Comme Jung l'a souligné, le démoniaque agit négativement, surtout au moment où un contenu inconscient, d'une puissance irrésistible, apparaît au seuil de la conscience pour s'emparer ensuite de la personnalité sous forme d'une possession. Avant qu'un tel contenu soit consciemment intégré, il voudra toujours « se produire physiquement » et « forcer le sujet à adopter son caractère». C'est seulement quand la personne résiste aux pressions du contenu inconscient et cherche par la réflexion à rendre son sens conscient que l'aspect négatif peut être réduit( cf. la tendance à égarer l'individu dans l'action ( « machen » en allemand = « faire » ) comme s'il s'agissait de pouvoir, «( Macht » en allemand)) Le démoniaque aurait ainsi un aspect créateur « in statu nascendi » qui ne serait pas encore réalisé par le Moi.
Une manifestation du mal qui provoque particulièrement la crainte, est la magie noire. Elle provient d'une prise de position P.151 consciente qui exalte les impulsions psychiques destructrices jusqu'au rang de seule réalité valable. « Les moyens qui y sont utilisés sont des représentations et des images primitives fascinantes qui angoissent, et qui peuvent être employées dans n'importe quel but associai personnel. »
Le démoniaque repose, comme l'a souligné Jung, sur le fait qu'il existe des forces inconscientes de négation et de destruction, et sur la réalité du Mal. On reconnaît par exemple le démoniaque au fait même que la magie noire a un succès. . Albert le Grand dit que celui qui s'abandonne sans résistance à un affect et dans cet état désire mal, peut provoquer un effet magique. C'est la quintessence de la magie primitive et des phénomènes de masse correspondants, comme le national-socialisme, le communisme etc. « Quand dans de telles psychoses de masse un chaos surgit de l'inconscient, c'est que de nouvelles idées symboliques sont demandées qui ne feront pas qu'englober et exprimer l'ordre ancien mais aussi les contenus essentiels du désordre. » D'où la nécessité de réaliser un travail de création. Donc la force démoniaque et la créativité sont psychologiquement proches. Rien n'est plus destructeur dans la psyché humaine que des pulsions créatrices inconscientes non réalisées. C'est pourquoi il n'est en général possible de guérir une psychose que si le malade peut être amené à entreprendre une activité créatrice, à créer la représentation des contenus qui le perturbent. Et quand s'agit de psychose de masse, ce sont seulement des images archétypiques nouvelles, créatrices, puisées dans les profondeurs des représentations archétypiques « rédemptrices » qui pourront empêcher l'évolution vers la catastrophe.
Beaucoup de démons ne sont pas tant des êtres monstrueux que des figures mixtes, comme il n'en existe pas dans la nature, tels les centaures, les sirènes, Pégase, l'oiseau Garuda, etc. Ces images, expriment quelque chose de surnaturel et par conséquent de spirituel. Cette sorte d'êtres incarne essentiellement des phantasmes créateurs, moralement neutres, en général plutôt bien disposés à l'égard des humains. Le centaure Chiron est un guérisseur expérimenté. Garuda un intermédiaire entre les dieux et les hommes, Pégase emporte le poète vers les hauteurs de l'inspiration spirituelle.
Mais toujours se pose la question de la possibilité d'intégrer de tels êtres. On peut tout de même dire la chose suivante : quand un démon, par exemple un « Polergeist » poursuit obstinément une personne malgré ses changements de lieu ou de milieu, c'est qu'il subsiste en elle, dans tous les cas, une part essentielle, subjective, attachée à cet esprit. Si celui-ci disparaît lors des changements de lieu, c'est qu'il ne reste aucune relation importante (ce fut précisément le phénomène du fantôme attaché à un lieu qui fit que Jung corrigea sa conception que les esprits seraient des complexes seulement subjectifs). Mais même quand quelqu'un est suivi, où qu'il aille, par un esprit, celui-ci n'appartient seulement qu'en partie au sujet ; cette part subjective attire pour ainsi dire le « diable objectif » et dès que la première est intégrée, le second disparaît. P.152
En langue moderne, nous dirions donc que les démons engendrent des projections. P.158
Voir suite
Le problème de l'appartenance des archétypes au sujet
L'éclairage psychologique du développement des connaissances sur la démonologie.. aboutit à une image complexe. D'une part, les démons sont définis sans P.163 ambiguïté comme des puissances archétypiques, d'autre part l'antiquité tardive différencie les êtres du monde intermédiaire démoniaques et les dieux supérieurs éloignés des hommes, ce qui en somme enlève de l'ombre à l'image archétypique. Il apparaît ainsi que la partie instinctuelle et émotionnelle des archétypes s'est rapprochée des humains, alors que la partie spirituelle, les « dieux » qui sont identiques aux idées platoniciennes, reste projetée dans un espace « métaphysique » transcosmique. On supposait qu'il y avait un lieu entre les démons et les états psychiques des individus ; les dieux, les idées et les structures mathématiques étaient par contre ressentis comme purement extérieurs aux humains. Ils demeuraient dans l'au-delà, dans une paix éternelle. Cela correspond au fait psychologique « qu'un archétype à l'état de repos et non de projection, n'a aucune forme bien déterminable, mais une production formellement indéterminable possédant la faculté d'apparaître sous une forme déterminée grâce à la projection ». Les démons sont par conséquent des formations archétypiques qui apparaissent dans le champ des projections humaines.
. Le fait que l'on ait considéré les démons comme partiellement « psychiques », a eu pour conséquence que les archétypes de l'inconscient collectif ont en quelque sorte commencé à pénétrer dans le domaine vécu subjectivement de la psyché ; sous cette « saillie » les archétypes possèdent toutefois une base s'étendant dans les profondeurs de l'inconscient collectif, et même au-delà, dans le domaine de la réalité transpsychique.
