Skip to main content

MA VIE :rêves

 Noël 1912
Je me trouvais dans une merveilleuse loggia italienne avec colonnes, sol et balustrades en marbre. J'y étais assis sur une chaise dorée de style Renaissance, et devant moi était une table d'une rare beauté. Elle était taillée dans une pierre verte comme de l'émeraude. J'étais donc assis et regardais dans le lointain, car la loggia se situait tout en haut dans la tour d'un château. Mes enfants se trouvaient aussi autour de la table. Tout à coup, un oiseau blanc plongea vers nous ; c'était une petite mouette ou une colombe. Avec grâce, elle se posa sur la table, et je fis un signe aux enfants afin qu'ils se tiennent tranquilles et qu'ils ne fissent pas peur au bel oiseau blanc. Aussitôt, la colombe se transforma en une petite-fille âgée de 8 ans environ, aux cheveux blonds dorés. Elle partit en courant avec mes enfants, et ils se mirent à jouer ensemble dans les merveilleuses colonnades du château. Je restais plongé dans mes pensées, réfléchissant à ce qui venait de se produire et à ce que je venais de vivre. La petite fille s'en revint alors et me passa affectueusement un bras autour du cou. Puis soudain la petite-fille disparut, mais la colombe était à nouveau là et dit avec une voix humaine en parlant lentement : "ce n'est que dans les premières heures de la nuit que je puis me transformer en un être humain, tandis que la colombe mâle s'occupe des douze morts." Ayant dit cela, elle prit son envol dans le ciel bleu et je me réveillais.


Je venais de la direction de la ville (Arles) et voyais devant moi une allée semblable à celle des Alyscamps bordée de toute une rangée de tombes. C'était des socles surmontés de dalles de pierre sur lesquels reposaient des morts. Ils gisaient là, revêtus de leurs costumes anciens, les mains jointes sur la poitrine tels les chevaliers des vieilles chapelles mortuaires dans leur armure, à la seule différence que dans mon rêve les morts n'étaient pas de pierre taillée, mais momifiés de façon singulière. Je m'arrêtai devant la première tombe et considérai le mort. C'était un personnage des années 1830. Intéressé, je regardai ses vêtements. Soudain, il se mit à bouger et revint à la vie. Ses mains se séparaient, et je savais que cela n'avait lieu que parce que je le regardais. Avec un sentiment de malaise je continuai mon chemin et parvint à un autre mort qui appartenait au 18ème siècle. Là, il se produisit la même chose; alors que je le regardais, il redevint vivant et remua les mains. Je parcourus comme cela toute la file, jusqu'à ce que j'eusse atteint pour ainsi dire le 12ème siècle ; le mort dont il s'agissait était un croisé qui reposait dans une cotte de mailles, et qui avait également les mains jointes. Son corps semblait sculpté dans du bois. Je le contemplai longuement, convaincu qu'il était réellement mort. Mais soudain, je vis que l'un des doigts de sa main gauche commençait doucement à s'animer.


Au beau milieu de l'été, un froid arctique faisait irruption et la terre se trouvait pétrifiée sous le gel. Toute la Lorraine avec ses canaux, était gelée. Toute la région était comme désertée des hommes et tous les lacs et toutes les rivières étaient recouvertes de glace. Toute végétation vivante était figée par le gel.
Lors de la troisième répétition de ce rêve, un froid monstrueux qui semblait provenir des espaces intersidéraux avait envahi la terre. Toutefois ce rêve eut une fin imprévue. Il y avait un arbre portant des feuilles mais pas de fruit (mon arbre de vie, pensais-je) dont les feuilles s'étaient transformées sous l'effet du gel en grains de raisin sucrés, plein d'un jus bienfaisant. Je cueillais les raisins et les offrais à une foule nombreuse qui attendait.

 (18/12/1913)
Je me trouvais avec un adolescent inconnu à la peau foncée, un sauvage, dans une montagne solitaire et rocheuse. C'était avant le lever du jour ; le ciel à l'orient, était déjà clair, et les étoiles commençaient à s'éteindre. Par delà les montagnes, retenti le cor de Siegfried et je sus dès lors qu'il nous fallait le tuer. Nous étions armés de fusils et nous nous mîmes en embuscade dans un chemin étroit.
Soudain Siegfried apparu au loin tout au haut de la montagne, dans les premiers rayons du soleil levant. Dans un char fait d'ossements, il descendit à une vitesse folle le flanc rocheux de la montagne. Lorsqu'il apparut à un tournant, nous tirâmes sur lui et il s'effondra, mortellement atteint. Plein de dégoût et de remords d'avoir détruit quelque chose de si grand et de si beau, je m'apprêtais à fuir, poussé par la peur qu'on put découvrir le meurtre. À ce moment survint une pluie drue et abondante dont je savais qu'elle ferait disparaître toutes les traces de l'attentat. J'avais échappé au danger d'être découvert, la vie pouvait continuer, mais il restait en moi un sentiment intolérable de culpabilité.

Il y avait un ciel bleu, mais on aurait dit la mer. Il était couvert, non pas par des nuages, mais par des mottes de terre. On avait l'impression que les mottes se désagrégeaient, et que la mer bleue devenait visible entre elles. Mais cette mer était le ciel bleu. Soudain, apparut un être ailé qui venait en planant de la droite. C'était un vieillard doté de cornes de taureau. Il portait un trousseau de quatre clefs dont il tenait l'une comme s'il avait été sur le point d'ouvrir une serrure. Il avait des ailes semblables à celle du martin-pêcheur, avec les couleurs caractéristiques.

(1927)
Je me trouvais dans une ville sale, noire de suie. II pleuvait et il faisait sombre ; c'était une nuit d'hiver. C'était Liverpool. Avec un certain nombre de Suisses, disons une demi-douzaine, nous allions dans les rues sombres. J'avais le sentiment que nous venions de la mer, du port, et que la vraie ville se situait en haut sur les falaises. C'est là que nous nous dirigeâmes. Cette ville me rappelait Bâle : la place du marché est en bas et il y a une ruelle avec des escaliers nommée .. (ruelle des Morts) qui mène vers un plateau situé plus haut, la place Saint- Pierre, avec la grande église Saint- Pierre. En arrivant sur le plateau, nous trouvâmes une vaste place faiblement éclairée par des réverbères, sur laquelle débouchaient beaucoup de rues. Les quartiers de la ville étaient disposés radialement autour de la place. Au milieu se trouvait un petit étang au centre duquel il y avait une petite île. Alors que tout se trouvait plongé dans la pluie, le brouillard, la fumée, et que régnait une nuit faiblement éclairée, l'îlot resplendissait dans la lumière du soleil. Un seul arbre y poussait, un magnolia, inondé de fleurs rougeâtres. C'était comme si l'arbre se fut tenu dans la lumière du soleil et comme s'il eut été en même temps lumière lui-même. Mes compagnons faisaient des remarques sur le temps épouvantable et, manifestement, ils ne voyaient pas l'arbre. Ils parlaient d'un autre Suisse qui habitait Liverpool et ils s'étonnaient qu'il s'y fût justement établi. J'étais transporté par la beauté de l'arbre en fleur et de l'île baignant dans le soleil et je pensais : « Moi, je sais pourquoi » et je m'éveillai.
.. chacun des quartiers de la ville était à son tour construit en étoile autour d'un centre. Celui-ci formait une placette dégagée, éclairée par un seul grand réverbère, et l'ensemble constituait ainsi une réplique en plus petit de l'île. Je savais que « l'autre Suisse » habitait dans le voisinage d'un de ces centres secondaires. P.230