ses relations d'enfant, l'analyse montrera au malade (Dieu sait comment ! . Ce n'est que plus tard que Jung insista sur le fait que la compréhension est une grâce et l'incompréhension un dur malheur.) la voie dans laquelle il pourra dépasser les préjugés acquis au cours de la puberté, du fait des influences sociales et qui se sont perpétués en une appréciation d'autrui, dans une perspective purement sexuelle ou de rapports de puissance ; elle l'aidera à atteindre à une relation, à une intimité humaines qui ne soient plus dépendantes de ces seuls facteurs et qui mettent au contraire en avant les valeurs de la personnalité. .
.. la mise en relief obstinée des valeurs sexuelles n'aurait pas eu lieu à ce degré si elles n'avaient pas un sens profond, en particulier pour la période de la vie qui doit assurer la propagation de l'espèce. La découverte des valeurs de la personnalité appartient à l'âge mûr. Pour les adolescents, une recherche prématurée des valeurs précieuses de la personnalité n'est souvent qu'un paravent pour masquer la fuite des devoirs biologiques. Inversement, la nostalgie rétrospective des êtres P.173 d'un certain âge pour les valeurs sexuelles de la jeunesse revient à esquiver, par lâcheté et paresse, les devoirs culturels : reconnaissance des valeurs de la personnalité et soumission à leur hiérarchie. Le névrosé adolescent s'effraie de l'élargissement de sa vie et de ses devoirs et le névrosé d'âge mûr redoute l'appauvrissement et le rétrécissement des biens de ce monde.
. Les données que nous constatons ne peuvent dépendre au mieux que pour moitié des causes agissantes extérieures, alors que l'autre moitié réside obligatoirement dans la nature intrinsèque de la matière vivante, sans laquelle la création réactionnelle qui a eu lieu n'aurait pas pu se produire. Il nous faut tenir compte de ce principe là en psychologie comme ailleurs. Car la psyché n'est pas seulement réactive ; la façon même qu'elle a de réagir aux influences s'exerçant sur elle dépend pour plus de la moitié de son essence particulière, de ses conditionnements, et lui appartient en propre. Il serait vain de prétendre ne voir dans la culture qu'une réaction à des circonstances. .l'importance des déterminations intimes qui sont comme autant d'impératifs. Ces déterminations intimes de l'âme sont ce que, pour ma part et dans un sens très large, j'entends par « devoirs biologiques ».
. la question morale. Nous constatons chez nos malades tant d'impulsions immorales que la pensée s'impose involontairement au psychothérapeute de savoir qu'en faire et comment il pourrait être satisfait à toutes leurs exigences. .. il n'y a pas lieu de prendre au sérieux chacune de ces exigences. Il s'agit en règle générale de prétentions démesurément gonflées, qui sont mises au premier plan par la libido accumulée du patient et en général contre sa volonté. La canalisation de la libido et la satisfaction des devoirs simples de l'existence suffisent dans la plupart des cas pour réduire à peu de chose la tension inhérente à ces souhaits. .. les tendances dites immorales non seulement ne sont pas écartées par l'analyse, mais au contraire apparaissent dans son cours de plus en plus clairement, de sorte qu'il devient évident que ces tendances font partie de ce que nous appelions à l'instant les devoirs biologiques du sujet. Il en est ainsi particulièrement dans le domaine sexuel, en présence de certains cas qui nécessitent une appréciation et une élaboration individuelle de leur sexualité. Ce problème d'ailleurs n'est pas seulement un problème de pathologie ; par lui nous côtoyons une question d'ordre social qui exige impérativement une solution éthique et des réponses pratiquement valables, car la nature, on le sait, ne se contente pas de théories. .. nous manquons encore d'une psychologie sexuelle différenciée. Nous ne devons jamais oublier que ce qui nous apparaît aujourd'hui comme une exigence morale peut demain se décomposer et se démembrer pour servir de base, dans un avenir plus ou moins proche, à de nouveaux édifices éthiques.