Dans le diagramme suivant, on trouvera à gauche les concepts historiques, à droite leur signification psychologique :
Moi conscient Moi conscient
Péchés Infériorités personnelles conditionnées par des
complexes (ombre)
Démons néoplatoniciens Contenus archétypiques observables dans le
dans les visions et le monde des rêves psychisme individuel et collectif
Démons causes des maux physiques, Lésions psychosomatiques sur un archétype réalisateurs de prodiges constellé phénomènes de synchronicité
Dieux cosmiques Archétype en tant qu'ultimes constantes de
la nature, psychoïdes
Ce n'est que dans le domaine du Moi conscient que l'individu est pleinement responsable de ces actes ; déjà dans le domaine des « infériorités personnelles» conditionnées par des complexes, le contrôle du Moi commence à s'affaiblir, l' « éthos » chrétien exige de l'individu une responsabilité éthique, aussi dans ce domaine. Ce qu'il y a derrière tout cela se soustrait largement au contrôle du conscient, si bien qu'une intégration, c'est-à-dire une installation des contenus dans la personnalité consciente, est la plupart du temps impossible. On doit cependant à Jung d'avoir montré que l'on peut malgré tout traiter avec ces contenus, au lieu de les refouler et de les « pourchasser » ce qui rend possible en grande partie la neutralisation de leurs effets négatifs. Il s'agit de la technique de méditation appelée « imagination active » : le Moi conscient laisse monter vers lui les contenus inconscients qui sont des images intérieures rendues le plus possible objectives et entreprend ensuite un dialogue avec elles, comme avec un vis-à-vis autonome. Les démons, s'il s'agit bien d'eux, obtiennent alors cet « hommage rituel » qu'ils réclament et qui leur apporte un apaisement. Si les buts poursuivis par le Moi sont différents de ceux d'un « daimon », un compromis qui prendra en considération les besoins de chacun est souvent possible. P.165
Il serait séduisant de classer les différentes méthodes modernes de psychothérapie selon leur degré d'affinité avec l'exorcisme ou avec les efforts d'intégration . La psycho-pharmacologie et le « behaviorisme » sont en tout cas de purs exorcismes ; l'analyse freudienne est plutôt cathartique, en ce sens qu'elle « honore » les démons tout comme le fait la thérapie de groupe. L'école jungienne, à ma connaissance, adhère sans équivoque à une intégration par l'introspection.
L'intégration des contenus inconscients par l'imagination active semble cependant ne fonctionner que lorsqu'il s'agit de démons insignifiants, de « petits diables » qui constituent l'ombre personnelle du sujet, mais non quand il s'agit du principe du Mal (de l'archétype du diable). C'est pourquoi Jung souligne qu'il appartient au domaine du possible de reconnaître le mal relatif de notre nature, tandis qu'avoir un regard direct sur le mal absolu représente une expérience aussi rare que bouleversante. L'allusion de Jung concerne l'aspect archétypique du Mal, le côté obscur de l'image de Dieu ou du Soi, dont les abysses de méchanceté dépassent largement l'ombre de l'homme. Comme toutes les forces archétypiques de l'inconscient, cette force intérieure ne peut pas être intégrée par le moi. C'est pourquoi Jung, dans « Aion », s'est élevé aussi vivement contre l'enseignement théologique de la « privatio boni », la non-substantialité du Mal. Si l'on considère en effet que le Mal ne fait pas partie de Dieu, alors il tombe à la charge de l'âme humaine, ce qui veut dire un dépassement négatif de sa limite. ( En d'autres termes : une inflation) Si cette puissance gigantesque du Mal selon Jung, est attribuée à l'âme, il ne peut en résulter qu'une inflation négative, c'est-à-dire une revendication de puissance de l'inconscient et par suite une intensification de ce dernier. Cela signifie une possession par le Mal absolu, telle que l'avait prévue le monde chrétien, par la venue de l'antéchrist et telle que nous la vivons aujourd'hui quotidiennement par l'incroyable cruauté de l'homme moderne. Derrière ce phénomène a lieu réellement une activation de l'aspect obscur de Dieu qui dans le cas de certains individus faibles, peut conduire à une dislocation catastrophique de toutes les composantes de la psyché, à la panique ou à toute autre émotion non retenue, et par conséquent fatale. Le foyer d'une telle émotion destructrice qui existe potentiellement dans toute âme humaine, est le Soi, un centre intérieur d'où peuvent émaner les plus grandes actions créatrices comme les pires destructrices. (Souvent à l'arrière-plan des compositions de mandala, se trouvent cachés des diables et des démons. « Cet aspect d'ombre du mandala représente le principe du désordre et de dissolution, le chaos qui se cache derrière le Soi, et qui éclate au grand jour, de façon dangereuse, dès que le processus d'individualisation est stoppé, voire même tant que le Soi demeure non réalisé et reste de ce fait inconscient. ») Que justement dans l'image de Dieu, l'enfer et la rédemption font partie dans les mêmes proportions de l'image de Dieu, est comme le dit Jung, bouleversant. Mais le même thème résonne dans l'affirmation de Maître Eckhart suivant laquelle « lorsqu'il revient à lui-même, il se place dans un abîme encore plus profond que l'enfer lui-même » Il met le noyau intérieur de l'âme, Dieu et l'enfer en un seul. Et cela repose, commente Jung, « sur l'expérience immédiate selon laquelle ce qu'il y a de plus élevé, de plus profond dans ce qui monte du fond de l'âme, conduit la barque de notre conscience soit à l'échec, soit à bon port, avec « ou sans notre intervention.»
