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LE CRANE QUI ROULE

Un groupe de chasseurs avait établi son camp dans la forêt. Leurs broches étaient chargées de grandes quantités de viande. Des singes capucins y étaient piqués, les bras en croix, ainsi que des queues de singes hurleurs et des morceaux de toutes sortes d'animaux. Tout autour, l'herbe était jonchée de têtes, de peaux, d'os et d'entrailles. Les chasseurs étaient tous partis, ne laissant qu'un jeune garçon au camp, chargé de retourner les morceaux de viande au-dessus de la braise. Soudain, un homme apparut sur les lieux du campement. Il en fit le tour, considéra le butin de chasse d' un air sombre, compta les hamacs suspendus, et s' en fut. Lorsque, le soir, les chasseurs rentrèrent au camp, le garçon rapporta la visite de l'inconnu, mais personne ne le crut. Cependant, quand les hommes furent allés se coucher dans leurs hamacs pour dormir, le garçon raconta à nouveau l'histoire à son père qui finit par en concevoir des soupçons. Le père et le fils dénouèrent alors leurs hamacs et se retirèrent dans l'obscurité pour se réfugier dans les buissons à quelque distance du campement. Ils ne l'avaient pas quitté depuis bien longtemps qu'ils entendirent des voix qui semblaient être celles de chouettes, de tigres et d'autres bêtes nocturnes, et ces bruits étaient entrecoupés de gémissements humains et du craquement d'os broyés. « C'est Kourou-pira, qui, avec sa suite, tue les chasseurs ! » chuchota l'homme à l'oreille de son fils.
Lorsque le matin se leva, ils retournèrent au camp. Il n'y restait plus que les hamacs vides maculés de sang et le sol était jonché d'ossements humains dispersés, au milieu desquels se trouvait la tête d'un chasseur. Au moment où l'homme s'apprêtait à quitter les lieux avec son fils, la tête s'adressa soudain à lui : « Emporte-moi, parrain ! » L'homme, étonné, chercha l'interlocuteur des yeux, tout autour de lui. « Ramène-moi chez moi, parrain ! », reprit la tête. L'homme renvoya alors son fils au village, puis il arracha une liane, y attacha le crâne et, le tirant derrière lui, se mit en chemin. Mais peu après il sentit la peur monter en lui et il abandonna le crâne sur le sentier. Cependant, lorsqu'il continua sa marche, le crâne roula derrière lui comme une citrouille, criant sans cesse : « Parrain ! parrain ! Emporte-moi donc ! » L'homme dut alors ralentir ses pas afin que le crâne pùt le suivre sur ses talons. L'homme réfléchissait toutefois à la façon dont il pourrait se débarrasser de ce sinistre compagnon. Il demanda donc à la tête de l'attendre un instant sur le sentier parce qu'il devait faire ses besoins dans la forêt. Après quoi, il ne revint pas près de la tête, mais chercha à rejoindre le chemin plus loin. Revenu sur le sentier, il creusa en hâte une trappe, la recouvrit le frêles branchages et de feuilles et se cacha. Pendant ce temps, la tête attendait sur le chemin que l'homme ressortît du taillis de la forêt, et elle cria enfin : « Parrain, n'as-tu pas encore fini ? » - « Non, pas encore ! » répondit l'étron de l'homme. Le crâne dit alors : « Comment ! De mon temps - lorsque j' étais encore humain -, un excrément ne savait pas parler, pour autant que je sache ! » Puis il se mit à avancer sur le chemin en roulant et, un peu plus lion, il tomba dans la trappe. L'homme sortit alors de sa cachette, remplit la fosse de terre et la tassa bien en la foulant aux pieds Puis il rentra au village.
Lorsque la nuit tomba, on entendit du village jaillir de la forêt des cris qui se rapprochaient. « C'est le crâne qui s'est libéré de la fosse », dit l'homme aux gens du village. A présent, des ailes et des serres avaient poussé au crâne qui avait l'air d'un énorme faucon. Il s' approcha en planant, se jeta sur le premier qui croisa sa trajectoire et le dévora. Le soir suivant, l'homme-médecine se dissimula près du lieu où le sentier sortait de la forêt et, armé de son arc et de ses flèches, il guetta le monstre. A la nuit tombante, celui-ci s'approcha en hurlant, puis s'installa sur un tronc à l'orée du bois. Il avait tout à fait l'aspect d'un énorme faucon. L'homme-médecine décocha alors une flèche qui transperça les deux yeux du rapace de sorte que l'oiseau monstrueux s'abattit aussitôt du haut du tronc.