Nous devrions au moins retenir de l'histoire des civilisations que les formes de morale, elles aussi, appartiennent aux choses périssables. . P.175 . il est parmi nos malades des êtres dont les dons d'intelligence et de cour en font des êtres « appelés », c'est-à-dire biologiquement déterminés à prendre une part active à l'ouvre de civilisation. Le tact psychologique le plus subtil est indispensable pour éviter, en présence de ces êtres différenciés et critiques, le passage dangereux de la commodité infantile, de l'irresponsabilité, et pour leur rendre possible une perspective pure et sereine sur les possibilités d'une action moralement autonome.
De nombreux névrosés sont en désaccord avec la morale contemporaine dans la mesure même de leur correction intime et ils ont des difficultés d'adaptation dans la mesure où leur moralité ressent des manquements auxquels l'époque contemporaine a le devoir de répondre. On se trompe lourdement quand on imagine que bon nombre de femmes mariées ne sont névrosées que parce qu'elles sont sexuellement insatisfaites, parce qu'elles n'ont pas trouvé l'homme qui leur convient, ou parce qu'elles sont restées fixées à une sexualité infantile. Le motif de la névrose, dans de nombreux cas, est en fait qu'elles ne sont pas en mesure de discerner la tâche culturelle qui leur incombe réellement.
. on croit toujours pouvoir comprimer dans le cadre déjà connu ce qui est nouveau, ce dont l'avenir sera fait et qui se presse devant notre porte. Dans cette optique les êtres ne voient que le présent et non l'avenir. . Du passé on ne peut rien changer, du présent pas grand-chose, seul l'avenir est à nous et peut accueillir les tensions les plus puissantes de notre vitalité.
. la perte de la croyance en une autorité est lourde de signification. Ce n'est pas pour avoir perdu sa croyance que le malade est névrosé ; c'est pour n'avoir pas encore trouvé la forme rénovée qu'il doit donner à ses aspirations les meilleures.

CHAPITRE VIII L'OPPOSITION ENTRE FREUD ET JUNG
Situation de la psychothérapie en 1920.

. Des idées qui émeuvent et que, de ce fait, on dit vraies sont marquées .. d'un bien curieux caractère ; elles semblent échapper au temps, avoir été toujours là, provenir de quelque fonds originel de l'âme, d'où s'élève l'esprit éphémère de l'être individuel comme une plante qui va porter des fleurs, donner des fruits et des graines, puis se faner et mourir. Les idées proviennent de quelque chose de plus grand que l'homme personnel : P.177 ce n'est pas nous qui les faisons, ce sont elles qui nous font. Dans un sens, les idées constituent un aveu absolument fatal qui amène au jour, avec une indiscrétion criante, non seulement ce qu'il ya de meilleur en nous, mais aussi les dernières insuffisances et les pires mesquineries de notre personnalité. .. vrai des idées engénéral, .. encore plus vrai des idées .. en matière de psychologie ! .
L'expérience que nous faisons de l'objet peut-elle nous mettre à l'abri des préjugés subjectifs ? Toute expérience n'est-elle pas, même dans le cas le meilleur, faite au moins pour moitié d'une interprétation subjective ? D'autre part, le sujet, de nos jours suspecté si intimement, n'est-il pas en soi une donnée objective, un morceau du monde, de sorte que ce qui est créé par lui provient en dernière ligne de ce fonds même du monde, tout comme les êtres vivants les plus bizarres .. sont portés et nourris par cette même terre que nous avons tous sous nos pieds. Ainsi, ce sont les idées les plus subjectives qui sont les plus proches de la nature et de l'essence de l'être et qui, de ce fait, doivent être réputées les plus vraies. Mais « qu'est-ce que la vérité » ?