De l'avis du Jésuite Pinicellus, l'aspect destructeur de ce centre intérieur de l'individu est dans la langue. . Les projections négatives, ., principalement les propos haineux, atteignent les autres comme des flèches ; la langue est l'instrument de la calomnie et du mensonge - de tous les verbiages possibles, idéalistes, intellectuels, de propagande, comme des slogans pour le social, la sécurité, la paix entre les peuples. Le mal aujourd'hui est occulté souvent par les idéalismes et autres noms en « ismes » derrière lesquels se dissimule un doctrinarisme dépourvu de toute spiritualité. On « sait » ce qui est juste et bon pour l'humanité et de là commence le déclin ! Le danger, lorsque l'on emprunte de telles voies, est immense : il commence par le mensonge, c'est-à-dire la projection de P.167 l'ombre ; il y a plus d'êtres humains torturés ou assassinés au nom de tous ces mots en « ismes » que de morts naturelles. À l'arrière plan de tous ces « ismes » se cachent les projections de nos propres problèmes intérieurs, des opposés psychiques non réalisés. Mais les reconnaître semble encore à beaucoup impossible.
.. les démons peuvent souvent être considérés comme des projections de complexes autonomes inconscients, intégrables dans une limite bien déterminée. Là où ils apparaissent sous une forme archétypique, leurs contenus - ceux qui sont compréhensibles par le sujet, grâce à leurs images symboliques - peuvent être (ou doivent être) intégrés, mais non leur structure archétypique, pour laquelle l'individu peut toujours prendre une position « religieuse » en lui accordant toute sa vie, une attention et une considération respectueuses. Reflets de l'âme M.L.von Frans
Alchimie=phénoménologie des opposés et synthèse des contraires ; unio mystica archétype de l'union des contraires ; conjonction= image valeur capitale pour la psyché et pour la connaissance de l'âme cf. P.21 Transfert.
C'est l'image du christ et satan bougeant ensemble qui a été le point de départ de cette réflexion ; en plus de nombreux rêves où se retrouvaient les idées avancées par Jung
La base de cette réflexion est d'accepter le principe de dualité (tout est doube) et le principe d'énergie (une énergie en elle même n'est ni bonne ni mauvaise
Les mots mis sur ces pôles ou ces énergies sont : bon, mauvais, positif, négatif,
Dans les images archétypiques collectives :Yin Yang Dieu Diable
Cf. en alchimie : le soufre= facteur déclenchant, et pourtant souvent associé au Diable
LE MAL ET L'ATTITUDE CONSCIENTE:
Lorsque le mal vient d'une mauvaise attitude du conscient, il est facile de comprendre que l'inconscient est empêché de se manifester et ne peut plus contribuer au développement : réduit à une quasi-inactivité, il ne produit plus que des sentiments de culpabilité et des symptômes névrotiques. .
Mais si l'on y regarde de plus près, on s'aperçoit souvent que les choses sont plus complexes .. le mal vient moins du principe de conscience lui-même que d'un archétype qui a été négligé par lui. P.178
Par exemple, dans le conte « Le Fidèle Jean », l'archétype du féminin, la Déesse, méprisée par la conscience collective régnante, ne se manifeste pas directement. : elle n'attaque pas le roi lui-même mais sème de difficultés son retour avec la princesse et elle pétrifie le fidèle Jean, exigeant pour le sauver le sacrifice des enfants. C'est là un événement caractéristique qu'il est bon de garder en mémoire dans le traitement des cas individuels, lorsqu'on se heurte à des complexes névrotiques difficiles à cerner : si un contenu de l'inconscient est refusé par le conscient, ce contenu réfoulé prend un chemin détourné et en mutile un autre.
Par l'analyse des rêves, on peut constater que deux facteurs entrent en collision dans l'inconscient, que deux principes inconscients se combattent l'un l'autre sans que le conscient intervienne. (On voit, par exemple, des rêves où des animaux se battent ou se dévorent entre eux ; thème retrouvé aussi dans l'alchimie. ) Mais c'est le conscient, qui, par son attitude erronée, est indirectement responsable du conflit.
Dans ce genre de situation, il n'a pas commis « le mal » de façon explicite : le vieux roi n'a fait aucun mal au fidèle Jean, il l'a traité avec bienveillance et pourtant il est évident que l'anima était négligée dans le royaume et qu'elle a frappé d'abord le fidèle Jean, puis le jeune roi dans ses fils. Le principe féminin, sous la forme de la princesse, la Bien-Aimée, réduite à l'état de portrait et reléguée au cabinet noir, se venge en se tournant contre la fonction transcendante, le processus de passage à la conscience, le développement vers l'individuation, et cela est pire que si elle s'attaquait directement au conscient.
Il arrive souvent que l'omission ou la négligence d'un seul facteur ait un effet destructeur sur le processus d'individuation tout entier : la totalité ne peut se réaliser si un facteur en est exclu. P.180
Dans le chapitre de la possession par le mal, on voit à travers différents contes que certains facteurs ou attitudes de l'individu favorisent sa possession par le mal :
Le refus de considérer l'existence du mal (plus proche de nous la discussion de Jung à propos du danger de considérer le mal comme la privatio boni..)
L'isolement et la solitude ; l'absence de liens affectifs.
La curiosité
L'unilatéralité (cf. têtue)
La non-obéissance à la « Loi » de la Nature, (je dirais donc de l'inconscient, de l'archétype ou du numineux)
L'abaissement du niveau mental, du conscient comme dans la prise de boissons, drogues, médicaments ou même dans le sommeil.
Le manque de crainte, de déférence et de respect vis à vis des forces numineuses (cf. l'insolence)
La bravade et l'impertinence (liées au manque de respect ou à l'inconscience)
L'attitude irresponsable
L'excès (rejoint l'unilatéralité)
Le manque de jugement ; le manque d'instinct ( du danger) ; tout comme le manque de réalisme.
La fascination humaine par la mort comme par le mal.
Une attitude infantile et une méconnaissance des dangers psychiques ouvrent la porte à tous les genres de possession, d'inflation et de dissociation.P.233
Si vous devez rencontrer le mal et l'explorer parce qu'il est une partie de vous, de votre destin, s'il y a une raison valable ou que vos rêves vous disent de le faire, c'est autre chose : il s'agit alors de votre mal, de l'abîme que vous portez en vous-même et qu'il vous faudra, tôt ou tard, reconnaître. Mais si vous agissez poussé par une attitude frivole, par simple curiosité intellectuelle ou par un goût pervers « pour voir », sans tenir compte du caractère contagieux et destructeur du phénomène, vous vous comportez en inconscient irresponsable, incapable de juger de la gravité d'un danger ; vous devenez donc une proie toute prête à être engloutie. P.235 ..
Les puissances maléfiques dans les contes sont souvent des personnifications des forces de la nature et représentent les dangers de celle-ci.
Ce que l'homme vit comme mauvais est d'abord ce qui met sa vie ou sa sécurité en question, ce qui est désagréable ou dangereux pour lui et le remplit de panique. C'est ainsi que s'est formée son expérience archétypique du mal : la faim, le froid, le feu, l'inondation, le glissement de terrain et l'avalanche, la tempête de neige, la tempête en mer et le danger de noyade, celui de se perdre en forêt, les animaux féroces, ours blanc du Nord, lion, crocodile africain, serpent ou scorpion, ours ou loup de chez nous, la maladie, la mort, etc.
P.237 Ces forces sont représentées par des êtres hybrides, mi-humain, mi-animal . Le sens symbolique qu'en donne M.L.von Frans : c'est la projection du fait que le mal, tel qu'il est vécu psychiquement par l'homme, est de se laisser prendre par une attitude unilatérale, un mode de comportement unique, qui engloutit le conscient, le déforme ou le démembre. P.138 Mais ce n'est pas suffisant pour expliquer la possession par ses mêmes puissances. Elles ont une existence et une signification psychologique : elles sont autant extérieures qu'intérieures. L'inconscient est la nature et est donc habité par ses puissances numineuses et quand l'être humain pénètre sans défense ou sans conscience ou sans respect dans le domaine des archétypes, dans le domaine des dieux, il risque d'y être englouti.
D'ailleurs dans certains contes l'esprit n'a pas de formes définies et peut être aussi bien bénéfique que maléfique ou neutre P.234
Le confort de la vie citadine nous éloigne des dangers de la nature du dehors mais aussi du dedans
À l'image de la plupart des remèdes qui comportent aussi une part de poison, la rencontre avec l'aspect numineux renferme un aspect fort dangereux. . Jung écrit .. : « Les religions ne sont pas forcément belles ou bonnes. Ce sont d'immenses manifestations de l'esprit, et il n'est pas en notre pouvoir de commander l'esprit. . »
S'agissant de l'expérience individuelle, le versant dangereux du numineux se manifeste dans sa tendance, inhérente à tout archétype lorsqu'il émerge au seuil de la conscience, de fasciner le moi et de le pousser au passage à l'acte ou à la concrétisation de ce qui est un contenu symbolique. Si l'individu ne réussit pas à contenir les impulsions de sa tête et de son cour, il deviendra possédé et tombera dans l'inflation. . Ainsi un schizophrène, occupé à travailler dans le jardin d'un hôpital psychiatrique, s'empara-t-il soudain de la fillette du directeur de l'hôpital, âgée de dix ans, et lui trancha la tête. Après le passage à l'acte, il affirma que la voix du Saint-Esprit lui avait enjoint de le faire. S'il avait compris la voix sur le plan symbolique, elle lui aurait fait comprendre qu'il lui fallait sacrifier son infantilisme. Le fait d'agir concrètement afin de réaliser des contenus archétypiques affIuant à la conscience, constitue le danger par excellence que peut provoquer l'expérience numineuse. Dès lors l'aspect démoniaque du numineux l'emporte sur son côté salutaire. La recherche du sens et la guérison sont perdus. En effet, l'état de possession va toujours de pair avec le fanatisme. On possède et représente la seule vérité et l'on s'arroge en conséquence le droit de violenter autrui. Seule la compréhension psychologique du sens peut nous éviter de tomber dans ce piège. .. lorsqu'une expérience religieuse originelle est échue à quelqu'un, celle-ci a, bien entendu, une valeur absolue pour lui. Et si la personne se rend compte que cette expérience correspond à sa quête personnelle du sens, elle acceptera que Dieu ou le numineux puisse se manifester sous mille autres formes parce que celui-ci est, au fond, l'inexplorable qui se montre à nous à travers le prisme de l'âme humaine, s'exprimant dans des images et nous parlant sous forme de mythes. Il est impossible de savoir, du moins dans cette vie-ci, ce qu'il est « en soi ».P ;163
Psychothérapie l'expérience du praticien, « nous sommes confrontés à un problème à peu près insoluble, sinon tout à fait, celui du mal, et à la question de savoir comment s'y confronter. »
La tendance de notre culture chrétienne, à voir en Dieu le summum bonum ((le bien suprême) et à rejeter le mal de son domaine) est portée à son apogée dans la privatio boni, (le mal n'a pas d'existence propre, mais ne représente soit qu'une une simple déficience, soit qu'une absence de bien.)
Cette attitude psychique unilatérale suscite la réaction compensatrice opposée. ( Christ-Antéchrist)
Jung dit .. : « La question autrefois posée par les gnostiques : « D'où vient le mal ? » n'a pas trouvé de réponse dans le monde chrétien. Et l'allusion d' 0rigène à une possible Rédemption du diable passa pour une hérésie. Mais aujourd'hui la question nous assaille et nous devons fournir une réponse ; nous nous tenons là, les mains vides, étonnés et perplexes, et nous ne pouvons même pas nous rendre compte que nul mythe ne vient à notre aide alors que nous en aurions un si urgent besoin. Certes, conséquence de la situation politique et des succès effroyables, voire démoniaques de la science, on ressent des frissons secrets, des pressentiments obscurs. Mais on ne sait que faire, et bien peu nombreux sont ceux qui en tirent la conclusion que, cette fois-ci, il y va de l'âme de l'homme oubliée depuis longtemps.»