.. rnoncerer ..la prétention que nous, .. soyons en état de formuler en toute généralité quelque chose de «vrai », ou d' « exact » sur la aature de l'âme. Ce que nous pouvons faire de mieux, c'est de tendre vers une expression vraie. Or, « une expression vraie » est une adhésion solennelle à ce qu'on a trouvé subjectivement, et .. en même temps une description étaillée. L'un mettra un accent particulier sur la forme .. et partant s'en croira le créateur, tandis que l'autre, plus conscient de sa propre nature réceptrice, dira seulement ce qu'il a vu, ce qu'il a rencontré, et parlera d'apparition. La vérité sans doute réside entre ces deux termes : l'expression vraie est la fois une pénétration intuitive des choses et une vision synthétiques de celles-ci qui leur confère une forme.
Dans ce double mouvement de réceptivité et d'accueil, d'une part, et de mise en forme d'autre part, se trouve inclus tout ce dont la psychologie actuelle, .. peut s'enorgueillir. Notre psychologie est le résultat de professions de foi . Ce que Freud a eu à nous dire sur la sexualité, sur la jouissance infantile et sur ses conflits avec le « principe de réalité » sur l'inceste, etc., est en première ligne l'expression la plus vraie de sa psycbologie personnelle. Cette description constitue une expression heureusement formée de ce qu'il a subjectivement rencontré. . Freud, .. par sa profession de foi, dans ce qu'elle a de plus subjectif, a donné le jour à une vérité humaine essentielle. Il est lui-même l'exemple le plus démonstratif de sa psychologie, ..
On voit avec ses yeux propres et à travers le prisme de sa propre nature. D'autres .. ont une vision différente des choses et s'expriment différemment. .. Alfred Adler . P.179 . Je ne puis épargner aux deux écoles le reproche d'expliquer par trop l'homme selon le biais pathologique et uniquement dans la perspective de ses déficiences. .. incapacité de Freud à comprendre l'expérience religieuse. A l'opposé de ces façons de voir, je préfère m'efforcer de comprendre l'homme dans la perspective de sa santé et de libérer le malade de cette psychologie . La psychologie de Freud est celle d'un état névrotique d'une certaine tonalité, et constitue, partant, une vérité pleine seulement à l'intérieur de l'état qui lui correspond. Dans ces limites, l'ouvre de Freud est vraie et valable, même lorsqu'il avance des contre-vérités. Ces dernières font partie du tableau d'ensemble et elles sont donc vraies en tan qu'éléments de la profession de foi, Mais cette psychologie n'est une psychologie saine, et en outre elle repose - ce qui est un caractère maladif et un symptôme - sur une conception des choses inconsciente et non crritiquée, qui est susceptible de borner considérablement l'horizon de l'expérience vécue et des presciences intuitives. .. critiqué ses présuppositions d'idées, .. comme une nécessité ; . l'auto-critique n'empoisonne que trop aisément ce don précieux, la naïveté, qui est si indispensable à l'homme créateur. .. la philosophie critique m'a aidé à discerner le caractère subjectif de profession de foi de toute psychologie. .. Je n'en dois pas moins interdire à ma critique de me ravir mes moyens créateurs. Certes, je sais que derrière chacun des mots que je prononce figure mon Soi particulier et unique, avec son monde spécifique et son histoire ; . La connaissance repose non seulement sur la vérité mais aussi sur l'erreur.
L'un des traits qui me différencient le plus fortement de Freud est sans doute cette reconnaissance du caractère subjectif de toute psychologie édifiée par un seul chercheur.
.. un second critère de différenciation dans le fait que je m'efforce de ne point avoir sur les conceptions du monde de présupposés inscients et qui par là n'auraient point subi la critique. Je dis bien que je « m'y efforce» ; qui peut être tout à fait sûr de ne point avoir de présupposés inconscients ? . c'est pourquoi j'ai tendance à reconnaître tous les dieux possibles et imaginables, sous la seule réserve qu'ils soient ou qu'ils aient été agissants dans l'âme humaine. .. les instincts fondamentaux de la nature .. se développent puissamment dans les domaines de l'âme, qu'il s'agisse de l'Éros ou de la volonté de puissance, .. ces instincts se heurtent à l'esprit ; car ils se heurtent toujours à quelque chose, . P.181