Jung n'est pas le seul à considérer « l'actuelle accumulation du mal comme caractéristique des catastrophes historiques accompagnant les périodes de grande transition d'une époque à l'autre ».
Depuis toujours, la menace de l'extinction de toute vie sur la planète pèse sur l'humain, que ce soit de la main de la nature elle-même (cf. météorite ..) , de la main de l'humain par la destruction de l'environnement, par une guerre exterminatrice, de la main du divin (déluge .).
Il n'y a pas de réponse toute faite. Néanmoins la conviction de Jung, rejoint celle de tout esprit « religio » : chaque individu acceptant de se confronter au mal en lui-même apporte une contribution bien plus effective à sauver le monde que ne saurait le faire tout activisme idéaliste exrérieur.
Comme il le démontre dans Réponse à Job « l'enjeu dépasse la compréhension des aspects d'ombre de la personne individuelle ; il s'agit de la confrontation avec l'aspect sombre de la divinité (ou du Soi), que l'être humain ne saurait affronter, mais auquel il doit néanmoins faire face. »
Nous pourrons ainsi accorder au Dieu unique la totalité et la synthèse des opposés qui lui reviennent.
« .Quiconque a expérimenté que les contraires, « du fait de leur nature », peuvent s'unifier grâce au symbole, de telle manière qu'ils ne tendent plus à se disperser ni à se combattre, mais au contraire à se compléter réciproquement et à donner à la vie une forme pleine de sens, n'éprouvera plus de difficultés face à l'ambivalence de l'image d'un dieu de la nature et de la création. Il comprendra précisément le mythe du « Devenir Homme » nécessaire de Dieu. comme une confrontation créatrice de l'homme avec les éléments contraires ainsi que leur synthèse dans la totalité de la personnalité. Dans l'expérience du Soi, il ne s'agira plus, comme précédemment, de surmonter le contraste « Dieu-homme », mais l'opposition au sein même de l'image de Dieu. C'est cela le sens du « service de Dieu », c'est-à-dire du service que l'homme peut rendre à Dieu afin que la lumière naisse des ténèbres, afin que le créateur prenne conscience de Sa création et que l'homme prenne conscience de lui-même. » (Ma Vie p.384)
Le mal absolu est donc aussi un mystère divin, une forme d'expérience du numineux .
Dans les rêves nous rencontrons des images fréquentes de « conflagrations de l'univers .. au point que l'on ne saurait exclure avec certitude l'intention de l'inconscient, c'est-à-dire de la nature elle-même, de détruire l'humanité. Jung n'écartait pas cette éventualité, mais son optimisme lui insufflait l'espoir que nous arriverions à P.171 prendre le virage dangereux en douce, réchappant de justesse à une dévastation complète de notre planète. »
Jung écrit : « S'écarter du numen semble partout et de tout temps être perçu comme le mal sous la pire et la plus originelle de ses formes. »
Dans la même lettre, il souligne aussi qu'il n'est rien que l'on ne saurait, par moments, qualifier de mal et que, par conséquent, le bien et le mal sont des jugements de valeur humains, de nature relative. Ce qui est décisif dans tous les cas, c'est d'être conscient du conflit et d'être capable de le supporter sur le plan conscient, mais on s'adonnerait à des illusions en croyant que, grâce à cet acte, le mal serait éliminé. À ce propos Jung ajoute dans une autre lettre : « On n'a pas connaissance qu'il y aurait plus de bien que de mal ou que peut-être le bien serait le plus fort. On peut seulement espérer que le bien l'emportera. Si l'on identifie le bien à la constructivité, il existe une probabilité pour que la vie continue sous une forme plus ou moins supportable ; si au contraire la destructivité était prépondérante, assurément le monde aurait déjà péri depuis longtemps de son propre fait. C'est aussi pourquoi la psychothérapie présuppose, avec optimisme, que l'éveil à la conscience fait ressortir l'existence du bien plus que celle du mal, source de ténèbres. Devenir conscient, c'est réellement concilier les contraires et par là développer un tiers qui se situe au-dessus d'eux. »
Dans la mesure où le mal est le plus souvent une déviation ou un éloignement par rapport au numineux, cela signifie du même coup que cet égarement se produit de façon inévitable et récurrente et, partant, que la lutte entre l'éloignement et le retour contrit se prolonge sur une très longue durée, si ce n'est à vie. C'est pourquoi l'image de l'écartèlement du Crucifié sur la croix comporte une vérité éternelle. Aussi l'analyse ne promet-elle pas le bonheur au patient ; si elle peut le sortir de la stagnation névrotique où s'est enlisée son existence, elle ne saurait lui épargner la souffrance authentique que comporte la vie.
Au sein de l'image religieuse de Dieu, c'est-à-dire du Soi, les contraires coexistent côte à côte, sans cependant être réunis par la conscience. Cette union ne peut être réalisée que dans l'être humain conscient, dans lequel les deux aspects du Soi, le bien et le mal, tendent à s'incarner. Coulés dans une forme humaine, ils sont devenus plus petits et se sont humanisés, ce qui leur permet de s'unir grâce à la coopération de la conscience de l'homme. C'est pourquoi la prise de conscience et la connaissance de soi sont les facteurs essentiels et décisifs.
(Psychothérapie l'expérience du praticien)
. il y a dans l'humain cette attraction terrienne et cette « soif d'infini », dialectique en réversibilité constante. La soif de l'infini, est, au moins potentiellement, vecteur du mal. C'est bien cette dialectique qui est en jeu dans la libido sentiendi, libido du sensible alliant les contraires : bien et mal, et en s'accomodant.P.58 La Part du Diable
LE DIVIN DANS L'HOMME :
réaliser la totalité, c'est-à-dire l'intégration de l'inconscient, ou en d'autres termes, la subordination du moi à la volonté totalisante où l'on voit avec raison la « volonté divine ». La -rÉÀEtwmç signifie la « complétude » et non pas la « perfection » de l'être humain, au sens psychologique. La totaIité ne peut pas être consciente, car elle inclut l'inconscient aussi. Elle est donc un état au moins à demi transcendant, donc religieux, numineux. L'individuation est un but transcendant :l'incarnation de l'(antropos). Rationnellement, on ne peut comprendre que l'effort religieux de la conscience vers la totalité, c'est-à-dire le « religiose observare » de la tendance totalisante de l'inconscient, et non pas l'être même de la totalité, du Soi, qui est préfiguré par l' « Etre en Christ. » P.161
. le problème de la résistance à la compréhension
Vision de Birgitta de Suède où le diable parlait avec Dieu sur la psychologie des diables :
« leur avidité s'est déployée sans mesure, car ils se sont gavés sans jamais se rassasier, et leur avidité était si grande que . ils n'auraient pas hésité à faire l'effort de conquérir le monde tout entier et en plus ils auraient bien voulu gouverner dans les cieux. Moi aussi, j'ai cette même avidité. »
Le diable est donc le dévoreur. Comprendre =comprehendere .. c'est aussi engloutir. La compréhension avale.
. Le désir de comprendre, qui paraît si moral et si universellement humain, dissimule une volonté diabolique
La compréhension est un pouvoir qui enchaîne affreusement, à la limite un véritable meurtre de l'âme, dès qu'elle fait disparaître des différences vitales. Au cour de tout individu est un mystère de vie qui s'éteint lorsqu'il est « saisi ». C'est pourquoi les symboles eux aussi demandent à garder leur mystère ...
La compréhension « analytique » produit chez les malades un effet destructeur bénéfique de la même manière qu'un produit caustique ou un thermocautère. Mais sur des tissus sains, son action destructrice est funeste. C'est en effet une technique que nous avons apprise du diable, toujours destructrice, utile pourtant là où il est nécessaire de détruire. . Toute compréhension, quelle qu'elle soit, qui se contente de rattacher à des points de vue généraux, porte en elle cet élément diabolique et s'avère mortelle.
La véritable compréhension cependant paraît être ce que l'on ne comprend pas, et qui pourtant existe et agit. P.425
(Si Job réussit à avaler son ombre, il se sentira profondément honteux de ce qui s'est passé. Il verra qu'il ne peut que s'accuser lui-même, car c'est sa complaisance, son attachement à la vertu et à tout comprendre à la lettre, qui ont apporté sur lui tout le mal. Plutôt que de voir ses propres imperfections, il a accusé Dieu. Il sombrera certainement dans un abysse de désespérance et de sentiment d'infériorité suivi, s'il survit, d'un profond repentir. Il en viendra même à douter de sa santé mentale, car c'est lui qui par sa vanité a provoqué un tel déferlement d'émotions, jusqu'à entretenir l'illusion d'une intervention divine - voilà bien un cas de mégalomanie. P.177)
L'humanité n'aurait jamais parlé de péché ni de rémission des péchés si cela n'était un fait psychologique tout à fait fondamental qui existait avant toute législation. Le problème de l'écart par rapport à la volonté des dieux préoccupait déjà l'humanité dans les temps primitifs. Si l'on prend le terme de « péché » dans ce sens, .. beaucoup plus global et, d'une certaine façon, plus incroyable que toute législation humaine. P.426
. la tentation du Christ. On appelle diable l'être qui tente le Christ ; mais on pourrait aussi bien dire qu'il s'agit d'une volonté de puissance inconsciente se manifestant chez le Christ sous la figure du diable. Les deux faces apparaissent avec évidence : la face obscure et la face claire. Le diable veut amener Jésus à se proclamer maître du monde. Jésus ne veut pas céder à la tentation et ici apparaît, grâce à la fonction ( transcendante) résultant de chaque conflit, un symbole : l'idée du royaume des cieux, du royaume spirituel, qui prend la place du royaume matériel. Deux choses sont unies dans ce symbole : le point de vue spirituel du Christ et le désir diabolique de puissance. . La personnalité consciente est .. confrontée à la position opposée de l'inconscient. Le conflit qui en résulte conduit - grâce à la fonction transcendante - à un symbole unissant les points de vue contraires. On ne peut choisir ou construire le symbole de manière consciente ; c'est une sorte d'intuition ou de révélation. .P.427
. Ce qui m'a toujours frappé à propos du problème du mal et de la puissance, c'est que « Macht » (puissance) vient de « machen » (faire)* : et comme « machen » est une activité spécifique à la vie humaine, on peut éventuellement en conclure que c'est précisément cette extériorisation caractéristique de la vie humaine qui porte le caractère du mal et que l'anthropos est donc en fait Lucifer. ... P.429 Cf. rêves et Annick de Souzenelle
... « Que chacun se considère comme l'artisan de ce qu'il y a en lui de mauvais. » (Basile le Grand)
Le mal résulte d' .. « états dans l'âme. » et il est donc .. « pas une entité vivante. » Son origine est .. la négligence et la faute, qui sont manifestement « un non-être », une non-réalité, car seulement psychiques Et il en va de même encore aujourd'hui : ce dont on voit l'origine dans une idée qui vous vient, ou dans un fantasme, se dissout .. en néant. Mais je crois quant à moi fermement à « L'être », la réalité de la psyché. ...
Tous, sans exception, passent à côté du fait que bien et mal sont les deux moitiés équivalentes d'un jugement logique. .
Cette histoire de la privatio boni, je la déteste à cause de ses dangereuses conséquences : elle provoque une inflation négative ( La doctrine omne malum ab homine - .. attribue à l'homme le rôle d'un antagoniste de Dieu à l'égale puissance.) chez l'homme, qui ne peut faire autrement que se considérer, sinon comme la source du mal, du moins comme un grand destructeur, capable de dévaster la magnifique création de Dieu. Cette doctrine mène à une infatuation luciférienne, et elle est dans une grande mesure responsable de la funeste dépréciation de l'âme humaine, qui apparaît comme l'origine et le séjour du mal. Elle se voit conférer une importance monstrueuse - et pas un mot sur le point de savoir à qui on doit imputer la présence du Serpent au paradis !
Quand, je m'occupe de la question du bien et du mal, ça n'a rien à voir avec la métaphysique. Pour moi, il s'agit d'un problème de psychologie. . je suis profondément convaincu de l'unité du Soi telle qu'elle ressort de la symbolique des mandalas. Mais le dualisme rôde dans l'ombre de la doctrine chrétienne : il n'y aura pas de rédemption du diable, et la damnation éternelle, n'aura pas de fin. ...
Aussi longtemps que le mal est « Un non-être », une non-réalité, personne ne prend jamais l'ombre au sérieux. On continuera de penser qu 'HitIer et Staline ne représentent qu'un « défaut contingent de perfection ». L'avenir de l'humanité dépendra dans une grand mesure de la connaissance qu'elle acquerra de l'ombre. Le mal est - en tenues de psychologie - d'une effrayante réalité. C'est une erreur fatale que de minimiser sa puissance et sa réaIité - . Le mal ne devient pas moindre, en vérité, lorsqu'il est maquillé en non-réalité ou en simple faute commise par l'homme. Le mal était là avant l'homme, quand sa responsabilité ne pouvait absolument pas être engagée. Dieu est le mystère des mystères, un véritable tremendum. Le bien et le mal sont, psychologiquement, relatifs l'un à l'autre et en ce sens pleinement réels, et pourtant on ne sait pas ce qu'ils sont en eux-mêmes. C'est la raison pour laquelle il ne faut pas les projeter sur un être transcendant. C'est ainsi seulement que l'on évitera le dualisme manichéen, ... P.431 .
« Et là où un homme est seul avec lui-même, je le dis : je suis avec lui. »
12/05/50 : Vous vous mouvez dans l'univers du connu, et moi je suis dans le monde de l'inconnu. C'est probablement la raison pour laquelle l'inconscient se transforme pour vous en un système de concepts abstraits. L'anima vous empêche de voir.
9-14/04/52 . je conteste simplement que la privatio boni soit une affirmation logique, mais je veux bien reconnaître qu'il s'agit apparemment d'une vérité « métaphysique », reposant sur un « fondement » archétypique.
Nous ignorons tout simplement comment les contraires se réconcilient ou s'unissent en Dieu. Nous ne pouvons pas comprendre non plus comment ils s'unissent dans le Soi. Le Soi est transcendant à la conscience, il n'est que partiellement conscient. Empiriquement, il est bon et mauvais. Les « actes divins » ont, eux aussi, des aspects contradictoires. Ainsi une conception de la théologie selon laquelle Dieu doit être ou bon ou mauvais n'est pas justifiée. Dieu est transcendant à la conscience, tout comme le Soi, et n'est donc soumis à aucune logique humaine.
. La grande difficulté semble résider en ceci que, d'une part, nous avons à préserver le point de vue du bon sens et de la logique, et que, d'autre part, il nous faut bien reconnaître l'existence de facteurs irrationnels, échappant à toute logique et dépassant nos possibilités de compréhension, et en tenir compte. . Dans la mesure où nous ne pouvons pas les saisir rationnellement, il nous faut leur trouver une expression symbolique. Pris à la lettre, un symbole est presque toujours une impossibilité. Je dirais donc que la privatio boni est une vérité symbolique reposant sur des fondements archétypiques et qu'elle est rationnellement tout aussi peu défendable que la naissance virginale.
20/04/52 . l'interprétation moderne voyait dans « le mal » une « désintégration » ou une « décomposition du bien » Si, comme le fait P.435 l'Église, on hypostasie le concept ou l'idée du bien et si on lui attribue une valeur métaphysique en faisant de lui une substance , (c.à.d. bonum = esse ou en possession de l'esse ), alors le terme de « décomposition » est effectivement la formulation appropriée, et celle-ci se révèle satisfaisante également du point de vue psychologique, dans la mesure où le bien évoque toujours une volonté positive, une synthèse dans le sens de l'aboutissement synergique de multiples tentatives isolées, tandis que, par le mal, on se représente une chute dans l'abîme ou quelque chose qui est en train de se décomposer. (c.rêves) image de l'ouf et du pain : par la décomposition, l'ouf sain deviendrait un mauvais ouf et pourtant un ouf mauvais ou gâté ne se caractérise pas seulement par un amoindrissement de ses qualités positives, car il possède ses qualités propres . entre autres de l'H2S, .. développé à partir du complexe albuminoïde de l'ouf sain, ce qui prouve à l'évidence la thèse selon laquelle le mal naît du bien.
La notion de « décomposition » est donc tout à fait satisfaisante dans la mesure où elle reconnaît que le mal participe de l'être au même titre que le bien .
. de la privatio boni ? Conformément à sa définition, le bien doit être entièrement bon jusque dans ses particules les plus infimes . La théorie de « décomposition » permet de conclure que le summum bonum serait capable de se décomposer et de produire de l'H2S, c.à.d. la puanteur infernale typique. Le bien serait donc corruptible, il posséderait la faculté latente de dégénérer. L'existence d'une telle possibilité signifierait tout simplement que le bien porte en lui une tendance à se métamorphoser en mal. . le bien et le mal .. Ce ne sont pas pour moi des réalités absolues. Mais seulement des jugements psychologiques ; je n'ai, en effet, aucun moyen de constater leur existence en tant que réalités métaphysiques. Je ne conteste pas qu'il soit possible de croire à leur réalité absolue et à la suprématie du bien sur le mal. Qui plus est, je tiens compte du large consensus qui existe au sujet de cette croyance, et qui doit être fondé sur de sérieuses raisons. . (voir Aïon) Mais si l'on tente d'étayer une croyance au moyen d'arguments logiques ou rationalistes, on peut être pris au piège de son argumentation ...
.. dans la pratique (thérapie), l'affirmation selon laquelle un acte mauvais recèle un peu de bien ne veut rien dire du tout : (.) car ici il n'est pas possible de nier .. ''L'être ; la réalité'' du mal. Sur le plan métaphysique ou dans la réalité métaphysique, on est libre d'expliquer ce que l'on définit comme le « substantiellement mauvais » par un moindre bien. Mais cela me semble avoir peu de sens. Dieu est dit être souverain sur le mal ; mais si le mal est un ùn öv, il n'est alors souverain sur rien du tout, pas même sur le bien, car en tant que summum bonum, il n'a créé lui-même que des choses bonnes, qui accusent néanmoins une tendance prononcée à la corruption. En outre, ni le mal ni la corruption ne proviennent de l'homme, puisque le serpent était là avant lui. Donc ..d'où vient le mal ??? La réponse est forcément : d'un point de vue métaphysique, le mal n'existe pas ; il n'existe que dans le monde des humains, et il provient des humains. Mais cette assertion est contredite par le fait que le paradis n'a pas été créé par l'homme. Il fut le dernier à y entrer, et ce n'est pas lui qui a crée le serpent. Si même le plus bel ange de Dieu, Lucifer, a une telle nostalgie de la corruption, il faut bien qu'il y ait en lui un manque considérable de qualités morales - tout comme en Jahvé, qui est plein de zèle pour exiger de la morale tout en étant lui-même injuste. Rien d'étonnant, dans ces conditions, à ce que sa création porte l'empreinte du mal. . Les faits bibliques attestent le comportement amoral de Jahvé. On ne peut pas s'attendre à ce qu'un univers parfaitement bon P.437 sorte des mains d'un créateur moralement ambigu, qui ne sait pas même créer des anges parfaitement bons.
.. la doctrine de la privatio boni est moralement dangereuse, car elle réduit et déréalise le mal, et, ce faisant, elle diminue également le bien, car elle le prive de son indispensable contraire : il n 'y a pas de blanc sans noir, pas de droite sans gauche, pas de haut sans bas, pas de chaud sans froid, pas de vérité sans erreur, pas de lumière sans ténèbres, etc. Si le mal est une illusion, alors le bien l'est nécessairement aussi. .Les Jugements de valeur moraux, formulés en termes d'oppositions, sont une nécessité du point de vue de la théorie de la connaissance. Mais si on les hypostasie, il en résulte un Jahvé amoral, un Lucifer, un serpent, un homme pécheur et une création martyrisée. .
30/06/52 Avant toute chose, j'aimerais savoir si la doctrine de la privario boni a valeur de dogme ou de sententia communis. Dans ce dernier cas, me semble-t-il, une discussion serait permise, .. C'est dans cette perspective, en tout cas, que je l'ai entamée. Si, toutefois, il devait s'agir d'une vérité définie par le dogme et proclamée en tant que telle, je cesserais d'en discuter pour me mettre à réfléchir sur les raisons profondes de son existence, comme je l'ai toujours fait jusqu'à présent, dans les limites de mes possibilités. Voir p.441
Image du rhinocéros et Yavhé P.443
. Parler de « brutalité » est encore modéré par rapport à ce que l'on éprouve quand Dieu vous démet la hanche, ou massacre le premier-né. .
C'est l'une des faces de mon expérience de ce que l'on appelle « Dieu ». « Brutal » est un mot bien trop faible. « Barbare », « violent », « cruel », « sanguinaire », « infernal », « démoniaque » seraient plus justes. . P.444
L'idée des « frères ennemis » (Le diable étant considéré lui aussi comme fils de Dieu, Jung voyait dans les figures opposées du Christ et de Satan une manifestation de l'archétype des « frères ennemis », préfigurée dans les couples de Caïn et Abel et de Jacob et Esaü. .. apparitions apériodiques de ce pattern archétypique et donc intemporel, c'est-à-dire sa répétition récurrente dans le temps. .) et de l'incarnation incomplète
Que le Christ des Evangiles se transforme par énantiodromie en juge intransigeant de l'Apocalypse ou que le Dieu d'amour se change en destructeur, cela revient pratiquement au même.
Le Christ a un opposé : l'Antéchrist et (ou) le diable.
Nov 55 . j'ai critiqué l'idée de la « privatio boni » ; en effet, elle ne concorde pas avec les connaissances acquises par la psychologie. L'expérience psychologique montre qu'en face de ce que nous appelons « bien » il y a toujours tout aussi substantiel, un « mal ». Si le « mal » est .. non existant, alors tout ce qui existe devrait nécessairement être « bon ». Selon le dogme, ni le « bien » ni le « mal » ne peut avoir son origine dans l'homme, étant donné que « le Malin » en tant que l'un des fils de Dieu, était là avant l'homme. L'idée de la privatio boni n'a commencé qu'après Manià jouer un rôle dans l'Eglise. Avant cette hérésie, Clément de Rome enseignait que Dieu régissait le monde avec deux mains, la droite et la gauche ; par la main droite il entendait le Christ, et par la gauche Satan. La conception de Clément est à l'évidence monothéiste, puisqu'il unit les contraires en Dieu. .
nous devons sans doute être considérés comme les héritiers d'un effort tendu vers l'être-bon, en même temps que comme les victimes de l'inéluctable autopunition.
PSYVHOLOGIE DU TRANSFERT
le symbole du serpent à lui seul évoque déjà le problème de l'esprit malin qui, bien qu'extérieur à la Trinité, est pourtant en relation, d'une manière ou d'une autre, avec l'ouvre de rédemption. P.187
BIBLIOGRAPHIE
1) JUNG
2) Marie Louise von Frans
3 Le divin dans l'homme
4) La culpabilité quelle culpabilité ?